Compte rendu de Religion et littérature à la Renaissance
- Type de publication : Article de revue
- Revue : L’Année rabelaisienne
2017, n° 1. varia - Auteur : Cappellen (Raphaël)
- Pages : 461 à 463
- Revue : L'Année rabelaisienne
Religion et littérature à la Renaissance. Mélanges en l ’ honneur de Franco Giacone, études réunies par François Roudaut, Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque de la Renaissance », 2012, « Religion de Rabelais », p. 121-220.
Dans les Mélanges en l’honneur de Franco Giacone, cinq articles portant sur le thème religieux chez Rabelais sont réunis, en hommage à l’un des fidèles exégètes italiens de l’œuvre du Chinonais, organisateur de plusieurs colloques romains ayant donné lieu à des publications d’actes qui ont marqué les études rabelaisiennes.
Mireille Huchon, dans « Rabelais et les théologiens », commence par faire le point sur la moindre présence des théologiens et de la Sorbonne dans les Tiers et Quart livre. La seule figure individualisée est celle d’Hippothadée, personnage exemplaire qui évoque Lefèvre d’Étaples et Melanchthon. Ce sont donc les deux premiers romans et principalement les variantes d’une édition à l’autre que Mireille Huchon analyse de manière suggestive. La satire contre les théologiens est importante dans les premières versions ; ces critiques s’expliquent par le fait que Rabelais se situe sous le patronage intellectuel d’Érasme et de Melanchthon et se fait le propagandiste, en quelque sorte, de la lutte de l’entourage royal – les frères Du Bellay en particulier – contre la Sorbonne. Cependant, un nettoyage lexicologique est pratiqué en 1542 : les Théologiens, Sorbonistes, et autres Sorbonicoles sont renommés sophistes. Pourtant la teneur des épisodes n’est qu’assez rarement modifiée : Janotus de Bragmardo devient un « sophiste » mais ses paroles, qui évoquent le style des sermons du franciscain Michel Menot, restent les mêmes. Idem dans Pantagruel, où sontconservées les attaques contre les théologiens dans le catalogue de la librairie de Saint-Victor.
C’est un autre aspect de la satire religieuse que Gilles Polizzi met en valeur dans « Rabelais, la Dive et la “vraie croix”. La critique des reliques comme leitmotiv, du Gargantua au Cinquième livre ». L’article fait suite à l’identification par Gilles Polizzi, dans un travail antérieur, de l’île de la Dive comme référent du but du premier voyage des compagnons de Pantagruel, tel qu’il peut être reconstitué grâce au Cinquième livre. Cette île abritait un ermitage qui conservait une précieuse relique : des fragments de la « vraie Croix ». Le miracle du bouillonnement de la bouteille raconté dans le chapitre xliiii du Cinquiesme livre pourrait faire référence aux superstitions qui entouraient cette relique. Un indice important se trouve dans le Liber miraculorum de Grégoire de Tours, 462qui raconte le miracle du bouillonnement d’une lanterne sous l’effet des vertus de la « vraie Croix ». La parodie rabelaisienne serait donc le résultat d’une contamination de ce récit de Grégoire de Tours avec la description du mécanisme de la lampe admirable du temple de Vénus dans l’Hypnerotomachia Poliphili, mais aussi avec les superstitions de l’époque entourant cette relique. Le voyage du Cinquième livre est un voyage à travers le marais poitevin qui devait mener vers la Dive et conduire le discours romanesque vers la critique de la relique qui y était conservée. La critique des reliques est un leitmotiv de l’œuvre de Rabelais, qui apparaissait déjà dans l’épisode des pèlerins du Gargantua ou dans le récit de la fondation de Thélème, lorsqu’était évoquée « la recepte de la Dive ». Pour conclure son article, Gilles Polizzi s’attaque à une difficulté de taille : comment expliquer l’abandon de la navigation initiale ? Selon lui, cela tient à la parution du Traité des reliques de Calvin en 1543 ; Rabelais aurait préféré éviter l’amalgame avec Calvin et réécrire tout son voyage. Si cette intéressante hypothèse ne semble pas suffisante pour expliquer à elle seule le revirement du projet rabelaisien, on retiendra particulièrement de cette étude le suivi d’un leitmotiv important des romans rabelaisiens et la démonstration à nouveaux frais de la prégnance dans l’écriture rabelaisienne des realia poitevins mêlés aux sources textuelles.
Anne-Pascale Pouey-Mounou, dans « “Quelle contenance aurai-je ?” Panurge sous le double regard de Dieu et des hommes », condense plusieurs des idées qui ont été au centre de son livre Panurge comme lard en pois. Paradoxe, scandale et propriété dans le Tiers livre (Droz, 2013). Elle relit le Tiers livre en prenant comme point de départ la libération de Panurge de ses dettes par Pantagruel, ce qui fait naître une sérieuse interrogation chez le dépensier châtelain de Salmigondin : « Quelle contenance aurai-je ? » Le roman est lancé sur un double scandale, celui des dettes mais aussi celui du don de Pantagruel, scandaleux « parce qu’il n’est pas compensable et qu’il abolit avec les dettes les rites et les mérites humains » (p. 191). Or, le scandale est une question théologique d’une grande actualité au moment de la rédaction du Tiers livre. Panurge est jugé par l’opinion commune tel un personnage scandaleux mais, être du paradoxe, il revendique ses transgressions comme un nouvel ordre institué. À travers l’analyse succincte de divers épisodes du roman, Anne-Pascale Pouey-Mounou met au jour une ligne continue du roman, construit autour de la question de l’affirmation du « moi ». Le personnage de Panurge incarne une conscience vacillante face à sa 463liberté naissante, qui doit chercher à se recentrer et redécouvrir la capacité à s’engager. Cette conscience de soi troublée reprend pied dans le récit en dépassant le regard de la doxa pour retrouver une convenance – plus qu’une contenance – à soi et au monde.
Maria Proshina propose, quant à elle, une analyse des « jurons blasphématoires chez Rabelais ». Son article présente un panorama des jurons et blasphèmes qui traversent l’œuvre romanesque. Rabelais écrit à un moment où l’intolérance à l’encontre des blasphèmes se fait plus importante. Alors que cette parole est proférée sous le coup de l’émotion, elle peut conduire à une accusation d’hérésie. C’est peut-être par prudence qu’est supprimé, en 1542, l’intéressant passage des jurons des badauds de Paris dans Gargantua (xvii), qui permettait de décrire la diversité – des origines, des professions – de la foule à travers la variété de blasphèmes employés. De manière plus générale, la force expressive permise par le blasphème relève d’une esthétique du réalisme verbal qui est celle des genres comiques médiévaux dont Rabelais est en partie l’héritier.
Enfin, Bruno Pinchard propose un « Essai de lecture pantagruélique » sur « La Crème philosophalle attribuée à Rabelais », opuscule rarement étudié (indiquons cependant la thèse de Christophe Clavel, La Cresme philosophalle des questions enciclopédiques de Pantagruel. Un opuscule chimérique dans la bataille des arts : entre non-sens et signification, soutenue en 2008, que Bruno Pinchard ne mentionne pas). Bruno Pinchard commente chacune des obscures quæstiones de l’opuscule et lit dans la Crème philosophalle « la charte » du Pantagruélisme. Il dessine un portrait de Rabelais comme compilateur de toutes les sagesses, maître ès sciences occultes, qui malgré la dispersion apparente de son œuvre unit « l’ontologie, la géologie, la climatologie, la grammaire et la mythologie, sans rien laisser dans l’ombre ni jamais manquer à une vocation de part en part prophétique » (p. 166). Rien que ça !
Raphaël Cappellen
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-06298-1
- EAN : 9782406062981
- ISSN : 2554-9111
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06298-1.p.0461
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 20/01/2017
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français