![La Coquette. Naissance et fortune d’un type sociolittéraire (XVIIe-XVIIIe siècles) - Conclusion de la cinquième partie](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/LszMS01b.png)
Conclusion de la cinquième partie
- Publication type: Book chapter
- Book: La Coquette. Naissance et fortune d’un type sociolittéraire (xviie-xviiie siècles)
- Pages: 791 to 792
- Collection: Enlightenment Europe, n° 90
Conclusion
de la cinquième partie
Ainsi le xviiie siècle apparaît bien comme le siècle de la coquetterie et la société française une « société de coquetterie ». Notre questionnement sur l’essentialisme, l’innéisme et le genre de la coquetterie a trouvé quelques réponses. D’abord, naturaliser la coquetterie en une essence de la femme, c’est légitimer et conforter une condition de la femme limitée à deux fonctions dévoyées en vocations, à savoir un rôle esthétique et une assignation domestique qu’emblématisent deux objets iconiques du féminin : le miroir et la quenouille. L’éducation des filles au siècle des Lumières conforte ensuite le désir de plaire des fillettes qu’il soit inné ou légué par les mères. Ensuite, petits-maîtres et jolis hommes prouvent par leur exemple nombreux que la coquetterie n’est pas un trait exclusif du féminin. La société du xviiie est enfin une société du spectacle et de spectacle, innervée par la théâtralité. Société de consommation avant l’heure, la société des Lumières favorise l’industrie de la mode qui se décline en marchandes de modes, journaux de mode et poupées de modes. Les coquettes sont les égéries de cette industrie florissante, avec en tête de proue, les favorites royales et la reine Marie-Antoinette dont la coquetterie fut incriminée comme une faute morale et politique.
Le mythe de Marie-Antoinette emblématise bien des griefs dirigés contre la coquetterie. Ils composent à leur façon un discours moral et moralisateur érigé contre la coquetterie, un kaléidoscope d’archéo-réflexes gynécophobes. La coquetterie était conspuée par les Pères de l’Église et les prédicateurs du siècle comme un instrument du démon, responsable de la ruine des hommes et de la perte de leur salut. Au siècle des Lumières et précédemment à l’âge classique, les prédicateurs vitupèrent contre le maquillage, le fard, les perruques et les nudités de gorge tel l’Abbé Desnoyers dans Contre l’indécence des quêteuses de 1710. Dans les pamphlets, Marie-Antoinette est représentée comme la Débauchée dont 792la coquetterie est « le symptôme d’une avidité maniaque1 ». La coquetterie est aussi passée au tamis d’un argumentaire économique, sous-tendu par un discours moralisateur androcentrique. La coquette ruine son ménage, désorganise son foyer, ne s’occupe plus de son époux, de ses enfants, de sa domesticité. La coquetterie des femmes est un facteur de désordre tant sur le plan privé que sur le plan socio-économique. Marie-Antoinette est accusée de ruiner le pays et de mettre à sang ses sujets pour une aigrette d’autruche ou un collier pharamineux. Dans les prévarications de l’abbé Gauthier, de l’abbé Gaudet ou de l’abbé Coyer, la coquette était stigmatisée comme une semeuse de chaos, neutralisant la différenciation des genres. Sur un plan anthropologique, l’effémination des petits-maîtres et l’émancipation de la coquette font craindre à la fin de l’espèce humaine. Sur un plan métaphysique, la coquette a négligé les soins de son âme et de son salut au profit de ceux de sa parure, préférant l’entretien de son corps mortel à l’espérance de la vie éternelle. La leçon des vanités lui rappelle que la mort rôde entre fards et eaux de senteur sur sa toilette. Marie-Antoinette est accusée d’avoir détourné le pouvoir royal à son profit. Plongée dans la lecture de son Cahier des Atours, folâtrant à Trianon, elle a fui devant ses responsabilités, retardé le moment de donner un héritier au trône, vidé les caisses de l’État, négligé ses sujets et précipité le Royaume de France à sa perte. La coquetterie de Marie-Antoinette au parfum de désastre signa l’arrêt de mort du siècle de la coquetterie.
1 Ibid., p. 118.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-16749-5
- EAN: 9782406167495
- ISSN: 2258-1464
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16749-5.p.0791
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-10-2024
- Language: French