Les services en Chine, une approche statistique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : European Review of Service Economics and Management Revue européenne d’économie et management des services
2017 – 2, n° 4. varia - Auteur : Delaunay (Jean-Claude)
- Pages : 103 à 127
- Revue : Revue Européenne d’Économie et Management des Services
Les Services en Chine,
Une approche statistique
Jean-Claude Delaunay1
Professeur honoraire
Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Introduction
La littérature sur les services en Chine est pauvre tant au plan théorique que statistique. Mais cette situation va devoir changer rapidement. À peine ce pays est-il en train de terminer les premières phases de son développement industriel qu’il lui faut réaliser l’intégration des services aux entreprises à son industrie et la révolution technologique de son secteur tertiaire. Les 10e et 11e plans de 5 ans ont commencé d’y faire mention. On pouvait lire, par exemple dans le 11e plan, que « nous allons promouvoir le développement des services de façon à optimiser la structure industrielle et à améliorer nos priorités stratégiques. Pour cela, nous allons créer un environnement institutionnel et politique favorable. Nous allons promouvoir le développement de nouveaux modèles d’entreprise. Nous allons insister sur de nouveaux objectifs pour le tourisme. Nous allons améliorer l’usage d’internet et, de manière continue, accroître la qualité et les objectifs de l’industrie des services ». Mais la politique des services en Chine fut surtout développée à partir du 12e plan de 5 ans (2011-2015). Elle a été abondamment reprise dans le 13e plan de 5 ans (2016-2020).
104Ces besoins conduisent à voir combien le repérage des emplois de service en Chine et des différents aspects de leur fonctionnement est encore approximatif. Des recensements ont lieu à propos des entreprises, et notamment celles des services, les derniers en date ayant été effectués en 2003, 2010 et 2014. Pour l’instant, cependant, il est difficile de savoir « où l’on en est vraiment », en Chine, avec ces activités. L’article publié par Molnar et Wang en 2015 est sans doute l’amorce d’un travail important mais il est loin, en l’état, de combler cette lacune2 (Molnar and Wang, 2015). Aussi, sans attendre que les équipes compétentes de l’OCDE ou d’autres lieux de recherche aient établi les séries nécessaires, il a semblé utile et possible d’utiliser certaines des statistiques existantes et d’en faire le bilan. Tel est l’objet de cette publication.
Le Bureau national de la statistique en Chine porte sur ses épaules une responsabilité à la fois immense, comme la Chine, et d’origine récente. D’une part, il établit des séries à partir d’informations fournies, selon la technique du reporting, par des entreprises et des organismes de toutes sortes. Il est alors dépendant de la compétence des personnels chargés d’établir et de transmettre ces « rapports », ainsi que de l’organisation de leur travail. Les annuaires (China Statistical Yearbook) en sont le résultat principal. D’autre part, il met en œuvre des recensements et des enquêtes lui permettant de fournir aux gouvernements, central et provinciaux, des données susceptibles de contrôler mais aussi de compléter celles découlant des rapports. Le présent article reflète cette dualité.
Sa première partie correspond à l’exploitation, pour l’année 2014, des informations structurelles sur les services que l’on peut déduire de la publication des annuaires. Ce sont des informations diversifiées et de grande importance (emploi, valeur ajoutée, investissements, salaires, types d’entreprises). Mais elles concernent seulement les services urbains, ceux-ci ne correspondant, par définition, qu’à une partie des services en Chine. Dans sa deuxième partie, je me suis efforcé d’obtenir une évaluation « Chine entière » de ces activités. Je n’ai toutefois pu le faire que pour l’emploi, et cela au prix d’hypothèses parfois « héroïques ». Les conclusions qui s’en déduisent sont cependant intéressantes.
105I. Une approche structurelle des services urbains
Cette première partie est une présentation des activités tertiaires urbaines en Chine, réalisée à partir des annuaires publiés par le BNS de 2015 (données 2014) et diffusés en chinois et en anglais. Le tableau 1 reprend la nomenclature courante des services et pour chacun des 14 postes de cette nomenclature, il en indique le poids, en pourcentages, dans la rubrique considérée.
Secteurs |
Emplois |
Valeur ajoutée (2013) |
Salaire moyen annuel = 100 |
Investis-sements |
Part du privé dans l’emploi du secteur |
Part du privé dans l’emploi privé des services |
Commerces, gros et détail |
10.1 % |
20.6 % |
83 |
5,5 % |
84.8 % |
23.3 % |
Transport, stockage et Poste |
9.8 % |
9.5 % |
94 |
15,1 % |
52.1 % |
13.9 % |
Hôtels et restauration |
3.3 % |
3.7 % |
56 |
2.2 % |
83.2 % |
7.5 % |
Information, software et technologies de l’information |
3.8 % |
5.0 % |
150 |
1.5 % |
88.6 % |
9.2 % |
Intermédiation financière |
6.4 % |
15.1 % |
161 |
0.5 % |
65.9 % |
11.5 % |
Services immobiliers |
4.6 % |
13.2 % |
83 |
44.4 % |
88.7 % |
11.0 % |
Leasing et services aux entreprises |
5.1 % |
4.9 % |
100 |
2.9 % |
64.0 % |
8.9 % |
Recherche scientifique et technique |
4.6 % |
3.6 % |
123 |
1.5 % |
43.6 % |
5.5 % |
Management de l’eau, environnement |
3.0 % |
1.1 % |
58 |
16.6 % |
17.1 % |
1.4 % |
106
Services aux ménages, réparation et autres services |
0.9 % |
3.2 % |
62 |
0.8 % |
62.7 % |
1.4 % |
Éducation |
19.6 % |
6.8 % |
84 |
2.4 % |
5.9 % |
3.2 % |
Santé, services sociaux |
9.2 % |
4.0 % |
94 |
1.4 % |
6.4 % |
1.6 % |
Culture, sport, loisirs |
1.6 % |
1.4 % |
96 |
2.2 % |
25.6 % |
1.2 % |
Administration |
18.1 % |
7.9 % |
79 |
2.6 % |
0.8 % |
0.3 % |
Montants |
8 828.6 (1) |
272 295.2 (2) |
67 130 |
286 727.3 (2) |
36.6 % |
3 233.4 (1) |
Tab. 1 – Structure sectorielle des services urbains par grandes rubriques.
(1) Unité d’emploi = 10000 ;
(2) Unité = 100 millions de yuans. La valeur ajoutée est évaluée avec retard par rapport aux autres données.
Ce tableau structurel permet quelques commentaires. I.1 Les énoncés statistiques, les incohérences
On remarque, dans le tableau 1, que les investissements de tous les secteurs des services sont supérieurs à la valeur ajoutée totale de ces secteurs, ce qui paraît impossible. Un élément d’explication tient à ce que la valeur ajoutée est publiée avec retard. Ici, la valeur ajoutée est celle de 2013 et les investissements sont ceux de 2014. Mais il faut aussi tenir compte des incohérences qui peuvent se manifester dans cette publication, issue, par la technique du reporting, de nombreuses sources, non nécessairement coordonnées. Les annuaires comportent 11 chapitres, qu’il ne faut pas confondre avec les postes de la nomenclature des services. Ces chapitres sont, dans l’Annuaire 2015 : 1) L’Immobilier, 2) Les Commerces de Gros et de Détails, 3) L’Hôtellerie, la Restauration et le Tourisme, 4) Les Transports et les Télécommunications, La Poste, 5) L’industrie du Software, 6) La Banque et la Finance, les Assurances, 7) La Recherche, Les Activités Scientifiques, la Technologie, 8) L’Enseignement, 9) La Santé publique et les Services sociaux, 10) La Culture et le Sport, 11) L’Administration publique, la 107Sécurité sociale et les Organismes sociaux. Ces chapitres ne sont pas les postes d’une nomenclature. Ce sont comme les chapitres d’un livre à l’intérieur desquels on trouverait un grand nombre d’informations. Le chapitre « Transports et Télécommunications » fournit, par exemple, le détail des transports : ferroviaires, routiers, urbains, fluviaux, aériens, par gazoduc et pipeline. Comme on pourra le vérifier, le tableau 1 contient 14 postes de nomenclature. La lecture de ces nomenclatures, leurs ajustements successifs, permettent de percevoir l’influence du SNA (Système de Comptabilité Nationale) de 1993 dans cette présentation. Mais il est certainement très difficile d’assurer la cohérence de toutes ces informations. Les statisticiens chinois, pour ce qui concerne les services, semblent en être encore à la phase de l’exploration. Depuis 2013, un département de l’Académie des Sciences sociales de Chine publie, en chinois, un rapport annuel sur les services. Mais cette publication est encore située très en dessous des besoins.
I.2 La taille des données
On remarque tout d’abord la taille, par exemple en emplois, des secteurs considérés. Comme on le verra dans la deuxième partie, les données qui mesurent ici l’emploi des services en milieu urbain sont sous-estimées. Il faudrait, d’ailleurs, préciser les notions statistiques d’urbain et de rural, qui sont spécifiques de ce pays. Mais sans entrer dans un trop grand détail et si l’on s’en tient aux informations fournies par les annuaires, on note déjà leur importance quantitative. Les emplois dans les services urbains chinois en 2014 (89 millions) auraient été légèrement supérieurs à la population allemande actuelle (82 millions). Par rapport aux habitudes européennes de pensée, en Chine tout est grand. Cette remarque, banale, doit être conservée à l’esprit en permanence.
I.3 Emploi et valeur ajoutée
La question est posée de savoir comment analyser cet ensemble de données. Pour ce faire, on peut partir des proportions relatives à l’emploi. La figure 1 montre un résultat auquel on pouvait s’attendre. Dans les services collectifs, très largement publics, en particulier ceux de l’éducation et de l’administration stricto sensu, les pourcentages obtenus pour l’emploi 108sont supérieurs à ceux des valeurs ajoutées. Ces secteurs totalisent 52 % de l’emploi des services urbains et 21 % de la valeur ajoutée.
C’est le contraire pour les entreprises à dominante privée (cf. figure 2). Ces secteurs totalisent 48 % de l’emploi et 79 % de la valeur ajoutée.
De manière générale, ces données suggèrent que les services urbains chinois sont majoritairement publics en ce qui concerne l’emploi (63 %) et majoritairement privés en ce qui concerne la valeur ajoutée. En réalité, la situation est différente, comme je le montrerai dans la deuxième partie.
Fig. 1 – Emploi et Valeur ajoutée dans les secteurs à dominante publique.
Fig. 2 – Emploi et Valeur ajoutée dans les secteurs à dominante privée.
109I.4 Valeur ajoutée et Investissements
On peut se demander si les investissements réalisés par les secteurs sont proportionnels à leur part dans la valeur ajoutée.
La figure 3 indique l’existence de 3 secteurs gros investisseurs : L’immobilier, les Transports, la Gestion de l’Eau. Ces 3 secteurs totalisent 76 % des investissements et 24 % de la valeur ajoutée. Inversement, les secteurs des commerces et de la finance, qui génèrent 36 % de la valeur ajoutée, réalisent seulement 6 % des investissements. À première vue, il n’y a donc pas de relation entre la part dans la valeur ajoutée et la part dans l’investissement. Cette figure fait cependant ressortir que les investissements recouvrent deux sortes de biens : 1) les biens fonciers, qui sont des conditions nécessaires du fonctionnement des activités, mais dont l’accumulation peut relever de la spéculation, 2) les biens relatifs aux fonctions de production. Il faudrait donc analyser de plus près la composition de ces biens d’investissement et leurs finalités.
Fig. 3 – Valeur ajoutée et Investissements
dans les secteurs des services urbains.
I.5 Les salaires moyens
Les statistiques chinoises relatives aux salaires sont l’objet de critiques que l’on peut résumer de la façon suivante. D’une part, elles fournissent une image moyenne plutôt liée à la partie stable de la main-d’œuvre, 110et ne tiennent pas compte du travail temporaire des migrants agricoles, pourtant nombreux. D’autre part, elles n’enregistrent pas un certain nombre d’avantages pouvant accompagner le salaire (paiement des assurances par l’entreprise, attribution de crédits à des taux préférentiels, primes, salaires de fin d’année, salaires en nature). Elles n’enregistrent pas davantage certains des « inconvénients » de la condition salariale actuelle en Chine : salaires non payés, temps de travail hors norme légale et non rémunéré. Sous ces réserves, on peut admettre qu’elles donnent une indication sur « la productivité marginale » des salariés du « premier marché » et sur leur qualification relative.
La colonne « salaires moyens » du tableau 1 est issue des données publiées dans l’annuaire 2015 sous la rubrique des salaires par secteurs (document 4-14). Il s’agit des salaires annuels moyens versés dans les unités urbaines, même si cette caractéristique n’est pas toujours mentionnée. J’ai moi-même calculé le salaire moyen de l’ensemble des services en prenant la valeur ajoutée des secteurs comme coefficients de pondération, le choix de ces coefficients ayant peu d’incidence sur le résultat final. Il en ressort que les services, globalement considérés, ont un salaire moyen supérieur à celui de l’agriculture, des mines, de l’industrie et de la construction. On en déduit que la qualification moyenne du tertiaire est supérieure à celle des autres grands secteurs3.
La figure 4 montre l’étalement des salaires moyens annuels dans le secteur des services (écart de 1 à 3).
Quatre secteurs de services ont un salaire moyen supérieur au salaire moyen des services. Il s’agit de la finance, des métiers de l’information et de la communication, de la recherche scientifique et des services aux entreprises (28,6 % de la valeur ajoutée et 14,9 % de l’emploi urbain et rural des services). Trois secteurs sont très en dessous de ce niveau moyen : les services aux ménages, la gestion de l’eau et l’hôtellerie-restauration (8,0 % de cette valeur ajoutée et 15,9 % de l’emploi urbain et rural correspondant).
111Fig. 4 – Salaire annuel moyen 2014 dans les services en Chine (unité = yuan) (Source : document 4-14, BNS).
Les sept secteurs restants (63,4 % de la valeur ajoutée et 69,2 % de l’emploi urbain et rural des services) ont des salaires moyens inférieurs mais néanmoins assez proches du salaire moyen des services. Dans ce groupe, on note la présence du secteur immobilier. Ce secteur est un secteur à forte valeur ajoutée mais, à la différence des employés de banque et des assurances, ses salariés ont une qualification de vendeurs. Ils (elles) seraient proches des commerces traditionnels.
I.6 Services et statut juridique des entreprises
Cet examen a été prolongé par la prise en compte du « statut juridique des entreprises de services ». Le critère utilisé pour connaître l’importance respective des secteurs public et privé, le seul dont on dispose dans les publications, est l’emploi.
I.6.1. Comparaison globale entre secteur secondaire et secteur tertiaire
Le secteur secondaire (mines, eau gaz et électricité, industries manufacturières, construction) est très majoritairement privé au plan de l’emploi (89 % en 2014, et donc 11 % pour l’emploi public). Ces chiffres concernent l’emploi urbain. Mais la prise en compte de l’emploi industriel rural renforcerait encore ce résultat. La politique de réforme de l’économie s’est traduite, dans l’industrie, par la privatisation d’un grand nombre d’entreprises publiques et le développement parallèle d’entreprises privées de toutes tailles.
112En revanche, le secteur tertiaire, qui a bien été, lui aussi, affecté par la réforme et le droit pour les entreprises privées d’y développer leur activité, serait majoritairement public. Il inclut, il est vrai, l’enseignement et l’administration générale. Toutefois, le statut public y demeurerait dominant. En 2014, 63 % de l’emploi urbain des services en relevaient (37 % pour l’emploi privé urbain dans les services). Dans l’ensemble de l’économie, le salariat urbain était, cette même année, majoritairement de statut privé (60 %).
I.6.2. Le statut privé au sein du secteur tertiaire urbain
La figure 5, ci-après, représente, de façon ordonnée, les informations figurant dans la colonne 3 du tableau 1. Les transports (52,1 %) font la séparation entre les deux groupes de statut que l’on distingue au sein des services. Le profil observé est à peu près normal pour des catégories de services généralement considérés comme « services marchands ».
Fig. 5 – Part (%) des activités de services (emploi urbain)
relevant du statut privé, en 2014.
Telles sont les principales informations structurelles que l’on peut déduire des annuaires. L’emploi des services urbains est 89 millions en 2014. Cet emploi semble majoritairement public, le privé représentant environ le tiers de ces services. C’est dans les secteurs privés qu’est réalisée la plus grande part de la valeur ajoutée, ce qui n’est pas surprenant au 113regard des contraintes sociales, notamment de coût pour les usagers, que doivent respecter les secteurs publics. Enfin, on note que les services, en Chine comme ailleurs, investissent. Cela dit le bloc des investissements mériterait une analyse plus fine que celle que l’on a produite, dans la mesure où cette rubrique cumule des investissements fonciers et des investissements techniques proprement dits.
Le problème que l’on rencontre au terme de cette analyse est son caractère très incomplet. En effet, d’un côté, les annuaires publient une évaluation de la population tertiaire, égale, en 2014, à 296,4 millions. D’un autre côté, on dispose, comme on vient de le voir, d’un échantillon de 89 millions d’emplois urbains de service, à partir desquels on s’estime en droit de déduire la structure des emplois (ou d’autres caractéristiques) dans les services en Chine. L’écart entre ces deux populations n’est-il pas trop important pour que l’on puisse se satisfaire de cette image structurelle ? Comment expliquer cet écart ? Quelles conclusions tirer de cette explication relativement à la structure des services en Chine ?
I. Une méthode pour établir la structure
des emplois de services « Chine entière »
Pour évaluer l’importance du tertiaire dans l’économie chinoise et son évolution, sous l’angle de l’emploi, on utilise le plus souvent les chiffres globaux relatifs au secteur tertiaire, publiés chaque année par le BNS sous la rubrique « Emplois et salaires » (tableaux 4-1 et 4-3). Ces chiffres ont une portée nationale et sont valables pour la « Chine entière ». Par ailleurs, on reprend les données relatives à l’emploi urbain de services pour en appréhender la structure en %, ce qui correspond, en 2015 (données 2014) au document 4-4 de l’annuaire (China Statistical Yearbook, Nombre de personnes employées dans les unités urbaines à la fin de l’année, par statut d’entreprises et par secteurs en détail, pour l’année 2014).
114Fig. 6 – Écart entre les emplois tertiaires de la Chine
et son emploi tertiaire urbain.
Cette approche présente un important défaut, venant de la différence entre le total des emplois urbains de services (document 4-4) et le total de l’emploi tertiaire chinois (document 4-1). Cette différence est d’environ 225 millions de personnes en 2014, ce qui représente 72 % du total de l’emploi tertiaire du document 4-1. Il est donc possible que la structure urbaine des services soit très différente de la structure « Chine entière » (urbaine et rurale) de ces activités. La figure 6 montre que cet écart est permanent et serait d’environ 70 %. La deuxième partie de ce texte indique comment il est possible « d’expliquer » cette différence et ce qui s’en déduit pour la structure des services en Chine.
II.1. Exposé de la méthode
Cette méthode met en œuvre 3 corrections, de qualités inégales. Les deux premières ont été rendues possibles grâce à la publication, depuis 2003, de 2 séries statistiques permettant, sous certaines hypothèses, d’expliquer environ 60 % de cet écart. Ces deux corrections sont loin d’être parfaites. Du moins reposent-elles sur des données « objectives », provenant du BNS lui-même. La 3e correction ne manque pas de fondements rationnels. Mais elle est beaucoup plus discutable que les précédentes. En voici l’exposé successif.
1151. On dispose, depuis 2003, d’une évaluation de l’emploi total et de l’emploi urbain des entreprises privées et des microentreprises privées, cela par secteurs d’activités. Théoriquement, la différence entre ces deux statistiques devrait fournir une évaluation de l’emploi rural des entreprises privées dans le domaine des services. Il est intéressant de noter que les entreprises privées concernées sont les entreprises ordinaires mais aussi les petites et très petites entreprises désignées comme celles des « self–employed ». On dispose donc, grâce à ces tableaux d’un élément important d’explication de la différence mentionnée ci-dessus, les statistiques structurelles utilisées étant des statistiques urbaines.
Voici ces données pour 2014, extraites des documents 4-6 et 4-7 de l’annuaire 2015 (tableau 2). Par différence, on obtient une évaluation de l’emploi rural privé total, par grands secteurs de services, soit 42 millions d’emplois. Cela expliquerait 19 % de l’écart et pourrait correspondre à l’emploi des Entreprises de Bourgs et de Villages (acronyme anglais : TVE) appartenant aux secteurs des services.
Secteurs de services |
Emploi total privé |
Emploi urbain total privé |
Emploi rural total privé |
Commerce gros et détail |
10 131.8 |
7 198.5 |
2 933.3 |
Transports, Poste |
629.6 |
412.4 |
217.2 |
Hôtels, restaurants |
1 547.9 |
1 179.5 |
368.4 |
Services aux entreprises |
1 598.5 |
1 271.3 |
327.2 |
Services aux ménages |
1 400.4 |
1 026.4 |
374.0 |
Total |
15 308.2 |
11 088.1 |
4 220.1 |
Tab. 2 – L’emploi rural et urbain des entreprises privées et des microentreprises
de services en 2014 (unité = 10.000) (sources : annuaire 2015, doc. 4-6 et 4-7).
2. La deuxième correction repose sur l’hypothèse que l’emploi urbain des services du document 4-4 (celui utilisé dans le cadre des analyses structurelles classiques) ne contiendrait aucun emploi de microentreprises de services. Les emplois de ce document seraient analysés par statut d’entreprises, en 116distinguant les emplois du secteur privé et ceux du secteur public et coopératif, mais les « self-employed » en seraient absents, ce qui est très plausible.
Cela dit, puisque depuis 2003, on connaît les emplois urbains du secteur privé, self-employed inclus, il suffirait de déduire de ces données les emplois du secteur privé des documents 4-4, supposés hors « self-employed », pour obtenir une évaluation des microentreprises privées par secteurs de services. Cette démarche est retracée dans le tableau 3.
Secteurs |
Emploi privé urbain total (doc. 4-7) |
Emploi urbain des entreprises privées (doc. 4-4) |
Emploi urbain |
Commerce gros et detail |
7 198.5 |
753.6 |
6 444.9 |
Transports |
412.4 |
448.9 |
(-36.5) 0 |
Hôtels, restaurants |
1 179.5 |
240.8 |
938.7 |
Services aux entreprises |
1 271.3 |
287.4 |
983.9 |
Services aux ménages |
1 026.4 |
47.3 |
979.1 |
Total |
11 088.1 |
1 329.1 |
9 346.6 |
Tab. 3 – Évaluation de l’emploi des microentreprises urbaines
de service en 2014 (u=10000).
Source : annuaire 2015, documents 4-7 et 4-4.
En 2014, le poste transport est manifestement l’objet d’une incohérence. En effet, si l’on en croit les statistiques, l’emploi urbain des entreprises privées de transports (document 4-4) serait supérieur à l’emploi privé urbain total (microentreprises inclues, document-4-7) de ce même secteur, ce qui n’est pas possible. Comme on le voit sur cet exemple, les corrections révèlent certaines incohérences. J’ai donc retenu, pour l’année 2014, de n’affecter aucune microentreprise dans l’emploi privé du secteur des transports du document 4-4. Le total de l’emploi des microentreprises du tableau 3 (9346.6) est obtenu avec un emploi égal à 0 pour les microentreprises des transports. Cela étant dit, cette deuxième « correction » est importante puisqu’elle expliquerait 42 % de l’écart que l’on cherche à interpréter.
117Une fois effectuées ces deux « corrections », il resterait à expliquer 39 % de l’écart, soit environ 90 millions d’emplois. C’est ici que commencent les hypothèses qui, bien loin d’être absurdes, sont néanmoins héroïques. Je retiens pour ma part l’idée selon laquelle l’écart résiduel serait le résultat des migrations rurales. Celles-ci ne se dirigeraient pas uniquement vers l’industrie ou la construction. Elles trouveraient également un débouché dans les services, dans certaines qualifications des secteurs de services, et cela, pour environ la moitié de ces migrations annuelles.
Cette troisième « correction » relève de ce qu’on nomme « l’effet-poubelle ». Sa définition ressemble à celle de la culture. C’est ce qui reste à expliquer quand on a tout expliqué. La qualité de cette évaluation dépend de toutes les corrections effectuées précédemment, mais aussi de la qualité de l’estimation globale sur laquelle elle repose.
Le total de l’ajustement étant de 225 millions, il en ressort que le nombre de migrants travaillant dans les services aurait été, globalement, en 2014, de 89 millions (42 + 94 + 89 = 225). À supposer que cette hypothèse soit fondée, la plus grande difficulté est de les répartir par secteur. J’ai choisi de répartir ces 89,5 millions proportionnellement au total de l’emploi urbain des entreprises privées et des microentreprises (nécessairement privées) de services. Un certain nombre d’entreprises publiques emploient des migrants de manière certainement irrégulière. J’ai cependant admis implicitement que cet emploi était plus difficile pour elles à réaliser que pour les entreprises privées. C’est une clé de répartition très discutable. Elle a le mérite d’être « objective » et simple. Voici les résultats auxquels elle conduit (tableau 4).
Secteurs |
Emploi privé urbain des services |
Pourcentages |
Répartition des migrants (millions) |
Commerce gros et détail |
7 198.5 |
64.9 % |
58.1 |
Transports, Poste |
412.4 |
3.7 % |
3.3 |
Hôtels, Restaurants |
1 179.5 |
10.6 % |
9.5 |
Services aux Entreprises |
1 271.3 |
11.5 % |
10.3 |
Services aux Ménages |
1 026.4 |
9.3 % |
8.3 |
Total |
11 088.1 |
100.0 % |
89.5 |
Tab. 4 – Évaluation du nombre de travailleurs migrants
par grands secteurs des services.
Comme on peut le constater, cette clé de répartition a pour effet d’attribuer 75 % de la population migrante supposée aux commerces ainsi qu’à l’hôtellerie et à la restauration, ce qui recouvre une intuition générale. Ce n’est toutefois qu’un pis-aller en attendant de nouvelles informations statistiques.
Telles sont les 3 corrections que j’ai introduites relativement à la structure des services issues des statistiques urbaines et analysées dans la première partie. Le résultat de ces corrections est rassemblé dans le tableau 5.
Secteurs de services |
Personnes employées (u= 10000) (document 4-4, unités urbaines) (col.1) |
% dans le total des emplois urbains de services (col.2) |
Emploi rural de services des entreprises privées et des microentreprises (col.3) |
Emploi urbain de services des micro-entreprises (col.4) |
Emploi migrants dans des secteurs urbains de services (col.5) |
Emplois urbains et ruraux de services (col.6) (1+3+4+5) |
% dans le total des emplois de services Chine entière (col. 7) |
Commerces gros et détail |
888.6 |
10.1 % |
2 933.3 |
6444.9 |
5 810.0 |
16 076.8 |
51.3 % |
Transport, stockage et Poste |
861.4 |
9.8 % |
217.2 |
- |
330.0 |
1 408.6 |
4.5 % |
Hôtels et restauration |
289.3 |
3.3 % |
368.4 |
938.7 |
950.0 |
2 546.4 |
8.1 % |
Information, software et technologies de l’information |
336.3 |
3.8 % |
- |
- |
- |
336.3 |
1.1 % |
Intermédiation financière |
566.3 |
6.4 % |
- |
- |
- |
566.3 |
1.8 % |
Services immobiliers |
402.2 |
4.6 % |
- |
- |
- |
402.2 |
1.3 % |
Leasing et services aux entreprises |
449.4 |
5.1 % |
327.2 |
983.9 |
1 030.0 |
2 790.5 |
8.9 % |
Recherche scientifique et technique |
408.0 |
4.6 % |
- |
- |
- |
408.0 |
1.3 % |
119
Management de l’eau, environnement |
269.1 |
3.0 % |
- |
- |
- |
269.1 |
0.9 % |
Services aux ménages, réparation et autres services |
75.4 |
0.9 % |
374.0 |
979.1 |
830.0 |
2 258.5 |
7.2 % |
Éducation |
1 727.3 |
19.6 % |
- |
- |
- |
1 727.3 |
5.1 % |
Santé et services sociaux |
810.4 |
9.2 % |
- |
- |
- |
810.4 |
2.6 % |
Culture, sport et loisirs |
145.5 |
1.6 % |
- |
- |
- |
145.5 |
0.5 % |
Administration publique |
1 599.0 |
18.1 % |
- |
- |
- |
1 599.0 |
5.1 % |
Total de la colonne |
8 828.2 |
100.0 % |
4 220.1 |
9 346.6 |
8 950.0 |
31 344.9 |
|
Ajustement par rapport au total tertiaire |
22 516.7 |
71.8 % |
- |
- |
- |
0.0 |
Tab. 5 – Évaluation des emplois en fin d’année
dans les services (Chine, 2014).
Les « corrections » introduites modifient l’image de la structure des services que l’on peut déduire des seuls tableaux relatifs aux services urbains. Les « déformations en plus » sont celles portant sur les commerces, accessoirement sur les services aux ménages, l’hôtellerie, les services aux entreprises. Les « déformations en moins » portent principalement sur les services collectifs et l’intermédiation financière.
Secteurs de services |
Structure des emplois urbains de services tableau 1 (%) (col.2) |
Structure après « corrections » (%) (Chine entière et toutes entreprises) (col.3) |
Effet des « corrections » (points de %) (col.4) |
Commerces gros et détail |
10.1 % |
51,3 % |
+ 41.2 |
Transport, stockage et Poste |
9.8 % |
4,5 % |
- 5,3 |
120
Hôtels et restauration |
3.3 % |
8,1 % |
+ 4,8 |
Transmission de l’information, software et technologies de l’information |
3.8 % |
1.1 % |
- 2,7 |
Intermédiation financière |
6.4 % |
1.8 % |
- 4.6 |
Services immobiliers |
4.6 % |
1.3 % |
- 3,3 |
Leasing et services aux entreprises |
5.1 % |
8.9 % |
+ 3,8 |
Services de la recherche scientifique et technique |
4.6 % |
1.3 % |
- 3.3 |
Management de l’eau, environnement |
3.0 % |
0.9 % |
- 2,1 |
Services aux ménages, réparation et autres services |
0.9 % |
7.2 % |
+ 6,3 |
Éducation |
19.5 % |
5.5 % |
- 14,0 |
Santé et services sociaux |
9.2 % |
2.6 % |
- 6,6 |
Culture, sport et loisirs |
1.6 % |
0.5 % |
- 1,1 |
Administration |
18.1 % |
5.1 % |
- 13,0 |
Total |
100.0 % |
100.0 % |
- |
Tab. 6 – Comparaison entre la structure des emplois urbains de services et la structure des services en Chine après « corrections » en 2014.
La figure 7 visualise ces différences. Le grand changement « en plus » concerne les commerces. Les grands changements « en moins » concernent les poids respectifs de l’administration et de l’éducation. Toutes corrections effectuées, la Chine des services serait actuellement une Chine des services primitifs, majoritairement ceux de la vente et du commerce, accessoirement ceux de l’hôtellerie et de la restauration. Les migrations de main-d’œuvre vers les villes ne se dirigeraient pas 121seulement vers l’industrie. Elles alimenteraient aussi, de manière substantielle, des services pourvoyeurs d’emplois mais de faible qualification, et, on peut aussi le supposer, de rémunération inférieure à la moyenne.
Fig. 7 – Différences, en points de %, résultant des 3 corrections
sur la structure des emplois de services.
II.2. Appréciation portée sur la méthode
Il est nécessaire de se demander si les corrections apportées ne sont pas excessives et si elles ne déforment pas davantage la réalité qu’elles ne la redressent. En effet, alors qu’initialement, on avait l’image d’un secteur tertiaire dont les dominantes étaient les secteurs collectifs et les entreprises publiques, il ressortirait de ces corrections que le secteur tertiaire chinois serait un secteur plutôt traditionnel, animé par des entreprises et des microentreprises privées. C’est dire, si cette conclusion est exacte, l’ampleur de la tâche que le gouvernement de la Chine et les provinces doivent accomplir pour moderniser leur appareil productif et la société.
Dans la mesure où j’ai procédé à 3 corrections et où les 2 premières corrections sont moins dépendantes des hypothèses que la troisième, il m’a semblé utile de savoir quelle serait la structure des services en Chine si l’on ne tenait compte que des deux premières corrections. Cela reviendrait à supposer que le solde de « la migration rurale » n’aurait aucune incidence déformante sur la structure des services, globalement considérée. Mais cela devrait aussi permettre de voir si la 122structure des services « Chine entière » à laquelle je suis parvenu pour l’emploi n’est pas la conséquence des hypothèses brutales utilisées lors de la 3e correction.
Fig. 8 – Évolution des services par grandes catégories, en Chine
(2004-2014), (avec corrections no 1 et no 2).
Voici les résultats de ces nouveaux calculs. Je n’en reprends pas le détail car cela serait fastidieux. La figure 8 montre comment évolue les emplois de services en Chine quand on procède seulement aux corrections no 1 et no 2. Pour rendre les résultats plus visibles, j’ai regroupé les 14 secteurs de la nomenclature des services en 3 grands secteurs : 1) un secteur dit traditionnel, regroupant les commerces et l’hôtellerie, 2) un secteur dit moderne, regroupant les transports, l’informatique (information, softwares), les services aux entreprises et aux ménages, les métiers de la banque et de l’assurance, le secteur immobilier, 3) un secteur des services collectifs (recherche, gestion des eaux, éducation, santé, culture, administration).
Il est clair que ces résultats sont influencés par les regroupements effectués. Cela dit, ces regroupements confirment les commentaires précédents. Si on calcule la structure des services en Chine sur l’intervalle 2004-2014, on obtient une certaine image de la déformation induite par les corrections 1 et 2. Toutes les catégories de services ont augmenté, mais les services dont la progression a été la plus forte sur l’intervalle 123sont les services traditionnels du commerce et de l’hôtellerie (+ 145 %). Les services modernes ont augmenté de 114 % sur le même intervalle. Les services collectifs (recherche, gestion des eaux, éducation, santé, culture, administration) ont le moins augmenté (+ 34 %).
Cela revient à dire que la 3e correction ne fait que confirmer une évolution déjà inscrite dans celle qui se déduit des corrections 1 et 2. C’est ce que montre le tableau 7. Entre 2004 et 2014, la structure des services en Chine aurait été déformée au profit des services traditionnels et au détriment des services collectifs, les services modernes ne faisant qu’augmenter légèrement. La 3e correction ne ferait qu’amplifier cette évolution structurelle mais elle n’en serait pas la cause.
Structure (%) obtenue avec corrections 1 et 2 (comparaison 2004-2014) |
Structure avec toutes les corrections |
Déformation de structure liée aux « migrants » |
|||
2004 |
2014 |
Variation de la structure (Points %) |
2014 |
(Points de %) (col.4-col.2) |
|
Traditionnels |
43.6 % |
53.1 % |
+ 9.5 |
59.5 % |
+ 6.4 |
Modernes |
23.3 % |
24.7 % |
+ 1.4 |
24.7 % |
0.0 |
Collectifs |
33.1 % |
22.2 % |
- 10.9 |
15.8 % |
- 6.4 |
Total |
100.0 % |
100.0 % |
100.0 % |
0.0 |
Tab. 7 – Évolution de la structure (%) des services en Chine,
par grandes catégories de services, selon les corrections effectuées.
II.3. Conséquences de la méthode
Pour clore cet examen, il a semblé intéressant de mettre en lumière le contraste « urbain/rural » auquel conduit implicitement la méthode de correction. En effet, le point de départ est une statistique supposée urbaine. La première correction consiste à ajouter la fraction rurale des services des entreprises privées à cette statistique initiale. La deuxième correction a trait aux microentreprises urbaines. Quant à la troisième correction, elle concerne par définition des services urbains puisqu’il s’agit de répartir par secteur de services une population de « migrants ruraux ».
124La figure 9 et le tableau 8 décrivent, en fonction de nos hypothèses, la structure des services relativement à ces deux catégories de populations, urbaine et rurale.
Le tableau 8 ci-dessous reprend ces divers résultats, mais en suivant une autre présentation.
Secteurs |
Urbain (%) |
Rural (%) |
Total (%) |
Chine entière |
Traditionnels |
82.3 % |
17.7 % |
100.0 % |
59.4 % |
Modernes |
88.2 % |
11.8 % |
100.0 % |
24.8 % |
Collectifs |
100.0 % |
- |
100.0 % |
15.8 % |
Total |
86.5 % |
13.5 % |
100.0 % |
100.0 % |
Tab. 8 – Le partage « urbain/rural » des services en Chine en 2014 et la structure « Chine entière » de ces activités (estimations induites par notre méthode).
Fig. 9 – Structures des emplois de services dans la Chine urbaine et rurale en 2014 (toutes corrections faites) par rapport au emplois de services de chaque zone.
Il en ressort que les services « Chine entière » seraient principalement urbains (87 %). Ils seraient aussi principalement de type traditionnel (60 %) (marges du tableau 6). Si l’on rentre maintenant dans le détail du tableau, on voit que les zones urbaines « raflent la mise » sur tous les plans : 82 % des services traditionnels, 88 % des services modernes, 100 % des services collectifs. Sur ce dernier point, il y aurait certainement de nouvelles corrections à entreprendre.
125L’absence de services collectifs à la campagne pourrait être la conséquence de la technique du reporting, les unités supérieures, urbaines en l’occurrence, prenant en charge l’enregistrement des données rurales. Mais elle pourrait tout aussi bien refléter la réalité. En effet, les services collectifs ne représenteraient que 16 % de l’emploi total de services en Chine et c’est vraisemblablement sur ce poste que l’inégalité entre villes et campagnes est la plus sensible, quand bien même l’absence de services collectifs en zone rurale serait aussi un effet de l’enregistrement statistique et de mes hypothèses.
Mais même en ajoutant, par exemple, les chiffres vrais du nombre des instituteurs, des policiers ou des infirmiers vivant et travaillant en pleine campagne, je ne crois pas que cette image inégalitaire serait profondément modifiée.
Éléments de conclusion
Au terme de cette approche empirique, voici quelques conclusions :
1) La Chine est caractérisée par l’existence d’un secteur tertiaire maintenant majoritaire en emploi et en valeur ajoutée dans l’ensemble national. Désormais, pour la Chine, il conviendra de ne plus raisonner seulement en termes d’industrie. Il faudra y inclure les services. Les migrations rurales vers la ville, par exemple, se font en partie dans les services (gardiennage, travaux urbains de nettoyage, jardinage, travail dans la restauration, hôtellerie, petits métiers de la rue). Cela dit, les services en Chine sont très majoritairement urbains. Le grand mouvement d’urbanisation en cours servira de débouché pour les produits industriels et fournira, dans des services de faible qualification, une partie de l’emploi correspondant à la migration prévue de 100 millions de ruraux.
2) Le secteur tertiaire traditionnel est le contraire du secteur tertiaire moderne. C’est le tertiaire de l’emploi, mais sur la base d’une main-d’œuvre peu qualifiée. Sa productivité en valeur ajoutée et sa capacité innovante sont inférieures à celle du tertiaire moderne. L’emploi de ce dernier est relativement réduit mais qualifié. Dans les deux cas, la forme dominante de la propriété y est de nature privée.
1263) Le secteur tertiaire traditionnel est sans doute en mesure, eu égard à l’urbanisation programmée, d’absorber une partie de la demande d’emploi des années à venir. La question peut-être néanmoins posée de savoir dans quelle mesure le développement extrêmement rapide du e-commerce en Chine n’est pas susceptible de bouleverser cette capacité d’absorption.
4) Dans une optique régulationniste, la réflexion ne peut porter uniquement sur l’institution syndicale. S’il est vrai que nombre de migrants se dirigent vers les secteurs traditionnels, les entreprises privées qui les embauchent sont de petites ou très petites entreprises dans lesquelles le syndicat n’a généralement aucune place. Les problèmes soulevés sont différents de ceux rencontrés dans l’industrie et seraient plutôt de l’ordre de la réglementation publique, de la loi et du contrôle de son application, que du syndicalisme.
5) Les services en Chine sont très majoritairement de statut privé, sauf dans les services collectifs. Mais on peut penser que même dans ce dernier secteur, les intérêts privés vont être fortement sollicités.
6) Le secteur tertiaire collectif est un ensemble d’activités situées entre les deux. La qualification y est moyenne mais un peu supérieure à celle de l’ensemble national. Dans l’emploi, dans la valeur ajoutée, dans l’investissement, ce secteur occupe toujours la même position, environ le quart dans ces trois cas. La forme de la propriété dominante y est actuellement de nature publique.
7) On peut tenir pour très vraisemblable que la ville et la campagne en Chine sont orthogonales selon le critère des services. Dans l’ensemble, les villes totalisent environ 85 % de l’emploi de services total et les campagnes, environ 15 %. À la ville comme à la campagne, les services traditionnels sont dominants. Mais à la ville, on trouve également des services modernes et des services collectifs. À la campagne, on trouverait surtout des services modernes et peu de services collectifs.
8) Il semble à peu près clair, au terme de ce rapide examen, que la lutte contre les inégalités passe, en Chine, par une politique appropriée, géographiquement différenciée, des services, au moment même où, en raison de l’urbanisation, ce sont toutes les catégories de services qui vont se développer. Les services traditionnels vont procurer de l’emploi. Les services modernes et collectifs, de leur côté, vont procurer de la qualification professionnelle et de la productivité. L’orthogonalité présumée de 127la ville par rapport à la campagne peut suggérer trois sortes de stratégies complémentaires de développement des services.
a) La première repose sur l’hypothèse d’une forte migration de la partie la plus active des ruraux vers les villes. Les services urbains adéquats doivent être développés, d’abord pour les enfants de ces ruraux, ensuite pour l’ensemble de cette population. Cette hypothèse est déjà entérinée (intégration attendue des ruraux dans les villes, d’ici à 2020). Par ailleurs, ces mêmes services collectifs devront contribuer à l’amélioration du travail industriel.
b) La deuxième repose sur l’observation du vieillissement et de la féminisation simultanée, faisant suite à la migration massive de la population rurale. Ce sont d’autres catégories de services qui devraient être alors sollicitées, à la campagne comme à la ville. La volonté égalitaire entre villes et campagnes implique non seulement que le revenu soit redistribué à ces populations, le plus souvent les plus pauvres de Chine, mais que les services nécessaires y soient pourvus, en bâtiments, en matériels, en personnels.
c) La troisième a trait aux inégalités régionales. Certes, le développement industriel stricto sensu est aujourd’hui le plus important des facteurs d’inégalités en Chine. Mais la correction la plus adaptée, la plus tournée vers l’avenir du développement, est peut-être celle relative aux services, en particulier les services collectifs.
Dans ces trois cas, les services collectifs, en particulier ceux d’enseignement, de recherche, de santé, apparaissent comme les principaux facteurs du résultat recherché. La question soulevée est alors la suivante : par l’intermédiaire de quel financement les dirigeants de la Chine envisagent-ils de réaliser cette mutation ?
1 Jean-Claude Delaunay, Professeur honoraire des Universités, co-éditeur de la World Review of Political Economy, Vice-Président de la World Association of Political Economy (basée à Hong-Kong), membre du Conseil Scientifique de la Fondation Gabriel Péri, membre du Comité de rédaction de la revue La Pensée et de la revue Actuel Marx.
2 Molnar Margit and Wang Wei, 2015, “A Snapshot of China’s Service Sector”, Economic Department Working Papers, no 1217, May, OECD.
3 Les salaires moyens annuels de différents secteurs en 2014 (en yuan) étaient : 1) agriculture : 28356, 2) mines : 61677, 3) industrie manufacturière : 51369, 4) construction : 45804, (Source : document 4-14, BNS, Annuaire 2015, pour l’année 2014. Le salaire annuel moyen pour l’ensemble des services est de 67130 yuans.
- Thème CLIL : 3306 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie de la mondialisation et du développement
- ISBN : 978-2-406-07406-9
- EAN : 9782406074069
- ISSN : 2555-0284
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07406-9.p.0103
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/11/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Chine, tertiaire, statistiques globales des services, statistiques sectorielles des services