Conclusion
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Métaphore en traductologie. La théorie des formes sémantiques et The Hunger Games
- Pages : 229 à 231
- Collection : Translatio, n° 14
- Série : Problématiques de traduction, n° 12
CONCLUSION
Le parcours adopté dans cette étude de la traduction de la métaphore a suivi un chemin qui va du général au particulier. Afin de pouvoir juger des qualités et des faiblesses des traductions examinées, encore fallait-il s’interroger en amont sur la manière dont la métaphore fut perçue et conceptualisée au cours des siècles jusqu’à nos jours, et ensuite sur la façon dont les traductologues d’aujourd’hui s’en emparent. Aborder la traduction de la métaphore ne nous semblait pas possible sans déterminer un cadre théorique où la langue même et son fonctionnement pouvaient s’inscrire. Ce fut l’objet de nos deux premières parties.
D’autre part, la métaphore analysée au plus près, c’est-à-dire au cours du processus qu’est la traduction, permettait de jeter un regard plus précis sur la littérarité de l’œuvre choisie, The Hunger Games, non seulement en soi, mais également par rapport aux romans d’autres auteurs américains pour la jeunesse dont nous avons tenté de donner les caractéristiques principales dans la troisième partie.
Ainsi, s’engrangeait un double mouvement, en premier lieu celui des études théoriques sur la métaphore qui devait conduire à l’exploration d’un choix de trente-cinq métaphores dans le texte source et dans des versions en français, et en second lieu, celui d’un retour sur l’appréciation de ce genre littéraire qu’est le roman pour la jeunesse. Ce double mouvement continuel, qui fut présent tout le long de l’analyse de la quatrième partie, nous a permis de souligner l’importance de faire sortir la traduction de l’illusion, à nos yeux, de cette conception de la métaphore comme un écart de la norme. Il nous semble à présent plus clair qu’on ne peut traduire de façon adéquate les potentialités du texte source si, assez souvent comme Fournier, en dépit de certaines qualités, on atrophie la métaphoricité pour n’en retenir qu’un sens qui préexisterait et auquel on ajouterait un élément linguistique, décoratif en quelque sorte. La conception de la langue que cette position sous-entend, montre surtout qu’encore beaucoup de traducteurs ne s’en tiennent qu’à une vision 230dictionnairique et synonymique de la traduction et se coupent, volontairement ou non, d’une réflexion approfondie sur ce sujet. Si l’on met de côté le prétexte du manque de temps du praticien de la traduction dont le métier est assez chronophage, il faut souligner qu’en dépit du rapprochement assez courant entre pratique et théorie de la traduction au sein des formations en traduction de par le monde depuis quelques décennies, tout se passe comme si le traducteur professionnel était soudain frappé d’amnésie quand il entrait dans le monde du travail. Ou alors, on constate une tendance marquée à la préférence pour les théories les plus accessibles et les plus critiquables dans une perspective littéraire, comme la théorie interprétative et la théorie du skopos qui remontent respectivement aux années 70 et 80 et qui, si elles eurent le mérite en leur temps de poser certaines problématiques, sont à présent largement distancées par les travaux plus récents qui au sein de la traductologie allient un certain nombre de disciplines comme la sémiotique, la sémantique ou la philosophie, en plus de la classique linguistique. En effet, l’analyse du discours, les études de sémiotique et de sémantique ont largement supplanté les approches fonctionnalistes en traduction, toutes issues, qu’elles l’avouent ou non, de l’ancienne conception rhétorique de la langue. D’autre part, on ne peut qu’observer que ces mêmes approches fonctionnalistes restent trop générales pour être d’une réelle efficacité en face de la feuille blanche du traducteur et que certaines d’entre elles, comme celles héritières du fameux ouvrage de 1958 de Vinay et Darbelnet sur la stylistique comparée, se positionnent toujours a posteriori de l’acte de traduction. La nomenclature des procédés de traduction reste ainsi lettre morte pour le traducteur confronté à la complexité du fonctionnement du langage. Tout comme la multiplication des catégories de métaphores répertoriées ces dernières années ne résout pas le problème de la traduction. Le test qui consiste à passer cette kyrielle de positions fonctionnalistes au crible de la traduction pour en déterminer leur utilité est assez parlant : La conception dualiste qui en découle aboutit quasi systématiquement à un appauvrissement du texte source et de sa métaphoricité en particulier.
Le roman pour la jeunesse n’a pas ou plus pour vocation de ne s’adresser qu’à un lectorat d’un certain groupe d’âge. Nous avons constaté que les métaphores utilisées ne cherchaient pas à diminuer la charge émotionnelle parfois violente qu’elles pouvaient susciter chez le jeune lecteur. La 231visée didactique, morale ou politique, est bien présente et non édulcorée. La traduction n’a donc pas à restreindre la complexité du processus de métaphoricité en diminuant l’expérience de la subjectivité dans la langue cible et en détournant ces moments d’intensité linguistique vers des figures de stylistique d’un autre âge. Car ce qu’apprend la métaphore au traducteur, c’est à s’interroger sur le point de vue théorique qu’il se doit d’adopter sur elle avant de traduire et sur la nature de cette littérarité en jeu dans l’exploitation de la langue par le biais du processus qu’elle représente. L’exploitation métaphorique renforce le lien entre dystopie et science-fiction par la mise en valeur de la subjectivité dans l’emploi récurrent de la première personne comme dans The Hunger Games et nombre d’autres romans de la même période. L’utilisation de métaphores personnelles en dit long sur le protagoniste, son impact sur la narration et la suite de l’intrigue, mais aussi sur l’évolution du genre littéraire qui tend par l’intermédiaire d’une voix, de plus en plus féminine comme celle de Katniss Everdeen, à se faire porte-parole d’une population dite silencieuse, celle de la jeunesse.
Pour conclure, j’aimerais citer cette remarque de Patricia Shculz qui synthétise notre position en ce qu’elle montre la fusion au sein de la langue de toutes les dimensions. C’est cette vision qui a motivé notre choix d’avoir suivi le parcours des motifs, profils et thèmes le long de cette étude de la traduction de la métaphore :
Si la langue des écrivains et des poètes nous apparaît comme un langage puissant, vrai et authentique, ce n’est pas parce qu’ils toucheraient à la « nature profonde des choses », en faisant des métaphores et en brisant ainsi les chaînes imposées par les catégories de la langue et de la pensée. Mais c’est bien au contraire parce que, plus près de sa nature, ils savent suivre le mouvement propre de la langue, sans se laisser distraire par les séparations que nous y introduisons quand nous « réfléchissons ». L’authenticité de leurs discours ne vient pas des métaphores – qui n’existent d’ailleurs que de façon surajoutée – mais de leur capacité à exprimer la réalité non pas externe mais interne à la langue, et qui est la réalité même de cette langue selon laquelle il n’y a aucune différence entre le matériel et l’immatériel, l’animé et l’inanimé, l’humain et l’animal (Schulz, 2004, p. 221).
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-406-14247-8
- EAN : 9782406142478
- ISSN : 2800-5376
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14247-8.p.0229
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/01/2023
- Langue : Français