Il y a les conteurs et les écrivains. On conte ce qu’on veut ; on n’écrit pas ce qu’on veut : on n’écrit que soi-même1.
Cette distinction entre conteurs et écrivains ne sert pas seulement à dissocier littérature d’imagination et littérature du réel, mais permet également de départager les auteurs qui produisent une œuvre éloignée d’eux-mêmes, proprement divertissante, et ceux pour qui l’œuvre s’inspire de leur vie par effort de compréhension et d’affirmation de soi.
Assurément, Jules Renard relève de la seconde catégorie. L’écriture de l’intime lui apparaît comme un besoin vital auquel il n’a pas même l’idée de se soustraire. La question qui se pose à nous est de savoir ce qu’apporte vraiment l’écriture de l’intime au scripteur. Nous aimerions montrer dans le chapitre suivant qu’elle permet de tendre vers ce que Renard nomme l’« homme régularisé », un homme à la fois lucide sur lui-même et sur le monde, dont les démons intérieurs sont apaisés et qui est tout entier du côté du bien. Mais l’écriture de l’intime n’est pas seulement une réforme morale. Elle permet une transfiguration esthétique. Notre dernier chapitre sera consacré à cette invention de soi dans l’élaboration d’un style, d’une œuvre.