Préface
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Formes, emplois et évolution du livret de ballet de la Renaissance à nos jours
- Auteur : Guizerix (Jean)
- Pages : 7 à 9
- Collection : Rencontres, n° 521
Article de collectif : 1/23 Suivant
Préface
Qu’est-ce qu’un argument de ballet ?
Des images poétiques qui traversent l’esprit de celui qui le rêve ?
On pourrait répondre :
Un moyen de raconter une histoire, de dire des états de corps, des visions d’espaces, des propositions de lumières, des temps rythmés par des phrases décrivant une situation, ou bien simplement une source inspiratrice du geste, du flux sanguin, des élans comme des tensions du corps qui appartiennent à celui qui, en prenant connaissance, l’incorpore et grâce à ses capacités du non-dit et par son engagement physique, offre la possibilité de restituer sous la forme d’une danse, ce dit « argument ».
Mais, il m’est permis d’imaginer qu’aucun poète ou écrivain, aucun musicien, aucun peintre ou sculpteur n’ait eu dans ses écrits, préalablement à un « argument de ballet », l’idée de ce que le corps sût rendre de sa pensée.
Pour exemple, la question des œuvres de Bach portant des titres de danses baroques – tels : menuet, chaconne, allemande ou gigue, qui s’est toujours posée aux chercheurs afin de savoir si ces pièces étaient réellement destinées à la Danse ou si ce génial compositeur s’offrait l’inspiration d’un jeu avec le rythme propre à ces différents types de danse, avec la construction imaginaire d’une architecture purement d’ordre mental.
Supposons, pour nous laisser une liberté de penser, que peu lui importait la mise en espace et en mouvement de sa musique.
Lors des riches rencontres de ce colloque sur l’argument de ballet nous avons trouvé matière à exposition, à réflexion, à confrontation avec le réel d’un écrit face à sa traduction corporelle.
Celui qui, après la lecture du dit « argument », a su s’interroger sur le sens, les sens avec lesquels donner vie, livrer sa transcription gestuelle à notre regard par le biais de l’espace et du temps, c’est-à-dire de la Danse, a été représenté et honoré lors des différents propos exposés.
8Notons que ce montreur n’a jamais cherché à être le démontreur ; il ne prétend nullement « argumenter » afin de rendre visible l’imaginaire d’un être originellement « penseur » et « auteur » dont il est le simple ou complexe « metteur en temps et en espace ». Les audaces écrites sont-elles désirées dans une quelque autre transcription ?
« Geste de la pensée », la Danse ne nous dit que par des chemins détournés la force d’un engagement.
L’argument de ballet n’est qu’une inspiration afin de faire surgir, sous nos yeux, ce que le chorégraphe éprouve en le lisant. Puis en l’incarnant, en le trahissant très subjectivement, en le détournant peut-être sciemment ou selon les interprètes à qui il confie sa lecture.
L’écriture sur la page se métamorphose en écriture qui n’a de visibilité, de lisibilité que grâce à certains mouvements du ou des corps.
Si tant de ces « argumenteurs » nous livrent leur imaginaire en couchant sur la page des mots, des phrases, des images, des irréalités savantes, des ordres, des devoirs, quel bonheur de vouloir, pouvoir ou savoir les traduire ou les trahir par le corps !
La plume du poète et le destin qu’il offre au lecteur par son image devient plume en « l’aire ».
Nos mots, notre langage de danseurs sont faits de parcours, d’élans, d’immobilités peut-être, de dessins dans l’espace de jeux en lien avec le rythme, une musique ou pas, un temps fixé ou non, et cela rendu matériellement par des corps qui impriment notre regard, nos sens kinesthésiques avec précision et l’émotion espérée.
La Danse, se privant de mots, nous autorise toutes les extravagances possibles, elle devient un langage détaché de tous droits de traduction, de toute justesse, de toute exactitude. Elle hérite de l’imagination, du phantasme du chorégraphe.
Nous pouvons dire et donner lecture d’un « argument de ballet » par un engagement physique né de toutes nos audaces, nos forces, nos doutes et nos passions, et cela, afin que, par son seul et propre regard, le spectateur soit ou troublé ou ému ou déçu mais à qui notre Danse s’adresse dans la plus vive liberté.
Et puis une Danse sans argument n’existe-t-elle pas ? N’oublions jamais Merce Cunningham ou tant d’autres.
L’argument de ballet ne sert peut-être à rien ?
À voir ! ! ! (Si je peux me permettre ce jeu de mot incongru.)
9Enfin, quelle plus belle et plus poétique définition de l’art du danseur que celle que René Char1 nous livre !
« Vigueur de ceux qui subjuguent la fortune de l’air et l’injectent à leur énigme ! »
Ou encore cette définition de Stéphane Mallarmé à propos d’un ballet : « Poème détaché de tout l’appareil du scribe2. »
Alors se pose toujours la question : qu’est-ce qu’un argument de ballet ? Un pré-texte à rêver !
Peut-être à danser ?
Jean Guizerix
Août 2019
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-12004-9
- EAN : 9782406120049
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12004-9.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/11/2021
- Langue : Français