Si après sa chute Jérusalem ne cesse d’entretenir et d’enrichir son mythe, celui-ci ne manque pas, en retour, de signaler par son ampleur une certaine distance prise de la part des Latins avec une cité de plus en plus symbolique, de plus en plus légendaire – c’est-à-dire de plus en plus irréelle. Parce qu’elle dénote une séparation marquée avec ce qui fait la réalité de la cité perdue, cette transformation partielle de la Ville sainte en utopie plus lointaine, même magnifiante, est alors en soi le témoin d’un deuil déjà entamé.
La constance de la revendication de Jérusalem par les Latins n’empêche en somme pas un progressif mais irrémédiable éloignement vis-à-vis d’une cité plus aimée que jamais peut-être, mais dans le même temps plus distante, et peu à peu moins cruciale pour les chrétiens à mesure que sa perte se trouve entérinée dans les esprits. À défaut d’être tout à fait acceptée, la chute en vient à être intégrée, la mémoire dramatisée qui l’entourait à s’apaiser peu à peu, et les regrets qu’elle nourrissait à s’atténuer et à prendre d’autres tonalités. L’impossible renoncement de l’Occident à Jérusalem peut alors finalement avoir lieu. Le progressif ralentissement puis l’arrêt de l’entreprise de reconquête s’en font alors le premier signe, qui impliquent un rapport nouveau aux Lieux saints, et une revendication déjà moins effective à leur égard de la part des Latins.