[Introduction de la troisième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Jeux et théâtre dans l’œuvre dramatique de William Shakespeare
- Pages : 295 à 296
- Collection : Lire le xviie siècle, n° 71
- Série : Théâtre, n° 11
Lorsqu’elles sont appliquées au champ politique, les métaphores ludiques mènent donc à une conception machiavélienne, ou encore cynique, du fonctionnement du monde. Dans les autres domaines, elles s’illustrent davantage comme une incitation à l’action et nous font ainsi passer du « désenchantement » à « l’appropriation1 ». Les jeux sont toujours chez Shakespeare, avant tout, une « modalité de l’action » comme l’explique Roberte Hamayon :
[Cette démarche] considère d’emblée le « jouer » non comme un type d’activité ni même un mode d’action mais comme une modalité de l’action, organisée ou non. […] le « jouer » se présente avant tout comme n’étant pas un véritable « faire » mais – la suite le montrera – comme pouvant néanmoins constituer « une sorte de » faire2.
En tant que tels, les jeux entraînent les joueurs à prendre leur destin en main. La mélancolie de Jaques dans As You Like It, qui, prenant acte de la nature ludique et théâtrale du monde se retire dans la forêt d’Arden3, tendrait ainsi, à la lumière des cas que nous analyserons ici, plutôt à être une exception. En effet, certains personnages shakespeariens s’affirment bien plus souvent comme des joueurs prêts à se saisir de n’importe quelle opportunité pour remporter la partie. En cela, la façon dont Shakespeare emploie les métaphores ludiques s’oppose fermement aux condamnations de l’oisiveté néfaste et criminelle que les auteurs ludophobes et théâtrophobes prêtaient aux pratiques ludiques en tous genres. Ces métaphores sont presque toujours porteuses d’un idéal pragmatique d’action que Shakespeare applique également, nous 296le verrons plus bas, au jeu de l’acteur. Dans un premier temps, nous analyserons comment The Merchant of Venice reprend les métaphores liées aux jeux de hasard et aux paris, pour conduire à une valorisation des joueurs de hasard, quelque peu paradoxale compte tenu des débats qui avaient lieu à l’époque. En plus de ces personnages qui se présentent comme des joueurs de hasard, déjà très décriés, les intrigues amoureuses des comédies, en présentant le mariage comme un jeu, montrent bien souvent des protagonistes qui doivent se résoudre à tricher afin d’échapper à un sort qu’ils refusent. En dernier lieu, nous élargirons la réflexion aux métaphores ludiques qui opposent jouets et joueurs dans tout le corpus shakespearien. Ces métaphores, en apparence anecdotiques, foisonnent dans toutes les pièces du dramaturge, et ouvrent la voie à une réflexion sur l’idéal de maîtrise que seuls les véritables joueurs peuvent atteindre, à savoir les acteurs.
1 Nous empruntons ces deux termes à Jean-Claude Vuillemin qui décrit ainsi l’évolution de la métaphore du theatrum mundi dans la littérature baroque française, voir Jean-Claude Vuillemin, « Theatrum mundi : désenchantement et appropriation », Poétique, no 158 (2009), p. 173-199.
2 C’est la définition que propose Roberte Hamayon de l’acte de jouer : « [Cette démarche] considère d’emblée le “jouer” non comme un type d’activité ni même un mode d’action mais comme une modalité de l’action, organisée ou non. […] le “jouer” se présente avant tout comme n’étant pas un véritable “faire” mais – la suite le montrera – comme pouvant néanmoins constituer “une sorte de” faire. » Jouer, op. cit., p. 21.
3 Les personnages qui, comme lui, refusent de jouer, sont présentés comme pathologiques, nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard, voir p. 422.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11498-7
- EAN : 9782406114987
- ISSN : 2257-915X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11498-7.p.0295
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/08/2021
- Langue : Français