Variantes
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes. Tome V
- Pages: 735 to 735
- Collection: Library of Twentieth-Century Literature, n° 25
Annexe
Des fragments de cette pièce sont présents au dos des feuillets d’un manuscrit de La Dragonne, qu’avait rassemblés Maurice Saillet, et qui se trouve actuellement au Harry Ransom Center, à l’université d’Austin (Texas).
Dans l’édition de la Pléiade, Bernard Le Doze, qui avait pu consulter de manuscrit, a reproduit plusieurs fragments en annexe, sous le titre Membra disjecta, où il en assemble quelques-uns, ainsi que dans les notes.
Nous reproduisons tous les fragments de ce manuscrit dans cette annexe ou dans les notes correspondantes, d’après les photographies numérisées, et en suivant leur pagination.
Nous indiquons entre crochets deux passages que Bernard Le Doze a pu recopier sur le manuscrit et qui ne sont pas reproduits sur le document photographié, ainsi qu’un passage entier dans Autres fragments.
Cet éditeur a également reproduit vingt fragments figurant au verso d’un brouillon de Albert Samain, souvenirs, qui lui avait été communiqué spar Thierry Bodin, et qui figurait sous le numéro 276 dans le catalogue d’une vente au Nouveau Drouot les 13, 14, et 15 juin 1983. Il indiquait que ces textes hâtifs sont de la main de Jarry, avec des notes ou des suggestions écrites de Demolder1. Ce manuscrit intitulé Albert Samain est actuellement au HRC d’Austin, et nous avons rétabli l’appartenance de ces textes à ce document.
Dans Autres fragments, nous avons également donné le Finale dont le manuscrit est reproduit dans l’édition Noël Arnaud.
700Fragments au dos
Du manuscrit d’Albert Samain
Oh ! (Éclat de rire, très fort) Ha ha ha !
lui
Quoi ?
elle
Ah ! Ce n’est pas le murmure de la brise marine, ce n’est pas le bruit de nos baisers, mais il me semble reconnaître l’aigre persiflage de la cousine Aglaure, tu sais, cette peste, si mauvaise langue ! (p. 20) (Ms. Albert Samain, p. 6).
***
elle
Donne ! Donne vite ! Ah ! Que c’est drôle ! Écoute ! Voilà ce qu’elle dit ! Oh ! sa voix ! Je l’imite !… « Oh ! ma chère, croyez bien que je n’ai pas ajouté foi un seul instant à cette odieuse calomnie. Je m’occupe jamais des affaires des autres. D’ailleurs cela n’a aucune importance. J’ai cru bien faire en vous prévenant. Je vous dis ça comme on me l’a dit…
lui
Oh ! mais c’est inouï ! C’est inconcevable ! Cela tient de la2
***
elle
Fi, le jaloux !
lui
Fi, la coquette !
701elle
Tu m’en contais ! [Interpolé, au crayon : « Tu m’avais menti »]
lui
Ah ! Ah ! beau masque !
elle
Oui, tu avais fait la cause [?] à d’autres dames !
lui
Oui, tu avais entendu des paroles d’amour !
elle
Oh !
lui
Et après tout, oui, là, en vérité, j’ai dit à des femmes qu’elles étaient belles, mais je ne leur ai pas dit que je les aimais. Des paroles d’amour vrai, je n’en ai adressées qu’à toi ! Ou, en vérité, j’ai [illisible] l’intrigue, […]. (p. 21) (Ms. Albert Samain, p. 8).
***
lui
Il paraît. Très loin.
elle
De quel côté est [mots illisibles rayés] notre château ? [ajouté au crayon].
lui
Ce doit être C’est [ajouté au au crayon] par là ?
(Elle regarde)
elle
Oh !… Voilà la route blanche de Fiesole !
lui
Ce n’est pas possible !
702elle
Regarde !
lui
[mots illisible rayés] Par Saint Marc, c’est vrai ! Je ne m’attendais pas à cela !… Voici la chartreuse, la villa des Medicus… O ! Notre vieux château au milieu des ifs !
elle
Laisse voir !… C’est vrai !… Je vois. (p. 22) (Ms. Albert Samain, p. 12).
***
lui
Pouzzoles, Capri ! [biffé]
elle
Que de choses !
lui
Que de choses ! < Que de choses ! Souvenirs magnifiques > Et les bibliothèques, où s’entassent la science des siècles, et les châteaux célèbres, remplis de tapisseries, de bahuts et de panoplies, et les forteresses fameuses par leurs sièges et où dorment les anciens canons, et les galeries [alinéa biffé] (p. 23) (Ms. Albert Samain, p. 14).
***
elle
Naples, son golfe et son volcan d’azur, Venise et ses gondoles…
lui
Sorrente, Capri, la Grèce, pays de dieux, où tu t’es mêlée, par ta grâce et ton sourire, aux déesses, amica !
elle
Flatteur !… et tu oublies la Sicile ! Avoir visité tous ces pays ensemble…
703lui
C’est avoir doublé mon ivresse, dolca mia, car je contemplais tout reflété par tes yeux.
elle
Merci du madrigal ! Tu m’aimes ?
lui
Carissima !
(Il l’embrasse)
elle
Je suis heureuse !
(Ils s’embrassent)
(La musique commence doucement)
[Sur la partie gauche :] Naples et Nous l’avons vu son Volcan !
Venise et ses gondoles !
Sorrente !
Capri !
La Grèce, pays des dieux de marbre pays des dieux et des gueux et des déesses voleurs
et des gueux en guenille !
[lignes barrées illisibles]
Oh ! oui quelle peste !
Oh ! oui, voyageraient bien agréables (p. 24) (Ms. Albert Samain, p. 16)
***
lui
Grenade.
elle
Et ses fruits.
lui
Naples et son volcan.
704elle
Venise et ses gondoles.
lui
Sorrente.
elle
Capri.
lui
La Grèce, pays des dieux et des déesses de marbre. Spectacle sans prix !
elle
Comment, sans prix ! Mais tu as payé < jusqu’à dix centimes > pour voir Jupiter Olympien dix centimes.
lui
Oui, mais pour contempler à un mètre cinquante l’armure de Boabdil je n’ai versé que deux réaux et demi. < Et j’ai payé pour toi >, Elle < quand tu as baisé > Oui, mais pour avoir baisé l’empreinte sur la voie sacrée de la mule du saint Père,
elle
Tu as dépensé [ illisible ] Une lire
lui
[…]
[Sur la partie gauche :] < Et > Les temples corinthiens, les promontoires chargés de temples corinthiens, < Lui > : les chênes de la forêt de Dodone qui parle [?] < prophétiques >
la statue de Memnon qui chante au lever du soleil
le Bosphore
le temple d’Apollon
le palais de Memphis
L. Que de souvenirs [?] ! Les beaux levers de soleil sur les montagnes du Tyrol
La statue de Memnon qui chante à l’aurore
705Le soir de pourpre sur [illisible] Tyrol
Les soirs de poupre (p. 25) (Ms. Albert Samain, p. 20)
***
< lui >
Et qu’y a-t-il de mieux qu’un saint dans la famille ?
elle
Tu le regardes avec irrévérence !
lui
alors, madame
< [un vers] > cachez ce « saint » que je ne saurais voir !
elle
(va pour tirer le rideau et lit une inscription) [tout ce passage est biffé] Il y a une inscription !… Saint Jean Bouche d’Or !
lui
Ah ! C’est St Jean Bouche d’or ! < Or >
elle
Tu le connais ?
lui
Oh ! tu sais ! Vaguement, approximativement ! J’en ai entendu parler !
elle
Tu < connais sa légende ? > aurais plus de respect (p. 26). (Ms. Albert Samain, p. 24)
lui
Non, non, non ! C’est bel et bien des cheveux blancs ! Ah ! c’est toi qui voulais me jeter de la poudre aux yeux.
706lui
Écoute ! Je pourrais te dire que mes cheveux sont devenus blancs de l’émotion d’avoir savouré l’indéfinissable pâté du père Fricot ou d’avoir gobé un œuf ayant le goût de fourmi parce que sa mère avait mangé du hanneton, ou que c’est tout bonnement un tour de magie… (Ms. Albert Samain, p. 26)
***
lui
Et maintenant faisons disparaître les reliefs du festin ; d’ailleurs, nous avons juste le temps de visiter le sanctuaire du redoutable nécromant et cher cousin. Visitons, visitons.
elle, pendant ce temps,
se met de la poudre devant un miroir.
lui
Que fais-tu là ?
elle
Cher Seigneur, je me mets un rien de poudre. (Ms. Albert Samain, p. 28).
***
lendemain de notre […] avons vu Séville et les jardins de l’Alcazar…
lui
Où tu fus la plus jolie rose, sous les palmiers et les citronniers…
elle
Grenade et ses gitanes qui sont si belles aux yeux ardentsi
lui
Tu avais l’air d’être leur reine ! (p. 29) (Ms. Albert Samain, p. 30)
***
707[illisible] C’est invraisemblable
je suis abasourdi.
Oh ! la voix de
mon petit cousin Claudio !
[dans la marge, au crayon, [illisible] C’est crevant !
Gontran Fargis
un nom pas localisé
Il murmure mon
nom.
C’est ahurissant
Il m’aimait bien.
C’est à ne pas y croire.
C’est un enfant !
C’est inouï, c’est insensé. !
Pauvre petit !
Je n’en reviens pas
Tiens ! plus rien…
Mais je suis toute confuse. Quelle coquille !
Quelle coquille !
Quelle coquille ! (p. 30) (Ms. Albert Samain, p. 32)
***
Mais disons-le tout bas
Ne le voyez vous pas ?
Le plus délicieux
À nos yeux,
Nos yeux d’amoureux,
Nous ne l ’ avouerons pas,
Ou disons le bien bas,
En vrais amoureux,
C’était chaque soir de nous retrouver tous deux.
Tous deux,
Tous deux ! (p.32) (Ms. Samain, 36)
708***
elle
L’heure exquise ! Les clochers tintent. Dans le lointain, les bergers rassemblent leurs troupeaux. Les paysans rentrent leurs moissons en de beaux chars dorés dont les essieux se plaignent à travers la vesprée. Un doux parfum de fenaison monte jusq’à nous. Tandis que sur la vallée s’étend déjà l’ombre lente des collines, nous sommes encore baignés dans la lumière resplendissante du soleil couchant. À nos pieds, les cygnes du petit lac se sont réfugiés sous les saules et la surface maintenant tranquille a l’air d’un morceau de ciel […] qui […] (p. 33)
***
C’était, c’était
Chaque soir la bonne hôtellerie,
Ma chérie,
< Oui [au crayon] > C’était, c’était
Le relais (p. 34)
***
elle
Et j’avais raison. saint Jean Bouche d’Or ne m’a point démentie !
lui
C’est vrai, il était < devait être > à < au > bout de son rouleau3 ! (p. 35)
***
elle
Tais-toi ! Ton Pan Bouquinus4 n’est qu’un sot ! Il radote ! C’est un vieux maniaque qui a vécu avec de vieux livres de philosophes et de vieux instruments de physiciens, loin de la vie, et quoi qu’il en pense, loin de la vérité.
709lui
Il paraissait s’y connaître pourtant en vérité.
elle
Non, mon chéri, il ne la connaît pas, la vérité ! La vérité veut être vétue comme nous-mêmes, comme le ciel où courent les […] les arbres qui se couvrent […] (p. 36)
***
elle
Tout de même jusqu’ici nous n’avons rien trouvé de bien extraordinaire !
lui
Ah ! nous n’avons pas encore cherché beaucoup ! Je suis sûr que nous allons en trouver ! Te rappelles-tu l’œil narquois du vieux paysan qui nous a dit : Oh ! monsieur, madame, vous allez au château ! Ah ! ben ! Ah ! ben ! Vous en reviendrez encore plus gais que vous n’y montez !
elle
Qu’est-ce qu’il a voulu dire ? (p. 37)
***
veulent prendre le chemin rectiligne et transitoire qui relie notre humble modeste village de cinq cents feux à la somptueuse ruine qui domine la colline voisine.
710elle
Parfait, mon ami, parfait. vous avez un don êtes doué pour l’imitation.
lui
Si donc, disait l’hôtelier.
elle
J ’ ai Continuez, j’ai eu tort de vous interrompre (il la regarde Elle ne bronche pas [?])
lui
Si – Si monseigneur et sa noble compagne [mots illisibles biffés] veulent prendre le chemin rectiligne et transitoire bordés de noyers d’acajous séculaires, en moins de temps qu’il n’en faut à leurs chevaux pour manger trente six sols d’avoine, ils pourront visiter le superbe manoir d’Aléthéia.
elle
Joli nom de femme.
lui
Visitons.
elle
Visitons.
Musique Pipeaux
Clochettes. Carillons
[…] (Il ouvre la fenêtre). Oh ! viens voir. (p. 38)
***
elle
J’ai trouvé que les gens d’ici avaient l’air un peu ironique.
elle (sic)
Sans doute, depuis le temps, sont-ils un peu blasés sur leurs curiosités locales.
711lui
Le vieux paysan à qui j’ai demandé la route m’a dit que ce n’était pas loin et que nous n’en avions pas pour très longtemps.
(Ils regardent à la fenêtre)
O que c’est joli, etc. (tirade [?], pour finir sur) : ce lac, < on dirait > le ciel à l’envers
Comme on est bien ici.
À caser :
(Je serais curieux de savoir qui a pu habiter ici. Dernier descendant, original et (p. 39)
***
III
elle
Faut’ de monuments ou d’ statues
Que le temps a pu jeter bas,
On vous montre alors le point d’ vue
Mais c’est fragil’, n’y touchez pas5 !
ensemble
Il faut regarder ça !
elle
Ainsi donc l’on rencontre partout
Des curiosités pour tous les goûts
Ils trouvent tous, raffinés ou vulgaires,
À se satisfaire.
ensemble
Il faut regarder ça !
IV [ … ] (p. 40).
712***
(La musique commence [mot illisible])
Plaisirs du voyage
La main dans la main
Les souvenirs, etc.
Je t’aime !
(Fin du deux [?])
Nous avons trouvé ici notre nid définitif (ils pensent [?) vouloir acheter le château). Description intérieure du château : il a dû être bâti autrefois par un architecte de génie ou par un magicien. Il a qqch de calme, de doux De reposant. Il est d’une harmonie parfaite. Il est précieux comme un coffret gardien de secrets : il s’en dégage un parfum discret intime [?], d’élégance infinie.
(3 heures sonnent) (p. 70).
***
elle
Et puis, tu sais, chéri, elle ne savait pas que c’était du similor !
(air musique)
lui
À ton tour, ma belle ! Ta maman ne savait pas ce qu’elle faisait ! C’est St Jean Bouche d’Or qui le dit !
elle (vexée)
Et puis, en somme, cette bague est fort laide… Eh ! une tabatière… Elle est en vrai or celle-là, dites, saint Jean Bouche d’Or !
lui
Il se tait.
713elle
Alèthéia prisait donc.
lui
[…] tabatière […] (p. 158).
***
Le manoir de vérité
elle
Oh comme tout ici est délicieux !
lui
C’est un enchantement.
elle
Nous n’avons encore rien vu de comparable depuis six mois que nous avons quitté notre vieux château de Ferrare, nos chers parents, nos bons amis au lendemain de notre mariage : nous avons vu Séville et sa Giralda, Grenade et ses gitanes, Naples et son golfe d’azur pailleté de feu, Venise et ses gondoles, Sorrente, Capri, la Grèce,
lui
Berceau des sages,
elle
Des grâces et des muses, avoir vu tout […] (p. 160).
***
lui
Délices des rois maures !… Grenade.
elle
Et ses fruits.
lui
Naples et son volcan !
714elle
Athènes et l’Acropole !
lui
Pouzzoles, Capri !
elle
Que de choses ! [L’ensemble est biffé au crayon]. (p. 205).
***
Air des Pourboires
lui
Pourboire : au portier,
Au cuisinier,
Au sommelier !
elle
À l’interprète !
lui
Puis au marmiton,
Au postillon,
À l’automédon.
elle
Puis à la soubrette !
lui
Pourboire au frotteur,
Au chasseur,
Au plongeur !
elle
À la chambrière !
715lui
Pourboire aux ouvreuses,
Aux coiffeuses !
Parfumeuses !
elle
À la bouquetière !
lui
Pourboire aux nabots,
elle
Pourboire aux manchots,
lui
Pourboire aux pieds bots (p. 207).
***
I
elle
La curiosité perdit Eve,
Les curiosités malgré ça
Font la fortun’ comm’ dans un rêve
De qui tient ses articles-là.
ensemble
On veut aller voir ça !
elle
Car on a spéculé tout le temps
Sur la curiosité des gens.
Et c’est pourquoi maints villages sur terre
Deviennent prospères.
716ensemble
On veut aller voir ça !
II
lui
[…][Chaque] village a son grand homme. (p. 209).
***
« … vendu, chameau, fourneau, filou, voyou, sagouin ! » Cette fois il n’y a pas de doute, nous sommes à la Chambre6 !
elle
Donne ! Donne !
Elle reprend la coquille.
lui,
follement gai et arpentant la scène
C’est inconcevable ! Je suis abasourdi !
elle
Oh ! La voix de mon petit cousin Gontran de Fargis !
lui
C’est crevant ! (p. 211).
***
[…] pas le nez dans cette poussière.
lui tient un livre
d’où un papier tombe
Tiens !… un parchemin !
717elle
< Lis-le > Laisse-le là ! Qu’allons-nous encore trouver là-dedans ! Je ne veux rien savoir. Je m’en vais ! [À gauche : < (Pas : lis-le. mais l’[illisible] Je veux m’en aller, je ne veux rien savoir > [Cette tirade est d’une autre écriture].
lui, lisant
C’est un testament ! Moi, Orphée Panbouquinus7, humaniste, < seigneur d’Aletheia >, magicien et fils de Virgile8, qui ai chéri la vieille Grèce et repose, sachant tout, au monde des astres, entre Saturne9 et le Soleil !
À tous ceux qui comme moi furent trompés par les hommes et les choses, par la vanité de […] et par le mirage.
[Dans la partie droite du même feuillet, autre écriture :]
C’est un testament !
Que de routes parcourues [?], de fleuves traversés, de mers franchies ! L’auto nous emporte, ou la diligence, la carriole du paysan ou le mulet du contrebandier, ou la lourde barque chaland de pêcheur, le wagon cabriolet ou le funiculaire ! O le voyage10 ! (p. 213).
***
[…] harmonie du divin Palestrina, nous n’avons donné…
elle
Qu’une lire !
lui
Parfait ! (Il l’embrasse.) On aurait donné volontiers dix lires, vingt lires, cent lires… toute la lyre ! Mais ce qui est insupportable 718ce qui ronge et énerve et ferait prendre le voyage en horreur, c’est le pourboire !
elle
Ah ! oui !
lui
Pour n’être pas tarifé, il n’est […] (p. 224).
***
cicerone, plus ignare encore qui bavarde
elle
Et pas de supplément à payer. Nous avions deux heures à perdre pour permettre à nos chevaux de souffler. Naturellement, Monsieur a demandé à l’hôtel s’il y avait quelque chose à voir. Naturellement aussi, il y avait quelque chose à voir.
lui
Il y toujours quelque chose à voir. < Air des curiosité > [dans la marge gauche, au crayon]
Si monseigneur et sa noble compagne – l ’ hôtelier a dit compagne ne sachant pas si nous étions mariés – « si monseigneur et sa noble compagne a-t-il dit d ’ un air ironique et malin, mais dans le style ronflant qu ’ il emploie sans doute pour les gens de qualités. Si monseigneur et sa noble compagne. (p. 231).
***
lui
Exquis ! (Il l’embrasse) Ma [chère] amie, c’était le tarif. < Et vraiment > Mais ce n’était pas trop cher, il n’y avait rien à dire, < Il n’y avait rien à dire >. où je trouve à redire, c’est à cette obligation ruineuse des pourboires.
719elle
Ah ! les pourboires !
lui
Pourboire : Au portier
Au cuisinier,
Au sommelier.
elle
À l’interprète !
lui
Pourboire : Aux marmitons,
Au postillon,
À l’automédon,
elle
À la soubrette.
lui
Au frotteur,
Au chasseur,
Au plongeur,
[…]
[Dans l’espage gauche laissé vacant, d’une autre écriture :]
Le [deux mots illisibles biffés] nous avons passer (sic) devant un guichet et donné dix centimes pour voir dans sa majesté d’ivoire et d’or, au milieu de ses foudres, sur son trône mystérieux, Jupiter Olympien. (p. 233).
***
1
C’est le bon saint Jean Bouche d’Or
Qui fut toujours très véridique,
720D’après la chronique, oui, la chronique
En lettres d’or.
De vérités toujours très authentiques
Il abusait à travers et à tort.
Il disait toujours : fuyez, fuyez les
« Ne dites jamais, jamais, jamais de menteries,
Mais dites toujours la vérité, la vérité.
< Proclamez >
Ah ! grand St Jean,
Soyez plus indulgent
Pour nos mensonges petits et grands !
2
Il retournait jusqu’à sept fois
Avant de faire une harangue,
En sa bouche sa langue, oui, sa langue
Jusqu’à sept fois.
[…] (p. 253).
***
Au quart d’heure de Rabelais
Sur la not’ qu’envoi’ le patron
– L’addition !
Ajoutez encor, s’il vous plaît,
La petit’ gratification
– Du garçon !
[Au crayon :] Quand on sort dans une litière
Pourboire à l’ouvreur de portière
Le cocher qui nous a mené
Garde la monnaie
N ’ rend pas
Du cocher n’espérez jamais
Qu’il rend’ la monnaie. (p. 256).
***
721Ah ! Ah ! Les bijoux d’Alèthéia. Tiens, un camée ! Sais-tu ce qu’il représente ?
lui
Ça, c’est Diogène et sa lanterne !
elle
Comment ! il n’a pas encore trouvé son homme, depuis le temps… Tiens ! une bague ! Quel vilain chaton ! Qu’est-ce ce que c’est ?
lui
Je ne sais pas… On dirait une pierre de touche… Oui, c’est (p. 269).
***
magie ! Fais voir ! (Examinant la coquille.) Rien !… Rien !… Rien !… Ah bien, par exemple, par exemple, par exemple !
elle, reprenant la coquille
Ah ! voilà qui est plus drôle ! C’est très plaisant !… Notre gros ami Macaire qui lance encore à la Bourse une affaire, une affaire d’or11 : les stations célestes pour les ballons captifs dirigeables ! Il lit son prospectus : il parle des pontons aériens pour les ballons-mouches12 !
lui
Et pour les gobe-mouches ! […] (p. 272).
***
vous dis cela […] me l’a dit
lui
Oh ! mais c’est inouï ! C’est inconcevable ! Cela tient de la magie ! Fais voir ! (Examinant la coquille) Rien, rien, rien ! Ah bien, par exemple ! 722(Elle a écouté de l’oreille droite. Il met le coquillage à son oreille gauche) Ah ! le gros parent Macaire qui lance encore à la Bourse une affaire, une affaire d’or : les vessies lumineuses ! Les actions montent, montent, montent !
[Dans la marge gauche :] les câbles fragiles pour les ballons captifs. [Au crayon] : Stations pour les ballons dirigeables. (p. 272). (Ms. Samain, 34)
***
elle
Ah ! Ce n’est pas le murmure de la brise marine, la plainte des blanches écumes, ah ! ah ! le bruit des flots irisés ou celui de nos baisers à Sorrente, ah ! ah ! non ! je te le donne en mille ! C’est la voix aigre, c’est le persiflage de la cousine Aglaure, notre peste de cousine, si mauvaise langue !
lui
La cousine Aglaure ! Ce n’est pas possible ! Tu plaisantes !… (Il prend le coquillage.) Mais oui !… Oh ! C’est justement aujourd’hui son jour de réception ! Ce que c’est bizarre ! (p. 274).
***
lui
Un puits avec la devise : Qui me découvrira13 ?
elle
Qui me découvrira ? Oh ! Veux-tu mon avis ? Cette Aletheia, c’était une femme pas comme il faut. Elle avait d’ailleurs un goût déplorable ! (Prenant un coquillage.) Non, mais tiens, regarde-moi cette horreur !
lui
N’appelle pas cela une horreur, voyons ! Un coquillage, c’est un objet charmant ! Il conserve toute l’irisation de la mer ! On y surprend les reflets légers […] et des vagues […](p. 276).
***
723lui
L’après-midi pour se promener.
elle
Oui !
lui
Le soir pour aller au théâtre.
elle
Ah ! oui !
lui
Et la nuit pour dormir !… Tu ne dis plus rien ?… Tu ne trouves pas que la nuit est faite pour dormir ?
elle
Si, je trouve que la nuit est […] dormir ! (p. 278).
***
Ah ! Ah ! et du tabac râpé !… Qui paie comptant reste content… Tu as toujours payé comptant, toi ? Tu n’as jamais fait de dettes quand tu étais jeune homme ?
lui
Moi, jamais !
(Musique)
Ah ! polisson ! Écoute saint Jean Bouche d’Or !
lui
Oh ! c’étaient des petites dettes !
elle
Ne recommence jamais !… (Lisant) […] chose (?) en son temps. (p. 280).
***
724lui
À ton tour, ma belle ! Ta maman savait ce qu’elle achetait ! C’est saint Bouche d’Or qui le dit !
elle (vexée)
Et puis, en somme, cette bague est fort laide… Eh ! une tabatière… Elle est en vrai or celle-là, dites, saint Jean Bouche d’Or !
lui
Il se tait.
elle
Alèthéia prisait donc.
lui
[…] et à examiner sa tabatière
[Dans la marge gauche, biffé :]
Eh eh ce n’est pas de l’or
elle
Comment
lui
Ce n’est pas de l’or. Regarde.
elle
Oh ! c’est vrai, mais tu n’en voudras pas à maman pour cela.
lui
Ta mère, je l’adore. Tiens, d’où ça sort, ça, c’est St Jean bouche d’or ! Il dit [illisible] oui [illisible], tu n’aimes pas maman !
lui
Oh ! chérie ! je l’aime, si je l’aime, comme on aime sa belle-mère.
elle
Et puis chéri, elle ne savait […] que c’était du (p. 282).
725***
elle
T’imagines-tu que maman t’a donné de faux bijoux ?
lui
Oh ! non ! C’est pour m’amuser. C’est pour jouer à la pierre de touche. (Il frotte.) Eh ! eh ! Ce n’est pas d l’or !
elle
Comment ?
lui
Ce n’est pas de l’or, regarde !
elle
Oh ! c’est vrai ! ! c’est vrai ! ! Oh ! mais tu n’en voudras pas à maman (p. 284).
***
elle
Comment, sans prix ! Mais il nous a fallu payer partout <, > et pour tout. Tu ne te rappelles donc pas qu’à Olympie on m’a < tu as > demandé payé jusqu’à dix centimes pour voir Jupiter…
lui
Olympien ! Mais à Madrid, pour contempler à un mètre cinquante l’armure de Boabdil, je n’ai versé que deux réaux et demi, et à Rome…
elle
Oh ! à Rome !
lui
À Rome, nous avons < dépensé > payé, pour entendre la musique du divin Palestrina…
726elle
Une lire.
[…] ma chère […] (p. 311).
***
Sans doute, depuis le temps qu’ils les connaissent sont-ils un peu blasés sur les curiosités locales. Au surplus le vieux paysan à qui j’ai demandé la route m’a dit que nous n’en avions pas pas pour très longtemps ici. Voyons donc !
(ils regardent par la fenêtre)
elle
Oh ! Que c’est joli !
lui
Le soleil s’endort sur la cime des arbres.
elle
Les belles allées ! On ferait des promenades adorables !
lui
Laure et Pétrarque n’avaient point désiré d’autre décor.
elle
Et le petit lac bleu ! On dirait du ciel à l’envers !… Je serais curieuse de savoir qui a pu habiter par ici.
lui
C’est, à ce qu’on m’a dit, le dernier descendant d’une famille qui s’est éteinte […] paraît-il. Il a a légué cette […] (p. 313).
***
[…] elle
C’est féerique !… Mais qu’est-ce que je vois ! Notre château !
lui
Notre château !
727elle
Oh ! Et j’aperçois, pas la baie vitrée, la grande salle et toute la famille réunie autour de la table d’un festin. C’est la fête à grand-père ! Les vieux portraits, du haut de leurs cadres d’or semblent vouloir, d’un regard bienveillant, y participer. Oh ! grand-père se lève, une coupe à la main. Il a l’air tout ému et ses regards yeux cherchent les absents. Il va boire à nous, carissimo.
[L’alinéna précédent est biffé]
lui
Laisse donc voir !… Oh ! Moi j’aperçois l’oncle le vieil oncle César ! Il se disait malade le jour de notre noce. Mais il se porte à merveille ! Il descend du donjon par une échelle, avec une légèreté de jeune homme. Et quoi ! Il danse devant des écus d’or qu’il a retirés d’une cachette ! On le croyait pauvre ! Oh ! Il n’a point […]14 (p. 315).
***
[…] veulent prendre le chemin rectiligne et transitoire qui relie notre modeste village de cinq cents feux à la somptueuse ruine qui domine la colline voisine… »
elle
Parfait, mon ami, parfait !
lui
« Si donc », disait l’hôtelier…
elle
Continuez, mon ami j’ai eu tort de vous interrompre.
lui
« Si… » (Il la regarde, elle ne bronche pas.) – (Si monseigneur et sa noble compagne veulent prendre le chemin rectiligne et transitoire bordé de noyers et d’acajous séculaires < d’orangers séculaires >, en moins 728de temps qu’il n’en faut à leurs [chevaux pour manger] trente-six sols d’avoine (p. 317), [ils pourront visiter le superbe manoir d’Aletheia].
elle
Joli nom de femme.
lui
Visitons ! […](Musique : pipeaux, carillons. Il ouvre la fenêtre.) Oh ! viens voir]15
***
elle
O l’heure exquise. Les clochers tintent. Dans le lointain, les bergers rassemblent leurs troupeaux. Les paysans rentrent leurs moissons. Un doux parfum de fenaison monte jusqu’à nous. Tandis que < sur > la vallée doucement s’enveloppe de brume commence à s’étendre l’ombre des collines, nous restons < encore pour longtemps > baignés dans la lumière resplendissante du soleil couchant. À nos pieds, les cygnes du petit lac se sont réfugiés sous les saules et la surface est maintenant tranquille a l’air d’un morceau de ciel tombé au milieu des fleurs qui s’endorment.
lui
Moi je vois le ciel entier dans le fond de tes yeux.
(Un temps)
[…] (p. 319).
***
[elle
O mio Carissimo, comme tout est délicieux ici.
lui
Un enchantement, cara, un enchantement.
729elle
Que de merveilles depuis six mois que nous avons quitté nos chers parents, nos bons amis, au lendemain de notre mariage. Ah ! le voyage !
lui
Le voyage !
Air : les plaisirs du voyage.
elle
Que de souvenirs ! Les beaux levers de soleil sur les montagnes du Tyrol !
lui
Et, tout dorés de glorieuses lumières, les vieux palais des Césars !
elle
Et les soirs de pourpre sur les temples corinthiens de l’Archi16]
pel !
lui
Et la nuit mystérieuse parmi les chaînes prophétiques de la forêt de Dodone !
elle
Toute l’Attique, pays des dieux et des déesses…
lui
De marbre…
elle
Séville et les jardins de l’Alcazar… (p. 343).
***
730[…] pas moins obligatoire […) pose à tout instant, quand vous entrez, quand vous sortez, quand vous rêvez, quand vous admirez et surtout quand vous n’avez point de monnaie ! En faut-il, en faut-il du pourboire ! Ah ! le pourboire, le pourboire !
(Air des pourboires)
Lui
Que veux-tu ? Ce sont les petits ennuis du voyage (p. 350).
***
jusqu’à sept fois.
Car il disait: Mieux vaut se mordr’ la langue
Auparavant, qu’ensuit’ s’en mordr’ les doigts !
C’est pourquoi personn’ n’assistait à ses harangues
Ainsi pouvait-il bien méditer, bien méditer,
<Quoique remplies> Et dire toujours la <de> vérités, la <de> vérités
–Ah ! grand saint Jean, etc.
3
Quoiqu’il eût l’amour du prochain,
On l’accusa de médisance,
Et nul n’eut de reconnaissance
Pour le bon saint.
Car il se mêlait avec insistance
D’affaires qui ne le regardaient point.
<Assurément la plus grave des imprudences>
C’est pourquoi fut-il mal écouté, mal écouté
<De dire> Quoiqu’il dît toujours la vérité, la vérité !
–Ah ! grand saint Jean, etc. (p.353).
***
[…]
Car il disait: Mieux vaut se mordre [la langue]
731Auparavant, qu’après s’en mordre les doigts !
Il disait <aussi> toujours: fuyez, fuyez la
« Ne dites jamais, jamais, jamais de i
Mais dites toujours la vérité, la vérité ! »
Ah ! grand St Jean,
Soyez plus indulgent
Pour nos mensonges petits et grands !
3
Quoiqu’il eût l’amour du prochain,
On l’accusa de médisance
Et nul n ’ eut de reconnaissance <[Au crayon: sans r’connaissance]
Pour le bon saint
Car il se mêlait avec insistance
D’affaires qui ne le regardaient point.
Il disait toujours: fuyez, fuyez la
« Ne dites jamais, jamais, jamais de menteries
Mais dites <[au crayon: Proclamez> toujours la vérité, la vérité ! »
Ah ! grand St Jean,
Soyez plus indulgent
Pour nos mensonges petits et grands !
[Au crayon : Gd St Jean (bis) (p. 367).
1 OC III, p. 723-734.
2 Ce fragment est donné par Bernard Le Doze dans les membra disjecta (OC III, p. 84). Nous ne l’avons pas retrouvé dans les photographies du dossier de La Dragonne.
3 Allusion au phonographe : le son était enregistré sur des rouleaux de cire (voir Le Surmâle, chap. xii).
4 Cette décomposition du nom Panbouquinus évoque moins le Pan Tadeusz (« Monsieur Thadée ») d’Adam Mickiewicz, que la nomenclature linnéenne des singes : Pan Satyrus (aux connotations de bouc), ou Pan Troglodytes, désigne le chimpanzé.
5 Rappel du vers final du poème célèbre de Sully-Prudhomme, Le Vase brisé : « Il est brisé, n’y touchez pas ».
6 Référence probable de Jarry à l’ouvrage de son ami Marcel Schwob, Mœurs des diurnales. Traité de journalisme, paru sous le pseudonyme Loyson-Bridet(Société du Mercure de France, 1903) : à l’exception de sagouin, ces mots font partie de la liste des épithètes injurieuses dont se compose le chapitre « De la controverse politique, dite polémique ». On note les deux paires de rimes.
7 Mots composé gréco-latin, « tout-livre », sur le modèle de Pantagruel et Panurge, et surtout de Pangloss. Autre graphie plus loin.
8 À prendre littéralement, s’il a découvert l’élixir de longue vie, comme le comte de Saint-Germain et Cagliostro.
9 Dernière des sept planètes dans la cosmologie antique.
10 La mention anachronique de l’auto semble rapporter ce fragment à l’Amour maladroit, mais O le voyage est bien dans Le Manoir enchanté.
11 Daumier avait repris le personnage de bandit de Robert Macaire tel qu’il fut créé par Frédérick Lemaître pour en faire, dans ses caricatures du Charivari (1836-1838), Les cent et un Robert Macaire, le type du filou se cachant sous les traits de divers gens d’affaires.
12 Bernard Le Doze émet l’hypothèse que Jarry fait allusion ici à Gaston Danville et à ses affaires : il a rêvé d’établir une ligne régulière de ballons dirigeables entre la France et l’Angleterre…
13 C’est le sens d’aletheia : « découverte », « dévoilement ».
14 Il s’agit donc d’une expérience d’évocation des scènes passées, par le biais du miroir magique. Et la découverte d’un trésor en est le but.
15 La partie entre crochets est la suite du texte donné par Bernard le Doze et ne figure pas sur la page photographiée (OC III, p. 83).
16 Le fragment mis entre crochets est donné par Bernard Le Doze parmi les Membra disjecta. C’est l’un des deux qui ne sont pas sur la photographie du manuscrit de La Dragonne (OC III, p. 80). Le texte se poursuit sur le feuillet suivant (p. 343).
- CLIL theme: 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
- ISBN: 978-2-406-08506-5
- EAN: 9782406085065
- ISSN: 2258-8833
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08506-5.p.0735
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-02-2020
- Language: French