[Introduction à la quatrième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Francis Ponge, entre singularité et appartenance. Compte tenu des autres et partis pris littéraires
- Pages : 481 à 482
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 116
- Série : Études sur Francis Ponge, n° 4
À la fin des années 1940, deux choses ont changé pour Ponge, qu’il identifie lui-même très clairement dans un court texte écrit a posteriori pour faire le lien entre les sections du Savon rédigées entre 1942 et 1944 et celles écrites à l’été 1946 :
Mais, pendant l’été 1946, où nous retournâmes passer les vacances à Coligny, j’eus le loisir d’y travailler à nouveau. L’on notera qu’alors les circonstances avaient changé – et pour moi aussi, personnellement pour moi.
Beaucoup d’essais sur mon œuvre, à la suite de celui de Sartre, avaient été publiés. Et j’étais, par ailleurs, bien qu’encore sincèrement communiste, sur le point de quitter le Parti de ce nom, dont les directives, dans les matières de ma compétence, ne me convenaient plus. Tout cela est sensible dans les fragments que voici1 :
Ce sectarisme en matière artistique sera également évoqué lors des entretiens avec Philippe Sollers, Ponge déplorant cette « tentative de direction de l’art, de la littérature et des beaux-arts2 », qui l’a amené à sortir du Parti. La deuxième moitié des années 1940 est donc, pour Ponge, une période de transition politique, et plusieurs textes, des écrits sur Braque à La Seine, témoignent et participent de cette évolution.
D’autre part, l’œuvre est devenue publique : « Ce qui a changé, c’est mon existence par rapport aux autres, c’est qu’une œuvre existe, et qu’on en a parlé3 ». Ponge a aspiré, durant toutes ces années passées à écrire sans être lu, sinon à la gloire, du moins à « une certaine communication » à établir avec « quelques lecteurs », à « un minimum de considération4 ». Or cette notoriété nouvelle le gêne, en ce qu’elle repose sur bien des malentendus. Par-delà l’appropriation de son œuvre par les philosophes, ce qui semble déranger l’écrivain est aussi le fait que la plupart des critiques fassent fi des difficultés qu’il a rencontrées, à l’instar de Claude-Edmonde Magny, dans son article « Francis Ponge ou l’homme heureux ». Sans doute est-ce de 482tels contresens qui l’amènent à se sentir en porte-à-faux par rapport à une image, de lui et de son œuvre, qui ne correspond en rien à la réalité de sa pratique, avec une parole durement conquise : « Beaucoup de mal à ne pas prendre au sérieux tout ce que les gens disent de moi dans les critiques », écrit ainsi Ponge dans un feuillet du dossier du Savon, « Cherche l’essence des choses – grand poète etc. . . . . . . . . Ce n’est pas vrai. C’est très difficile. Et je me suis plusieurs fois enfermé5. » La graphie du « ce n’est pas vrai », en gros caractères et d’un trait plus appuyé, donne bien à voir, plus encore que sa colère, le désarroi du poète face à ces propos dans lesquels il ne se reconnaît pas. Et de conclure, dans une réponse in absentia à une lettre de Paulhan qui venait constater la célébrité nouvelle de son protégé : « Je ne crois pas que ce soit très justement que je sois devenu célèbre. Je ne suis qu’un pauvre type6 ». Pour retrouver une forme d’apaisement et ne pas s’enfermer dans ce mépris de soi créé par un trop grand décalage entre les discours critiques et la réalité de l’œuvre, Ponge s’efforce de dissiper les contre-sens et les malentendus : dans plusieurs textes, et même à l’oral, avec la « Tentative orale » de 1947, il s’explique sur son œuvre et sur ses intentions. Les années qui suivent la première vague de réception critique correspondent ainsi à une période d’intense production métapoétique, et également à une période d’intense publication, puisqu’il s’agit, pour l’écrivain, de donner à voir son parcours depuis l’origine, afin de montrer, notamment, toutes les difficultés sur lesquelles la parole a été conquise.
En s’éloignant du Parti et en se secouant de son appartenance, Ponge entend « prendre son propre parti7 », mais il lui faut aussi parvenir à rendre publique cette parole singulière. C’est cette période de transition politique et poétique, qui conduira à l’écriture du Malherbe, que nous voudrions interroger : transition poétique, avec le glissement de plus en plus affirmé des textes clos, de la préférence accordée au solide, au primat donné au mouvement et à l’ouverture ; transition politique, marquée par la distanciation progressive avec le PC, qui n’entraîne pas pour autant un retrait des affaires de la cité. De la communauté française des textes sur Braque, en laquelle Ponge place bien des espoirs, à l’adresse à un public restreint assumée dans le Pour un Malherbe, quel « nous » l’écrivain tend-il à construire ?
1 Le Savon, OC II, p. 381.
2 Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, op. cit., p. 130.
3 « My creative method », OC I, p. 519.
4 « Carnet Bois de Rose », op. cit., page 31 : « […] et enfin si je n’avais grand besoin, grande soif non peut-être de gloire du moins d’une certaine communication à s’établir entre quelques lecteurs et moi, d’un minimum de considération… »
5 [Feuillet du dossier du « Savon »], OC I, p. 842.
6 Ibid.
7 « Première et seconde méditation nocturnes », OC II, p. 1190.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14425-0
- EAN : 9782406144250
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14425-0.p.0481
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 22/03/2023
- Langue : Français