[Introduction à la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Œuvre-trace. Questionnement de la présence (Antonio Tabucchi, Peter Handke et Pierre Péju)
- Pages: 37 to 37
- Collection: Comparative Perspectives, n° 147
Et le reste n ’ est-il
Par le souvenir détruit ?
W. G Sebald, 1999, p. 51.
Si l’on s’appuie sur les trois définitions que propose Paul Ricoeur, la trace aurait trait ou bien à l’objet matériel sur lequel se fonde le travail de l’historien, ou bien à l’empreinte mémorielle, que celle-ci soit envisagée comme trauma (affection produite par un événement marquant) ou comme simple souvenir, trace mnésique2. Ces trois valences se marient dans une même appréhension du passé dans le présent qui peut être celle de la reconstitution d’une affaire criminelle, d’un fait historique ou d’un événement individuel resté à l’état de vestige dans une mémoire indistincte.
Il est ainsi intéressant de faire jouer entre eux les modèles épistémologiques du roman policier, de l’historiographie et de la psychanalyse, comme le fait Carlo Ginzburg qui regroupe ces trois modalités de la quête sous la notion de « paradigme indiciaire » (Ginzburg, (1986) 1989). Cependant, dans notre perspective, les codes génériques du roman policier seront adoptés pour mieux être mis à distance : l’ordonnancement logique – qui va de pair avec un ordre social – est détourné par les œuvres de notre corpus qui ne proposent pas de réelle clôture à une enquête qui hante l’esprit du lecteur bien après qu’il a refermé le livre. La quête est davantage organisée selon le modèle psychique de la mémoire, en tant que celle-ci, d’un point de vue individuel et collectif, présente des écrans et des déplacements, des traces indéchiffrables et des retours inopinés d’événements marquants. Les personnages des récits de notre corpus, assaillis par leurs propres souvenirs, se font historiens d’un réel qui se désagrège et qui est le lieu révélateur des faux oublis et de possibles résurgences.