Que d’autres en veine d’inspiration théorique se mêlent d’inventer ou de décrire un beau système où l’on comprendrait de quelle sorte de lyrisme balbutiant ou dégradé relève la poésie légère des Lumières. En espérant que la recusatio ait aussi des vertus pour se saisir des questions d’histoire littéraire, nous nous contenterons de hasarder quelques idées pour comprendre comment cette poésie peut encore se frayer un chemin sous nos yeux, entre nos oreilles, dans notre esprit. Comment l’accueillir pour ce qu’elle fut et ce qu’elle peut encore être, sans trop en attendre mais sans se priver non plus du plaisir de se laisser séduire et surprendre.
Pour cela, nous ferons un petit détour du côté d’un concept dont les fluctuations ont pesé sur la poésie depuis ses origines et dont nous avons hérité en oubliant parfois son histoire : le lyrisme, qui évoque pour nous l’idée d’une poésie des sentiments, intensément musicale, une poésie de la « matière-émotion » conjuguée aux exigences de « la musique avant toute chose ». Il nous faudra revenir sur ces deux composants qui ne sont pas absents de la poésie légère du xviiie siècle, mais sous des formes que notre regard, influencé par plus de deux siècles de perception post-romantique, a désappris à percevoir.
Nous proposons, pour décrire et défendre la qualité lyrique de cette poésie, d’y chercher un lyrisme qui atteigne l’intime par des chemins différents, non par l’intensité de la voix des poètes portée à son point d’incandescence, mais par l’insistance chorale d’un lyrisme propre, un lyrisme de l’inflexion discrète : un lyrisme modulatoire.