[Introduction à la première partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Inceste, « race » et pouvoir dans le roman états-unien et sud-africain (xxe-xxie siècles)
- Pages: 57 to 57
- Collection: Literature, History, Politics, n° 59
Perçu depuis le Moyen Âge comme « un crime terrible qui est le propre des tyrans et des ennemis de la chrétienté » (Lette 2016, p. 24), l’inceste est appréhendé à partir de la fin du xixe siècle jusqu’aux années 1960 comme un problème d’ordre public posé par certaines catégories de la population. Dans nombre de discours politiques et scientifiques aux États-Unis et en Afrique du Sud, il devient le démarqueur tacite entre barbares et civilisés, entre nature et culture, entre anormaux et normaux, à l’ère de l’épanouissement du biopouvoir et de la classification des individus. Mais dans le même temps, à la faveur de l’affirmation des nationalismes américain et afrikaner marqués par le racisme, se déploie une rêverie sur l’inceste à travers la vision idéalisée de communautés endogames défendant la « pureté raciale » et « les traditions ». Ce fantasme d’inceste supposé « bon » et « eugénique » sert de norme tacite à des sociétés où le patriarcat blanc raciste consolide ses privilèges par un arsenal de lois et par l’invisibilisation des personnes opprimées et des injustices commises. Ainsi, avant l’émergence des grands mouvements de libération politique et sexuelle des années 1960 et 1970, notamment des luttes féministes, le sujet tabou de l’inceste fut officiellement traité comme le corollaire de vastes problèmes sociaux obsédants tels que la pauvreté et « la préservation de la race ». C’était le cauchemar à combattre, abordé allusivement ou implicitement dans les programmes politiques, les rapports administratifs et le sous-genre littéraire et pseudo-scientifique des « family studies ». Parallèlement, sont déniées la réalité de l’inceste et la culture de l’inceste favorisée par le mensonge, le repli sur soi et la logique d’exclusion. Une vision trompeuse et limitée de l’inceste se répand de la sorte à travers des discours et récits liés à l’hygiénisme social, aux idées eugénistes et aux politiques racistes. Ces fictions idéologiques fonctionnent comme des mythes à caractère raciste et sexiste que s’efforcent de démentir et de critiquer les auteurs et autrices de « contre-fictions » de l’inceste des années 1920 aux années 1960 tels William Faulkner et Ralph Ellison aux États-Unis et Doris Lessing et Bessie Head en Afrique australe.