Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Kant, le premier cercle. La déduction transcendantale des catégories (1781 et 1787)
- Pages : 9 à 10
- Collection : Les Anciens et les Modernes - Études de philosophie, n° 47
Préface
La philosophie transcendantale de Kant est une entreprise de fondation. Par-delà l’opposition entre le rationalisme leibnizio-wolffien et l’empirisme humien, l’enjeu de la Critique de la raison pure est de refonder la théorie de la connaissance sur le sujet humain, dans la continuité du projet cartésien.
Mais tout projet fondationnel se heurte aux objections du sceptique Agrippa (fin du premier siècle ap. J.-C.), rapportés par Sextus Empiricus (160-210) dans ses Hypotyposes pyrrhoniennes (I, 164-177), et en premier lieu, à l’objection du diallèle. Selon Agrippa, toute entreprise de fondation engage des cercles, et tombe dans le paralogisme nommé diallèle : on prouve une proposition A par une proposition B, qui elle-même est prouvée par A.
La fondation cartésienne opérée dans les Méditations parvient-elle à éviter le diallèle ? Force est de reconnaître que l’évidence du je pense, je suis ne suffit pas pour refonder la connaissance par-delà sa critique sceptique. Pour surmonter la distinction entre l’ordre de la connaissance et l’ordre de l’être, le sujet doit faire appel à un second principe, Dieu, dont il démontre l’existence et le caractère non trompeur. Or, Dieu, en tant qu’il existe et qu’il est non trompeur, vient en retour garantir les évidences du sujet… Le sceptique est en droit de dénoncer ici un cercle.
En séparant radicalement la question de la connaissance de celle de l’être – la chose en soi étant reconnue absolument inconnaissable – et donc en abandonnant le projet ontologique de la métaphysique classique, Kant se donne les moyens de construire la connaissance uniquement sur le sujet, sans avoir besoin de Dieu comme principe constitutif de la connaissance. Du coup, il peut se permettre d’opérer dans sa Dialectique transcendantale une critique systématique des preuves de l’existence de Dieu. Il semble dès lors que la philosophie transcendantale soit en mesure de surmonter l’objection d’Agrippa. La fondation de la connaissance opérée dans la Critique de la raison pure paraît exempte de tout diallèle.
Mais est-ce si sûr ? Exempte du diallèle cartésien, certainement. Mais exempte de tout diallèle ? Pour pouvoir s’en assurer, il convient 10d’étudier avec la plus grande précision le texte même où Kant atteint son principe, l’aperception transcendantale, à savoir le texte de la déduction transcendantale de la Critique de la raison pure. Ce livre va donc prendre la forme d’un commentaire précis de cette déduction, dans ses deux éditions de 1781 et de 1787. Ne le cachons pas au lecteur, il s’agit d’un travail complexe, car portant sur la partie la plus importante, mais aussi la plus obscure et la plus difficile du système kantien, comme le reconnaît Kant lui-même :
Le lecteur ne se laissera donc pas, jusque-là, rebuter par l’obscurité, inévitable au début, dans une voie non encore ouverte, mais qui, je l’espère, s’éclaircira dans la section en question [la troisième], et permettra une pleine compréhension. (A 98)
Ce n’est qu’au terme de ce commentaire, qui s’efforcera de clarifier l’argumentation de Kant, par-delà la multiplicité conflictuelle des interprétations, que nous pourrons conclure sur l’existence ou non d’un diallèle dans la fondation kantienne.
Insistons sur l’enjeu de ce travail. La philosophie kantienne est souvent considérée comme dépassée parce qu’elle n’est pas compatible avec les mathématiques du xixe siècle (notamment la découverte des géométries non euclidiennes et la théorie des transfinis de Cantor) et la physique du xxe siècle (notamment la relativité générale d’Einstein et la physique quantique). Si une telle critique ne peut être écartée du revers de la main – le projet kantien étant de fonder la connaissance, il doit être compatible avec les résultats de la science –, on peut considérer qu’il s’agit d’une critique simplement externe qui autorise, en droit, une modification de la philosophie transcendantale pour l’adapter à la science nouvelle. Et nombreux sont les théoriciens, à commencer par les néokantiens, qui ont entrepris un tel projet.
En revanche, si un diallèle devait être trouvé au principe même de la philosophie transcendantale, sa validité serait remise en cause de façon beaucoup plus radicale.
- Thème CLIL : 3916 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Histoire de la philosophie
- ISBN : 978-2-406-10685-2
- EAN : 9782406106852
- ISSN : 2260-8311
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10685-2.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/04/2021
- Langue : Français