[Introduction à la deuxième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Affaire clémentine. Une fraude pieuse à l’ère des Lumières
- Pages: 119 to 119
- Collection: Enlightenment Europe, n° 32
L’hypothétique genèse du projet clémentin a révélé une mystification habile aux rouages complexes et maîtrisés. Mais cette supercherie, étudiée en amont de son lancement et de sa réception, déclencha dès sa parution une si vive querelle que leur véritable auteur choisit de multiplier les textes et les figures d’emprunt pour soutenir l’authenticité et la recevabilité des Lettres attaquées de toutes parts. Discours préfaciels, libelles ou ouvrages viennent ainsi compléter et soutenir la veine clémentine initiale, pour former avec elle un dossier clémentin, qui se déploie sur un temps long, entre 1775 et 1780, présentant d’une manière exemplaire ce caractère évolutif, « récidivant », auquel Jean-François Jeandillou donne le privilège de la rareté1. La supercherie fut poussée jusqu’à des tours de force extrêmement retors, comme ces faux originaux italiens que Caraccioli eut l’audace de faire paraître au début de l’été 1777, pour promouvoir l’authenticité du recueil initial et du Supplément,publié entre temps.
Ces textes de toutes sortes forment un ensemble puisqu’ils ont tous pour double objectif de conforter l’authenticité des Lettres et d’en lancer ou d’en raviver l’intérêt. Trois catégories se distinguent toutefois. La première est constituée des ouvrages par lesquels Caraccioli chercha à poursuivre, sous le nom de Clément XIV, la supposition d’auteur ; la seconde émane de l’auteur supposant qui, niant la supposition, assume conjointement la figure de l’éditeur ; la troisième classe rassemble les textes produits par un Caraccioli masqué et polyonyme2. Ce dossier, démonté pièce à pièce, permet d’appréhender globalement la supercherie clémentine, cas magistral dans une histoire non seulement éditoriale, mais aussi littéraire, dans laquelle le faux, autre nom de la fiction, confirme une emprise en permanente croissance.
1 J.-F. Jeandillou, Supercheries littéraires, op. cit., p. 489 : « Il est rare que la supposition prenne un caractère aussi nettement évolutif, même si quelques complices occasionnels viennent parfois en prolonger les effets. »
2 Baillet, dans son livre sur les « auteurs déguisés » (1690), qualifiait par ce terme les écrivains se dotant de multiples noms mensongers (Ibid., p. 481).