[Introduction de la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Jeux et théâtre dans l’œuvre dramatique de William Shakespeare
- Pages : 41 à 41
- Collection : Lire le xviie siècle, n° 71
- Série : Théâtre, n° 11
La représentation des jeux sur scène constituait un enjeu crucial pour des dramaturges qui tentaient d’affranchir leur art théâtral de la catégorie des « dishonest sports » dans laquelle une grande partie des auteurs ludophobes rangeaient leurs pièces. Il pouvait être tentant, pour faire valoir l’honnêteté du théâtre, de reprendre ces points de vue ludophobes et d’adopter un discours moralisateur sur les jeux. Chez Shakespeare, la représentation des jeux demeure ambiguë. Comme l’a souligné A. D. Nuttal, dès lors qu’il s’agit de déterminer la pensée de cet auteur, le positionnement de Shakespeare semble toujours instable voire insaisissable1. Après avoir passé en revue les différents types de pratiques ludiques présents dans le théâtre de Shakespeare, on verra pourtant, dans un premier temps, que la représentation de certains jeux de la scène shakespearienne semble bien dessiner une défense des jeux auxquels le théâtre était fréquemment associé. Les jeux y sont représentés comme une activité naturelle, voire instinctive du genre humain. Cette représentation constitue en soi une réponse aux attaques ludophobes du temps. Toutefois, l’œuvre du dramaturge n’en interroge pas moins la fonction sociale que remplissent les jeux. Shakespeare montre alors toute l’ambivalence de ces pratiques ludiques qui peuvent unir, tout autant que désunir, les liens tissés entre ses différents personnages. En cela, nous le verrons, les jeux diffèrent sensiblement de la fête dont le symbolisme rassembleur est plus univoque. Le dramaturge livre donc aussi une vision critique des jeux et des joueurs, dans laquelle transparaissent parfois certains des arguments ludophobes les plus courants. C’est finalement à un jeu d’équilibriste que semble s’exercer Shakespeare, qui développe, dans ses pièces où le plaisir de jouer transparaît le plus nettement, une réflexion humaniste sur les jeux, dont certains étaient si redoutés, en son temps. Cet idéal humaniste atteste d’une alternative implicite aux discours moralisateurs qui, parce qu’ils étaient souvent formulés de façon plus explicite, semblent, à première vue, dominer les débats suscités par les pratiques ludiques au tournant du xvie siècle.
1 A. D. Nuttal, Shakespeare the Thinker, New Haven, Yale University Press, 2007, p. 1-24.