Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Comédie à la lumière du droit. France, Angleterre, Empire (1660-1800)
- Pages : 7 à 9
- Collection : Esprit des Lois, Esprit des Lettres, n° 15
Chapitre d’ouvrage : 1/17 Suivant
PRÉFACE
Allez chercher le notaire ! pour signer le contrat de mariage, c’est-à-dire assurer le transfert des biens, était une réplique récurrente des comédies matrimoniales, qui, si elle tendait à s’estomper à la fin du xviiie siècle avec le triomphe du sentiment sur l’intérêt, était restée de mise pour clore heureusement les unions désirées.
Dans ce magnifique et important livre, Madame Gabriele Vickermann-Ribémont entreprend une relecture de la comédie à la lumière des représentations sociales, informée par la connaissance exemplaire des textes de loi qui doivent régir les mariages au xviiie siècle, à la fois en France, en Angleterre et dans les pays germaniques. L’étude de la mutation profonde du mariage entre le xviie et le xviiie siècle, que ce soit dans la pensée juridique ou dans la réalité, montre que, s’il était perçu au début de l’âge classique comme un lien juridique entre deux familles plutôt qu’entre deux individus, le mariage d’inclination, voire d’amour, deviendra au cours du xviiie siècle le modèle matrimonial de référence.
La perspective sociopoétique qui envisage cette étape cruciale de la vie en société qu’est le mariage autour duquel nombre de valeurs socio-économiques et éthiques sont associées permet d’analyser dans la comédie comment viennent à se condenser et s’exposer questions individuelles et représentations sociales, qu’elles soient d’ordre économique, moral, juridique ou idéologique. Il était particulièrement intéressant de voir, outre une certaine porosité entre les discours juridiques et littéraires, une certaine affinité entre les enjeux matrimoniaux et la forme comique elle-même.
On voit ainsi combien les intrigues matrimoniales servent à mettre en relief des caractères. À partir de situations où se mêlent à la fois le droit en vigueur, les coutumes sociales et les habitus, les caractères peuvent être révélés, mis en valeur, parfois approfondis – mais il est vrai aussi que la comédie use de caractères stéréotypés issus d’une longue tradition 8théâtrale. La figure conventionnelle du père autoritaire et incorrigible en est un exemple tout comme celle de la coquette, du barbon ou de la mère querelleuse. Ce qui est nouveau est l’évolution de ces caractères en lien avec l’idée des Lumières de la perfectibilité de l’homme.
Les multiples comparaisons effectuées des comédies matrimoniales de langue française, anglaise et allemande à partir de motifs juridiquement définis, notamment le consentement parental, l’héritage projeté, le rapt consenti ou de séduction et le mariage feint, et de motifs théâtraux qui découlent de la contrainte juridique (comme la folie feinte et le déguisement) ou encore les thèmes de la mésalliance, du mariage d’intérêt, des conflits entre classes sociales témoignent du talent comparatiste de l’autrice qui du même coup met en évidence la fécondité et la richesse que peut offrir la littérature comparée.
Avec talent et finesse, Madame Gabriele Vickermann-Ribémont engage le lecteur à reconsidérer le rôle des parents, des tuteurs, des valets et des jeunes, à souligner avec pertinence le partage de ce qui revient aux opinions contemporaines et à l’influence d’un héritage littéraire partiellement partagé et des traditions comiques propres à chaque pays.
La grande originalité de l’entreprise concerne les relations de la littérature et du droit à travers les questions matrimoniales et particulièrement du rapt de séduction. Cette approche à la fois anthropologique et juridique témoigne de connaissances historiques solides, d’abord dans l’histoire du droit en France, en Angleterre et dans les pays germaniques, ce qui amène des analyses complexes, nuancées et abondantes. Une telle approche interdisciplinaire mêlant l’histoire, le droit, la littérature théâtrale vient heureusement combler une grande lacune, celle des relations de la littérature et du droit, si peu fréquentes. Les recherches faites par exemple sur E. T. A. Hoffmann, celles de Peter König (Der poetische Charakter des Rechts) et de Aline Le Berre, Criminalité et justice dans les « Contes nocturnes » d’E. T. A. Hoffmann, et certaines études sur Kafka, qui a fait des études de droit (il a été docteur en droit), une discipline qu’il tenait en piètre estime ce qui ne l’a pas empêché de consacrer toute sa vie à se définir par rapport à la loi, devraient déjà à elles seules motiver l’intérêt des chercheurs. Mais le champ est fort vaste et c’est le mérite de Madame Gabriele Vickermann-Ribémont de s’attacher à une période et à un genre littéraire précis, la comédie, pour pouvoir examiner avec une érudition confondante tous les aspects des relations 9entre systèmes juridiques et scènes théâtrales dont on voit l’originalité féconde du genre par rapport à la fiction romanesque.
La combinaison du comparatisme et de la pluridisciplinarité pour l’analyse d’un corpus d’une telle ampleur suscite l’admiration pour le renouvellement des perspectives apportées et des connaissances à travers la lecture de ces comédies matrimoniales éclairées par l’institution juridique, nourrie par l’érudition encyclopédique de Gabriele Vickermann-Ribémont tant sur le droit matrimonial en Europe que sur le théâtre anglais, français, allemand, autrichien de la deuxième moitié du xviie siècle et au xviiie siècle, ainsi que sur le contexte historique et social de ces pièces.
Alain Montandon
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14885-2
- EAN : 9782406148852
- ISSN : 2264-4148
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14885-2.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 04/10/2023
- Langue : Français