Étude du manuscrit
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes. Tome V
- Pages: 295 to 296
- Collection: Library of Twentieth-Century Literature, n° 25
Étude du manuscrit
En dehors des sources d’inspiration possibles, évoquées précédemment, on ne possède pas d’indices sur la construction du roman, lequel est annoncé tout d’abord, le 15 novembre 1901, dans La Revue Blanche, pou paraître « En 1902 : Le Surmâle ».
La Bibliothèque municipale de Laval en conserve désormais le manuscrit (cote 51754) scanné en mode image et accessible par Internet. Il porte, biffée, la date d’achèvement, le 18 décembre 1901. C’est le manuscrit autographe de premier jet offert à Thadée Natanson le 2 mai 1902. Il a servi à la composition des premières épreuves, comme en témoignent les marques au crayon gras des typographes qui se sont succédé à l’atelier. Henri Bordillon s’est autrefois attaché à un examen, qui est loin d’être superficiel, de ce manuscrit (voir Bibliographie), de telle sorte que nous ne pouvons que résumer ses observations, désormais vérifiables par tous.
Ce manuscrit est rédigé à l’encre noire, sur deux papiers différents. L’examen attentif fait ressortir une première campagne d’écriture, sur 14 chapitres. Puis intervient l’ajout du chapitre ii, « Le cœur ni à gauche ni à droite », qui a pour conséquence de décaler les autres chapitres.
Jarry déplace des fo 72, 73, et 76, qu’il restitue à la relecture, avec la mention « ne pas tenir compte du trait rouge ». Le lecteur observera, parmi les variantes, divers titres de chapitres proposés puis rayés : « Atavisme et enfance de Marcueil ». « Une petite femme haute comme mon zobb » (chap. iv) ; « la salade de museau de tanche » (chap. vi) ; « La feuille de Bathybius » (chap. x) ; « Post coïtum animal triste » (chap. xi).
On peut observer une fin bifide, au fo 336. Marceuil meurt, solitaire, dans d’épouvantables tortures : « Le Surmâle était mort là, tordu avec le fer. » Suit une ligne de pointillés, indiquant l’écoulement du temps, et la reprise du récit, du même geste du scripteur, donnant une information sur le destin d’Ellen, désormais guérie et « casée », si l’on peut dire. L’ultime paragraphe, qui mentionne la fantaisie d’Ellen montant une 296larme du Surmâle en bijou (une larme batavique) vient après l’écriture du mot fin, rayé puis reporté au bas de la page.
Les modifications du texte semblent abondantes, à première vue. Nous les avons indiquées ici en variantes. En fait, elles ne sont pas aussi importantes qu’on le croirait. Il y a la transformation du nom, initialement à particule : « André de Marcueil », en démocratique Marcueil. De ce fait, toutes les phrases indiquant un certain degré de noblesse du héros sont modifiées ou, plus simplement, supprimées. Ainsi, au chap. vi, le gendarme s’adressant à lui le nomme « M. le Comte », appellation aussitôt rayée. On peut gloser sur cette opération, qui atténue toute référence à la marquise de Merteuil, d’une part, aux héros de Sade, d’autre part.
Le jeu onomastique s’exerce au fo 2 : le Gal Sider était Velu ; Henriette Cyne était Hélène Gyne (rayé). Le même fo reporte l’action de septembre 1902 à septembre mille neuf cent vingt, comme si Jarry découvrait l’anticipation du récit au cours de l’écriture même.
On relève une rare atténuation, de taille si l’on peut dire : le Ms, fo 50, porte clairement : « Avec logique, il devint pédéraste, et ne le resta, toutefois, que le temps d’apprendre, par expérience, quel abîme séparait sa force de celle des autres hommes ». En définitive, le mot trop précis est gazé par une périphrase.
Morceau de bravoure constamment cité dans les anthologies, la course des Mille Milles a été retravaillée, ce dont témoignent des ajouts sur un papier de moindre qualité.
Cette esquisse d’analyse appelle une étude approfondie de la génétique du roman selon des méthodes modernes. Le relevé des variantes auquel nous avons procédé systématiquement devrait y aider. Toutefois, il ne faudrait pas se faire d’illusions. Il n’y a pas de biffures qui pourraient nous révéler des sources inconnues, ou des esquisses de récit significatives. Ce ne sont, le plus souvent, que des recopiages de paragraphes entiers, rayés puis rétablis quasi intégralement, à un mot près. Cela en dira long sur le geste de Jarry, sur son sens de l’équilibre phrastique, sur le plaisir poétique et le plaisir musculaire, pour le dire comme André Spire, poète et théoricien contemporain de Jarry.
- CLIL theme: 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
- ISBN: 978-2-406-08506-5
- EAN: 9782406085065
- ISSN: 2258-8833
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08506-5.p.0295
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-02-2020
- Language: French