Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : La Lettre clandestine
2018, n° 26. Spinoza et la littérature philosophique clandestine - Auteurs : Mori (Gianluca), Schröder (Winfried), Medina (José), Dagron (Tristan), Sandrier (Alain), McKenna (Antony), Audidière (Sophie), Pascau (Stéphan), Jaffro (Laurent)
- Pages : 231 à 286
- Revue : La Lettre clandestine
Alan Charles Kors, Epicureans and Atheists in France, 1650-1729, Cambridge University Press, 2016, 242 p.
On attendait depuis plus d’un quart de siècle le deuxième volet de l’ouvrage important et bien connu d’Alan Kors, Atheism in France, 1650-1729 (Princeton University Press), qui a été l’un des premiers à aborder la question de l’athéisme moderne de manière extensive et approfondie. Le « Volume 1 », paru en 1990, portait comme sous-titre The Orthodox Sources of Disbelief, et sa suite devait donc aborder le sujet principal de la recherche, c’est-à-dire non pas les sources de l’athéisme, mais l’athéisme lui-même. Il nous semble maintenant comprendre que ce deuxième volet ne paraîtra jamais. À sa place, Kors a publié en 2016 deux ouvrages différents, celui que nous recensons ici et un autre, consacré à Naturalism and Unbelief in France 1650-1729. Puisque l’auteur ne donne aucune explication à ce changement de plan, il est légitime de se demander pourquoi il n’a plus souhaité publier un « Volume 2 » de son Atheism in France 1650-1729. La première réponse qui nous vient à l’esprit est la suivante : parce qu’il n’a pas trouvé de quoi le remplir. En lisant Epicureans and Atheists in France, en effet, on croit comprendre qu’à son avis, l’athéisme est rarissime en France avant Jean Meslier (mort en 1729 – d’où la date limite des trois ouvrages). Car, comme l’annonce le titre du chapitre 4 (p. 139-197), il est nécessaire de bien distinguer l’« athéisme historique » de l’« athéisme des historiens », ce phénomène qui doit son existence, non pas à des données effectives, mais seulement à cette tendentiousness qui est le « péché cardinal » des historiens de la pensée (p. 4).
Dans un certain sens, cette démarche de Kors est tout à fait compréhensible. Son effort interprétatif ne porte pas sur les milieux de la libre pensée mais plutôt sur ceux de l’orthodoxie chrétienne, qui nourrit en son sein le fantôme de l’athée. Dans ce processus qui aboutira à la naissance de l’athéisme moderne, le rôle de l’épicurisme est, selon Kors, décisif. C’est un épicurisme latent, qui s’appuie sur les textes qui recommencent à circuler dans la culture de l’Occident à 232l’époque de la Renaissance, et qui prend des voies différentes tout au long du xviie siècle. Toute la première partie de l’ouvrage de Kors est consacrée à la circulation de ces idées, qui commence à s’imposer aussi en dehors des universités et des collèges grâce à la traduction française de Lucrèce par Michel de Marolles (p. 21-33). C’est grâce à l’épicurisme que les chrétiens commencent à concevoir une vision du monde alternative, bien que tolérable pour l’orthodoxie dans la mesure où elle ne dépasse pas certaines limites. Pour Kors, l’athéisme n’a pas une histoire à part entière : il naît comme un produit secondaire de la culture chrétienne, et non comme son dépassement (d’où son insensibilité au cas de Spinoza, sur lequel nous reviendrons). C’est ainsi que, bien que cela puisse paraître paradoxal, Kors n’accorde que peu d’attention à deux textes qui s’installent d’emblée dans une perspective étrangère au christianisme : le Theophrastus redivivus et les Circuli pisani de Claude Bérigard, qui sont pourtant parmi les véhicules les plus importants de la tradition épicurienne hétérodoxe au xviie siècle et en représentent en même temps ses expressions les plus audacieuses (avec Guillaume Lamy, certes, dont il est question longuement dans le volume de Kors : p. 81-90 et, de nouveau, p. 121-138). Le Theophrastus, soit le premier manuscrit (presque ouvertement) athée de l’époque moderne, daté de 1659, est liquidé par Kors en peu de mots (p. 148 : « essentially a compilation of the naturalistic views of ancient philosophers, at first, second, and third hand ») alors que l’ouvrage maudit (mais bien connu) de Bérigard, qui sera l’une des sources les plus importantes du Pantheisticon de Toland et dont la deuxième édition parut en 1661, n’est même pas mentionné.
Le thème de l’influence de l’épicurisme domine le livre de Kors jusqu’à la p. 142 : jusqu’ici, il n’est pas question d’athées. Cette difficulté à trouver des personnages à qui attribuer le rôle de l’ennemi de Dieu découle aussi du fait que Kors ne se propose pas, dès le début, la question fondamentale : celle de savoir ce qu’il faut chercher, c’est-à-dire ce que c’est que l’athéisme à l’âge moderne. Dans son ouvrage de 1990, il faisait sienne la définition du Dictionnaire de l’Académie : l’athée est celui qui nie l’existence de Dieu (définition lexicographique, qui est neutre d’un point de vue philosophique mais ne contribue pas à éclairer la question). Dans Epicureans and Atheists, notre auteur ne donne aucune définition préalable et n’aborde cette question qu’après avoir passé le seuil de la première moitié de l’ouvrage. À la page 142, donc, il s’adresse 233à Leibniz, qui fait à ce moment précis son entrée dans le volume. La définition qu’il cite n’est pas tirée d’un ouvrage imprimé de Leibniz mais d’un texte qui a circulé sous forme manuscrite : les Considerations sur la doctrine d’un Esprit Universel Unique (1702). Selon cette définition, seuls les matérialistes au sens strict du terme sont athées, alors que ceux qui admettent une « intelligence » dans l’univers, que celle-ci soit transcendante ou immanente, ne sont pas à considérer comme tels. De ce point de vue, le panthéisme ne serait pas un athéisme, dans la mesure où il maintient, comme la théorie de l’anima mundi, une sorte d’intelligence attachée à la matière.
La définition que Leibniz donne de l’athéisme dans cet ouvrage de 1702 (ce n’est pas sa seule définition de l’athéisme) a pourtant un défaut essentiel : elle est ambiguë et ne considère pas le type d’intelligence qu’il faut attribuer à Dieu. Car il faut aller au-delà des mots. C’est là un point sur lequel on discutait depuis Cudworth et que Bayle et Clarke devaient préciser définitivement : une intelligence sans liberté n’est pas une intelligence qui puisse différencier le théisme de l’athéisme. D’où la conséquence moins acceptable de cette définition de Leibniz : celle de ne pas considérer Spinoza comme un athée, en quoi il commet alors un contresens historique notable (Spinoza, de 1670 à la fin du xviiie siècle, est le prototype de l’athée philosophe). Or, s’il est tout à fait légitime de mettre en évidence l’importance d’Épicure et de l’épicurisme tout au long du xviie siècle, et même du xviiie (et la recherche de Kors apporte sans aucun doute des contributions importantes sur ce point), il n’en reste pas moins que l’athéisme moderne naît précisément lorsque les athées abandonnent la physique épicurienne pour accueillir le mécanisme déterministe issu de la révolution scientifique. L’athéisme moderne est strictement déterministe, de Spinoza à d’Holbach, en passant par Bayle et Boulainviller. Pour se borner au cas de Bayle, il est notoire que, après avoir considéré Épicure comme le modèle de l’athée, il bâtit à partir de 1704 une sorte d’« athéisme virtuel » sous le masque de Straton. Le stratonisme est un spinozisme plus populaire, sans substance unique, mais déterministe et rationaliste.
Il existe donc une lignée, dans la pensée athée de la modernité, qui part de Spinoza et qui aboutit à d’Holbach, en passant par le Straton de Bayle, par Boulainviller et par Meslier. Tout cela reste au deuxième plan dans l’ouvrage de Kors. Il regarde les athées de l’extérieur, du 234point de vue de la culture chrétienne qui les environne. C’est pourquoi il s’étonne (p. 136) que personne n’ait compris le danger des thèses de Guillaume Lamy. Mais Lamy vient avant Spinoza, ou avant que Spinoza ne devienne le cauchemar de la civilisation chrétienne. Lamy n’était pas perçu comme un danger parce qu’il parlait un autre langage, celui de l’épicurisme, que l’on savait dépassé, et se couvrait du « bouclier » du fidéisme. Il en ira différemment lorsque Spinoza, Bayle, mais aussi Boulainviller et Fréret, en attendant d’Holbach, parleront le langage de la philosophie et de la théologie contemporaines, le même langage que Malebranche, Fénelon ou, plus tard, Voltaire. En général, Kors tend à nier l’originalité de l’athéisme moderne (voir surtout p. 145-146). Il veut tout réduire à des sources anciennes, mais cet effort l’amène parfois à quelques conclusions hâtives, comme à p. 163, lorsqu’il trouve Épicure dans un morceau du Traité des trois imposteurs qui n’est en réalité qu’une paraphrase de quelques passages bien connus de Spinoza (dans l’Appendice à la 1re partie de l’Éthique). Ou encore à p. 164, où il fait remarquer la présence dans ce même Traité d’une citation de Tertullien, sans souligner que l’on trouve la même citation chez Hobbes, au reste largement utilisé dans d’autres parties de ce texte clandestin.
Kors, comme nous l’avons dit, se propose surtout d’identifier des « athées historiques », et non les « athées des historiens ». Le chemin, en réalité, s’avère assez périlleux. Le traitement qu’il réserve à ce que l’on appellera plus tard – à tort, sans doute – la « coterie Boulainviller » est tout à fait caractéristique de son approche. On trouvera ailleurs dans ce volume un passage concernant l’Origine des êtres, un manuscrit athée du début du xviiie siècle que Kors veut à tout prix retirer au même Boulainviller. Le cas de Fréret serait aussi digne de discussion, mais il serait nécessaire, pour l’aborder, de revenir sur l’attribution de la Lettre de Thrasybule à Leucippe, ce qui nous conduirait trop loin. Pour nier cette attribution, Kors se contente en effet de quelques arguments dépourvus de toute épaisseur historique. Certes, tout est possible, et la recherche ne doit pas s’appuyer sur des dogmes ; mais lorsque l’on a affaire à une démonstration historique comme celle de Sergio Landucci (1986), la moindre des choses serait d’y opposer des arguments de même poids. Il faudrait surtout expliquer pourquoi tant de témoignages directs font de Fréret l’auteur de la Lettre et pourquoi l’on trouve tant de correspondances littérales entre la Lettre et ses ouvrages avoués. Or il n’est pas anodin, 235surtout lorsqu’on est à la recherche de l’« athéisme historique », que le texte athée le plus original du début du siècle xviiie provienne d’un écrivain quelconque ou de l’un des intellectuels les plus importants de France, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions, proche du Régent et précepteur chez le duc de Noailles…
Quant à Du Marsais, qui avait commencé par un texte déiste comme l’Examen de la religion, il n’était pas athée, selon Kors (p. 149), lorsqu’il rédigea son Philosophe, et en tout cas ne serait pas digne de considération car son athéisme n’est pas systématique ou « articulé ». Mais le système de Du Marsais est précisément fondé sur l’absence de système : c’est le refus empiriste de la métaphysique. Aussi est-il est assez bizarre de lui reprocher de ne pas avoir construit un système, lorsqu’il déclare explicitement que les connaissances humaines sont rigidement liées à l’horizon de l’expérience. On lui impute aussi de n’avoir pas dit clairement qu’il était athée, mais de l’avoir seulement laissé entendre par quelques formules ambiguës. Selon Kors, pour être athée il ne suffit pas de dire que « la société civile est l’unique Dieu du philosophe », car « l’unique Dieu » ne signifierait pas ici qu’il n’y en a pas d’autres, mais ne ferait que désigner, métaphoriquement, « la valeur la plus importante » (p. 149). Cependant rien n’est dit pour justifier cette lecture métaphorique. Et rien n’est dit des dizaines de témoignages historiques sur l’athéisme de Du Marsais, dont celui de Voltaire, qui l’appelait « Mon cher Diagoras ». De même, lorsque Du Marsais affirme que « Nul Être suprême ne demande de culte aux hommes », il ne veut pas simplement nier la valeur des religions révélées, comme l’entend Kors. S’il avait été déiste, il aurait plus vraisemblablement écrit : « L’Être suprême ne demande pas de culte… », ce qui est bien différent. C’est pourquoi, lorsque Voltaire publiera Le Philosophe, il retranchera précisément ce passage (de même que celui sur la société civile comme « unique Dieu » du philosophe). Mais Voltaire, lui, savait reconnaître l’athéisme à vue de nez.
Après une longue période de réflexion, Alan Kors a finalement dit son mot sur l’athéisme moderne. Par sa démarche, il confirme le débouché obligé de l’exclusivisme historique en matière d’athéisme, c’est-à-dire le négationnisme tendanciel : on pose tant de conditions préalables avant de pouvoir décerner à quelqu’un l’étiquette d’« athée », qu’à la fin le champ de l’athéisme s’avère étrangement dégarni. Kors dit que le but de ses recherches a toujours été d’expliquer comment un Meslier a 236pu naître (« The ultimate purpose of my scholarly life’s work has been to make the fact of a Meslier historically comprehensible », p. 49). Si c’est aussi le but de cet ouvrage, on doit remarquer qu’il n’a été atteint que partiellement. Pour comprendre Meslier, il ne suffit pas de reconstruire le contexte de la tradition chrétienne et de ses tentations épicuriennes ; il faut se pencher sur la tradition de la philosophie moderne, sur Malebranche, sur Bayle (dont Kors sous-estime l’importance), sur Spinoza et sa métaphysique de l’infini. Mais l’on ne trouve, en général, que ce que l’on cherche, et Kors a cherché des spectateurs plus ou moins intéressés du débat sur l’athéisme, et non pas des protagonistes : ceux-ci s’appellent Spinoza, Bayle, Boulainviller, Fréret et Du Marsais, suivis par Meslier et d’Holbach, pour ne citer que de grands noms. Il faut néanmoins concéder que, même si Kors n’a pas trouvé de traces importantes de l’athéisme avant Meslier, il a identifié une constellation de textes et de problématiques qui méritaient d’être redécouverts et dont la connaissance est nécessaire pour comprendre les débats qui ont précédé l’essor des Lumières en France.
Gianluca Mori
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Gianluca Mori, L’Ateismo dei moderni. Filosofia e negazione di Dio da Spinoza a d’Holbach, Rome, Carocci editore, 2016, 297 p.
L’histoire de l’athéisme présentée par Gianluca Mori se distingue nettement de presque tous les travaux sur le sujet, à de nombreux titres. Contrairement aux monographies de David Berman (A history of atheism in Britain, 1990), Alan Charles Kors (Atheism in France, 1990) et Daniel Minary (Le Problème de l’athéisme en Allemagne, 1993), l’ouvrage offre un panorama général et différencié, s’intéressant aux formes variées 237de l’athéisme dans les différentes cultures nationales européennes : la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le refuge hollandais. À la différence des recherches sur les débuts de l’athéisme (W. Schröder, Ursprünge des Atheismus, 1998 [2012]) et des travaux qui font débuter ce dernier au xviiie siècle (Michael J. Buckley, At the origins of modern atheism, 1987), Mori analyse ses développements depuis sa première apparition textuelle documentée (Theophrastus redivivus) jusqu’à la formation du premier courant intellectuel explicitement athée qui se meut autour de D’Holbach. Par sa perspective philosophique et sa réflexion terminologique, l’ouvrage se distingue également de l’approche courante des historiens, lesquels travaillent souvent avec un concept d’athéisme trop imprécis (par ex. Michael Hunter et David Wotton, Atheism from the Reformation to the Enlightenment, 1992), celui-ci recouvrant sans distinction l’ensemble du spectre des visions du monde dissidentes, depuis l’anticléricalisme, l’antichristianisme, la critique biblique, la blasphémie, jusqu’à la négation de l’existence de dieu – le même constat valant, bien sûr, pour certaines présentations semi-professionnelles (et cependant très lues) de l’athéisme par certains historiens de la culture, comme Hermann Ley (Geschichte der Aufklärung und des Atheismus, 1966 sq.) ou Georges Minois (Histoire de l’athéisme, 1998). Les réflexions méthodologiques critiques de Mori sur l’herméneutique de Leo Strauss (p. 31 sq.), qui découvre dans des textes non explicitement athées des messages qui le sont, et sur la position opposée de Paul Oskar Kristeller (p. 27 sq.), qui recommande à l’historien de s’en tenir strictement au written record, sont dans ce contexte particulièrement éclairantes.
Avec ses 300 pages, l’ouvrage est assez court, mais il n’en est pas moins riche en matériaux historiques et en analyses détaillées des sources les plus pertinentes. S’y ajoutent des réflexions sur l’inscription de l’athéisme dans l’histoire de la philosophie de la première modernité ; une attention particulière est accordée dans ce cadre à Descartes, Cudworth et Bayle (chap. 3), qui relevèrent de manière implacable les apories de la théologie philosophique et fournirent ainsi un fonds idéel pouvant être caractérisé comme « athéisme virtuel [ateismo virtuale] » (p. 85). En outre, l’auteur présente une série de thèses parfois surprenantes qui déclencheront probablement des controverses : sur Toland et Hume (chap. 5) et surtout sur Spinoza (chap. 2). Il ne fait aucun doute que la métaphysique de son Éthique et les fragments théoriques du Traité théologico-politique font partie 238des sources d’inspiration du premier athéisme. Mais quant à savoir si la métaphysique de Spinoza peut elle-même être qualifiée d’athée, Mori prend clairement position en rejetant deux interprétations répandues. D’une part, il contredit la thèse selon laquelle la théorie du Deus sive natura, qui diffère bien du théisme standard dans la mesure où le Deus non-transcendent de Spinoza n’a pas d’attributs personnels comme la liberté ou l’intentionnalité, appartiendrait cependant à la famille théorique de la métaphysique théiste, tout en y occupant une place (très) particulière : au deus de l’Éthique seraient en effet attribués selon cette thèse quelques prédicats typiques des concepts de dieu de la métaphysique classique (« causa prima », E I, 16, corr. ; « producere », E I, 28 ; « causa efficiens », E I, 25). D’autre part, Mori rejette l’hypothèse « straussienne » selon laquelle il y aurait un athéisme implicite et caché chez Spinoza, se déployant entre les lignes. Selon Mori, Spinoza est plutôt, « d’un point de vue historique et contextuel […] un athée à plein titre [dal punto di vista storico e contestuale, Spinoza è un ateo a pieno titolo] » (p. 64), et cela non pas en raison de ses « prétendues théories secrètes [per le sue presunte teorie nascoste] », mais parce qu’est chez lui explicite la « négation de toute liberté véritable au sens d’une faculté de choisir et d’une activité planificatrice divine [la negazione di ogni reale libertà, intesa come possibilità di scelta, e progettualità nell’agire divino] » (ibid.). Les présupposés de cette interprétation révèlent la spécificité du concept d’athéisme utilisé par Mori : selon lui, la négation d’une première cause de la réalité n’est pas un critère nécessaire pour l’athéisme. Suivant sa terminologie, les théories mettant en cause le principe selon lequel la prima causa a un entendement, une liberté et une activité planificatrice sont déjà athées (L’ateismo [è] la dottrina che nega l’esistenza di una causa prima dell’universo dotata di intelligenza, libertà e progettualità ; p. 25). Les analyses de Mori offrent ainsi une occasion bienvenue d’examiner à nouveaux frais ces interprétations de Spinoza bien établies.
L’ouvrage profite particulièrement des études approfondies et des activités éditoriales de l’auteur dans le champ de la littérature clandestine. Au chapitre 4 (« Athées clandestins »), il traite ainsi de Boulainvilliers et de sa « conversion à l’athéisme spinozien » (p. 129), manifeste dans l’Origine des êtres et espèces, mais s’intéresse aussi à la Lettre de Thrasybule à Leucippe de Fréret, aux Essais de la recherche de la vérité, à Meslier, ainsi qu’à Du Marsais, dont il retrace la trajectoire allant du « déisme précaire » de l’Examen de la religion (p. 134) à l’athéisme du Philosophe. 239D’autres textes clandestins sont discutés au chapitre 6 (« Athéisme, déisme, scepticisme ») : Doutes des pyrrhoniens, Pseudo-Vallée (Ars nihil credendi) et Symbolum sapientae ([pseudo]-Cymbalum mundi). Cependant, le premier athée occidental moderne revendiqué, Matthias Knutzen, n’est pas abordé dans l’ouvrage. Cette lacune ne laisse pas d’étonner, non seulement parce que les pamphlets explicitement athées qu’il rédigea dès 1674 font clairement partie des premiers documents de l’histoire de l’athéisme, mais aussi parce qu’ils ont connu, d’abord par leur circulation manuscrite, ensuite par leur publication en 1675, une réception remarquable à partir de la fin du xviie siècle, bien qu’ils soient insuffisamment élaborés sur le plan philosophique. En effet, ces textes furent très rapidement traduits en français (1711 ; Naigeon republiera ultérieurement une traduction) et ce fut nul autre que Pierre Bayle qui consacra à Knutzen une entrée dans son Dictionnaire, l’élevant par là au rang de protagoniste éminent du premier athéisme.
On s’interroge également sur l’interprétation faite par Mori du Symbolum sapientae (p. 200 sq.). En effet, il fait de l’auteur anonyme de ce texte un sceptique. Certes, ce dernier développe sa position en partant de réflexions sceptiques inspirées par Sextus Empiricus, et il concède que la non-existence d’un dieu (quel qu’il soit), un dieu sans attributs définis, ne peut être prouvée : dans ce cas, l’époché sceptique est appropriée (Certe hoc nemo ostendere potest, contradictionem involvere propositionem : Deus existit. Nec impossibile dici potest, Deum dari, éd. Canziani/Schröder/Socas, p. 226). Mais les choses se présentent autrement si on pose la question de l’existence d’un dieu particulier, du dieu des religions connues ou de la métaphysique théiste. Cette question peut, selon l’auteur du Symbolum, recevoir une réponse claire : l’idée reçue d’un dieu est en soi incohérente. En particulier, l’hypothèse d’un créateur omnipotent et bienveillant est incompatible avec l’existence du mal. Le résultat est un athéisme sans équivoque : « un dieu, tel qui est perçu par les païens et les chrétiens ne peut pas exister » (talis Deus, qualis a Christianis et ethnicis in scenam producitur, utique dari nequit in hoc universo : éd. Canziani et alii, p. 121 sq.). Il est évident qu’un aperçu général sur « l’athéisme des modernes » qui prendrait en compte cette figure particulière de l’athéisme que l’on trouve dans le Symbolum, serait différent. Il s’agit en effet d’un athéisme qui n’a pas de racines cartésiennes, hobbésiennes, bayliennes ou spinoziennes (même si l’auteur anonyme connaissait la critique biblique du Traité 240théologico-politique), mais qui provient de la tradition sceptique. Ici aussi, les analyses de Mori offrent l’occasion d’engager à nouveau une réflexion sur les perspectives les plus courantes concernant l’athéisme des xviie et xviiie siècles. De manière générale, on peut dire que l’ouvrage de Mori, grâce à la remarquable connaissance des sources que montre l’auteur, à sa précision conceptuelle et à son originalité intellectuelle, inspirera de manière fructueuse les recherches sur le premier athéisme, domaine qui laisse encore tant de questions ouvertes.
Winfried Schröder (Marburg)
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Anna Minerbi Belgrado, L’eternità del mondo. Hobbes e la filosofia aristotelica, Roma, Carocci editore, 2016, 237 p.
Les lecteurs du Léviathan, en particulier du chapitre 46, « Des ténèbres qui procèdent d’une vaine philosophie et de traditions fabuleuses », ont tous en mémoire les déclarations virulentes contre Aristote : en matière de philosophie naturelle, rien n’est « plus absurde » que ce qui est dit dans sa Métaphysique ; sa Politique est éminemment « incompatible avec le Gouvernement » ; enfin une grande partie de son Éthique fait montre de la plus grande ignorance.
Il n’est pas indifférent que le premier reproche à l’égard de la Métaphysique soit énoncé du point de vue de la philosophie naturelle. En effet, dans ce domaine, Hobbes se compte parmi les Modernes (De Corpore, Dédicace) et c’est Galilée qu’il suit, l’âge de la physique ne pouvant « être compté avant lui ». Or la nouvelle physique, notamment le principe de conservation du mouvement uniforme est radicalement antiaristotélicien. Est-ce à dire qu’aucune idée, aucune œuvre d’Aristote ne trouve grâce aux yeux de l’ancien étudiant d’Oxford formé à l’étude des textes aritotéliciens ? 241La réponse est évidemment négative. Par exemple, la conception hobbesienne de la science et de la démonstration scientifique, l’importance qu’il accorde au syllogisme, sont directement reprises d’Aristote. De même le refus de l’infini actuel ; et c’est encore la fidélité à Aristote qui est responsable de la cécité de Hobbes à l’égard de la fécondité de l’algèbre et de la géométrie analytique. Quant aux œuvres d’Aristote, selon son biographe John Aubrey, Hobbes tenait en grande estime la Rhétorique et « son traité sur les animaux » (l’Histoire ? Plus vraisemblablement le Mouvement des animaux). C’est dire combien est complexe la question du rapport entre les deux philosophies, surtout si l’on se souvient, comme l’a montré Jean Bernhardt, que dans sa critique du verbalisme des « essences séparées » il déforme Aristote en le « platonisant ».
On ne peut donc que se réjouir de ce que dans le présent ouvrage, qui vient heureusement compléter les travaux de Cees Leijenhorst et de Thomas A. Spragens, vingt-cinq ans après son remarquable Linguaggio e Mondo in Hobbes (1994) – qui aurait mérité une plus large diffusion auprès des chercheurs –, Anna Minerbi Belgrado nous offre un éclairage original et extrêmement intéressant sur cette question. Cette fois, cependant, l’approche se veut plus restreinte. Si la recherche porte sur la philosophie naturelle du philosophe de Malmesbury, loin de couvrir l’ensemble de l’œuvre et en particulier les textes scientifiques postérieurs au De Corpore, elle est centrée, d’une part, sur sa formation, autrement dit sur l’élaboration par Hobbes de sa conception de la matière et du mouvement telle qu’on peut l’analyser à partir de ses remarques sur Aristote dans la Critique du De Mundo de Thomas White (désignée ici sous le titre De Motu Loco et Tempore)1 ; d’autre part, sur « l’environnement proche », autrement dit les « discussions sur la matière et le mouvement » chez les aristotéliciens radicaux des xvie et xviie siècles. C’est donc la lecture d’Aristote qui est ici au centre de l’ouvrage : celle qu’en fait Hobbes, un auteur pourtant réputé pour son antiaristotélisme, et celle des auteurs contemporains ou qui le précèdent immédiatement. Une lecture qu’accompagne une critique pertinente de la tendance actuelle (moins partagée en France) à atténuer le conflit entre hylémorphisme et mécanisme.
242On aura remarqué que le titre du livre met en relief le thème de l’éternité du monde, ce qui au premier abord peut surprendre le lecteur qui aurait en mémoire ce passage de l’Appendice au Leviathan latin (édition Tricaud, p. 728) dans lequel Hobbes fait dire à l’interlocuteur B qui le représente que « Même Aristote qui dit que le monde est éternel se contredit, Matière en effet ne se dit que de ce à partir de quoi quelque chose a été fait ». Et le lecteur de se demander où donc Hobbes affirme-t-il que le monde est éternel ? La justification du titre se trouve, d’une manière qu’on aurait souhaitée plus directe, dans le premier chapitre : « Prémisse. Hobbes, Aristote, Aristotélismes », un chapitre d’une extrême densité expliquant la démarche générale d’Anna Minerbi Belgrado. Dans un premier temps, il convient d’expliquer pourquoi la recherche se concentre sur le De Motu dans lequel Hobbes réfute point par point les thèses et les arguments du De Mundo (1642) du théologien catholique (Thomas White, 1593-1676), texte à dominante astronomique et cosmologique. Selon A. Minerbi Belgrado – dorénavant citée : A.M.B), c’est dans ce texte inédit que se trouvent les jugements les plus engagés et les plus positifs sur Aristote (p. 12). Or « la doctrine de l’éternité du monde, naturellement entendue, non comme atemporalité, mais comme infinie succession, occupe une place centrale ». A.M.B. avance alors une première thèse dont elle ne méconnaît pas le caractère paradoxal : dans le De Motu, Hobbes « s’appuie précisément sur cette thèse [de l’éternité du monde] pour soutenir la non-nécessité du recours à Dieu. Non-nécessité, mais dans le De Cive contemporain [XV, 14], puis dans le Léviathan [XXXI] on trouve cette assertion : qui soutient l’éternité du monde “puisque ce qui est éternel ne peut avoir de cause, nie qu’il existe une cause du monde, c’est-à-dire que Dieu existe” » (ibid.). Cette interprétation dans le sens d’un athéisme de Hobbes est renforcée p. 15 : « La conception du mouvement semble constituer le fil rouge de la vision hobbesienne, y compris l’éternité du monde […]. Le fait d’avoir fondé sur le mouvement l’unique argumentation athée qui se retrouve dans ses écrits situe de fait Hobbes dans une position singulière par rapport à la tradition […] ». Cette interprétation marginale prend peut-être sa source dans une remarque de G. Paganini qui dans sa préface à sa traduction du De Motu (p. 84 et 509-510), attribue à Hobbes et non aux métaphysiciens, la thèse « audacieuse » de la « coéternité du monde et de Dieu ». Elle s’oppose à une lecture plus orthodoxe selon laquelle Hobbes ne prend pas parti avec 243une netteté absolue et qu’en somme, sa position ne diffère pas de celle de saint Thomas : la raison ne peut démontrer ni l’éternité du monde, ni son commencement dans le temps, c’est là une pure question de foi.
Dans toute la partie du livre consacrée à la lecture hobbesienne d’Aristote : les chapitres 2 à 4 (p. 29-78) puis 9 à 10 (p. 151-196), A.M.B. procède à une analyse minutieuse des textes d’Aristote sur lesquels Hobbes s’appuie pour élaborer sa propre conception de la matière et du mouvement, en procédant à une « réduction » de la métaphysique à une philosophie première (p. 30), voire à leur « identification forte » (ibid.), mais aussi en opérant une certaine sélection (exclusion des étants immatériels, p. 36, élimination de la transcendance). Cependant, rappelons-lele livre est double et A.M.B., à juste titre, ne croit pas que Hobbes se soit limité à la lecture des textes originaux du Stagirite. À n’en pas douter, il s’est confronté aux « aristotélismes ». Il en résulte comme elle l’admet (p. 22) « une dilatation quantitative » non « prévue au commencement de sa recherche, de la partie qui ne renvoie pas directement à Hobbes » : « un long intermède consacré à l’aristotélisme radical ». L’immense mérite de ce livre est de nous fournir une vaste information sur des auteurs largement négligés par la critique (voir l’importante bibliographie des sources et conséquemment de la littérature secondaire, p. 197-229). Aussi saura-t-on gré à A.M.B. de ne pas se laisser impressionner par Noel Malcolm dans ses attributions quasi systématiques à Robert Payne de la paternité des manuscrits longtemps réputés autographes. C’est le cas du manuscrit E2 conservé à Chatsworth, qui contient une liste de livres de destination inconnue. Elle en souligne avec raison la valeur documentaire. Y sont présents les œuvres d’Averroès, de Benedictus Pereira, des averroïstes Elia del Medigo et Nicoletto Vernia, de Simone Porzio et Francesco Vimercati – qui font l’objet d’un remarquable chapitre 6 (p. 87-122) portant sur leur conception de la matière et de la forme – et Cesare Cremonini, identifié de manière convaincante comme la source de la conception hobbesienne de l’accident (chap. 8, p. 145-150).
À ces auteurs, A.M.B. ajoute deux absents de la liste du MS E2 : l’averroïste Antonio Bernardi dit Mirandolano, étudié au chapitre 2, et surtout Jacopo Zabarella qui, longtemps et selon nous à tort, fut exclu des sources possibles de Hobbes alors même qu’il pose l’identité entre matière et corps comme d’ailleurs Andrea Cesalpino. A.M.B. corrige magistralement cette erreur au chapitre 8 « Autres aristotélismes : matière et corps 244chez Jacopo Zabarella » (p. 123-131). L’ensemble du livre constitue ainsi un instrument de première importance qui, selon nous, renouvelle heureusement les études hobbesiennes. Cet immense travail ne perd rien de sa pertinence même aux yeux de qui ne partagerait pas la thèse de l’athéisme de Hobbes comprise comme une convergence avec Aristote sur l’éternité du monde, laquelle thèse pourrait apparaître comme une conséquence hâtive de l’énoncé du principe de conservation du mouvement. C’est sur ce dernier point que nous terminerons notre compte rendu.
Au chapitre 9, « l’éternité du monde et le mouvement » (p. 168 sq.), l’analyse de la version hobbesienne du principe d’inertie dans le De Motu (XXVII, 11) appelle quelques remarques, après un résumé. A.M.B. la considère comme une ébauche, étant entendu qu’aucune allusion n’est faite à la vitesse et à la direction. Elle rappelle avec raison (n. 37) que la formulation précise de la continuation du mouvement « dans la même direction et à la même vitesse » ne se trouve qu’au chapitre xv, art. 7 du De Corpore mais conjecture que cette précision est due à la lecture des Principes de Descartes auxquels Hobbes « renvoie implicitement peu après ». Deux sources possibles sont proposées : tant dans la première Epistola de Gassendi que dans le Dialogue de Galilée, le mouvement persiste uniformément, toutefois, Hobbes « laisse de côté l’uniformité » (p. 169). Enfin, dans le texte du De Motu, est signalée « une singularité que personne n’a signalée » : le corps à peine mis en mouvement est dit toujours se mouvoir « dans le même temps », (eodem tempore). Une tentative d’explication, malgré tout insuffisante, est alors proposée : selon A.M.B. l’expression « eodem tempore » pourrait bien faire « écho » à son emploi dans un autre contexte, concernant la transmission de la lumière et sa perception dans les deux traités d’optique rédigés en latin, ainsi que dans le De Motu, chap. ix, § 1. Dans les deux traités, le mouvement de la lumière suppose la présence du vide2, mais dans le De Corpore, l’abandon du vide conduit à un changement de modèle explicatif dans lequel l’instantanéité de la perception de l’image n’en implique aucune dans la propagation du mouvement « qui se propage par succession ».
245Venons-en aux remarques. D’abord la référence à Descartes sur le point précis de la conservation de la vitesse et de la direction est loin d’être évidente. Si vraiment Hobbes avait suivi Descartes, on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas repris ce point essentiel de la conception cartésienne de la conservation du mouvement, à savoir que le mouvement se conserve en ligne droite. Au lieu de cela, en De Corpore, XV, 1 (onzième principe), Hobbes se contente d’une conservation du mouvement dans la même direction. Mais en XV, 5, la direction suivie par le mobile est déterminée par celle du moteur et Hobbes envisage deux cas : la ligne droite et le cercle. Reste alors la question de l’abandon par Hobbes de l’uniformité dans la conservation du mouvement malgré deux sources proposées de manière assez convaincante, sous réserve, peut-être, selon nous, d’inverser l’ordre chronologique et de commencer par le Dialogue de Galilée dont Hobbes prit connaissance avoir d’avoir lu Gassendi. Notre hypothèse est que cette uniformité n’est pas abandonnée, étant entendu que l’expression singulière « in eodem tempore » est manifestement incongrue juste après l’indication « semel movetur ». On regrette alors que le manuscrit n’ait pas été pris en considération3. En effet, dans le texte du De Motu qui débute au fo 302, nous lisons : Concipietur id quod semel movetur semper moveri eodem tenore, nisi sit agens quod resistentiâ suâ, sive motu Contrario motum eius minuat & tandem tollat ». « Eodem tenore » et non « tempore », autrement dit, du même pas, uniformément.
Signalons également un point de désaccord à propos du changement de modèle explicatif de la lumière solaire dans le De Corpore (XXVII, 2). 246Selon nous, malgré l’abandon du modèle cardiaque, remplacé sans autre précision par un mouvement circulaire simple du soleil repoussant successivement les différentes parties de l’éther ambiant, rien n’empêche que la propagation continue de la poussée à travers les couches d’éther de plus en plus lointaines atteigne l’œil simultanément à toute distance. La succession déjà à l’œuvre dans le premier modèle n’empêche pas le maintien de l’absolue simultanéité du processus des couches les plus proches de la source aux couches les plus proches de l’œil. Si bien que le corollaire de la proposition III du Tractatus opticus I : « Lumen propagatur ad quamlibet distantiam in instante » se révèle être un cas particulier de la règle générale applicable à tout mouvement selon laquelle (De Corpore, XV, 7, Opera latina I, p. 182-183) : « Tout effort (conatus), qu’il soit fort ou faible, se propage à l’infini. […] que ce soit dans le vide ou dans le plein, non seulement à une distance aussi grande que l’on veut, mais encore en un temps aussi petit que l’on veut (in tempore quantulocunque), c’est-à-dire, en un instant ». Cette règle est évidemment valable dans le nouveau modèle explicatif.
José Médina
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Carlo Borghero e Claudio Buccolini (dir.), La ragione e le sue vie. Saperi e procedure di prova in età moderna, Florence, Le Lettere, 2015, 464 p.
Le volume consacré à la méthode et à la preuve à l’époque moderne rassemble une série de quinze articles. Le recueil porte essentiellement sur la réception de méthode cartésienne jusqu’à Hume (ainsi Claudio Buccolini sur les Objections de Mersenne ; Domenico Collacciani sur l’admiratio dans le De cogitatione de Clauberg ; Antonella Del Prete sur la méthode chez le cartésien hollandais Johannes de Raey) : ne sont pas abordées, notamment, les pensées de Bacon ou de Galilée, non plus que 247celles de Leibniz, de Newton ou de Vico. L’unité de l’ensemble est principalement à chercher du côté des enjeux relatifs à l’argumentation et à l’administration de la preuve : la manière dont une « méthode » qui se présente comme universelle, se trouve spécifiée et contextualisée dans des champs du savoir aussi divers que les mathématiques, la métaphysique, le droit naturel ou l’histoire et la critique. Pour la plupart, les études rassemblées insistent sur l’impact théorique de cette diversification et montrent comment la réflexion méthodologique relative à l’administration de la preuve induit une réorganisation du système du savoir. C’est en particulier la thèse défendue par Carlo Borghero dans sa contribution (« Materie di fatto. Procedure di prova e sistemi del sapere nei secoli xvii e xviii ») qui s’applique à illustrer cette sorte de « révolution copernicienne » avant la lettre, en montrant comment la méthode fondée sur l’identification de vérités de fait modifie significativement le rapport aux présupposés et aux prémices du savoir moral et religieux, c’est-à-dire le rapport à la croyance et à l’opinion. De ce point de vue, on peut noter l’écart entre les enjeux méthodologiques rencontrés dans le droit naturel, avec Hobbes, Pufendorf et Weigel, où il s’agit principalement d’ordonner analytiquement les conséquences aux principes (Anna Lisa Schino, « L’eredità cartesiana nel metodo del diritto naturale »), et ceux de la critique historique qui a pour objet l’établissement et l’interprétation des faits. On lira dans cette perspective les études de Gianluca Mori et d’Antony McKenna, qui montrent tous deux comment les ambiguïtés de la pensée de Bayle sont largement déterminées par les exigences de la méthode critique. Mais également les développements consacrés aux fables : sur Malebranche et Fontenelle (Francesco Maria Pirocchi) et sur l’évhémérisme (Laura Nicolì). C’est depuis cette problématique de la méthode et de l’administration de la preuve que sont abordées les thèses hétérodoxes : la question du spinozisme à partir de la controverse sur l’étendue intelligible (Fiormichele Benigni), mais aussi le matérialisme biologique (Angela Ferraro, sur Jean-François Vallade et Meslier ; Paolo Quintili sur Dom Deschamp et Diderot).
Tristan Dagron
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Philippe Chométy et Michèle Rosellini, Traduire Lucrèce. Pour une histoire de la réception française du De rerum natura (xvie-xviiie siècle), Paris, Honoré Champion, coll. « Libre pensée et littérature clandestine », no 68, 2017, 395 p.
Ce volume constitue une contribution bienvenue à la réception d’une des références et des sources majeures de la libre pensée classique. Il comble une lacune dont on s’étonne rétrospectivement qu’elle ait existé si longtemps. Lucrèce s’impose comme une figure paradoxale, à la fois « classique » en tant que poète, et irrémédiablement hétérodoxe en émule d’Épicure, vulgarisateur de son matérialisme athée. Cela a favorisé un mode de diffusion particulier et ambigu que cet ouvrage parcourt de façon synthétique et efficace. Lucrèce ne se découvre jamais simplement aux lecteurs d’Ancien Régime car pèse sur lui le soupçon d’une influence dangereuse. Pour juguler les risques d’une accessibilité incontrôlée en français, sa présence, aussi diffuse que surveillée, a privilégié les modalités indirectes : il est une source d’exercice scolaire de version sur des passages choisis, l’objet de traductions et de paraphrases nombreuses sur des morceaux de bravoure, en particulier évidemment « L’hymne à Vénus » ; mais il connaît, à l’aune de ce qui se pratique pour les autres auteurs de l’Antiquité, de rares et discutées traductions intégrales en français à l’âge classique, comme s’il offrait un double défi délicat à tenir, celui de rendre l’enthousiasme poétique suscité par une conception du monde rétive et opposée au christianisme. En conséquence, traduire Lucrèce excite constamment le soupçon de connivence coupable avec une philosophie hétérodoxe si ce n’est franchement incrédule, et essuie en même temps le reproche de trahir les beautés d’une écriture savante et complexe, que le français n’a pas les moyens de restituer : les traducteurs doivent donc sans cesse justifier leur tentative en désamorçant son hétérodoxie tendancielle et s’excuser par avance du manque de réussite poétique.
L’ouvrage, et c’est un de ses mérites, n’est pas un simple recueil d’articles plus ou moins bien reliés entre eux par une thématique ; il se 249présente comme un véritable manuel qui construit méthodiquement son objet et en facilite l’approche. En trois parties équilibrées, il propose une trajectoire orientée et progressive qui part d’un bilan, établi par les directeurs du volume, sur l’histoire de la réception et des traductions du De rerum natura (p. 11-105) pour aboutir à une exploration des différentes modes d’appropriation de l’œuvre menée par divers contributeurs (p. 107-293). La dernière partie (p. 295-359) rassemble une anthologie des traductions les plus marquantes de l’« Hymne à Vénus ». Synthèse, problématisation et illustrations : ce triptyque met commodément sous la main les interprétations et les pièces à conviction sur lesquelles ces dernières s’élaborent, et rassemble ainsi une documentation riche et suggestive.
La première partie s’étend sur une période qui va de la Renaissance au début du xixe siècle : après la découverte du manuscrit au xve siècle en Allemagne, c’est la version en latin de Lambin, dédiée à Charles ix, qui, en France, fixe le texte pour l’âge classique. La première traduction arrive tardivement un siècle plus tard, en 1650, d’abord en prose puis en 1677 en vers, toutes deux bilingues et sous la plume de Michel de Marolles. Influence gassendiste et fantôme de la traduction légendaire de Molière : telle est l’atmosphère dans laquelle se développe un processus laborieux de classicisation du poème au xviie siècle. La traduction de Des Coutures en 1685, saluée par un article de Bayle dans les Nouvelles de la République des Lettres, prend la succession, alors que se multiplient les traces de l’influence retorse de l’œuvre de Lucrèce, que ce soit dans les variations hétérodoxes d’un Déhénault ou les réfutations contenues dans L’Anti-Lucrèce de Melchior de Polignac, lui-même en latin puis en français (par Bougainville en 1749). Il faut attendre 1768 pour que soit publiée une nouvelle traduction, qui s’imposera comme la plus réussie jusqu’à la fin de la période classique et servira de référence à bien des égards, celle de Lagrange, le précepteur des enfants du baron d’Holbach, retouchée par Diderot peut-être et incontestablement Naigeon (dernier point sur lequel le volume ne s’attarde pas). La même année paraît pourtant une autre traduction par Panckoucke, qui ne reçoit pas le même accueil, pas plus d’ailleurs que, vingt an plus tard, en 1788, celle de Le Blanc de Guillet, l’auteur des Druides. Le panorama s’achève logiquement sur l’évocation de la traduction de Pongerville en 1823 qui, inaugurant un nouvel âge, dresse le bilan de cette première histoire de la réception et 250de la traduction de Lucrèce. On y aura vu défiler parmi les événements remarquables, pour n’en citer que quelques-uns, les variations des poètes Du Bellay ou Marie-Joseph Chénier, ainsi que les versions manuscrites de la philosophie clandestine ou la traduction jamais divulguée de l’antiphilosophe Fréron !
C’est ce riche matériau que la seconde partie met à l’épreuve de perspectives singulières. Dans une douzaine de contributions, le texte de Lucrèce est suivi dans ses reprises, traductions ou paraphrases, chez des figures et dans des contextes variés et révélateurs : Montaigne, La Fontaine, ou Sylvain Maréchal, par exemple, sont étudiés dans leur pratique de l’œuvre mais surtout dans leur appropriation des idées et de la manière de Lucrèce. Le cas le plus singulier est sans doute celui d’Antoinette Deshoulières, disciple de Déhénault, qui propose un galimatias de l’« Hymne à Vénus » qui laisse beaucoup à penser et discuter. La section se termine, apparemment sans solution de continuité, par la reprise d’une communication de José Kany-Turpin sur son propre travail de traduction : cette respiration contemporaine permet de vivre au présent les enjeux évoqués dans les exemples précédents, malgré la différence de contexte poétique et idéologique. On peut regretter d’ailleurs que sa traduction, qui s’est imposée par ses qualités, ne soit pas intégrée, à titre préliminaire, dans l’anthologie qui suit, où l’on a le plaisir de lire les textes dont il a été question tout au long des deux premières parties.
Les directeurs annoncent à plusieurs reprises une suite à ce premier volume pour détailler plusieurs pistes et aspects dégagés mais non explorés, touchant notamment la variété des inspirations que le poème de Lucrèce a entretenue, ou encore les autres parties de l’œuvre qui, en dehors de l’« Hymne à Vénus », ont fait l’objet d’une attention critique soutenue. On ne peut que se réjouir du programme à venir et en attendre les résultats avec impatience.
Alain Sandrier
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Jean-Baptiste de Boyer, marquis d’Argens, Lettres chinoises, éd. Jacques Marx, Paris, Honoré Champion, 2009, 2 vol. ; Lettres juives, éd. Jacques Marx, Paris, Honoré Champion, 2013, 3 vol. ; Lettres cabalistiques, éd. Jacques Marx, Paris, Honoré Champion, 2017, 3 vol.
Il faut saluer l’exploit de Jacques Marx, qui vient d’achever l’édition critique de l’ensemble de la Correspondance philosophique du marquis d’Argens, parue initialement sous forme de cahiers périodiques à La Haye chez Pierre Paupie tout au long des années 1730 dans l’ordre suivant : les Lettres juives de 1736 à 1738 ; les Lettres cabalistiques de de 1737 à 1738 ; les Lettres chinoises de 1739 à 1740. Le marquis souligne lui-même l’unité et la cohérence de son projet : « Ces trois ouvrages n’en sont réellement qu’un seul, qu’on peut, et qu’on doit même réunir sous le nom général de Correspondance philosophique, historique et critique qu’ils portent tous les trois » : il s’agit d’une « critique générale des mœurs et des coutumes des peuples anciens et modernes ». Le projet peut ainsi être envisagé comme une entreprise rivale – ou complémentaire – de celle de Jean-Frédéric Bernard (1680-1744) et de Bernard Picart (1673-1733) dans leur ouvrage monumental Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples […] avec des explications historiques et des dissertations curieuses, Amsterdam, 1723-1743, 9 volumes in-folio ; d’ailleurs, les sources communes ainsi que l’intérêt que ces deux publications gigantesques accordent à la philosophie clandestine – publiée ou manuscrite – mériteraient une recherche spécifique, rendue possible par cette belle édition de Jacques Marx et par l’extraordinaire édition en ligne de Bernard et Picart, établie par l’UCLA Digital Library Program (avec le soutien du Getty Research Institute, de l’Université d’Utrecht et de la Huntington Library) : http://digital2.library.ucla.edu/picart/. Les travaux récents de Lynn Hunt, Margaret C. Jacob et Wijnand Mijnhardt (dir.), Le Livre qui a changé l’Europe. « Cérémonies religieuses du monde » de Bernard Picart et Jean-Frédéric Bernard, Genève, Éditions Markus Haller, coll. « Modus vivendi », 2015, et, des mêmes, Bernard Picart and the first global vision of religion, Getty Research Museum, 2010, ainsi que les travaux en 252cours sous la direction de Sylvia Berti et de Jonathan Israel resteraient incomplets sans cette étude, d’autant que, désormais, grâce aux travaux de Christelle Bahier-Porte et de Fabienne Vial-Bonacci, nous pouvons suivre pas à pas le commerce en manuscrits clandestins conduit par Marc-Michel Rey, gendre et héritier de Jean-Frédéric Bernard : http://rey.huma-num.fr/.
Le marquis d’Argens s’installe aux Provinces-Unies pendant l’hiver 1734-1735. Après avoir séjourné à Anvers, il s’établit à La Haye chez la belle-mère du libraire Pierre Paupie, publie ses Mémoires sous la fausse adresse de Londres et compose, en étroite correspondance avec Prosper Marchand4, les Lettres juives. Le succès lui donne le sentiment (sans doute vrai) d’être surveillé par les jésuites, par l’ambassadeur de France, le marquis de Fénelon et par sa propre famille, de sorte qu’il change d’adresse au moins huit fois entre 1735 et 1739, passant de La Haye à Bruxelles, à Amsterdam, à Utrecht, à Maarssen, s’établissant enfin dans une petite maison écartée dans les environs d’Amsterdam : seuls Voltaire, Prosper Marchand, le correcteur Prévot et M. de Bey, riche amateur qui l’a pris sous sa protection, connaissent son adresse. Prosper Marchand est l’ami de Bernard Picart et il vient d’éditer la correspondance (1714) et le Dictionnaire historique et critique (1720) de Bayle ; de plus, il œuvre au Journal littéraire en collaboration avec Willem Jacob ‘s Gravesande, Justus van Effen, Thémiseul de Saint-Hyacinthe et Alexandre ; il entretient une correspondance régulière avec Jean Rousset de Missy et Lambert-Ignace Douxfils ; il est lié d’amitié avec Charles Levier, qui avait copié chez Benjamin Furly le manuscrit de La Vie et l’esprit de Benoît de Spinoza et qui l’avait publié en 1719 ; ce même texte, dont on pense qu’il a probablement été composé par Jan Vroesen, un ancien élève de Bayle, devait paraître par la suite sous le titre Traité des trois imposteurs et devait faire l’objet d’un article remarquablement fouillé de Prosper Marchand dans son Dictionnaire historique, ou Mémoires critiques et littéraires, La Haye 1758-1759, 2 vol. in-folio, publié par les soins de son ami Jean Nicolas Samuel Allamand (1713-1787), ancien précepteur des enfants de ‘s Gravesande, nommé professeur de philosophie à l’université de Leyde et élu fellow de la Royal Society en 1747. Voilà, en deux mots, l’univers du marquis d’Argens avant 253qu’il ne reparte et ne s’établisse à Berlin en juillet 1742 en qualité de chambellan de Frédéric II.
Dans ce monde ainsi constitué par les réseaux de Prosper Marchand, on ne s’étonne donc pas que d’Argens cite dans ses Mémoires le titre d’un manuscrit philosophique clandestin bien connu :
J’avais aussi des conversations fréquentes avec un Arménien, homme d’esprit, grand Spinosiste, qui avait beaucoup voyagé et principalement en Hollande, où il avait demeuré fort longtemps […]. Il me fit présent d’un manuscrit français fort beau, intitulé Doutes sur la Religion dont on cherche l’éclaircissement de bonne foi. Je l’ai perdu dans un voyage, que j’ai fait en Italie. (Mémoires […], Londres, 1735, p. 115)
Or, si on lit de près les leçons de Thérèse philosophe (1748) – roman dû à d’Argens selon les arguments convaincants de Guillaume Pigeard de Guibert (2010) – et qu’on les compare avec le texte des Doutes, dont on sait désormais, par l’édition de Gianluca Mori, qu’ils ont été composés par Du Marsais vers 1705, on peut douter que d’Argens ait vraiment égaré son exemplaire du manuscrit clandestin. Quoi qu’il en soit, cette mention par d’Argens est un témoignage précieux sur la diffusion des Doutes.
Autre témoignage intéressant : dans les Lettres juives no 123, le 31 décembre 1736 (selon la chronologie établie par Steve Larkin), Isaac Onis écrit :
Un Arabe de mes amis me prêta, il y a quelques jours, un manuscrit : je le lus avec attention : j’y trouvai plusieurs choses assez amusantes ; mais le fond de l’ouvrage me parut peu instructif. L’auteur prétendait que les hommes, les animaux, et tout ce que nous voyons d’animé, avait été produit par la mer. Le premier défaut de ce système est d’être directement contraire à l’existence de la Divinité. Et comme je méprise infiniment les Philosophes assez aveuglés pour ne point être frappés de cette première vérité, il a fallu que ce système fût aussi réjouissant et aussi comique qu’il l’est, pour que je le lûsse avec quelque plaisir. En voici, mon cher Monceca, une briève exposition. (Lettres Juives, no 123)
Le résumé et les extraits cités du manuscrit « arabe », quoique très approximatifs, ne laissent aucun doute : il s’agit du Telliamed, composé par Benoît de Maillet dès 1715-1716, attesté à partir de 1726 et qui ne sera publié qu’en 1748. Encore une fois d’Argens jette un voile sur les 254circonstances de sa lecture du manuscrit. Il assimile le système de Benoît de Maillet à une philosophie épicurienne du hasard :
[…] ce Philosophe Arabe […] travaille encore aujourd’hui à chercher de nouvelles preuves pour […] rendre [son système] plus vraisemblable. Il m’a demandé mon sentiment : je lui ai dit avec beaucoup de sincérité, que tous les systèmes qui n’admettaient pas l’existence de la Divinité, et qui supposaient pour premier principe des choses sur un certain arrangement de matière occasionné par le hasard, tombaient tous dans des opinions insoutenables, et bâtissaient sur le sable un château que le moindre mouvement renversait de fond en comble.
Rappelons que Benoît de Maillet consacre plusieurs pages à la réfutation des arguments de Pierre Nicole en faveur de la Création : d’Argens reprendra ces pages du philosophe dans son commentaire d’Ocellus Lucanus5. Il cite aussi explicitement la Description de l’Égypte (1740) de Maillet et Jacques Marx relève qu’on trouve à la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence un recueil manuscrit daté de 1729 – date à laquelle Maillet résidait à Marseille et séjournait fréquemment à Aix – comprenant les Doutes sur la religion et le Telliamed de Maillet.
On ne saurait rendre justice à l’édition de Jacques Marx en quelques lignes. Le marquis d’Argens avoue avoir puisé ses informations chez d’autres :
[…] cette liberté que j’ai prise de me saisir de tout ce qui m’accommode, m’épargne beaucoup de peine et de temps ; mais aussi ne me laisse souvent que le mérite d’un fidèle copiste. Si chaque auteur que je pille, venait à revendiquer son bien, je me trouverais exposé au sort du geai de la fable, qui s’était paré de plumes étrangères ; avec cette différence pourtant, qu’il les donnait pour siennes, et que j’avoue mes vols. (Lettres chinoises, no 53)
Bayle est certainement au premier rang des auteurs pillés et le recours au Dictionnaire explique une bonne partie de l’érudition étonnante affichée par le marquis. Mais il y a beaucoup d’autres auteurs qu’il semble connaître de première main, que J. Marx signale avec une précision admirable : Isaac de Beausobre, Mathurin Veyssière 255La Croze, La Bléterie, Athanase Kircher, Jacques-Auguste Blondel, Simone Maioli, Du Halde, les acteurs de la « querelle des rites chinois », la querelle de la stèle de Si-ngan fou (X’ian) redécouverte en 1625, Kæmpfer traduit par Scheuchzer : ce ne sont là que quelques sources des débats entre Sioeu-Tcheou l’athée, Yn-Che-Chan le déiste et Choang défenseur de la Création. Dans les Lettres juives, Spinoza a un statut privilégié, sans éclipser complètement Orobio de Castro, Uriel da Costa et et Richard Simon ; dans les Lettres cabalistiques, l’abbé de Villars et Beausobre fraient le chemin. D’Argens les exploite pour donner une leçon de relativisme sur le modèle de Voltaire dans les Lettres anglaises, qui conclut au « déisme accommodé avec la morale de Jésus-Christ », et de Montesquieu dans les Lettres persanes : « dans quelque religion qu’on vive, l’observation des lois, l’amour pour les hommes, la piété envers les parents sont toujours les premiers actes de religion […] le plus sûr moyen [de plaire à la Divinité] est sans doute d’observer les règles de la société et les devoirs de l’humanité » (Lettres persanes, XLVI). D’Argens conclut de même au déisme : « Je pense qu’on peut regarder tous les hommes comme formant en quelque manière une seule et simple religion, puisqu’ils adorent tous la même Divinité, et ne diffèrent entre eux que par le culte et les cérémonies » (Lettres juives, 2, 68). Les débats portent sur tous les points sensibles de la doctrine chrétienne, suivant un chemin sinueux à travers le Dictionnaire de Bayle : l’origine et l’éternité de la matière, les pouvoirs de la nature, les attributs de la matière, sa coéternité avec la Divinité, l’âme des bêtes, la métempsycose, l’existence du Mal… sur le modèle de Bayle et de Fontenelle, c’est-à-dire en mettant ces questions métaphysiques complexes à la portée des honnêtes gens. D’Argens a le sens du comique et sait mettre en scène le ridicule des superstitions. Il sait ainsi conduire son lecteur, non pas, à mon sens, à une leçon de scepticisme mais à la véritable leçon de Bayle sur l’opposition entre la philosophie rationaliste et la doctrine chrétienne, entre la raison et la foi. De cette façon, tout au long des volumes de la Correspondance philosophique, il crée une véritable « machine de guerre philosophique » contre toutes les formes de superstition et de surnaturel, selon la formule de J. Marx, comme aussi contre le priestcraft de Rome et de la Compagnie de Jésus en particulier. Les Provinces-Unies et l’Angleterre font naturellement figure d’exception, pays de raison et de tolérance.
256Sans avoir réussi à rendre justice au travail impeccable de Jacques Marx, dont la présentation de chaque œuvre est passionnante, nous ne pouvons que souligner tout l’intérêt de l’œuvre monumentale du marquis d’Argens et l’excellence de cette belle édition.
Antony McKenna
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Claude Adrien Helvétius, Œuvres complètes, édition publiée sous la direction de Gerhardt Stenger, tome I, De l’esprit, texte édité, présenté et annoté par Jonas Steffen, Paris, Honoré Champion, coll. « L’âge des Lumières », 2016, 597 pages ; tome II, De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation, établissement du texte sur le manuscrit original par David Smith assisté de Harold Brathwaite et de Jonas Steffen, notes explicatives par Gerhardt Stenger, Paris, Honoré Champion, coll. « L’âge des Lumières », 2011, 663 p.
Les volumes présentés constituent deux des trois tomes de la toute première édition scientifique des œuvres complètes d’Helvétius. Le tome III comprendra d’une part les Notes de la main d’Helvétius (dont l’authenticité selon les éditeurs eux-mêmes est douteuse, on attend donc avec impatience leurs travaux d’édition et d’analyse), les poésies et épîtres philosophiques et, d’autre part, la correspondance complète, dont la collection Rosanbo, inédite à ce jour. Cette édition constitue donc la pierre de touche de l’ensemble constitué désormais de Bibliography of the Writings of Helvétius de David Smith (Ferney-Voltaire, 2001), de la Correspondance générale d’Helvétius, éditée par David Smith et alii (Toronto et Oxford, 1981-2004, 5 vol.) et de l’œuvre complète d’Helvétius sous la direction de Gerhardt Stenger présentée ici.
257C’est sans doute le lot de nombre d’auteurs des Lumières pris dans les constructions historiographiques révolutionnaires et post-révolutionnaires que de ne pas être lus directement. C’est plus particulièrement le cas d’Helvétius, d’abord en raison de l’état de l’édition de son travail depuis l’invention par La Roche, héritier des papiers d’Helvétius, d’Œuvres complètes fallacieuses (1795) reprises jusqu’à aujourd’hui. On lira bien sûr dans les introductions des éditeurs les détails de l’histoire éditoriale du fameux texte de 1758, mais il faut indiquer ici que Jonas Steffen livre pour la première fois De l’esprit dans sa toute première édition non cartonnée, celle qui suit la censure superficielle de Tercier et dont la production fut suspendue. Les variantes de la seconde première édition, dite cartonnée, celle qui fut menée à terme et vendue après la seconde censure de Barthélémy, celle qui provoqua le scandale qu’on sait, sont indiquées. Nous voici donc enfin face au texte d’Helvétius lui-même. De la même façon, De l’homme est pour la première fois édité sur la base d’un manuscrit totalement inédit retrouvé par David Smith, manuscrit qui a été corrigé de la main d’Helvétius et d’autres mains (Diderot ? La Roche ?). Ces corrections figurent dans l’édition originale et sont évidemment indiquées ici. Par conséquent, les nombreuses corrections, omissions, substitutions, interventions et même erreurs introduites sur le manuscrit par La Roche dans la première édition originale posthume (l’édition de 1773) figurent ici à titre de variantes. On verra donc pour la première fois le texte tel qu’imaginé par Helvétius, objet d’une supercherie destinée à rendre sa publication possible : jusque dans le corps du texte, le manuscrit est présenté comme l’œuvre d’un luthérien de Nuremberg. Après moult revirements, Helvétius envoie La Roche procéder à la publication en Hollande à quelques dizaines d’exemplaires, alors qu’il sait sans doute qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre. Il meurt moins de trois semaines après le départ de son ami, qui passe le relais au prince Golitsyn. L’édition par D. Smith du manuscrit inédit restitue donc enfin au texte la plus grande authenticité possible.
Les deux œuvres d’Helvétius ont été annotées par Diderot, Rousseau et Voltaire, selon les cas sur le manuscrit, sur l’édition non cartonnée, sur l’édition cartonnée. Ces marginalia ont été exhaustivement reportées dans l’édition présentée ici, en en suivant les éditions de référence, reportant tous les types et les différentes strates et époques d’annotations.
258De cette façon, on est en présence d’un véritable millefeuille textuel, original, passionnant, pour chacune des deux œuvres. Aux différents types de variantes (censure, corrections autographes, interventions de La Roche) et aux marginalia s’ajoutent bien sûr les notes explicatives des éditeurs sur chacune de ces strates, et l’ensemble est d’une lecture étonnamment aisée et claire grâce à un système simple de notation continue. On trouvera également des documents afférents à l’affaire De l’esprit : les « Éclaircissements » d’Helvétius sur les propositions relevées dans l’Indiculus de la Sorbonne, la Lettre au révérend père*** jésuite (c’est-à-dire la première rétractation, exigée par la révocation du privilège royal), et la deuxième rétractation d’Helvétius. L’ensemble constitue désormais l’unique édition de référence pour tout travail scientifique touchant de près ou de loin l’œuvre d’Helvétius, d’une richesse qui laisse espérer un renouveau dans la lecture et l’interprétation de cette œuvre et de toutes celles qui sont en relation avec elle. Car si elle est mal lue, l’œuvre d’Helvétius a été beaucoup compilée à son tour.
Outre l’état de son édition, la philosophie d’Helvétius s’est révélée particulièrement facile à caricaturer, tant elle s’exprime en des formules brèves qui se veulent parfois frappantes, par des anecdotes plus ou moins fiables, portée par une volonté de résumer des débats philosophiques la précédant immédiatement. La répétition ad nauseam de certaines interprétations paresseuses a fait le reste (ainsi du fameux « l’éducation peut tout » qui a permis à plusieurs générations de penser qu’Helvétius était un philosophe de l’éducation simpliste préoccupé des possibilités infinies de l’éducation des enfants, ce qu’on serait bien en peine de trouver dans les textes, de près ou de loin). L’appareil de notes de l’édition dirigée par G. Stenger permet aussi de revenir au texte, en-deçà cette construction critique. Outre quelques précisions de lexique, il permet d’estimer précisément quels sont les ouvrages cités par Helvétius, ceux qui sont des sources sûres. Ainsi confirme-t-on la forte présence de Locke au début de De l’esprit, mais aussi celle, plus épisodique, de Malebranche, de Descartes, du débat entre Leibniz et Clarke. Helvétius utilise l’Histoire critique de la philosophie Deslandes, l’Encyclopédie, un peu le Grand dictionnaire historique de Moreri, parfois Bayle, rarement le Siècle de Louis XIV… Son ami Duclos en revanche lui offre nombre de formulations et d’informations, comme Dubos. Le corpus le plus important est celui des récits de voyage : La Condamine, Dampierre, les Voyages de J. Chardin, le Voyage du tour du 259monde de Remelli Careri, le Recueil des voyages de Renneville, l’Histoire générale des voyages, des recueils sur la Chine, père Labat sur l’Afrique, des Mémoires (Mémoires littéraires, Mémoires concernant Christine de Suède), etc. … Tout est réuni dans une très utile bibliographie des ouvrages cités par Helvétius et de ses sources certaines ou probables, assortie d’un index des noms des personnes mentionnées dans De l’esprit.
L’appareil des notes explicatives permet également d’estimer quelle part est faite à l’invention, à l’à-peu-près qu’on a attribué à l’auteur depuis Voltaire. De ce point de vue, De l’homme se distingue de De l’esprit non seulement par la présence de l’histoire, plus forte que celle de la philosophie ou des récits de voyage, mais aussi par l’incertitude voire l’inexactitude des références, allusions, souvenirs, des passages dans lesquels Helvétius paraphrase, brode, résume… Ces remarques n’amélioreront pas la réputation de notre auteur… mais n’est-ce pas l’occasion d’apercevoir une autre façon d’écrire, plus historique, narrative, plus proche désormais de l’Histoire des deux Indes que des ouvrages du milieu du siècle marqués par la philosophie de Condillac (grand absent des références) ?
Quoi qu’il en soit de ce que l’histoire et la philosophie feront de cette œuvre, au moins pourront-elles désormais avoir confiance sur cette partie de leur matière première.
Sophie Audidière
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Laurence Macé, Claudine Poulouin et Yvan Leclerc, (dir.), Censure et critique, Paris, Classiques Garnier, 2015, 496 p.
Cet épais volume rassemble vingt-sept contributions qui examinent, sur un temps assez long (du siècle de Louis xiv au milieu du xxe siècle) 260le phénomène de la censure. L’intérêt du recueil tient à la variété des points qui mobilisent les instruments de l’histoire littéraire, intellectuelle et juridique. Il se propose expressément de revenir sur l’opposition entre censure et critique sur laquelle reposait la construction de Reinhart Koselleck (Le Règne de la critique, 1959), entre une critique relevant de l’art du jugement relatif aux « ouvrages de l’esprit », aussi bien qu’aux institutions du pouvoir, et une censure qui aurait à limiter la liberté de la critique aussi bien qu’à neutraliser les institution autonomes afin de garantir les prérogatives du pouvoir étatique et royal, centralisé et absolu. L’examen des modalités concrètes de la censure permet de nuancer cette opposition : la censure, loin de fonctionner toujours comme une agence de répression au service de l’absolutisme, ni même de faire systématiquement entrave à l’innovation, viendrait bien souvent, à l’époque des Lumières, seconder au contraire la libre circulation des connaissances « solides et utiles ». Plusieurs contributions s’attachent ainsi à souligner le rôle de la censure dans la définition d’un code d’écriture visant moins la doctrine que l’établissement de règles éthiques de bonne conduite (contre la diffamation, la superstition, les inexactitudes et les faits non vérifiés, la partialité, etc.). On rencontre ici la notion de « République des Lettres » sur laquelle porte une étude consacrée à Bayle, aussi bien que la question du rôle de la presse à partir du xixe siècle, après la disparition de la censure officielle. On ne trouvera pas, dans ce volume, de réflexion suivie sur les effets de la censure sur la diffusion des idées, ni sur son impact sur l’art d’écrire (dans la suite de Léo Strauss).
Tristan Dagron
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Alain Sandrier, Les Lumières du miracle, Paris, Classiques Garnier, coll. « L’Europe des Lumières », 2015, 465 p.
Clair-obscur sur les miracles au xviiie siècle. À l’aube du siècle des Lumières, l’épisode des convulsionnaires de Saint-Médard (1727-1732) pose question sur la nature de l’intervention divine perçue par les hommes. Qu’elle soit abordée du point de vue des jansénistes ou de celui de Voltaire, la notion de miracle pimente les controverses et suscite alors tous les extrêmes. Penseurs et pamphlétaires s’affrontent dans l’un des plus vastes débats d’idées de l’Ancien Régime où la religion en mal d’autorité semble jouer son va-tout. Ainsi s’ouvre l’essai intitulé Les Lumières du miracle, dans lequel l’auteur va tenter de parcourir les temps forts d’une controverse qui traverse le siècle avec passion. Phénomène déjà difficile à définir au sein de l’Église, le miracle va tour à tour être vivement débattu entre radicaux et modérés, mis en scène à des fins militantes par les créateurs de spectacles, mis en doute par les philosophes, mis à mal par la Révolution mais toujours argumenté, réglementé, indexé, interprété et abondamment développé sur le papier. La part du diable, la vraisemblance des témoignages, la condition nécessaire au miracle figurent parmi les thèmes récurrents de la dispute.
L’ouvrage d’A. Sandrier ne prétend pas à l’exhaustivité. L’auteur propose un regard circonstancié sur les différents aspects du traitement du miracle, qu’il présente en cinq grandes parties. Le sujet est donc abordé par coupes thématiques, selon un ordre qui se veut relatif à l’évolution des idées du moment.
Un regard thématique
La nature du miracle
Héritage de la Révélation, le miracle est avant tout « affaire de perception d’un signe dans un espace social et religieux » (p. 19). En ce début du xviiie siècle, parmi les multiples querelles portant sur la 262nature de l’intervention divine, les défenseurs de l’autorité s’opposent aux jansénistes dans une bataille de traités et pamphlets dont l’enjeu va dépasser le cadre du fait divers. Calmet, Houtteville, Bergier, de Prades parmi d’autres dénoncent un fanatisme visant à la profusion des manifestations miraculeuses. Face à eux, à dessein de créer le doute, rien ne semble arrêter la validation du signe céleste, jusqu’à la ratification du contre-miracle ou miracle-punition, et même de la prophétie miraculeuse pour ceux qui veulent y croire. Passé l’aventure désastreuse de Saint-Médard, c’est par la voix de l’abbé de La Boissière, qui produit en 1763 un Traité des miracles en prenant ses distances avec les convulsionnaires, que le jansénisme relance les débats. Ce mouvement aura du moins « provoqué le réveil des définitions » (p. 32).
Hors les cas rares de résurrections ou lévitations, il apparaît que l’essentiel des miracles reçus par le corps humain repose sur des faits de guérison et d’invulnérabilité. Sur ces points, le raisonnement théologique se heurte aux voix de la nature que certains, comme le prolixe médecin janséniste Hecquet, proposent de concilier. Quelques anecdotes distrayantes ou effrayantes sont rapportées notamment autour des écrits de Carré de Montgeron et de ses détracteurs, sur le martyre volontaire ou les « secours » portés aux demandeurs : des religieux, souvent des femmes, requièrent d’être torturés et crucifiés, persuadés d’immunité par quelque sortilège divin, et le public répond au défi pour n’y voir que ce qu’il en attend.
Dans la seconde moitié du siècle, les analystes et théoriciens du miracle tentent d’allier l’acception du divin avec le raisonnement scientifique. De Bonnet à Mesmer, la nature du miracle passe de la métaphysique au merveilleux, du « naturalisme chrétien » au « magnétisme laïque », voire au charlatanisme (p. 69-88).
Le miracle en débat
Plus qu’une remise en cause du principe du miracle, il apparaît que c’est la part du diable qui prédomine dans les débats. Pour les théologiens catholiques, les démons ne peuvent agir qu’avec la « permission » de Dieu et ne peuvent user de création. Si les démons interviennent, ce ne peut donc être que sur des éléments naturels, parfois accélérés dans leur processus. La voix des protestants (Bekker, Serces…) oppose que 263les miracles attribués au diable ou à des magiciens relèvent de tours de passe-passe et en aucun cas d’une intervention démoniaque. Certains s’invitent en perturbateurs, comme le bénédictin La Taste qui abandonne la défense du jansénisme pour se faire l’avocat du diable en lui accordant plus de pouvoir que ne l’autorise la voix officielle. De ces diverses appréciations, va se construire un désaveu de la démonologie à mesure que les philosophes prennent le pas sur les théologiens. On ne parle plus du diable dans le discours savant, de même que la notion de miracle s’efface au profit du « surprenant mais possible » (Rousseau).
Pour autant, l’Église ne peut renoncer à ses fondements. Les témoignages de miraculés, toujours collectés, le sont désormais sous attestation d’autorité. On observe alors que la guérison n’est plus complète et instantanée ; le miraculé voit seulement son mal amoindri et ne se trouve qu’en meilleure « disposition » (p. 125). Le juridique vient donc au secours de la raison, mais en retour, les jansénistes opposent que la qualité des témoins antiques qui connurent Jésus n’aurait pas été validée selon les critères désormais imposés.
De ces incertitudes, l’affaire de Prades sera l’illustration par voie de scandale. D’abord validée, la thèse de l’abbé philosophe où sont abordées de nombreuses questions relatives à l’intervention divine est ensuite désavouée parce que considérée trop audacieuse. La Sorbonne se voit contrainte de censurer ce qu’elle avait approuvé, ouvrant ainsi une large brèche aux opposants du catholicisme traditionnel.
Un autre débat, outre-Manche, oppose la recevabilité du témoignage vue par Hume auquel répond Campbell.
La vertu des saints
Le miracle se produit presque toujours par l’intermédiaire d’un saint ou d’une personnalité vénérée comme tel. Le siècle des Lumières n’a pas failli en matière de canonisation, ni dans la recherche populaire de personnes en odeur de sainteté. Un religieux vagabond tel que Labre, par son parcours semé de bienfaits et par les dévotions qu’il suscita, illustre ce besoin. Les dénonciations protestantes n’y changent rien, pas plus que le regard atterré que porte Voltaire sur la crédulité du bas peuple. Pour autant, la censure se fait de plus en plus sévère sur l’hagiographie, jusqu’à interdire les publications trop enthousiastes concernant les mérites 264de saints dont les hérétiques pourraient tirer profit par la raillerie. L’on observe que l’écriture du miracle tend à se faire discrète dans les multiples Vies de saints régulièrement publiées et remaniées, où l’on valorise plutôt les dispositions du bienfaiteur après sa mort.
Par ailleurs, « le corporatisme hagiographique fait des miracles » (p. 109) : en témoigne la relation de la vie de Sigmaringa établie par l’un de ses frères capucin. Et pour clore en grande pompe le siècle des Lumières, Clément xiii sera le dernier pape, en 1767, à canoniser sept prétendants lors de la même séance, la plus fournie et la dernière avant 1800. Cependant, malgré de multiples biographies édifiantes publiées à cet effet, l’on ne compte pas le nombre de saints proposés mais non retenus par l’autorité : ceux-là n’auront convaincu que leurs proches et la population locale.
Au panégyrique du diacre Pâris, véritable outil de propagande, répondent des fictions satiriques ou des vies édifiantes de candidats à la béatification, comme celles de l’évêque Soaren ou du curé Sainson : la guerre des vies de saint(e)s fait rage.
La négation du miracle
La critique du miracle passe aussi par sa négation. Nombreux sont les rapports de police mentionnant, pour le maintien de l’ordre public, l’arrestation d’un faiseur de miracles. L’on trouve aussi des témoignages publiés par des littérateurs sans prétention mais non dénués de raison, qui relatent des faits de crédulité populaire en matière de vertus légendaires, tels Ménétra ou Duval.
Spinoza et Fontenelle, plus que Montaigne, avaient posé les bases de la négation du miracle sur lesquelles s’appuient les plus courageux philosophes du siècle ; nombre d’entre eux préfèrent cependant garder l’anonymat.
Si l’opposition au miracle s’est d’abord répandue sous forme manuscrite, par la voix de Meslier ou d’un certain curé Guillaume, la critique imprimée se déchaîne dès 1760. Voltaire publie alors son Testament de Jean Meslier. Woolston, porté au public français en 1768, inspire grandement les satiristes qui préfèrent retenir de lui l’improbabilité des miracles embellis par le temps, plutôt que sa thèse visant à ne voir dans le miracle qu’une allégorie. L’on ne saura dire si Woolston, qui ne reniait 265pas la religion, était sincère ou prudent : la portée de son Discours sur les miracles a servi l’incrédulité et même l’athéisme au détriment de l’idée d’une religion raisonnable, exempte du merveilleux.
Parallèlement, Rousseau reprend à travers ses Lettres écrites de la montagne les mêmes points critiques que Woolston, bien qu’il ne semble pas avoir eu connaissance des écrits du trouble-fête anglais. Son propos, ainsi que le texte de Meslier revu par Voltaire, contribuent à la construction du principe déiste dans lequel le miracle n’a pas sa place. C’est ce que Challe posait au début du siècle avec son manuscrit clandestin des Difficultés sur la religion, imprimé en version tronquée et détournée en 1768 sous le titre Le Militaire philosophe.
Parmi les figures célèbres, Voltaire s’implique avec le plus de fougue dans la négation du miracle, devant Rousseau qui se contente de se justifier et Diderot qui semble garder ses distances en procédant par touches discrètes. Sa Collection de lettres sur les miracles, recueil désordonné mais explicite, établit le bilan des tendances critiques du siècle sur le sujet. Moins fécond, l’athée d’Holbach n’en est pas moins incisif en matière d’incrédulité et d’argumentation.
Fabuleux miracles
De la toile de maître à la gravure, l’iconographie n’est pas en reste dans la représentation du miracle. Comme l’image, la narration se lit entre fiction et propagande selon le regard qui lui est porté. Ainsi la structure narrative d’une description qui se voulait être un témoignage peut se métamorphoser en un conte divin. Le roman épistolaire suggérant un recul et une lucidité de regard, la presse qui publie ses propres enquêtes et témoignages, opposent le frein nécessaire aux discours glorifiant l’illusion. Cleveland, de Prévost, ajoute la métaphore rhétorique du miracle à la fiction, effet discursif que l’on peut traduire dans ce cas par la notion de chance : il n’y a pas réellement de mise en scène de miracle divin dans ce roman. En marge des polémiques, de multiples façons, le miracle a donc inspiré les auteurs.
Le littérateur le plus prolifique, et burlesque, en matière de miracles rêvés est sans conteste Dulaurens, notamment avec son Antipapisme publié en 1767. Rousseau, qui a pu mépriser la croyance au miracle, n’en a pas moins conclu à travers ses confidences et fictions, que la nature recèle 266ses propres mystères et que le rêve prémonitoire en fait partie. Voltaire met en scène cette croyance dans ses poèmes satiriques pour mieux en accentuer l’ironie, jusqu’à dénoncer l’imposture dans Le Fanatisme. Moins heureux, son opéra Samson en collaboration avec Rameau n’obtint pas le succès que les miracles de la fable auraient pu laisser espérer. Jephté, œuvre biblique de Pellegrin et Pignolet, avait acquis davantage d’audience en 1732.
Dans le genre théâtral, le théâtre d’éducation n’hésite pas à glorifier les martyrs et leurs prodiges, alors que la tragédie évite généralement de tels artifices qui risqueraient d’amoindrir la noblesse de l’art. C’est dans la « théâtralisation critique » (p. 414) que s’expriment les plus fines interprétations satiriques, qu’elles soient partisanes ou déistes. Le miracle se voulant théâtral, le théâtre critique se fait allégorie du miracle.
Le miracle en folie
Certes, Diderot n’a pas ouvertement pris part au débat sur le miracle sinon en filigrane, mais dans Les Lumières du miracle, le traitement qui lui est réservé au chapitre « Le temps des hérauts » (p. 312-313) nous paraît quelque peu expéditif pour une personnalité de cette importance dans le siècle :
Diderot délègue sa voix car elle vient après des devanciers trop prestigieux pour avoir rien à ajouter de pertinent. Les miracles dégradent l’intelligence et la ramènent à un stade infantile ; Diderot ne condescend pas à ces allures puériles. […] Son silence est un aveu d’indifférence et de mépris (p. 313).
Que Diderot ait méprisé la religion est un fait, mais était-il si indifférent au désir de transmettre son point de vue ? « Vous êtes dans l’habitude de traiter de prodige tout ce qui vous paraît au-dessus de vos forces », écrivait-il dans sa Lettre sur les aveugles (1749) qui lui valut la prison. S’il apprit dès lors à jouer de prudence, il n’a jamais renoncé pour autant à s’impliquer dans la critique des croyances. Loin s’en faut. Son opinion concernant le miracle découle aisément de sa position sur les sciences naturelles autant que de ses diverses fictions, oscillant entre dédain et ironie. C’est le cas dans l’Introduction aux grands principes (1763) par la voix d’un sage qui prend le contre-pied des miracles, ou dans l’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de*** (1776) :
267La Maréchale
J’ai lu l’histoire de l’associé de saint Bruno ; mais je n’ai jamais entendu parler de votre Bobola.
Diderot
C’est un jésuite du collège de Pinsk, en Lituanie, qui laissa en mourant une cassette pleine d’argent, avec un billet écrit et signé de sa main.
La Maréchale
Et ce billet ?
Diderot
Était conçu en ces termes : « Je prie mon cher confrère, dépositaire de cette cassette, de l’ouvrir lorsque j’aurai fait des miracles. L’argent qu’elle contient servira aux frais du procès de ma béatification. J’y ai ajouté quelques mémoires authentiques pour la confirmation de mes vertus, et qui pourront servir utilement à ceux qui entreprendront d’écrire ma vie. »
La Maréchale
Cela est à mourir de rire.
Diderot
Pour moi, madame la Maréchale ; mais pour vous, votre Dieu n’entend pas raillerie.
Bobola fait ici figure d’illuminé, ses miracles attendus relèvent de l’aveuglement ou de l’imposture par prétention. On voit que les multiples arguments de Diderot visant la notion de miracle, que l’on a pu lire dans ses Pensées philosophiques (1746), sa Promenade du sceptique (1747), sa Lettre sur les aveugles sont intacts depuis trente ans, autant que son désir de les exprimer. Dire qu’« il délègue sa voix car elle vient après [celles de] devanciers trop prestigieux », c’est ignorer ses premiers textes ainsi que les écrits « marginaux » dont il régala les cercles d’initiés.
Avec La Religieuse (1760-1782), qui n’était pas destiné à être publié, Diderot a magistralement mis en parallèle l’aliénation religieuse et la dégradation mentale. Si l’on considère les portraits pathologiques qu’il peint dans le cloître, on ne peut douter que la notion de miracle était, pour lui, une vue de l’esprit le plus tourmenté. Dans ses Pensées philosophiques, il parlait déjà de croyance et prodige valant leurs entrées aux « Petites Maisons » (XLI). « Un miracle ne prouve rien ; il ne suppose que des fourbes adroits et des témoins imbéciles », écrivait-t-il encore dans sa Suite de l’apologie de M. l’abbé de Prades (1752), sachant que 268le terme « imbécile » revêtait alors une connotation de déficience ou dégénérescence (Dic. Acad. 1762). Dans son dialogue intitulé Cinqmars et Derville (v. 1760), il fait dire à l’un des protagonistes :
Vous me paraissiez tous, vis-à-vis du chevalier, lorsqu’il contrefaisait les convulsionnaires, comme des gens qui iraient aux Petites Maisons, par partie de plaisir, repaître leur férocité du tableau de la misère et de la faiblesse humaines. Comment, morbleu ! vous n’êtes affectés que du ridicule de cette indécente pantomime, et vous ne voyez pas que le délire et l’aliénation de ces têtes fanatiques les rendent cruels et homicides envers eux et leurs semblables ?
Clairement, Diderot traduit le regard qu’ont pu porter les spectateurs sur les convulsionnaires de Saint-Médard : ils voyaient des gens atteints de troubles mentaux, dont les déviances comportementales et une certaine faiblesse d’esprit les faisaient présenter comme tels dans nombre de témoignages ou procès-verbaux. Ainsi, à propos de filles prises de convulsions dont on prétendait qu’elles disaient l’avenir en période de transe, un collège de théologiens rendit la conclusion suivante :
Qui pourrait concevoir que Dieu, pour communiquer son esprit, dégradât des créatures raisonnables et les réduisit à un état de délire et de folie6 ?
Une telle vision du miracle à travers la démence, largement couverte par Diderot et qui n’est qu’effleurée dans le livre d’A. Sandrier parce que somme toute marginale, mériterait sans doute un approfondissement complémentaire.
Ainsi, l’épisode pré-sadien relaté par Montgeron (p. 359-364) au sujet d’une jeune fille investie (de nos jours on dirait « souffrant ») de dérèglement alimentaire, ne peut raisonnablement se limiter à une interprétation mystique. Si les faits sont réellement avérés, cette attitude coprophage doublée de pica relève d’une psychopathologie aujourd’hui définie. Quant à connaître l’explication du « miracle » qui fit rendre à la jeune fille du lait frais après avoir mangé des excréments, il faudrait poser la question à un prestidigitateur. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont alors été dupes d’une telle mystification et qui en ont tiré des volumes de raisonnements inspirés, auraient assurément dans notre siècle des comptes 269à rendre sinon à un psychologue, du moins à un éditeur. A. Sandrier a choisi de pointer dans ce dernier exemple la composition discursive qui mène le magistrat janséniste Carré de Montgeron à conclure au miracle divin plutôt que diabolique. Comme la plupart des théoriciens portant à la gloire de Saint-Médard, Montgeron n’a pas été le témoin du phénomène ; il en a seulement lu et transcrit le rapport, qu’il commente ensuite. L’événement, selon lui, se justifie par recoupement biblique où « la métaphore finit par écraser le fait, comme la signification morale fait oublier les douleurs qui l’ont incarné » (p. 364) ; ce ne sont ni l’héroïne ni le rapporteur qui attestent de la puissance du prodige, c’est l’interprète : l’allégorie béate vient au secours de l’inexplicable. Quelques courtes années plus tôt, un Woolston était condamné pour en avoir défendu le principe à propos des miracles de Jésus, or le fait est là : les miracles du diacre Pâris n’ont jamais convaincu par leur merveille instantanée mais par l’interprétation qui en est faite sur la durée, à travers tous les artifices du discours.
Il y aurait alors d’autres analyses à tirer sur la construction narrative des multiples sommes rédigées par les partisans du miracle, qui vont de la mauvaise foi à la perversité en passant par quelques syndromes d’aveuglement.
À l’inverse, on trouve dans le siècle d’étonnants comptes rendus de guérisons dites miraculeuses où la force psychologique des personnes malades explique à elle seule le recouvrement d’une santé que les rapporteurs, et le conditionnement contextuel, attribuaient à une intervention divine. Un tel cas peut se lire dans la Relation du miracle arrivé en la personne de Marie-Anne Pollet, affligée depuis près de quatre années d’une complication de maux étranges et guérie […] par l’intercession de l’illustrissime seigneur Jean Soanen, de sainte mémoire évêque de Senez (1741). On y découvre qu’en réalité, cette jeune fille de vingt-quatre ans était d’une santé très précaire depuis sa naissance, santé qui connut une aggravation lourde à l’âge de vingt ans suite à un accident de charrette. Dès lors, tous les moyens de la médecine furent mis en œuvre pour tenter de la soulager, en vain. Plusieurs hospitalisations restèrent sans effet et les médecins qui se succédèrent abandonnaient tous leur patiente en lui conseillant le viatique. Un passage par Saint-Médard ne la soulagea pas davantage. À travers un long développement de vingt-cinq pages rédigé par un apologète, on comprend que seule la volonté de cette « miraculée », 270déterminée à vivre envers et contre tous, a pu la remettre progressivement sur pied, quels que soient les rites qu’elle s’imposât. L’intercession en dernier recours d’un bienheureux improvisé et controversé n’y était évidemment pour rien.
Il existe beaucoup d’autres descriptions de guérisons prétendument miraculeuses : toutes ne traduisent pas forcément quelque influence ou dégradation psychologique. Certaines sont manifestement le fait d’un rétablissement naturel suite à une affection spectaculaire mais passagère (e.g. Relation de la guérison miraculeuse de la sœur sainte Geneviève, religieuse de chœur aux Hospitalières de la Miséricorde de Jésus […] obtenue par l’application de la vraie croix et l’intercession de la Sainte Vierge, 1790). D’autres peuvent relever d’une imposture patente, et l’on regrettera que l’auteur des Lumières du miracle n’ait pas rapporté jusqu’au bout l’anecdote qu’il emprunte au Compère Mathieu de Dulaurens (p. 385), que nous livrons ici.
Diego, personnage burlesque, fait une folle incursion au cimetière de Saint-Médard où il contrefait des convulsions en toute bonne foi parce que « le recteur des jésuites de Saragosse [lui] a toujours dit qu’on méritait doublement lorsqu’on savait concilier la religion avec ses intérêts7 ». Le lendemain, un docteur en la faculté de théologie qui avait assisté à la scène vient le trouver au gîte :
Le saint homme sauta au cou de Diego en versant un torrent de larmes, et lui dit : « Mon cher frère en Jésus-Christ, béni soit le moment qu’il a plu au ciel de vous inspirer de venger l’honneur de la religion par une très sainte, très licite et très pieuse fraude ; continuez, je vous prie, ne démentez point votre première démarche ; attendez tout de la bénédiction de Dieu, de la protection de saint Augustin, et de la reconnaissance des hommes. » En même temps, il lui donna une bourse de vingt louis. « Adieu, ajouta-t-il, souvenez-vous de vous trouver guéri dans huit jours et de faire place à d’autres8. »
Il faut croire que le miracle a eu souvent bon dos, et que les pistes de recherche restent ouvertes sur ce sujet.
D’un point de vue autrement terre à terre, il y aurait hélas quelques carences moins justifiables à relever dans l’ouvrage d’A. Sandrier.
271Pas de miracle éditorial
Du superflu
On passera sur l’aspect narcissique d’une rédaction qui préfère le « je » plutôt que le « nous » lorsqu’il s’agit de présenter une synthèse plus qu’une thèse, car cet ouvrage n’apporte pas réellement d’idées nouvelles : il constitue davantage une composition documentée, référencée, harmonisée et ordonnée où le chercheur saura trouver matière à engager sa réflexion. C’est d’ailleurs ce qui est annoncé en introduction par le projet d’une « vue synthétique […] selon l’angle de la dispute intellectuelle » (p. 14) ou d’un « exercice d’histoire des idées » (p. 15). Ce qui peut gêner est plutôt la nature parfois pesante ou superfétatoire de certaines présentations. On pourrait ainsi s’interroger sur l’utilité de la gageure introductive subodorant qu’il y a toujours, derrière tout récit miraculeux, « un autre récit, un autre texte qui le structure, dont il reprend les modes et les formes, et qui oriente le travail interprétatif » (p. 16) : il semble que ce soit le cas de tout récit, de tout argumentaire et peut-être même de tout écrit, non ?
Le sujet est abordé selon différents axes, repérés par titres et intertitres, et les parties sont équilibrées, quoique la dernière eût pu se passer du chapitre descriptif de l’art pictural. D’aucuns pourront apprécier les quelques images insérées dans cette édition (p. 340-343) qui ont sans doute échappé par miracle à la réprobation éditoriale des Classiques Garnier dont la charte stipule que « Les images et graphiques n’y ont leur place que s’ils sont absolument nécessaires à la compréhension du texte9. » En l’espèce, ces très jolies reproductions en quadrichromie des peintures et gravures de Doyen, Restout et Jouvenet n’étaient pas absolument nécessaires à la compréhension du propos qui est censé entrer dans le cadre d’une collection littéraire mais nous sommes certes charmés de les découvrir.
Autre détail qui, habituellement, motive les éditeurs : par souci d’économie, quelques abondances rédactionnelles auraient manifestement gagné à être réduites. Ainsi la répétition (plus de cent fois) de la phrase « Les paginations des citations qui suivent renvoient toutes à 272cette édition », après chaque nouvel ouvrage référencé, finit par lasser ; « Notre éd. de référence » ou une simple abréviation aurait suffi. D’autant que cette petite phrase n’est pas forcément donnée à la première occurrence (e.g. Nonnotte cité pour la même édition p. 16, 52 et 93 mais la phrase n’est ajoutée qu’à la page 339, ou encore Meslier cité p. 106 et 184, la phrase n’étant ajoutée qu’à la page 302). En outre, on retrouve cette litanie à plusieurs reprises derrière le même titre répété (e.g. Dom Calmet, p. 26, puis idem p. 93), voire avec effet pléonastique : « C’est cette édition que j’utilise : […] Les paginations des citations qui suivent renvoient toutes à cette édition » (p. 102, n. 2, ou équivalent p. 178, n. 4 ; p. 182, n. 1, etc.). Ceci est d’autant plus incommodant que notre auteur ne connaît le op. cit. que par accident, et réécrit quasi-systématiquement en note l’intégralité de ses références lorsque quelques pages les séparent. Il suffit pourtant de préciser dans la note le seul repérage dans l’édition, puisque le tout sera repris intégralement en bibliographie, comme imposé par la charte de l’éditeur10.
Parmi quelques autres bavardages inutiles, on relève : « Le médecin janséniste fait référence à l’affaire du père Girard et de la religieuse Cadière, celle dont le marquis d’Argens s’est inspiré pour sa variation érotique de Thérèse philosophe en 1748 », puis en note : « L’attribution de Thérèse philosophe au marquis d’Argens reste controversée » (p. 75). L’ouvrage ne s’adressant pas vraiment au grand public, cette attribution controversée est suffisamment connue et Thérèse philosophe, qui n’apporte rien ici, n’est pas la seule variation à avoir ciblé l’affaire ; par ailleurs, « celle » est-il relatif à « référence », « affaire » ou « religieuse » ? La phrase ci-après, sans note, aurait suffi : « Le médecin janséniste fait référence à l’affaire Girard-Cadière encore récente, qui inspirera nombre d’auteurs par la suite [dont celui de Thérèse philosophe en 1748]. »
Autre exemple de note inutile : à propos de miracles survenus après la mort d’un saint, il est fait mention de « trois cas de guérison », à la suite de quoi est stipulé en note : « Ceux de la sœur Cécile de Munsingerin, de Paul-François Papussin, de Gaspar Stiger » (p. 212). Ce n’est pas que le nom de ces trois parfaits inconnus n’apporte rien, c’est surtout que cette note laisse le lecteur dans l’expectative, car il s’attendait plutôt à être au moins informé de la nature de leurs guérisons supposées miraculeuses et non de leurs patronymes.
273Inversement, certains morceaux auraient assurément nécessité un développement plus étoffé.
Du sibyllin
Dans l’ensemble, en matière de formulation, la rédaction serait assez fluide si elle n’était ponctuée de quelques passages à prétention particulièrement élitiste. Accordons que l’ouvrage n’est pas vraiment désagréable à lire pour un sujet si riche de considérations philosophiques et théologiques, qui supposent tout de même un prérequis. Cela n’élude pas que certaines sentences auraient mérité quelque refonte, comme au chapitre consacré à C. Bonnet, où est spécifié que « La Palingénésie philosophique publié à Genève en 1769 est la pièce maîtresse de sa réinterprétation chrétienne du naturalisme, à moins que ce ne soit sa naturalisation pure et simple » (p. 81). La naturalisation de quoi ou de qui ? Pas de Bonnet puisqu’il était déjà qualifié de naturaliste. Et en quoi un livre peut-il être une naturalisation ? D’ailleurs, que signifie précisément ce terme ici ?
Une autre énigme :
Il convient donc de discerner les ouvrages suspects, notamment ceux qui n’étaient pas écrits au moment des faits ou qui ne peuvent se prévaloir d’une tradition orale qui l’en approche. (p. 148)
Une tradition orale qui l’en approche… Il est en outre douteux que l’on puisse discerner un ouvrage qui n’était pas écrit ; dire plutôt : « notamment ceux qui ont été écrits longtemps après les faits. »
Ailleurs, certains effets de style obligent à quelque décodage, lorsqu’on lit par exemple que le parti religieux « a ainsi, une fois de plus, étalé ses difficultés doctrinales, et donc sa recherche résistible d’une orthodoxie toujours fuyante : la Sorbonne moins que jamais a su donner le la » (p. 154-155). Il aurait peut-être été moins tortueux d’écrire : « Le parti religieux a ainsi, une fois de plus, étalé ses difficultés doctrinales que la Sorbonne, confondue dans ses contradictions, n’a su trancher. »
« Résistible », adjectif rare, signifie « à quoi l’on peut résister ». Était-il vraiment utile de le placer ? On le retrouve plus loin, utilisé semble-t-il à mauvais escient dans la conclusion d’un chapitre portant sur l’accroissement des dénonciations du miracle à travers la presse :
274C’est la confrontation des points de vue, le choc des témoignages, la résistible émergence de la vérité des faits qui ôtent au récit son pouvoir de reproduction infinie de l’illusion. (p. 371)
Est-ce l’« émergence de la vérité », à laquelle on peut résister, alors que le chapitre expose justement le contraire ? Cette phrase aussi n’aurait-elle pas été plus limpide en se passant de « résistible » ?
Parmi d’autres obscurités, on trouve la réflexion suivante :
Telle est, peut-être, la leçon du siècle tout entier. La vie de saint en tant que telle n’est pas discréditée, car aucune littérature partisane ne peut l’être : elle fonctionne sur l’adhésion inconditionnelle et trouve toujours son public. (p. 246)
Toute littérature partisane est, par essence, d’autant plus discréditée qu’elle suscite toujours oppositions, critiques féroces et satires cinglantes, ce que justement rappelle A. Sandrier quelques lignes plus loin en soulignant « l’ironie », « la désacralisation », « la faiblesse de cette littérature qui ne recule devant rien » (p. 247). Il y a sans doute là une maladresse d’expression, probablement dans la notion de « discrédit », employé pour « négociable », ou bien par ellipse (« car aucune littérature partisane ne peut l’être pour ceux qui veulent y croire »).
En matière d’ellipses, il y aurait également à expliciter certaines déductions comme celle qui est donnée à la hâte à propos du Testament de Jean Meslier. Selon A. Sandrier, l’impossibilité ou l’imposture que représente le miracle vu par Meslier mènerait à prouver, par une forme de syllogisme abrupt, que Dieu n’existe pas, et donc que Voltaire aurait laissé passer une démonstration athée dans une composition qui se voulait déiste :
[Meslier] annule la définition du miracle par un principe d’économie de la marche du monde : le miracle se réduit à la possibilité d’un monde parfait. Comme ce n’est manifestement pas le cas, le miracle disparaît avec cette promesse non honorée par Dieu, qui, sous ce coup de rasoir ontologique et logique, doit disparaître aussi. Il est curieux que les déistes n’aient pas tenté d’amortir la puissance spécifique, essentiellement athée, de cet argument. (p. 305)
L’argument illustratif de Meslier est extrait du chapitre ii du Testament, chapitre qui n’est pas destiné à démontrer la non-existence de Dieu mais seulement l’impossibilité de croire à des sornettes comme les miracles. 275Ce chapitre se termine d’ailleurs par « il est facile de voir que tous ces prétendus miracles n’ont été inventés qu’à l’imitation des fables des poètes païens ». Nous ne voyons pas d’emblée en quoi « le miracle se réduit à la possibilité d’un monde parfait », ni ce qui permet d’en déduire que le monde ne l’étant pas, Dieu n’existe pas. D’autant que l’idée d’un monde imparfait est acceptable pour un déiste qui, rappelons-le, considère Dieu comme créateur mais non comme intervenant. Il y a probablement là une diligence du propos, nuisible à la compréhension.
Plus fâcheux : pour ce qui est de rapidité, le raisonnement le dispute parfois à l’écriture.
De l’approximation
Parmi divers signes d’écriture rapide, on ne retiendra que « le regard persan, qui ne connaît qu’un prophète humain » (p. 297) : « regard persan » (pour mahométan) n’est certes pas très heureux, mais on peut encore moins écrire que l’islam ne connaît qu’un prophète, lequel, par définition, ne peut être qu’humain !
En matière de lecture rapide, on relèvera que la légende de la sainte chandelle d’Arras vue par Dulaurens (1765) ne se traduit pas par la guérison de « toute personne atteinte d’excès charnel » (p. 384) mais plutôt par l’inverse (voir La Chandelle d’Arras, XIV). Et ce n’est pas saint Pierre, dans L’Antipapisme du même Dulaurens, qui afflige de cauchemars le sommeil du pape (p. 388), mais Dieu en personne. Quant à Voltaire qui aurait « rendu indirectement un hommage à Dulaurens » en lui attribuant la paternité de sa propre Relation du bannissement des jésuites de la Chine (p. 389), on peut le voir ainsi, mais il faut le dire vite : ce serait plutôt une dénonciation calomnieuse de plus, à dessein d’aggraver le cas de cet « infernal mathurin » (c’est ainsi que Voltaire le nomme ailleurs). L’existence de Dulaurens irritait le maître au possible, et Voltaire savait à ce moment-là que le malheureux était déjà entre les mains des bourreaux : il en a plutôt profité pour l’accabler que pour lui témoigner son estime même indirecte.
Plus embêtant est l’approximation de certaines considérations jetées sans garantie.
Il est écrit, à propos du mot « naturalisme » relevé dans Le Naturalisme des convulsions de Hecquet, paru en 1733 : « Néologisme de l’auteur sans 276doute, car le mot fait son entrée dans l’édition de 1762 du dictionnaire de l’Académie. » (p. 71, n. 1)
Non. Le mot existait déjà, y compris en titre d’ouvrages dans le même ordre d’idée. Par exemple De naturalismo cum aliorum (Traité du naturalisme de Bodin, 1684) commenté dès la parution par Bayle : « L’Auteur considère trois espèces de naturalismes ; le subtil, le grossier, et le très grossier » (Nouvelles de la République des lettres, juin 1684). Houdar de La Motte parle de « ce naturalisme menteur », celui des chimères, dans sa fable quatorzième (1719). Il en est question en 1728 dans le Mémoire du sieur Barth. Haldimand d’Yvernon. On le trouve aussi en entrée dans le Furetière de 1727 ou dans le Dictionnaire néologique à l’usage des beaux esprits du siècle, de J.-J. Bel (1728)… Il suffisait de taper le mot dans Google Livres pour s’en rendre compte.
À propos du même Hecquet (publié en 1733), il est écrit que « c’est à lui qu’on doit l’interprétation des convulsions comme un phénomène d’hystérie. [Hecquet] a complètement fondu les manifestations convulsionnaires dans les phénomènes naturels » (p. 71). Et plus loin, « il intègre les convulsions à la famille du “mal sacré” ou “haut mal”, soit l’épilepsie » (p. 74). Il eut été plus juste d’écrire que l’on doit à Hecquet d’avoir rendu compte en trois volumes de ce qui était acquis et dénoncé depuis longtemps par la communauté médicale et par l’autorité religieuse. Car par ailleurs, A. Sandrier fait plusieurs fois mention (notamment p. 68, et 125 à 127) au contenu d’un mandement de l’archevêque de Paris publié en 173111. Dans ce Mandement, figure en page 33 un rapport signé de trois chirurgiens jurés, daté du 11 juillet 1731, au sujet de la maladie et guérison d’Anne Lefranc où l’on peut lire que « la rétractation de langue qu’elle eut alors est une convulsion, et les convulsions sont les symptômes les plus ordinaires de la passion hystérique » ; d’où la conclusion que « la maladie d’Anne Lefranc est une maladie connue, naturelle, ordinaire, et qu’elle est le plus souvent curable par la nature ». Ce texte est précédé d’un autre rapport signé de deux docteurs en médecine, où il est écrit que la même souffre bien d’une « maladie hystérique, accompagnée d’accidents fâcheux » qui sont « la convulsion, la syncope, le hoquet, des étouffements, et autres » 277(p. 31). Il est donc clair que les convulsions liées à la passion hystérique (ou crise d’épilepsie), « manifestation très anciennement répertoriée par le savoir médical » (Sandrier, p. 74), étaient officiellement attribuées aux convulsionnaires dès 1731, en la personne d’Anne Lefranc, et donc par suspicion et déduction à tous les autres, puisque c’était là le but du mandement. Hecquet n’a pas révélé le phénomène, il n’a fait que reprendre ce qui se savait et s’écrivait déjà dans les milieux autorisés. S’il s’est permis d’y ajouter, selon le bon moraliste qu’il était, l’observation d’une part de « perversion » venant de celles qui profitaient de la crise pour manquer de pudeur, il n’a pas davantage inventé cette remarque.
A. Sandrier a sans doute préféré, sans chercher à froisser, ce qui est tout à sa fortune, reprendre les écrits passés de quelque confrère respectable qui ne disposait encore pas des moyens de recherches désormais à disposition des universitaires. Cependant, le sens de la déférence n’interdit pas quelques rectifications.
De la déférence
Certes, en matière de sélection, nous ne pouvons qu’apprécier la prise en compte, mentionnée en introduction, d’une sensibilité au « grain de chaque texte », ainsi que le choix de grands et de petits auteurs favorisés ou non de la postérité (p. 15). Il est toujours utile et parfois heureux de découvrir les marges ou l’insolite du vaste monde des lettres. En revanche, pour ce qui est des références à nos analystes contemporains, on confirmera avec bienveillance une certaine considération (sans doute inconsciente) de la part de notre auteur, dévolue à l’autorité plutôt qu’à la moindre audience. Pour illustration, la note de bas de page suivante était-elle indispensable ?
Marie-Hélène Cotoni repère l’influence de Woolston dans Le Compère Mathieu (L’Exégèse du Nouveau Testament dans la philosophie française du xviiie siècle [1984]). Cependant l’édition critique de Didier Gambert [2012] ne le cite pas parmi les sources de l’abbé. (p. 386, n. 3)
Vérification faite, la phrase exacte de Madame Cotoni, que nous saluons, est : « On voit que Du Laurens a lu Woolston ou ses imitateurs. » En l’occurrence, il s’agirait des imitateurs (pour peu que certains aient alors traduit le texte anglais), et D. Gambert qui, sans être professeur 278à l’université, maîtrise son objet d’étude, n’a pas fauté par omission. La remarque est d’autant plus curieuse que, quelques chapitres plus tôt, A. Sandrier précisait que « pour les lecteurs français, la connaissance de Woolston passe avant tout par [une] traduction parue en 1768 » (p. 277). Or, à cette date, Dulaurens était au cachot depuis trois ans et n’avait définitivement plus accès à l’écriture publique ; par ailleurs, Dulaurens a toujours grandement congratulé ses mentors (Voltaire, Gresset, Crébillon, Whiston…) jusqu’à les mettre en scène : il n’a manifestement pas eu connaissance de Woolston.
Assurément par impair, il y aura moins de révérence à l’égard de quelques auteurs du passé : A. Sandrier reprend par exemple une phrase qui se trouve dans le livre de Boyer (La Vie de Monsieur de Pâris, diacre, Bruxelles, 1721[31]), sans aucune référence, en omettant les guillemets, la justesse et le signalement d’une faute qu’il recopie (p. 226) :
L’enthousiasme populaire, immédiat, n’épargne pas son intérieur transformé en reliquaire : [ici devraient figurer les guillemets ouvrants] le matelas sur lequel il avait expiré [sur l’original, c’est « il a expiré »] aussi bien que l’armoire sur lequel [ici, il aurait fallu écrire « sic » ou bien corriger au féminin, comme ce fut le cas dans des éditions ultérieures du même texte] il couchait, ont été mis en pièces pour satisfaire à la dévotion des fidèles et on ne cesse point encore d’en distribuer. [Absence de guillemets fermants, aucune note ni mention ! Pour information, la référence de la source manquante est : Boyer, op. cit., p. 220.]
Concédons que l’énorme quantité de travail et le calendrier de livraison pour une étude de cette envergure puissent engendrer quelque mégarde dans le traitement des attentions. Sans doute ces mêmes raisons expliquent-elles (mais n’excusent pas) l’aspect étonnamment négligé de la relecture finale.
De la négligence
Il est évident que l’omission d’un mot, une erreur de référence ou une faute de frappe, ne changent rien au raisonnement développé ni au mérite du travail de recherche. De même, il va sans dire que, dans un ouvrage de 465 pages, la présence de quelques coquilles parfois invisibles pour un œil non averti est quasiment impossible à éviter. Mais là… il y en a tout de même beaucoup.
279Ainsi, pour les seules cent premières pages, et sans réellement les chercher, nous avons relevé plus de cinquante coquilles orthographiques et typographiques (dont de nombreuses fautes d’accord) et quarante négligences de recopie dans les citations et références (dont des erreurs de mots, date, page, édition, titre, renvoi uniquement pour les sources auxquelles nous avons eu accès). À quoi l’on peut ajouter moult petites libertés relatives à la charte éditoriale, entre autres sur la ponctuation autour des guillemets fermants12 aléatoire tout au long de l’ouvrage, ou sur les références de pages multiples qui se résument souvent, mais pas toujours et sans logique, à la seule mention de la dernière page (« p. 9 » au lieu de « p. 8-9 »). La présentation des titres d’œuvres aussi, est censée être normalisée… Enfin, et au hasard d’un regard en diagonale, on comptera nombre d’étourderies dans la bibliographie et l’index, mais passons. (Liste sur demande.)
Difficile de ne pas conclure, après cet apparent réquisitoire quoique cordial et compatissant, que la finition des Lumières du miracle dans son ensemble aurait mérité davantage d’éclairage à défaut d’un petit miracle.
À décharge, chacun sait que notre cerveau n’est pas conçu pour voir nos propres fautes : pardon à ceux qui liront les miennes, merci à ceux qui me les signaleront.
Conclusion
Le sujet de l’ouvrage étant particulièrement étendu, convenons que la critique en est aussi aisée que les discussions sont ouvertes. Ce n’est donc pas pour dénigrer le livre d’A. Sandrier que nous avons appuyé sur quelques points qui ont pu nous paraître faibles ou contestables, mais plutôt pour entrer dans ce souci du détail, ce bouillonnement de controverses et propositions que l’on y trouve recensées, et qui ont fait la richesse de la pensée du xviiie siècle.
De la conclusion de l’ouvrage en forme de question (« La fin des miracles ? » p. 429), nous extrairons qu’« un même individu peut trouver beaucoup de miracles ridicules tout en n’en acceptant qu’un, parce qu’il s’adresse à lui » (p. 433), que la démarche de l’étude proposée vise à « tenir à distance toute généralisation en termes d’histoire des mentalités » (p. 431) ou encore que « le siècle des Lumières, quelque incrédulité 280qu’on lui prête, et aussi éclairé puisse-t-il paraître, n’a […] pas plus réussi qu’un autre à se débarrasser des miracles » (p. 434). Les Lumières du miracle est un livre utile, instructif, relativement pratique, offrant au lecteur quelques perles anecdotiques et autres documents inaccessibles en même temps qu’un vaste tour d’horizon du sujet.
Outre qu’une telle initiative stimule la curiosité, on peut y puiser nombre d’idées à développer au fil des présentations ou conclusions intermédiaires, par exemple en donnant suite à la phrase : « Toute l’histoire religieuse peut se lire d’une certaine façon comme le délogement progressif du diable dans la marche du monde » (p. 90).
Enfin, pour ceux qui ne perdraient pas espoir en la possibilité de véracité du miracle, nous citerons la définition qu’en délivre Le Roux dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial (1718) et qu’A. Sandrier a préféré, à juste titre, oublier : « On dit ironiquement qu’un homme a fait miracle quand, pour avoir été maladroit, il a brisé ou cassé quelque chose. » Nous espérons n’avoir rien cassé.
Stéphan Pascau
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Anthony Ashley Cooper, Third Earl of Shaftesbury, Standard Edition. Complete Works, Correspondence and Posthumous Writings, III, 1, Correspondence. Letters 1-100 (December 1683-February 1700), edited by Christine Jackson-Holzberg, Patrick Müller & Friedrich Uehlein, with the assistance of Wolfram Benda, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 2018, 478 p.
L’édition dite « standard » des œuvres imprimées et manuscrites du troisième comte de Shaftesbury est une entreprise de très longue haleine, qui comporte à ce jour douze volumes parus et huit encore à paraître. 281L’équipe d’éditeurs scientifiques qui la poursuit nous donne un premier volume de correspondance (au sein d’une série qui en comptera cinq au total) qui puise dans tous les fonds d’archives pertinents dont nous ayons connaissance, parmi lesquels je mentionne seulement (du côté des archives publiques) les Shaftesbury Papers des National Archives à Kew, les Malmesbury Papers conservés au Hampshire Record Office, ou encore (du côté des archives privées) les Shaftesbury Muniments à St Giles et les Belvoir Muniments à Belvoir. C’est au terme d’une traque minutieuse et impitoyable que les éditeurs ont rassemblé ces documents, croisant les sources d’information au point de pouvoir même estimer le nombre de lettres perdues pour la période de jeunesse qui concerne ce premier volume.
Sur le plan du commerce avec les philosophes, c’est Locke qui a la première place, car il est chargé de superviser son éducation ; puis à un moindre degré Bayle, essentiellement pour avoir fait des courses de livres pour le compte de Lord Ashley – constamment à la recherche des meilleures éditions, dans leur meilleure condition, des auteurs anciens. Les lettres échangées par Bayle et Shaftesbury durant cette période – premiers jalons d’une série de documents cruciaux pour l’histoire des relations entre Shaftesbury et le Refuge, mais aussi avec les libres penseurs, dont Rex A. Barrel nous avait donné une première idée en 1989 – sont ici réunies et annotées grâce à l’aide d’Antony McKenna. Une bonne partie de la correspondance est avec les figures familiales, et notamment un serviteur et ami fidèle du premier comte de Shaftesbury, Thomas Stringer, qui suivait les affaires de la famille. À bien des égards, cette édition complète, pour la compréhension de la vie de Shaftesbury dans toutes ses dimensions, la biographie passionnante que Robert Voitle avait publiée en 1984 et qui révélait déjà un matériau épistolaire très remarquable. Le souci de la reconstitution biographique, autant que celui de l’inscription dans les contextes, est à l’horizon de toutes les notes et notices, impeccablement documentées, qui font de ce travail un outil indispensable pour tous les chercheurs qui croisent Shaftesbury sur leur route. Pour l’anecdote, et dans l’espoir d’une seconde édition corrigée, je signale – chacun voyant midi à sa porte – que la pension du Château Vieux, dans laquelle Ashley loge fin 1687 au début de son Grand Tour, ne se situait pas vraiment « entre l’île de la Cité et Saint-Germain des Prés » (p. 61, note 3), mais à l’emplacement de l’actuel 49, rue Saint-André des Arts.
282Le plus remarquable dans la conception de cette édition est sans doute le choix d’insérer les lettres dans une sorte de journal qui présente, année par année, de manière concise et extrêmement documentée les divers activités et expériences de Lord Ashley – Earl of Shaftesbury à partir de novembre 1699 – même dans les années pour lesquelles nous ne disposons d’aucune lettre.
Cette intrication entre une entreprise d’édition d’une correspondance et la construction d’une biographie est manifeste dans la bonne centaine de pages d’appendices que les éditeurs ont eu l’excellente idée de joindre. Le premier concerne l’édition des manuscrits du Life Sketch que le quatrième comte consacre à son père. Plusieurs concernent l’éducation et la conception de l’éducation dans la maison des Shaftesbury, qu’il s’agisse de la philosophie de l’éducation théorique ou appliquée de Locke, ou encore de la pratique de l’Écossais Daniel Denoune qui fut son tuteur lors du Grand Tour. On y apprend notamment quels livres, pour la plupart en français, Lord Ashley laissait aux soins de Locke, à Rotterdam, avant de poursuivre son voyage continental vers Paris.
La longue histoire de l’édition de la correspondance de Shaftesbury fut ouverte en 1716 par la publication des Several Letters Written by a Noble Lord to a Young Man at the University, et suivie en 1721 par la publication par John Toland (à partir d’originaux qui sont pour nous perdus) des Letters from the Right Honourable the late Earl of Shaftesbury to Robert Molesworth… Ces deux ouvrages ont constitué les sources de plusieurs éditions aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. En 1830, c’est Thomas Forster, dans Original Letters of Locke, Algernon Sidney, and Anthony Lord Shaftesbury…, qui met au jour le dossier, conservé dans sa famille, de la correspondance entre Shaftesbury et Benjamin Furly – acteur majeur de la circulation des idées et des livres – et son cercle. Les éditeurs de ce premier volume racontent avec précision toute cette histoire éditoriale et nous font connaître notamment le travail resté inédit de Michael G. Pooritz, achevé en 1926 dans le but d’une thèse, et conservé à Magdalen College, qui complétait et dépassait ce que Benjamin Rand avait publié en 1900, à partir des Shaftesbury Papers, sous le titre The Life, Unpublished Letters, and Philosophical Regimen of Anthony, Earl of Shaftesbury – dont la partie la moins contestable, du point de vue philologique, est celle qui concerne la correspondance.
283Quelques tentatives de collation, afin d’évaluer l’exactitude des transcriptions des originaux – qui répondent au choix initial dans cette collection de restituer le matériau manuscrit, y compris dans les aberrations de sa ponctuation – me permettent d’affirmer que l’attention et la méticulosité des éditeurs est extrême. La réalisation de ce nouvel ouvrage est à la hauteur de la qualité extraordinaire des volumes de transcription de manuscrits récemment publiés, comme les Askêmata (II, 6, 2011) et Chartæ Socraticæ : Design of a Socratick History (II, 5, 2007).
Ce premier volume, à tous égards une très grande réussite, est pour l’historien de la philosophie une sorte d’apéritif qui annonce les nourritures plus substantielles, sur le plan philosophique, de la période ultérieure ; il fournit cependant une documentation significative sur les contextes des premières publications, à savoir la préface des Select Sermons du platonicien Benjamin Whichcote et la première version de son traité d’éthique, An Inquiry Concerning Virtue. Au-delà de la seule histoire de la philosophie, l’intérêt de cet ouvrage est immense. Son étude, nécessairement patiente, est susceptible d’apporter énormément à l’histoire intellectuelle, mais aussi sociale, et la mention de quelques correspondants fameux comme Bayle et Locke ne donne qu’une faible idée de la variété et de la richesse des matériaux qui sont présentés, et qui constituent un témoignage exceptionnel sur l’éducation et la vie domestique d’un jeune aristocrate, sur son intégration dans des réseaux sociaux et politiques, aussi bien que sur le commerce d’un philosophe en herbe avec des agents majeurs de la circulation des idées entre l’Angleterre et l’Europe au sens britannique du terme.
Laurent Jaffro
Univ. Paris I Panthéon-Sorbonne
& Institut universitaire de France
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Voltaire, Les Œuvres complètes, vol. 34 : Œuvres alphabétiques II : Ajouts posthumes, dir. Nicolas Cronk et Christiane Mervaud, avec la participation de Gillian Pink, Oxford, Voltaire Foundation, 2016, 604 p. [Secrétaire pour cette édition : Gillian Pink, avec la collaboration, pour l’annotation des différents articles, de Christophe Cave, Nicholas Cronk, Olivier Ferret, Paul Gibbard, Basil Guy, Laurence Macé, Christiane Mervaud, Michel Mervaud, François Moureau, Jean-Alexandre Perras, Gillian Pink, Bertram E. Schwarzbach, Gerhardt Stenger, Jeroom Vercruysse, David Williams].
La magnifique édition des Œuvres complètes de Voltaire publiée par la Fondation Voltaire sous la direction de Nicholas Cronk est en voie d’achèvement et nous nous attendons à une grande fête en l’an 2020 pour marquer la publication du dernier volume. J’ai assisté autrefois à la présentation du projet de cette édition par Theodore Besterman à la Sorbonne en 1969 et j’avais été étonné par sa conception d’une publication des œuvres « selon l’ordre chronologique de conception », qui entraînait toutes sortes de difficultés d’interprétation et de publication de volumes hétérogènes. Mais Besterman avait réponse à tout, et, à ma suggestion qu’on pourrait suivre l’ordre de la publication des œuvres, il a répondu du tac au tac : « Le public, on s’en fout ». Dans ces circonstances et dans d’autres sur lesquelles il serait inutile de s’étendre, on ne peut qu’admirer le courage, la ténacité et la patience du directeur actuel de la Fondation Voltaire, qui ne s’est pas laissé décourager par les périodes de sécheresse, les longs silences, les fâcheries et les difficultés inhérentes à cette édition chronologique, de sorte que nous pouvons compter voir la collection complète d’ici deux ans. Au cours des quelque cinquante années de réalisation, cette édition a connu des hauts et des bas, c’était inévitable, mais saluons avec admiration une grande entreprise au service de la recherche historique interdisciplinaire : monument d’érudition et d’esprit critique, digne de l’auteur.
Le présent volume est le fruit de l’acribie et de l’esprit critique au meilleur sens des termes. Il s’agit de textes brefs restés inédits du vivant 285de Voltaire, publiés pour la première fois dans l’édition de Kehl en 1784 et dont la version manuscrite – à une possible exception près – n’a pas été retrouvée. Malgré cette perte, les éditeurs modernes les désignent dans leur ensemble comme les « manuscrits de Kehl » et ils fournissent des photographies de versions manuscrites préalables, corrigées par Voltaire. Les textes publiés proviennent probablement du lot d’une trentaine de volumes, acheté à Mme Denis par Panckoucke en septembre 1778, comprenant l’édition encadrée révisée par Voltaire accompagnée du « reste des manuscrits » ; Panckoucke vend ce lot pour la somme de 300 000 livres à Beaumarchais, à qui il cède les droits pour l’édition collective des œuvres de Voltaire qu’il avait en chantier. Les éditeurs de Kehl ont fondu ces articles dans un long texte composite intitulé « Dictionnaire philosophique », qui occupe sept volumes et quelque 4000 pages, comprenant sans distinction tous les articles de Voltaire, publiés ou inédits, sans égard pour leur statut très hétérogène (brouillons, textes achevés ou inachevés). L’édition de Kehl ne correspond sur ce point à aucun projet voltairien.
La première tâche philologique des éditeurs modernes a été de détecter les 44 textes inédits en question, qui, pour 24 d’entre eux, avaient été fondus à l’intérieur d’articles de Voltaire portant le même titre (ou portant sur le même thème) publiés déjà dans son Dictionnaire philosophique et/ou dans les Questions sur l’Encyclopédie. Vingt autres textes sont publiés à Kehl comme s’il s’agissait de nouveaux articles conçus, composés et achevés par Voltaire. Or, l’auteur semble bien avoir eu en tête un projet d’édition dans la réadaction de ces articles, mais il s’agit de projets inaboutis, abandonnés : d’une part, un projet annoncé à la cour de Frédéric II en 1752 – parallèle à celui du roi de publier son Extrait du dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, qui ne verra le jour à Berlin qu’en 1765 ; d’autre part, le projet d’un « Supplément » de l’Encyclopédie, conçu en collaboration avec Panckoucke en 1768-1769. La date de 1752 a été retenue comme celle de la conception de toutes les grandes œuvres alphabétiques de Voltaire : celles-ci paraissent donc ensemble dans la collection des Œuvres complètes (vol. 33-43).
Les indices internes permettent d’apporter quelques précisions. Quinze articles comportent des renvois et six ou sept autres articles font l’objet de renvois : un corpus ayant sa cohérence propre semble ainsi se constituer. Autre indice utile : la distinction entre les 19 articles 286personnels ou « originaux » de Voltaire et les articles qui s’appuient, parfois lourdement, sur d’autres textes-sources, qu’il s’agisse de l’Encyclopédie, Morellet, Lévesque de Burigny, Houtteville, Beausobre, Fleury, Calmet, d’Alembert ou d’autres. L’agencement de ces critères (renvois, compilation) permet d’admettre qu’une vingtaine d’articles appartenaient à une esquisse de collection datée après 1766, qui, en fin de compte, n’a pas été publiée par Voltaire. Quant à l’ensemble des documents désignés comme « manuscrits de Kehl », les éditeurs modernes insistent sur leur forte hétérogénéité et sur les différentes strates chronologiques : les vestiges du projet de 1752, les traces d’une collection constituée après 1766. Tous faisaient apparemment partie d’un portefeuille rassemblant des textes en réserve, sans qu’on puisse suivre entièrement Jeanne Monty (1975), qui adopte l’hypothèse (suggérée par une formule des éditeurs de Kehl) d’un nouveau projet voltairien d’« Opinion en alphabet », ni Bertram Schwarzbach (1982), qui tient l’ensemble des textes pour des brouillons ou ébauches d’articles conçus dans la perspective d’un même ouvrage, puis abandonnés. Les éditeurs soulignent la distinction entre articles « originaux » et articles érudits constitués par compilation, distinction qui semble opératoire et qui suggère un nouvel indice quant au rapport de Voltaire à l’Encyclopédie : ce corpus d’une vingtaine de compilations érudites témoignerait de sa volonté de diffuser des textes jugés importants, de leur donner plus d’impact en les présentant débarrassés de digressions et/ou selon un ordre plus percutant, en y ajoutant des commentaires utiles.
Voilà donc un nouvel outil au service des chercheurs, permettant de mieux comprendre le travail des éditeurs de Kehl13 et de découvrir des nouvelles pistes quant aux ambitions de Voltaire dans la diffusion de la philosophie des Lumières.
Antony McKenna
1 On notera en passant que A.M.B a renoncé à désigner le manuscrit sous le titre Anti-White, comme elle le faisait dans son précédent ouvrage, sans préciser pourquoi elle ne suit pas N. Malcolm pourtant cité sans commentaire en note 3, p. 11. Entre-temps, G. Paganini a publié sa traduction italienne du texte établi par Jacquot et Jones sous le titre Moto, Luogo e Tempo.
2 A.M.B. n’en donne pas la raison. Précisons qu’il s’agit de vides interstitiels nécessaires au mouvement de dilatation et de contraction de la source lumineuse. Sur le vide chez Hobbes, plutôt qu’à Kargon cité p. 170, n. 40, on aurait préféré un renvoi à l’article de Jean Bernhardt, auteur trop ignoré : « la question du vide chez Hobbes » Revue d’histoire des sciences, 46, 1993-2/3, p. 225-232.
3 De même, on regrettera qu’Anna Minerbi Belgrado prenne comme référence le texte du De Corpore établi en 1999 par Karl Schuhmann lorsqu’elle cite (chap. 10, « quelques fils à tirer » p. 186) un extrait de l’art. 3 du chap. xxvi. Dans cet article consacré à la réfutation des arguments de Lucrèce en faveur du vide, Schuhmann modifie à deux reprises le texte des deux éditions de 1655 et 1668 pourtant suivis par la traduction anglaise : l. 37, p. 284, il remplace nisi par si – ce passage n’est pas cité – et p. 285, l. 11, il ajoute une négation en remplaçant et par nec. Dans la traduction d’A.M.B. qui suit la leçon de Schuhmann, Hobbes aurait écrit que la doctrine d’Épicure « qui ne nia le commencement, ni du monde ni du mouvement » est incompatible avec l’idée de la coéternité du mouvement et du corps. Outre le fait qu’A.M.B. omet opportunément de citer intégralement l’alternative proposée par Hobbes entre coéternité et cocréation (p. 285, l. 1), il nous semble difficile d’admettre que Hobbes, qui vient justement de démontrer que l’hypothèse du vide revient à nier le commecement de mouvement (tous les corps dans le vide étant en repos « semel et simul » et le repos étant dépourvu d’efficacité), dise ici le contraire, d’autant que la lettre à Hérodote précise que « le mouvement des atomes n’a pas eu de commencement parce que les atomes sont aussi éternels que le vide » (Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres ; voir aussi Lucrèce, De rerum natura, II, 80-165).
4 Voir Steve Larkin, Correspondance entre Prosper Marchand et le marquis d’Argens. Oxford, Voltaire Foundation, 1984 (SVEC, 222).
5 Voir Pierre Nicole, Discours contenant en abrégé les preuves naturelles de l’existence de Dieu, et de l’immortalité de l’âme, publié dans De l’Éducation d’un prince, Paris, Guillaume Desprez, 1670 ; B. de Maillet, Telliamed, ou entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français, La Haye, 1755, II, p. 71 sq. (éd. Paris, 1984, p. 201 sq.) ; Ocellus Lucanus, Sur l’Univers, traduit par d’Argens, Paris, J-Fr. Bastien, an III, p. 111.
6 « Consultation de 30 docteurs de Sorbonne sur le phénomène des convulsions », 7 janvier 1735, dans La Constitution unigenitus déférée à l’Église universelle, Cologne, 1757, p. lxx.
7 C.M., I, chap. 6.
8 Ibid.
9 Dossier auteur, Édition, « Consignes éditoriales à lire attentivement et à suivre scrupuleusement », p. 8, éd. 13 nov. 2015.
10 Op. cit., p. 11-12.
11 Mandement de Monseigneur l’archevêque de Paris [C. de Vintimille], au sujet d’un écrit qui a pour titre : Dissertation sur les miracles, et en particulier […] celui qui s’est fait le 3 novembre 1730 en la personne d’Anne Lefranc, Paris, P. Simon, 1731, 36 p.
12 Garnier, Dossier auteur, éd. citée, p. 16.
13 Par une heureuse coïncidence, la grande thèse de Linda Gil, L’Édition Kehl de Voltaire. Une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, soutenue à l’université de Paris-Sorbonne en 2014, paraîtra prochainement aux Éditions Honoré Champion.
- Thème CLIL : 3129 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie moderne
- ISBN : 978-2-406-08066-4
- EAN : 9782406080664
- ISSN : 2271-720X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08066-4.p.0231
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/05/2018
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français