![L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju) - [Introduction à la troisième partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/CieMS01b.png)
[Introduction à la troisième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju)
- Pages: 361 to 362
- Collection: Comparative Perspectives, n° 147
La figuration d’un présent dialectiquement divisé entre présence et absence, la description d’un monde sensible qui se manifeste toujours dans le mouvement de sa révélation et l’évocation de spectres qui surgissent pour exhorter à l’inquiétude de l’héritage sont autant d’éléments diégétiques qui illustrent, de façon variée selon les auteurs que nous étudions, une certaine pensée de la trace.
Or cette pensée ne peut qu’affecter également la forme même du récit. Si les œuvres de notre corpus ne paraissent pas proposer de façon explicite un profond renouvellement esthétique, nous pouvons distinguer entre eux des parallèles possibles qui nous aideront à définir quelques critères d’une représentation littéraire qui correspond à ce que nous nommerons une « œuvre-trace ». Le sentiment d’une présence qui ne peut plus être considérée comme plénitude engage une écriture au plus près de l’évanescence propre à la hantise. La forme du récit – d’un point de vue structurel comme stylistique – répond à une transmission de l’incertitude ou de l’indétermination. La démarche éthique de la représentation consiste à relancer l’écart qui empêche de penser la présence – à soi ou au monde – comme un élément stable. La représentation littéraire la plus juste du réel serait celle qui proposerait, à tous les niveaux de son élaboration, les modalités d’une image dialectique.
Ainsi l’injonction éthique dictée par le spectre recouvre-t-elle un domaine plus large que celui de l’histoire récente. Elle est constitutive, pour les personnages, de toute subjectivité. En effet, dans les œuvres de Tabucchi, Handke et Péju, les protagonistes assimilent la quête de l’autre à une quête de soi et à une quête de sens. L’autre devient l’objet in absentia qui justifie leur existence. Nous employons le verbe « justifier » au sens fort, il en va d’une conscience éthique, qui lie l’inachevable quête de connaissance à la responsabilité envers un autre disparu, celui-ci prenant une valeur essentiellement métaphorique. La quête de connaissance est donc animée par un va-et-vient entre conscience de soi et conscience de l’autre absent. C’est pourquoi nous proposons de rapprocher l’esthétique des œuvres de notre corpus de la philosophie sceptique, qui refuse toute affirmation et prône la confrontation des contraires, le dialogue sans cesse 362relancé des opinions opposées, comme unique cheminement possible vers la vérité. Nous étudierons donc le lien entre une pensée de la trace et la suspension de jugement que propose la construction des récits.