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Des plateformes jusqu’en bas
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2020 – 1, n° 9. Capitalocène et plateformes. Hommage à Bernard Stiegler - Auteur : Noyer (Jean-Max)
- Pages : 207 à 250
- Revue : Études digitales
Des plateformes jusqu’en bas
Un jour que le philosophe William James [1842-1910] venait d’expliquer dans une petite ville de la province américaine comment la Terre tourne autour du Soleil, il vit, dit l’anecdote, venir vers lui une vieille dame à l’allure décidée. Qui l’interpella, paraît-il, en ces termes : « Non, la Terre ne bouge pas, car, c’est bien connu, elle est incrustée sur le dos d’une tortue. » James, semble-t-il, décida d’être courtois et demanda sur quoi, dans cette hypothèse, reposait là tortue. La vieille répartit sans hésiter : « Mais sur une autre tortue, cela va de soi. » Et James d’insister : « Mais la seconde, sur quoi repose-t-elle ? » Alors, conclut l’histoire, la vieille, triomphante, croassa : « Pas la peine, M. James, ce sont des tortues jusqu’en bas [all the way down]. »
Des tortues jusqu’en bas ! Voilà bien la tentation de l’ultra-réductionnisme : il s’agit de trouver une brique ultime qui soit celle d’en bas.
Isabelle Stengers, « Des tortues jusqu’en bas », 1983.
L’ensemble des plateformes (numériques et autres) crée et assure l’activité du vaste système de relations internes en quoi consiste le monde, ses milieux et ses écologies. Elles donnent consistance (plus ou moins stable, métastable) aux populations d’actants (à leurs dynamiques et forces) et à leurs territoires associés. De manière plus générale à leurs espaces-temps. Elles donnent aussi consistance à l’entrelacs sémiotique (non-exclusivement linguistique) du monde et aux processus de subjectivation qui sont pour partie l‘expression et l‘exprimé des économies 208libidinales mettant en résonance minimale la danse des désirs, des affects, des pulsions.
Dès le début des années 2000, Bernard Stiegler notait à la suite des géostratèges américains en particulier qu’« une reproductibilité électronique des lieux, pays et étendues géographiques est en revanche en cours de déploiement : encore peu développée (à l’exception du monde militaire, précision de l’auteur de l’article) elle ouvre d’immenses perspectives et constitue bien une numérisation des territoires et des espaces d’habitation procédant du développement des objets nomades, (…), des infrastructures qui y sont appropriés (…), des balises GPS (…) des banques de données géo-référencées (…) des systèmes d’information géographiques (SIG), des satellites de systèmes d’aides à la navigation, etc. par lesquels est en train de s’amorcer un processus de reterritorialisations sur les réseaux et par les réseaux, qui ouvre des perspectives tout à fait inédites et redistribue les enjeux politiques de la société de l’information1 ». Depuis le plissement numérique du monde s’est amplifié.
Les univers de la biosphère, de la mécanosphère et de la noosphère sont là entrelacés. Et cela alors que la convergence des NBIC enveloppée par le plissement numérique du monde ne cesse de se déployer et de se différencier.
Cet agencement mondial des plateformes est un agrégat d’infrastructures, (Réseaux, Serveurs, Data centers, Clouds), d’Interfaces et de capteurs (sensors) d’applications logicielles, de calculateurs. Ces ensembles permettent au vaste système de relations internes évoqué au début, de s’utiliser comme instance de ses propres opérations.
Des sols et sous-sols archaïques jusqu’au halo satellitaire, des vastes zones urbaines aux zones agricoles en passant par les zones désertiques, le plissement numérique est à l’œuvre qui révèle-fabrique les « peaux du monde » faisant de la quantification, du calcul à la fois un moyen de différenciation du monde, de striage dynamique de celui-ci, un moyen de métastabilisation des populations, du contrôle de leur mode d’individuation.
Pour cela cet agencement est composé encore de boîtes noires distribuées et propose une multiplicité indéfinie de boucles récursives. Des conditions nouvelles, pour les échanges et la création de valeur, pour la production d’objets, pour les agencements des processus logistiques, pour la réflexivité générale frayent ici leurs voies.
209Ces plateformes opèrent pour des agencements (qu’elles créent en même temps) hétérogènes, hybrides, marchands, ludiques, cognitifs, technoscientifiques. Elles opèrent dans les agencements concernant donc le travail, le commerce, la santé, mais aussi « l’Entertainment », le climat, la biodiversité, sans parler des mondes militaires et sécuritaires, etc. Elles sont encore au cœur des Complexes « cyber-physique-système sociaux2 ». C’est-à-dire des complexes dans lesquels les réseaux, numériques et les flux informationnels, les réseaux physiques, logistiques (jusqu’à la ceinture orbitale et les câbles sous-marins), les flux d’énergies avec leurs ressources associées (matières fossiles, nourritures, terres rares, eau…) y compris le nucléaire, les énergies émergentes et les mondes sociaux (humains – non humains) sont intégrés.
La population monde des actants3 est de l’ordre de dizaine de milliards et il y a nécessité à automatiser un certain nombre de tâches socio-cognitives, classificatoires, un certain nombre de tâches perceptives, un certain nombre de tâches connectives.
Il y a ainsi une grande diversité de plateformes. D’un point de vue général le rôle des plateformes est donc d’organiser les modes des relations (quelles qu’elles soient). Des méga-plateformes consuméristes, sécuritaires, pour la logistique, aux devenirs des plateformes couplées aux devenirs minoritaires du datamining, des applications logicielles et associées à des projets et gouvernances bottom-up, plus ou moins fortement fondées sur des modes auto-organisés.
Pour suivre ici Benjamin Bratton, d’un point de vue général de manière sommaire nous pouvons dire que « les systèmes d’une plateforme sont composés d’interfaces, de protocoles, de données visualisables et de rendus stratégiques de la géographie, de l’heure, des paysages et des champs d’objets. Pour les plateformes empilées, ils incluent également une architecture prédominante de couches interopérables. Même si la majorité des informations qu’ils véhiculent peuvent être des communications entre machines (comme par exemple l’Internet actuel), 210l’évolution spécifique de toute plate-forme, dans la niche écologique entre humain et inhumain, dépend de la manière dont il encadre le monde pour ceux qui l’utilisent4 ».
Dans le cadre de l’extension des marchés aujourd’hui, la « révolution numérique » a bouleversé la chaîne de valeur de la mondialisation : trois des cinq plus importantes capitalisations boursières mondiales et sept des dix plus importantes start-up mondiales sont des « plates-formes multifaces ». Et « dans un marché multifaces (…) un intermédiaire permet à des vendeurs et des acheteurs, ou plus généralement à de multiples communautés d’utilisateurs, d’interagir entre eux : par exemple, les joueurs et les développeurs dans le cas de plateformes de jeux vidéo (PlayStation, Xbox) ; les utilisateurs de systèmes d’exploitation (Windows, Android, Linux, l’iOS de votre iPhone) et les développeurs d’applications (…)5 ».
Revenons aux méga-plateformes
qui dominent l’économie
Ce capitalisme des plateformes « est un capitalisme des technologies de scalabilité, c’est-à-dire de “passages à l’échelle”, et donc de changements d’ordre de grandeur, capable d’articuler automatiquement toutes les échelles locales, des plus minuscules microlocalités, des échelles infra-individuelles et nanométriques des cellules et organes somatiques jusqu’aux plus immenses macrolocalités dans la biosphère et autour de la biosphère désormais étendue à l’échelle orbitale géostationnaire, en passant par les individus eux-mêmes devenant des “dividuels”, et à travers leurs habitats et territoires “augmentés”, tout cela étant effectué à travers des calculs effectués dans une quasi-instantanéité pour le commun des mortels comme pour le scientifique et pour l’ingénieur6 ».
Sur les effets de cette calculabilité étendue nous reviendrons plus loin et nous interrogerons la complication qu’elle introduit dans nos 211onto-éthologies, nous questionnerons les effets de striage qu’elle permet. Nous tenterons de ne pas confiner le calcul planétaire dans le rôle d’un grand méchant loup7.
Que les algorithmes jouent un rôle essentiel va de soi. L’algorithmie (la grande variété des algorithmes) joue donc un rôle majeur associé aux big data, et dans la longue évolution des couplages cerveaux-médiations-écritures-objets, le dernier en date, le couplage structurel en cours avec l’intelligence artificielle a une place et de plus en plus décisive.
Et il convient de ce point de vue de garder ouvert notre regard sur les processus algorithmiques, de les penser de manière non essentialiste afin de les appréhender dans leur pleine et entière positivité, productivité. Pour le dire autrement, pour les penser selon les « écologies de l’esprit », les écologies libidinales avec les lesquelles ils établissent des couplages structurels plus ou moins complexes. La fameuse pensée algorithmique ne peut être saisie en dehors du devenir, de la différenciation des agencements cognitifs dans lesquels elle est incluse. L’automaticité qu’elle porte n’est pas seulement au risque de réduction de la complexité, de la chair de l’indétermination ou de l’indétermination de la chair cérébrale, elle est encore ce qui n’a cessé et ne cesse de manière essentielle de trouer la pâte visqueuse de la réflexion, de la pensée, de fragmenter la répétition, de produire interstices et hiatus, bref des vides pour de nouvelles lignes de fuites
Algorithmes et automaticité donnent en effet aux couplages cerveaux-médiations-écritures-objets, la possibilité de faire de la place pour de nouveaux frayages, de nouveaux topoï fondés sur les devenirs du vide. Bien sûr il y a toute une réflexion doxique qui s’émeut à juste titre des incarnations automatiques des processus de striage8 des populations et des territoires, des incarnations d’une raison statistique réductrice et répressive, des dispositifs de surveillance-sous-veillance plus ou moins militarisés qui un peu partout se développent.
Certes la convergence de la trinité algorithmie/automaticité/big data et de la triple dynamique description / préemption / prédiction est puissante et sa critique nécessaire. Il n’en reste pas moins que tout striage n’est pas « en soi » négatif ou de nature répressive. D’un certain 212point de vue tout striage est « negatio ». C’est là même sa productivité. Et les devenirs s’actualisent contre mais tout contre les processus de striage. De plus il y a une polémologie des forces qui strient territoires et populations et en allant plus loin on pourrait suggérer, qu’en fin de compte, tout striage (et les agencements d’infrastructures qui vont avec) indiquent à terme (selon des temporalités variables) les conditions de son propre démantèlement. Il se peut encore que les strates d’automaticités et les algorithmes qui s’empilent de manière complexe, prolifèrent puis se sédimentent pour partie et soient soumis à une sorte de sélection naturelle où les chaosmoses des processus d’individuation psychiques jouent un rôle essentiel. La variation de ces processus détermine alors si tel ou tel dispositif de striage est désiré ou rejeté.
La scalabilité stratégique
Mais nous devons bien prendre la mesure de la dimension stratégique de la Scalabilité. De ce point de vue, il n’est pas inutile de rappeler l’analyse d’A. Negri et M. Hardt dans leur ouvrage de référence, Empire. Dans leur travail, ces deux auteurs développent l’idée que dans le contexte impérial l’administration devient fractale et vise à intégrer les conflits non en imposant un dispositif social cohérent mais en contrôlant les différences. Ils isolent quatre principes. Ces principes, l’expression et l’exprimé d’une bio-psycho-politique sophistiquée, en appui sur des modes d’écritures numériques en plein essor, sur une ichnologie en expansion9, ichnopolitique elle-même en appui sur les mémoires numériques couplées à des technologies intellectuelles puissantes, à des systèmes de géolocalisation multi-territoires, c’est-à-dire, incluant les territoires numériques et les territoires existentiels avec leurs processus de subjectivation, leurs économies libidinales, et ce à des échelles différentes. Dans le régime impérial écrivent-ils, « les bureaucraties – et les moyens administratifs en général – ne sont pas considérés en fonction de logiques linéaires de leur fonctionnalité, mais selon des logiques instrumentales, différentielles 213et multiples. Le problème de l’administration n’est pas un problème d’unité mais un problème de multifonctionnalité instrumentale10 ». Nous laisserons de côté ici les deuxième et troisième principes.
Negri et Hardt pour expliquer pourquoi cela marche définissent donc un quatrième principe comme la caractéristique « positive » de l’administration impériale.
La matrice unifiante et la valeur la plus dominante de l’administration impériale résida dans son « efficacité locale ». [Et] l’autonomie locale est ainsi condition sine qua non du développement du régime impérial. […] le consentement au régime impérial n’est pas quelque chose qui descend de la transcendance de la bonne administration, définie naguère dans les États de droit modernes. Le consentement se forme plutôt grâce à l’efficacité locale du régime11.
La nature du pouvoir est de plus en plus réticulaire. Même si nous devons continuer à penser à l’hybridation de ses formes.
Nous nous trouvons face à des formes réseaux très variées et hybrides. Toujours hybrides. Ces formes sont fonction des types d’actants qui les constituent : à dominante acentrée, hiérarchisée, organisationnelle, distribuée, de type fractal, avec une invariance d’échelle relative (niveau organisationnel et idéel-idéologique, au niveau des normes, règles, routines, interfaces et objets frontières immanents aux processus de production et aux modes d’existence).
La question de la synchronisation est là encore essentielle, et la diachronisation problématique. Écritures, routines, mémoires, synchronisation, résonance, convergence, coordination ont toujours été au cœur du fonctionnement d’entités collectives complexes et du procès de travail, y compris le procès de travail intellectuel. Mais ces agencements concrets avec leurs technologies, leurs modes organisationnels doivent aussi faire en sorte qu’ils ouvrent vers la créativité et l’innovation. C’est même, dans le cadre de nos sociétés, une contrainte majeure. Et la tentation est grande de vouloir « organiser la production de nouveau » au point de ne plus laisser de place aux processus d’altération-création.
La Scalabilité des plateformes, les modes fondamentaux d’organisation et de gouvernance a-centrée opèrent à même le terrain, non pas donc comme machine à commande centrale, mais comme agencement partout 214distribué de logiciels et utilitaires, de modes de calcul et d’orientation locaux pour des pratiques en grande partie auto-organisées sous des conditions et des contraintes furtives et acceptables. Ici, l’état maximal et l’état minimal se réunissent et même convergent.
Mais qu’il s’agisse d’un Cloud général (plateforme mondiale) qui met en question la souveraineté des États « ou bien des plates-formes Cloud spécifiques absorbant des formes de différenciation souveraines entre des personnes et des lieux qui étaient autrefois le domaine exclusif de l’État12 », quels types de services de souveraineté pourraient advenir ? Ce sont des questions compliquées que nous ne pouvons pas traiter dans le cadre de cet article.
Plateformes et réseaux
Plateformes et réseaux forment en quelque sorte une co-production de territoires selon des modes politiques, des régimes de forces et de striage variables. Nous suivons pour partie ici l’approche d’A. Galloway13.
Ils ne sont porteurs en eux-mêmes de rien de libérateur. On peut même dire qu’ils mettent place et expriment de nouvelles formes de contrôle qui opèrent à un niveau anonyme. Toutefois ils ouvrent dans le même temps des lignes de fuite et des possibilités combinatoires inédites, des zones d’indéterminations. Il n’y a pas de raison non plus d’essentialiser les oppositions entre réseaux centralisés et décentralisés ou a-centrés. Des réseaux et des plateformes associées, il ne suit pas nécessairement des ordres démocratiques ou autogestionnaires. Mais les réseaux nous conduisent à penser polémologie, conflictualité politique de manière topologique, diagrammatique. Ils fonctionnent aussi bien comme « rogue swarm » que comme « mainframe grid ». Pour ce qui est des réseaux distribués, en particulier ceux qui sont décentralisés, la topologie du réseau est créée en soustrayant toutes les forces centralisatrices… De ce point de vue (mais ceci est trop grossier), la force d’une guérilla vient non pas de 215sa capacité à ajouter des forces additionnelles mais à diminuer ses centres de commandement. Pour analyser les conditions de fonctionnement il faut faire intervenir – a minima – la force des normes, l’environnement au sens large, les régimes narratifs-idéologiques avec leur dimension performative, les interfaces et connecteurs, comme contraintes. Et de facto les réseaux sont fondamentalement dynamiques et processuels.
Et la connectivité est à la fois une arme et un talon d’Achille.
Le pouvoir des réseaux est fondé sur un double procès : d’une part il distribue le contrôle à travers des lieux ou milieux relativement indépendants ou autonomes, de l’autre il s’efforce de mettre en place des systèmes classiques de contrôle hiérarchiques et top-down. Ce pouvoir comme normes et contraintes et transmission de ces contraintes est immanent au processus de production et de fabrication de la gouvernance elle-même. Comme les plateformes qui naissent dans l’exploitation ouverte des technologies pour la scalabilité, des technologies blockchain et holochain (nous le préciserons plus loin), la phase actuelle est en partie caractérisée par l’établissement de nouveaux modes de souveraineté.
Elle est encore caractérisée par un double type de conflictualité d’une part « symétrique géré par des pouvoirs centralisés et aussi par une conflictualité asymétrique dans laquelle des acteurs en réseaux s’opposent à des pouvoirs centralisés14 ». Si nous considérons la polémologie des réseaux, il apparaît que le Protocole devient central. Selon A. Galloway, le concept de protocole à au moins deux faces : « il est à la fois un équipement, un dispositif, qui renforce les réseaux et d’autre part une logique qui gouverne la manière dont les choses fonctionnent à l’intérieur de ce dispositif15 ».
Les protocoles techniques sont organisés en couches (application, transport, internet, physique) et ils déterminent la manière dont un réseau fonctionne. Parmi ces couches celle des applications est une des plus intéressantes car c’est elle qui va déterminer le rôle des interfaces ou la productivité des boucles récursives et des pragmatiques sémiopolitiques. (Voir mise en acceptabilité des processus de striage).
Enfin le réseau porte avec lui son milieu associé. Il semble intérioriser son environnement et ce que l’on appelle le contrôle du réseau repose sur 216la dissémination des synapses-interfaces, donc des micro-technologies assurant les échanges dans le monde des réseaux, mais aussi entre les univers numériques et non-numériques (par l’intermédiaire des capteurs). Les interfaces sont en quelque sorte des « digital phéromones ».
Dans ce cadre les réseaux créent les conditions d’existence pour de nouveaux modes de souveraineté. Les réseaux en collectif développent des onto-éthologies spécifiques et donc des manières diverses de s’individuer : à partir de l’intérieur (individuation autopoïétique) et / ou sous la pression d’un dehors plus vaste.
Dans la bataille technopolitique des réseaux, ces synapses-interfaces (articulées aux protocoles) jouent un rôle majeur car elles peuvent soit donner chair aux désirs collaboratifs-coopératifs, soit favoriser des modes plutôt hiérarchiques. Et les acteurs du réseau peuvent s’individuer comme nexus (comme acteur-réseau, comme complexe relationnel) intégrés à d’autres réseaux. Ils sont condition de possibilité de la coexistence des dits acteurs. Et les interfaces sont des actants qui artificialisent pour partie les nexus du réseau. Elles tendent à multiplier l’univers connectif tout en supprimant les forces centralisatrices classiques ou en diminuant les centres de commandements. Ceci ayant pour conséquence de limiter les prétentions de ce que l’on peut appeler le constructivisme planificateur à rendre compte de la complexité organisationnelle et de redonner ses droits à la notion et aux dispositifs d’intelligence collective.
On comprend plus aisément l’importance prise par l’analyse des associations, des réseaux, la théorie des graphes et des mathématiques dans l’univers actuel, univers où l’enchevêtrement des réseaux, des territoires et des peaux de la terre ne cesse de se différencier, de se compliquer. Pour suivre l’analyse d’Alexander R. Galloway, « les géants industriels dominants se servent des mathématiques pures de la théorie des graphes en vue d’une valorisation monétaire16 ».
Dans ce cadre, le datamining et ses dérivés se présentent comme une narration impériale, comme grand récit des sociétés performatives, associés à la sainte et obsédante trinité « performation-prédiction-préemption » qui caractérise les sociétés de veille et l’hégémonie du marketing.
217Vers les méga-plateformes du consumérisme
Les méga-plateformes qui sont à l’œuvre dans le vaste domaine des interactions consuméristes fonctionnent sur la base de contraintes et d’algorithmes visant la performativité de la production de valeur, par la performation récursive de la triple dynamique : description géo-sémantico-comportementale des actants / traitements des données / stratégies-tactiques de filtrage et de recommandations comme prescriptions évolutives plus ou moins contraignantes. Les normes utilisées par les méga-plateformes sont à la fois précises et simples. Elles sont à l’œuvre à certains niveaux d’échelles et grammaires qui offrent une plasticité relativement grande pour prendre en compte et en charge des utilisations idiosyncratiques, c’est-à-dire les devenirs des usages qui prolifèrent à partir de la productivité finale espérée. Cette récursivité générale consolide à la fois les agencements initiaux (Protocoles, Formats, Interfaces) tout en réduisant les coûts de transaction et augmentant la plasticité générale de la productivité de ces plateformes.
Dans le contexte large des technologies de scalabilité cela permet de favoriser le développement des nouvelles fonctions.
La conception et la gouvernance des plates-formes reposent sur des modèles formels pour organiser, décrire, simuler, prédire et instrumentaliser les informations. Comme nous l’avons déjà évoqué, les plateformes affectent de facto la valeur des informations, et leurs économies doivent produire deux types d’excédents : le surplus de l’excédent de l’utilisateur et le surplus de la plate-forme. Pour ce qui est des caractéristiques organisationnelles, les plates-formes fonctionnent comme des attracteurs qui font converger des alliances selon des schèmes non centralisés (non planificateurs). Ces attracteurs sont distribués, décentralisés et lissent en quelque sorte les comportements « spontanés » des utilisateurs. Opposer processus de centralisation et processus de décentralisation n’a donc guère de pertinence, en ce sens « que les points de passage où une plate-forme encourage l’engagement et exploite ses avantages par rapport à d’autres options peuvent être encore plus largement distribués que tous les utilisateurs qu’elle organise17 ».
218Les plates-formes redoublent aussi l’attribution des identités. Sans cela les utilisateurs ne pourraient pas naviguer à travers les territoires, infrastructures, clouds, dans les complexes « cyber-physique-système sociaux », les espaces-temps à n-dimensions produits par le plissement numérique du monde et les puissances du calcul et de la topologie des lieux comme nexus et évènements.
Ce redoublement des identités permet aux plateformes de capitaliser un ensemble d’attributs, de coordonnées et de trajectoires (avec leurs intersections), capitalisation qui, nous le savons partiellement, pose un certain nombre de problèmes concernant le développement de sociétés d’hypercontrôle. Il existe toutefois des différences entre plates-formes quant à la manière de « gouverner un utilisateur ». Mais ce qu’elles produisent dans leur singularité même, ce sont en quelque sorte, des diagrammes qui organisent un type de réalité spécifique, qui définissent et organisent, exercent une action. Ce sont des diagrammes métastables à travers lesquels les utilisateurs négocient la danse des informations et des sémiotiques.
En tant que diagrammes elles passent, « mais par des points, points singuliers qui marquent chaque fois l’application d’une force, l’action ou la réaction d’une force par rapport à d’autres, c’est-à-dire un affect comme état de pouvoir toujours local et instable. D’où une quatrième définition du diagramme : c’est une émission, une distribution de singularités18 ».
Elles sont la cause des agencements concrets qui en effectuent les rapports ; et ces rapports de force passent « non pas au-dessus » mais dans le tissu même des agencements qu’ils produisent19 (infrastructures, protocoles, interfaces, fonctionnalités diverses). Les dispositifs de recherche sont de ce point de vue un enjeu majeur, pour les plateformes et pour les utilisateurs. Il faut bien l’avouer, les principaux moteurs de recherche des méga-plateformes n’ont pas du côté utilisateurs des caractéristiques garantissant l’accroissement de réflexivité, l’adaptation des filtrages, de sélections et de restructuration des informations. Il en va de même pour ce qui est des possibilités de cartographier les dynamiques internes des écologies informationnelles ou des savoirs quelles que soient les échelles.
Nous reviendrons plus loin sur les méga-plateformes du marketing.
219Plateformes, Guerres, Souverainetés ?
Que peuvent bien signifier donc, avec la montée en puissance des méga plateformes, les souverainetés ? Que veut dire conquérir un territoire alors que nous sommes dans un enchevêtrement de territoires et que nous devons faire face à la difficulté de penser l’articulation, plus profondément le couplage structurel, c’est-à-dire les rapports de codétermination des milieux (numériques et non-numériques) ainsi que le processus de reterritorialisation (ce qui veut dire en fait « complication » des territoires et des pratiques). Que veut dire conquérir un territoire dans le cadre d’une cyberwar contre les infrastructures, les programmes et les protocoles ? Quel rôle joue l’internet des objets, des interfaces dans le contrôle à distance des territoires et des populations20 ?
Ces rapports de co-détermination (des milieux numériques et non-numériques) sont complexes, d’un point de vue stratégique mais aussi tactique. Dit autrement, peut-on encore parler à présent de l’espace-temps stratégique au singulier ? Quels sont les objets (techno-guerriers, robots, bref l’internet des objets), les sujets, acteurs qui le peuplent, le constituent, le transforment ?
En vérité on ne sait plus très bien aujourd’hui quels sont les rapports ambigus, les dialectiques qui unissent les dynamiques et les forces politico-stratégiques que les acteurs se pensant sujets, mettent en œuvre et quelles structures et processus qui, en leur présence et /ou absence, les agissent et les déterminent en partie ou totalement, les font être et advenir tels que ces acteurs mêmes ne cesseront jamais de n’être pas ce qu’ils pensent être ; d’inventer en toute liberté aveugle des mouvements stratégiques, de jouer des coups qui en retour, à moins que ce ne soit tout simplement ailleurs, viennent troubler de leur « disruption », l’étrange relation qui unit et domine les acteurs stratégiques et les divers sols, qui dans leur dérobade même, persistent, n’arrêtent pas têtus de leur donner la leçon21.
220Les méga-plateformes militaires des puissances dominantes, du point de vue de la stratégie intégrale et du tactico-opérationnel, utilisent comme celles du marketing la scalabilité essentielle que les Big data et algorithmes rendent possible.
De plus elles tentent de prendre la mesure de la dimension « chaoplexique22 » du champ de bataille exploitant sciences-non-linéaires, approches probabilistes. Ces méga-plateformes sont portées par une volonté de contrôle continu de la réalité politico stratégique, une volonté de maîtriser toutes les échelles, ce qui est d’une certaine manière un écho au désir transhumaniste ou en tous cas à un certain nombre de forces qui souhaitent porter les devenirs de l’artificialisation du monde jusque dans les vertiges de la puissance dans ses incarnations violentes. Y compris la maîtrise des processus de chaotisation !
Il y a un certain délire Leibnizien dans ces volontés-là. Délire qui ne s’exprime pas mieux que dans le rapport « Byting back23 », sorte d’utopie concrète militaro-stratégique conceptualisant la prise de contrôle d’un territoire et d’une population à distance en utilisant des cyber-attaques au cœur même des infrastructures, des protocoles et des interfaces, utilisant des manœuvres de cyber-influence dans la noosphère, jouant sur les subjectivités et les narrations24.
Et ce d’autant plus que des nouvelles grammaires de la guerre sont à l’œuvre, et que les guerres irrégulières, guerres asymétriques dans le contexte du « digital folding » sont profondément affectées. Que signifient la faiblesse des forts et la force des faibles dans le cadre d’une géostratégie computationnelle à l’échelle planétaire, par exemple ?
221Plateformes et logique paradoxale
Il y a dans l’extension de ces plateformes, nous le verrons un peu plus loin avec la grande convergence chinoise (commencée par le Zhima Credit25) un désir prométhéen à vouloir construire des dispositifs visant la maîtrise, le marquage continu de la réalité politico-stratégique et la prédiction maximisée.
Désir insensé pour partie, car ainsi que l’énonce E. Luttwak, « la stratégie ne se contente pas d’entraîner, d’induire tel ou tel paradoxe, telle ou telle proposition ou état contradictoire et malgré tout reconnu comme valable mais plus profondément elle est dans son ensemble traversée par sa propre logique paradoxale qui s’oppose à la logique ordinaire à laquelle nous souscrivons dans la plupart des autres domaines de la vie26 ».
Cette logique paradoxale, ces temporalités paradoxales qui font qu’aucun
mouvement, qu’aucune action stratégique ne peut persister indéfiniment dans son cours sans changer de nature, sans se transformer parfois en son contraire, se nourrissent aussi de la coexistence d’un plan de transcendance et d’un plan d’immanence, coexistence constitutive de l’espace-temps stratégique dans sa complexité.
Si toute grande stratégie gît dans la saisie de la place que l’on occupe, dans la
manière dont on se situe à l’intérieur de cette frontière, interface, brisure, à la façon dont on maîtrise intellectuellement la dialectique entre les deux plans, alors être stratège aujourd’hui signifie plus que séjourner à cheval sur cette frontière, y habiter pour en comprendre l’organisation interne. Être stratège décisif c’est fabriquer l’articulation même.
Être stratège aujourd’hui c’est donc se situer à la charnière, à la frontière du virtuel et de l’actuel (étant entendu que si le virtuel n’en existe pas moins que l’actuel, on n’a jamais accès à lui qu’à travers ce qui s’actualise et s’actualisant diffère de lui), c’est accéder à la maîtrise partielle et toujours décalée du processus d’actualisation, et pour cela quoi de mieux que de fabriquer des plateformes qui assurent la performation même du monde politico-stratégique.
222Des plateformes et technologies intellectives
pour les savoirs : génétique, etc.
Il existe aussi des plateformes concernant la production, circulation, exploitation-création des savoirs selon leur hétérogénéité. Ces plateformes sont particulièrement importantes dans les domaines majeurs de la science. Les fonctionnalités qu’elles offrent sont variées et couvrent un spectre large de pratiques qui va de la fabrication de données (des « obtenues » pour suivre Latour), à leur stockage (entre « vrac » et dispositifs de classification, normalisation plus ou moins sophistiqués) en passant par des outils de recherche-filtrage (généralistes ou spécifiques), par des outils de cartographies (statistiques sémantiques ou hybrides), par une multitude d’applications logicielles dédiées à la création de nouveaux savoirs.
Ces plateformes donnent lieu à des variations des formes encyclopédiques héritées, voire à des formes radicalement nouvelles, formes qui privilégient la productivité relationnelle et dans l’ordre cognitif l’agilité analogique, adductive etc. pour des herméneutiques renouvelées27.
À titre d’exemple, les plateformes dédiées à la recherche dans le domaine de la génétique, de la post-génomique, de l’épigénétique et de toutes les technologies dites « omiques28 » sont nombreuses et font converger des actants de la recherche en des communautés de pratiques et de savoirs plus ou moins vastes29 Il en va de même dans les domaines de la physique, du cerveau, de l’astronomie en vérité aux niveaux d’échelles près dans tous les domaines où l’activité scientifique et technique est convoquée. Que seraient nos moyens de prise sur le changement climatique, l’étude de l’évolution de la biodiversité sans la construction d’infrastructures et de plateformes, sans la conception de bases de données sophistiquées, 223distribuées ou pas, sans les réseaux et interfaces rendant possible le fonctionnement de ces intelligences collectives30.
L’on sait que le rôle des infrastructures dans la recherche en sciences de la vie et de la santé (en fait dans tous les domaines) est devenu fondamental. « Les sciences de la vie et de la santé progressent désormais largement grâce à des outils et des démarches plus complexes : l’analyse structurale, les -omiques, l’imagerie cellulaire et l’imagerie du vivant, le génie moléculaire, la bioinformatique et l’expérimentation modélisation in silico, la gestion et l’intégration des données massives31 ». L’imbrication de ces agencements (infrastructures, protocoles, mémoires distribuées datamining, applications logicielles, interfaces, spécialistes et experts, intelligences collectives) dans des institutions de nature diverse, privées, publiques ou hybrides, avec des dispositifs auxiliaires que l’on subsume sous le terme de « crowdsourcing » et qui opèrent dans le cadre de ce que l’on peut appeler l’amont vectoriel de la recherche (capture-collecte de données et participation à certaines pratiques plus ou moins complexes de pré-traitements élémentaires de ces données), est comme une sorte de sous-traitance de tâches intellectuelles32.
C’est ainsi, par exemple, que des « programmes de science citoyenne ont été mis en œuvre avec succès pour la collecte d’ensembles d’échantillons sans précédent de moustiques, de tiques et de triatomines. La cyber-infrastructure utilisée en épidémiologie numérique – y compris les sites Web, les e-mails, les applications de téléphonie mobile et les plateformes de médias sociaux – a facilité les initiatives de science citoyenne vectorielle pour évaluer le risque de maladie à de vastes échelles spatiales et temporelles, faisant avancer la recherche pour atténuer le risque de maladie à transmission vectorielle33. Il en est de même dans le contexte des études épidémiologiques.
Il est permis toutefois de voir dans ces initiatives autre chose que des mouvements supplétifs de la science ; par exemple, une redéfinition du 224mouvement inclusif dans le plissement numérique : ne pas seulement chercher à inclure les patients et les citoyens dans le domaine de la santé, mais inclure la santé dans les milieux des populations. Cela signifie qu’il s’agit de produire (ou de révéler) un milieu associé de la Santé. Donc produire un entrelacement complexe des réseaux de savoirs et de diagnostics (toute la séméiologie savante condensée dans les institutions molaires et moléculaires de la médecine), des savoirs cristallisés (et soumis à la variation-altération) qui circulent à travers l’IOT, l’IOB, les associations de malades, savoirs en quelque sorte à « à l’état sauvage ».
Selon ce renversement qui rend la santé à son immanence, il s’agit bien de concevoir une co-production plus ou moins conflictuelle et controversée des conditions de la Santé, une expression plus vaste des conditions séméiologiques. Selon ce renversement il s’agit de multiplier les modes de circulations des savoirs (experts et profanes) avec leurs boucles récursives en expansion. L’utilisation de plateformes de types coopératives (contributives) aux niveaux d’échelles variables associées à des plateformes plus vastes assurant la mise en connexion des données et des comportements devra être amplifiée, de même que le développement d’interfaces intelligentes.
Le déploiement de logiciels liés à la prolifération des objets connectés de santé devra viser à dans les va-et-vient des boucles récursives entre data et savoirs, augmenter les capacités réflexives individuelles et collectives quant à leur propre devenir médical34.
Les plateformes pour l’éducation :
exemple des MOOC
Qu’est-ce qu’un MOOC ? Apparus en 200835 et en plein essor, les MOOCs (Massive Open Online Courses) sont des cours ouverts à tous 225et à distance. Le « M » de Massive signifie que le cours peut accueillir un nombre en principe non limité de participants. Le « O » de Open signifie que le cours est ouvert à tous les internautes, sans distinction d’origine, de niveau d’études, ou d’un quelconque critère. Le « O » de Online signifie que l’ensemble du cours peut être suivi en ligne : cours, activités, devoirs, examens, etc. Le « C » de Course rappelle que c’est un cours avec des objectifs pédagogiques, et donc une pédagogie active, et non simplement des ressources diffusées en ligne.
Les MOOCs se développent dans le contexte du plissement numérique des réseaux et des nouvelles technologies d’écritures, de la mémoire, des mémoires hypertextuelles et des nouvelles alliances images/textes/sons. Ils se développent au milieu de la différenciation des modes de production, circulation, exploitation des savoirs, mais aussi des modes de transmission, d’apprentissage et de socialisation cognitive.
Les plateformes de type Mooc sont à la fois dans le champ institutionnel hérité des écoles et des universités, elles sont aussi liées au monde des entreprises qui les fabriquent et les utilisent afin d’approfondir les connaissances professionnelles pour se spécialiser ou mettre à jour leurs connaissances techniques.
Ces plateformes ont cherché très rapidement à intégrer les outils et technologies internet puis se sont inspirées des réseaux sociaux, puis des réseaux sociaux d’entreprise (chat interne, forum, blog etc.). La liberté de ces plateformes a rendu possible les expérimentations de pédagogie inversée, de l’apprentissage progressif, collaboratif (connectiviste), ludique, et de la simulation, puis des espaces virtuels. Ces évolutions ont aussi accéléré de manière générale la prise de conscience non seulement de la montée de rivaux dans les domaines de l’éducation et de la formation mais encore la puissance des Interfaces nomades et l’importance décisive des intelligences collectives quant à l’innovation.
Ces plateformes deviennent de plus en plus élaborées, modulaires et offrent des fonctionnalités cognitives de plus en plus sophistiquées, des modes transversaux de plus en plus étendus et des technologies intellectives performantes. Les plateformes éducatives ont favorisé la mise en place de nouveaux modes d’expression, de représentations dynamiques non-transcendants des savoirs répartis au sein des multiples lieux de savoirs de collectifs ; dans leurs expérimentations elles ont plaidé de façon claire et forte pour la mise en place de nouveaux dispositifs, de 226nouveaux agencements techno-politiques de formation, d’apprentissage, d’évaluation des savoirs et des compétences.
Enfin elles ont donné des arguments en faveur de la prise en compte radicale des potentialités offertes par « la plasticité numérique », elles ont invité à une exploration ouverte, démocratique des interfaces, des modes d’écritures émergents. Par-delà les tensions entre les acteurs publics et privés ces plateformes ont ouvert des voies vers la fabrication de data de type comportemental, sémantique, concernant les pratiques de lecture-écriture, les modes d’attention, les échanges entre milieux et lieux de savoirs, fabrication renouvelant pour partie les travaux de recherche dans le domaine éducatif.
Les plateformes pour la fabrique
et la dissémination des processus de subjectivation
Pour ce qui est des agencements culturels, de « l’entertainment », les plateformes ont une place importante ; elles sont couplées à des grandes bases de données (images, textes et sons) et sont dotées comme dans le cas des puissances du marketing d’importants moyens de stockage, d’analyse de distribution et de recommandation
Les plateformes de la société consumériste et addictive occupent là encore une place centrale36. Nous pouvons à ce stade remarquer qu’un certain nombre de plateformes de ce type convergent vers ce James Der Derian a appelé le « Military-Industrial-Media-Entertainment-Network » entendu comme entrelacement militaro-noo-stratégique constituant, dans le cas des États-Unis d’Amérique, la cinquième dimension de leur hégémonie37.
Il y a là la mise place d’une infrastructure ou plutôt d’un agencement stratégique de plateformes qui fait communiquer des régimes sémiotiques hétérogènes, résonner des forces et des affects, les rendre processuels et 227fait coexister tous les territoires et toutes les métriques, enfin tous les rapports de vitesse et de lenteur (sous l’hégémonie fragile du temps réel), toutes les temporalités et les mémoires. Cinquième dimension dans laquelle tout prétendant impérial se doit de pénétrer.
C’est donc à partir de ces transformations que le marketing, le DataMining, le monde sémiotique et la géolocalisation ont très rapidement passé une alliance stratégique.
L’ensemble de ces évolutions pousse à l’exploitation des agencements consuméristes, à leur évaluation. C’est la raison pour laquelle un grand nombre de projets sont à la recherche de certification de la qualité des traces (des énoncés et des jugements émis par les consommateurs) et ce, afin d’offrir des services de conseil au choix des consommateurs tant au plan des produits que des magasins et des services au quotidien (localisation de magasin, évaluation des magasins et des services dans un contexte de voisinage etc.). Ces projets prennent en compte l’irrésistible ascension de la géolocalisation et la révolution quasi permanente de la précision et visent aussi à alimenter progressivement des bases de données permettant, grâce à une algorithmique adaptée et puissante, de développer une « géo-socio-sémantique » (à travers la mise en évidence d’agencements collectifs et ou singuliers) de qualité, pouvant s’inscrire dans une vision renouvelée et complexe d’une relation aux territoires.
Il est permis de voir dans ce genre d’efforts une expérimentation grandeur nature, pouvant déboucher sur d’autres modèles de gouvernance territoriale et des populations, modèles hybrides avec des modes de gouvernance décentralisés et polycentriques, c’est-à-dire conçus en fonction des échelles et des systèmes de relations entre les actants qui les habitent. Ces agencements associés à des indicateurs sociodémographiques, économiques, de santé etc. voire à des données concernant d’autres types de flux informationnels, etc., pourraient donc fournir, à terme, des modes d’intelligibilité et d’organisation relativement complexes des territoires y compris dans la dimension des subjectivités qui les constituent et relancer, par exemple, la question de « l’adresse » dans le contexte des territoires enchevêtrés à partir de la territorialisation numérique. Ils pourraient aussi proposer des modes de striage sophistiqués pour des régimes de désir pris dans les dynamiques de la trinité « description-performation-prédiction ». Nul mieux que P. Sloterdijk n’a exprimé la position clé du marketing dans la recherche de la métastabilité consumériste.
228Cette prétention du neuro-marketing à naturaliser le cerveau consumériste nous met aussi en demeure de faire face ou plus précisément de porter la charge et le poids de la question formulée par C. Malabou : « Que faire pour que la conscience du cerveau ne coïncide pas purement et simplement avec l’esprit du capitalisme38 ? ».
Nous sommes là face à un processus de production et d’organisation sémiotique sans précédent, processus en vue de la production d’addiction(s) pour la métastabilité des collectifs consuméristes, ces collectifs devant (avec d’autres) faire tenir l’ordre politique et religieux du monde marchand, en assurer la création continuée, dans une sorte de finalité sans fin39…
Dans ce cadre, l’agencement prédictif (et son désir) est un dispositif essentiel et immanent au processus de métastabilité des collectifs hybrides et occupe une place centrale au point de se vouloir « arché », maintenant son emprise sur « l’auto-fabrication » d’humains-posthumains et de leurs milieux associés.
En tant que nexus, l’individu consumériste est tissé des relations-objets qui le traversent, des relations-objets qui convergent vers lui et/ou partent de lui, des transactions qu’il noue. Il est donc l’expression d’un complexe relationnel qui est inscrit dans la strate numérique. Les interfaces (digital phéromones), on l’a déjà indiqué, sont donc essentielles, la question des technologies relationnelles et des applications, décisive. Ce sont elles qui assurent les échanges entre les territoires, traduisent et redistribuent les flux informationnels numériques, les éléments socio-sémantiques de quelque nature que ce soit. Ce sont elles qui assurent la possibilité d’univers existentiels plus ou moins riches et l’émergence de nouveaux modes d’existence.
L’extension de ce type de plateforme s’incarne donc aujourd’hui à travers les grandes plateformes commerciales, les plateformes de mise en relation (réseaux sociaux). Pour s’en tenir à ces derniers dits « relationnels » (tels que Facebook), il convient de noter que s’ils constituent une part majeure de ce vaste mouvement de transformation du « champ d’immanence de la Doxa », ils n’en sont pas moins accompagnés par d’autres types de plateformes non prises dans les finalités des marchés. 229En effet, au-delà de ces réseaux de masse où se déploient, s’agrègent et convergent les communautés à travers les narrations et transactions dont elles sont précisément l’expression et l’exprimé, on assiste aussi à une différenciation progressive de l’espace d’expression et à un devenir minoritaire complexe des réseaux numériques et des plateformes.
P2P, Commons, Blockchain, Holochain
C’est ainsi qu’un grand nombre de plateformes se développent dans les désirs anarcho-capitalistes, mais aussi dans les territoires interstitiels entre les macro-agencements marchands et les méandres bureaucratiques des États. Dans la mouvance des mouvements Peer to Peer (P2P) qui optent pour l’élargissement des formes de coopération fondées sur des relations en grande partie non-hiérarchiques et des grammaires de contraintes relativement faibles, des plateformes et des infrastructures émergent. Les exemples abondent : gestion des ressources, des logiciels libres et open source, des savoirs ; mais encore des systèmes d’irrigation, de distribution d’eau, création des monnaies locales et territoires urbains auto-organisés, réseaux de fabrication distribués, etc.
L’amplification du mouvement des coopératives et la redéfinition de la gouvernance des villes (avec un municipalisme à la fois citoyen et revendiquant la performativité des procédures) favorisent la conception d’agencement de plateformes capteurs, interfaces, infrastructures, P2P, Commons, coopératives. Il y a un substrat idéologique fort qui cimente les narrations et les mises en légitimité des forces quelles que soient les fins : anarcho-libertaires, d’inspiration autogestionnaire et reprenant les idéaux de justice40. De manière générale une attention forte est portée aux systèmes a-centrés par tous ceux qui sont en lutte ou en résistance (quel que soit leur motif) contre des gouvernements. Les infrastructures distribuées (a-centrées) du réseau réduisent en effet la capacité de ces derniers d’intervenir facilement contre ces mouvements, ces guérillas ou 230ces mafias. En éliminant les points de contrôle centralisés, en autorisant directement la communication peer-to-peer, en agrégeant et en sécurisant les flux individuels de communication, ces modes organisationnels et ces infrastructures améliorent la sécurité des communications entre les acteurs. Et de se prémunir ainsi, par exemple, des gouvernements hostiles qui surveillent, perturbent ou stoppent des communications. Les plateformes de ce type peuvent être utilisées pour renforcer la sécurité des dissidents, etc.
Les plateformes contributives et au-delà
Les plateformes contributives, les plateformes « bottom up », les plateformes pour les « commons » se déploient de plus en plus. Inspirés entre autres par le mouvement P2P, de nombreux types de réseaux sociaux, rivaux avec leurs plateformes associées, sont déjà en place ou en train de se développer qui répondent par des approches émergentes et ad hoc, à des besoins d’agrégation spécifiques associés à une exigence de solidarité et de confidentialité non seulement plus grande dans le temps court, mais pérenne.
L’on assiste ainsi à des phénomènes de convergence et de renforcement de certains types communautaires, renforcement se faisant sur le partage de pratiques, de modes narratifs, de niveaux de savoirs, d’attracteurs « mémétiques » spécifiques. Ces plateformes introduisent des stratégies hétérogènes fragmentant celles qui visent l’hypercontrôle et la main mise sur le capital sémiotique et les processus d’extraction oligarchique de la Valeur.
Au cœur même de la transformation hypercapitaliste, il y a des devenirs organisationnels, des modes de gouvernance, des nouveaux modes monétaires qui injectent dans les grandes nervures, infrastructures oligarchiques de la production-exploitation des ressources et des populations, des agencements dit « bottom up » et doués d’une certaine autonomie.
Cette prolifération de plus en plus importante s’accompagne d’une interrogation sur les rapports entre les formes à venir de l’État (avec de 231nouveaux modes d’administration distribuée, des fonctions régaliennes repensées) et les archipels denses selon une multitude d’échelles, de « marchés commons », de « commons solidaires et contributifs », de milieux auto-organisés, accompagnés d’une dénationalisation (pour suivre Hayek), d’une fragmentation de la monnaie. Ces questions sont complexes et il faudrait commenter plus avant le travail qui semble disruptif des crypto-monnaies. Nous ne ferons ici que frôler ce travail.
Mais comme le fait remarquer Anabelle Prune dans un article41 répondant à un papier de Catherine Malabou42, cette dernière suivant au plus près l’analyse de John McAfee et celle de John Flood & Lachlan Robb43 concernant les crypto-monnaies, « le capitalisme amorce aujourd’hui son tournant anarchiste », l’indépendance monétaire cependant n’est pas là. L’utopie déjà réalisée, se situe ailleurs : dans des systèmes monétaires où la monnaie n’est pas équivalent général. Dans des communautés cosmopolitiques, où la monnaie est fabriquée pour valoriser des modes de vie et les pratiques qui les soutiennent. On reviendra sur cet emballement autour de la dématérialisation-dénationalisation enchevêtrée de la monnaie et l’enrôlement de la notion de système acentré, c’est-à-dire fonctionnant indépendamment d’une instance centrale, ainsi que sur la question de la souveraineté aujourd’hui éclatée, enchevêtrée et traversée d’hétérogenèses plus ou moins profondes.
L’arché, l‘inspiration sont ici essentiellement hayékiennes. On se rappelle que pour Hayek, la dichotomie entre monnaie et non-monnaie est une pure invention de l’État. L’émergence récente des crypto-monnaies résonne avec la réforme monétaire proposée par Hayek44. Pour 232une analyse forte et plus nuancée de la question générale des nouvelles monnaies, il faut suivre ici Michel Aglietta45 qui tente de prendre la mesure de leur impact sur le système bancaire hiérarchisé et le système de paiement :
Au-delà des aspects factuels, les nouveaux acteurs et les nouvelles monnaies numériques contestent la vision contemporaine de la monnaie puisqu’ils tendent à s’affranchir des institutions monétaires et bancaires. La mobilisation de la théorie monétaire s’avère alors inévitable car il devient nécessaire de clarifier la question de savoir en quoi les nouveaux supports monétaires sont ou non de la monnaie, voire une nouvelle forme de monnaie46.
L‘irrésistible montée des dispositifs a-centrés
L’irrésistible montée du schème « a-centré » se manifeste encore dans nombre de travaux, réflexions, et il s’incarne à travers un large spectre anthropologique et politique. Et une nouvelle forme d’information est en train d’apparaître sous l’influence entre autres de ce que permettent les technologies issues du P2P et de la blockchain.
La blockchain qui est une « technologie de stockage et de transmission d’informations, [de manière] transparente et sécurisée, qui fonctionne sans organe central de contrôle » (selon Blockchain France)47.
En d’autres termes, la Blockchain constitue un grand registre largement « distribué » (c’est-à-dire dupliqué dans le réseau) : les transactions réalisées de pair-à-pair, sans intervention d’une autorité centrale ou d’un 233intermédiaire, sont compilées et empilées sous forme de blocs au sein du registre qui contient leur historique. Les informations contenues dans les blocs (transactions, titres de propriété, contrats divers…) sont protégées par des procédés cryptographiques qui empêchent les utilisateurs de les modifier a posteriori. Ces chaînes sont « publiques » (accessibles pour tous) comme dans le cas de Bitcoin, « privées » (soumises à une autorisation préalable) ou bien encore organisées sous forme de « consortiums » (des groupements d’acteurs – des institutions financières, par exemple – qui définissent des règles et des finalités au sein d’un club fermé). La Blockchain, outre des informations relatives à des transactions, peut intégrer des ordres automatiques sous la forme de « smart contracts » : insérés dans le code et donc inamovibles, ils permettent de déclencher automatiquement l’exécution de contrats.
L’innovation de la Blockchain porte donc sur la manière de synchroniser une base de données distribuée indépendamment d’une instance centrale ou transcendante. L’une des raisons de l‘engouement pour cette technologie est que les infrastructures en réseau distribuées semblent être une manière de contourner les moyens de contrôle des États ou des grandes organisations.
Une Blockchain est donc un registre numérique infalsifiable qui repose sur un système de cryptographie distribuée. Cette nouvelle génération de livres de comptes sert de fondement à des monnaies électroniques indépendantes des devises garanties par les États-nation. Si la Blockchain s’est fait connaître dans un premier temps à travers le Bitcoin (c’est-à-dire une crypto-monnaie), les blockchains permettent aussi d’enregistrer de manière irréversible toutes sortes de transactions monétaires (achat, ventes, prêts, remboursements…) ou non monétaires, tels que consentements, votes, etc. « Elles rendent possible le traçage des circulations de valeur, authentifient les actes sociaux, exécutent automatiquement les contrats. C’est ainsi que l’on peut concevoir de nombreuses applications dans la santé, l’éducation, l’industrie etc. En garantissant l’enregistrement des actes de langage, la chaîne de bloc confère à la mémoire numérique une dimension pragmatique48 ». L’extension des usages de la technologie blockchain ne cesse de croître. Pour le dire rapidement on exprime cela par le terme « Tokenisation ».
234À chaque nouveau cas d’usage à la surface de la terre, on fabrique un token qui est une unité de compte, un quantum d’information en fait, que l’on certifie et authentifie avec la blockchain. Et ce quantum d’information, supposé gravé dans le marbre grâce à un chiffrement peut être de multiples natures : un transfert de propriété, une transaction quelconque effectuée entre deux personnes…
Un des efforts principaux pour penser les lignes innovantes de la blockchain consiste entre autres à échapper au modèle initial du Bitcoin, qui a la fâcheuse tendance à réduire la puissance supposée ou espérée des blockchains sur des finalités individualistes pleinement réductibles à l’axiomatique capitaliste.
Si l’on suit l’extension des plateformes reposant sur la technologie blockchain, on perçoit qu’il s’agit de manière plus ambitieuse de promouvoir des dispositifs pour générer des smart contracts c’est-à-dire des contrats intelligents susceptibles dans la perspective d’une ou plusieurs intelligences collectives d’améliorer leur fonctionnement et leur productivité, en rendant plus visible et lisible les types de contrats que nous passons, leur nature. Ces points sont à la vérité délicats. Les conditions de la définition (de production des smarts contracts) restent ouvertes et soumises à des facteurs politiques, idéologiques économiques externes, à des narrations immanentes aux polémologies qui habitent le monde des relations, de nos milieux associés49.
Concevoir donc des plateformes pour des relations a-centrées, de façon non-monétaire ? Pour des services, des projets collaboratifs, des programmes sémiotiques à venir. Comme l’exprime B. Massumi on ferait ainsi « muter toute une série de mérites de la logique sociale des dérivations financières, mais en les mettant au service d’une conception qualitative de la valeur du travail créatif humain – et non plus seulement au service d’une extraction purement quantitative de profit capitaliste, comme c’est le cas actuel des mécanismes financiers50 ». Tour cela pose de nombreux problèmes.
235Brian Massumi51 voit de manière un peu surprenante et parfois naïve dans les plateformes de nouvelle génération inspirées de la blockchain et qui utilisent des contrats intelligents une manière de transformer transaction et relations de telle sorte que l’on puisse contrecarrer certaines tendances libertariennes qui seraient inhérentes à la blockchain. Il y a selon nous beaucoup de confusion dans ce rêve éveillé de Massumi.
Suivons Massumi :
Les plateformes de crypto-monnaie, écrit Massumi, “Gravity52” et “Space53” en cours de développement par l’Agence spatiale économique (www.esca.io) en sont un exemple. L’idée est qu’au lieu de mettre dans une chaîne de block les transactions d’échange simples, les transactions peuvent être programmées et personnalisables à l’infini, pour s’étendre à tout ce qui pourrait être conçu comme un contrat. Le terme “contrat” est pris dans sa définition la plus large et la plus élémentaire, en tant qu’engagement conditionnel dans lequel une action (ou un ensemble d’actions) appelle une action de retour, immédiatement ou dans un intervalle de temps déterminé. Certes, mais cela veut dire que l’on peut aussi concevoir des contrats portant avec eux des nouvelles enclosures, des contraintes autoritaires, des déterminations hiérarchiques, des relations de domination ou de servitude, etc.
B. Massumi continue : « Cela n’implique pas nécessairement un échange en soi, c’est-à-dire l’utilisation d’une monnaie comme moyen d’échange et son équivalent général. Toute proposition sur le mode si-alors et une réponse entre les actions peuvent être programmées. Les actions ne doivent pas non plus être individuelles. Par exemple, un contrat intelligent pourrait spécifier un ensemble d’actions nécessaires pour préparer un projet collectif en vue de faire avancer le processus et indiquer ce qui se passera lorsque ces conditions seront réunies. Ainsi l’enrôlement dans un parti politique pour des projets et des programmes autoritaires. » Massumi prend un exemple particulier.
236La vie rêvée des contrats intelligents.
Une production de film collaborative, où des contrats intelligents pourraient être utilisés pour réunir du matériel, des compétences et des ressources pour un tournage ou une campagne de promotion.
On ne voit pas très bien dans ce cas l’intérêt de passer par une blockchain alors qu’il existe des technologies a-centrées efficaces associées à des applications de recherche collaborative sophistiquée qui sont porteuses d’une plus grande souplesse, plasticité, réflexivité etc. et agencées en de multiples plateformes modulaires. La topologie intellective s’y exprime de plusieurs manières grâce des technologies cartographiques favorisant la navigation entre les nœuds et les arêtes des réseaux, entre les divers types de mémoires, laissant la productivité des pragmatiques sémiotiques dans sa liberté et différenciation. La blockchain n‘a pas le monopole des schèmes auto-organisés, n’a pas le monopole de la liberté inventive. Il se pourrait même qu’elle offre à de nouvelles enclosures la possibilité de se développer. Nous allons revenir sur ce point un peu plus tard.
Mais laissons parler Massumi :
La logistique, la collaboration créative, la gouvernance et la production de valeur seraient alors intimement liées par le biais d’une plate-forme unique dont le fonctionnement serait autonome et distribué, ce qui permettrait d’éviter la mise en place d’une hiérarchie exécutive dominant le processus et contrôlant ses participants. De cette manière, un certain commun d’activités productives serait créé, avec un esprit de collaboration collective et une certaine instanciation de démocratie directe.
Et la DAO (organisation autonome distribuée) d’évoluer vers le DPO (organisation programmable distribuée).
Selon cette évolution, la blockchain devra céder la place à une architecture plus rhizomatique, telle que l’holochain54. Il y a du wishful thinking chez Massumi.
237Gravity et les « commons distribués »
Toutefois l’un des intérêts de Gravity est de s’attaquer directement à la question des infrastructures pour les « commons distribués ».
Gravity permet en effet « une intégration d’espace multi-blockchain en toute transparence. Parallèlement à l’autorisation transmissible intégrée des capacités des objets, Gravity peut transmettre les types de protocole et les spécifications nécessaires pour interagir avec l’API d’un contrat à distance, éliminant ainsi le travail manuel d’interopérabilité avec les services à distance. Sur cette base, nous sommes en mesure de créer des abstractions d’ordre supérieur telles que l’objet d’accès à distance qui rendent l’interopérabilité avec plusieurs contrats hétérogènes distants presque aussi simple que la programmation vers une bibliothèque locale. Les contrats de Gravity ne sont pas restreints pour communiquer avec des systèmes externes, comme c’est le cas avec Ethereum et Bitcoin. Un développeur pourrait écrire son propre protocole reliant tout autre système de blockchain – comme Ethereum – au réseau public Gravity. Cela permet aux machines virtuelles de l’écosystème Gravity d’échanger de la valeur avec une gamme d’autres DAO construits sur d’autres protocoles, des chaînes latérales Bitcoin à Ethereum, et au-delà55 ».
Space une nouvelle grammaire économique56
Space57 de son côté est une tentative de développer un langage pour une nouvelle expression économique. « C’est un langage économique qui 238peut exprimer des protocoles de réseaux capitalistes, mais plus encore, il peut les dépasser. Il peut englober le calcul de la valeur capitaliste, mais exprimer des valeurs plus qualifiées et refuser leur effondrement dans l’expression de valeur monologique (monovalente) qui disqualifie les valeurs non monétaires en tant qu’externalités économiques. Il est capable de valoriser, par exemple, la biosphère, les soins, les actifs incorporels et l’innovation sociale – sans réduire leurs informations en un seul indice de prix et une unité de mesure de la rentabilité. C’est une langue post-capitaliste (une langue pour l’expression économique post-capitaliste), au sens littéral. Une nouvelle grammaire économique pour l’ère de l’information58 ».
C’est un des efforts les plus intéressants sur ces points essentiels pour penser le Post-capitalisme ou, ceci est à débattre, l’Hypercapitalisme. Cela n’est pas variation sémantique négligeable. Cette interrogation est de manière à peine souterraine au cœur de cet article. Elle est partout présente59.
Akseli Virtanem dans son travail présente les efforts pour « déconstruire les protocoles de base de l’économie capitaliste (…) comme le prix, le marché, l’argent, le profit, l’équité, la compensation – et les reconstruire de manière à ce qu’ils s’articulent avec les potentiels d’une crypto-économie. »
Il s’agit de montrer « la désagrégation des différentes fonctions de l’argent en protocoles séparés, ce qui permet de dissocier le maintien de la liquidité de la validation de la réserve de richesse. » Est décrit « ensuite un échange distribué et une émission de droits P2P, d’argent, de crédit, de participation et de partage des excédents comme des protocoles distincts – un système de création de valeur P2P. »
Virtanen en explique que tout cela est fondé sur un agencement conçu « comme collection structurée de protocoles sur lesquels se déploient une nouvelle crypto-économie décentralisée et interopérable et une nouvelle vision de la valeur ».
239Valeur et production désirante :
la finance comme médium expressif
La prolifération de nouvelles formes de valeur et de mesures non fondées sur un équivalent général, nous amène à nous interroger sur la mise à vif de la valeur branchée directement sur la production désirante.
Pour rappel, « Le désir ne manque de rien, il ne manque pas de son objet. C’est plutôt le sujet qui manque au désir, ou le désir qui manque de sujet fixe ; il n’y a de sujet fixe que par la répression. Le désir et son objet ne font qu’un, c’est la machine, en tant que machine de machine. Le désir est machine, l’objet du désir est encore machine connectée, si bien que le produit est prélevé sur du produire, et que quelque chose se détache du produire au produit, qui va donner un reste au sujet nomade et vagabond. L’être objectif du désir est le Réel en lui-même60 ».
Quelle économie politique émerge de cela ? Quels sont les modes co-existence des intensités découlant de ce mode de fragmentation-multiplication de la Valeur ? Quelles polémologies sont susceptibles de se mesurer à partir de ces hétérogenèses de la Valeur, monétaires et non-monétaires ? Les besoins dérivant du désir et contre-produits dans le réel que le désir produit, les nouvelles formes non-monétaires de la valeur61 pourraient rendre de plus en plus explicite « la production sociale comme la production désirante elle-même dans des conditions déterminées62 ».
L’économie post-capitaliste ou hypercapitaliste serait celle qui pour partie, en fragmentant la monnaie, en l’arrachant à l’équivalence généralisée et centralisée, mettrait en visibilité relative la façon donc le champ social est « immédiatement parcouru par le désir, qu’il en est le produit historiquement déterminé, et que la libido n’a besoin de nulle médiation ni sublimation, nulle opération psychique, nulle transformation, pour investir les forces productives et les rapports de production. Il n’y a que du désir et du social, et rien d’autre ».
240Peut-on dans ces conditions envisager une métastabilité dans laquelle « les opérations de comparaison et d’appropriation » se font hors monnaie centrale mais sur la base des crypto-monnaies et de la tokenisation en cours ? Cela signifie aussi au passage la perte d’hégémonie du salariat comme appareil de capture dominant.
Bref échapper à la monétarisation monovalente, centrale, transcendante qui partout vient remplir le gouffre de l’immanence capitaliste, y introduisant, comme dit Schmitt, « une déformation, une convulsion, une explosion, (…) un mouvement de violence extrême63 », cela ouvre-t-il vers la voie royale de la pacification libératrice ? Quels types de devenirs pour cet au-delà de la monnaie mutilante et prédatrice ?
Dégénérescence de la Monnaie comme équivalent général, vortex des crypto-monnaies, unités de valeur interopérables non monétaires ou hyper-monétaires c’est-à-dire potentiellement échangeables avec d’autres communs et micro-économies émergentes. Comment fabriquer un « Corps sans organe » de la Valeur64 ?
Souveraineté et blockchain
Au premier regard il semble donc qu’il y ait une volonté puissante pour utiliser la technologie blockchain (associée aux réseaux P2P) pour contester certaines des principales formes institutionnelles hiérarchiques existantes. Et cela sans pour autant que s’incarne le désir d’un archipel d’agencements fondés sur des agrégations d’individus autonomes choisissant librement entre contraintes, codes, accords et polémologies.
Il y a, cela est certain une sorte de souveraineté populaire qui contre, et tout contre l’extension des logiques capitalistes est portée le mouvement coopératif, mouvement qui à partir du P2P, souhaite expérimenter certaines des caractéristiques de la blockchain, en particulier dans le domaine des formes organisationnelles, de la décentralisation et des collectifs a-centrés. Il existe même au niveau mondial une aspiration 241à long terme vers la vision d’un « Commonwealth65 », fondé sur une infrastructure mondiale dont nous avons déjà indiqué certaines caractéristiques. De même à d’autres niveaux d’échelle (ceux des villes, des régions), des mouvements vont dans le même sens, selon des modèles locaux spécifiques. Sont expérimentées des architectures différentes, des plateformes technologiques visant la souveraineté mutuelle telle la holochain. « La holochain est la première technologie de l’histoire humaine à véritablement relever le défi de la souveraineté mutuelle. Et ce à n’importe quelle échelle. En fait sa scalabilité est inverse et son efficacité s’améliore à mesure que la taille du réseau augmente (…) Elle fournit une technologie sociale inspirée de la biomimétique ». Nous permettant ainsi de passer à une époque post-monétaire avec, par exemple, une multitude de monnaies de crédit mutuelles adossées à des actifs (crypto) – qui dans le contexte de la holochain sont interopérables de manière native – en utilisant une définition beaucoup plus large de la monnaie (un symbole formel), système donc de mise en forme, de validation et de mesure des flux (valeur, promesses ou réputation, par exemple)66.
La souveraineté technologique
Revenons à la technologie blockchain. La création de ce type d’infrastructure repose sur des connaissances technologiques de haut niveau. De la même manière, le passage des modes organisationnels non centralisés suppose que l’on maîtrise les contraintes liées à la convergence nécessaire d’empiries relativement vastes et hétérogènes et des capacités d’abstraction élevées. Et souvent de productions narratives idéologiques élaborées.
Il y a une inégalité entre les acteurs pour la fabrication de ces infrastructures, des asymétries de compétence fortes, en dépit du code source ouvert.
242Les codeurs de chaînes de blocs bénéficient d’un avantage comparatif par rapport aux utilisateurs profanes car, en calibrant des chaînes de blocs sur plusieurs prototypes, les codeurs établissent un cadre de référence durable à travers lequel ils imaginent des alternatives et font des choix de conception67.
La souveraineté d’entreprise
Les grandes entreprises (Kodak, Amazon, Facebook et d’autres) ont identifié les avantages potentiels de la création de leur propre plate-forme de crypto-monnaie. En appui sur leur capacité à mobiliser des ressources techniques, financières très importantes, les grandes entreprises exploitent les tendances de la chaîne de block en matière de vérifiabilité, de globalité, de liquidité, de permanence pour adapter de force la technologie à leurs propres objectifs.
Les crypto-devises blockchain peuvent inclure des contrats intelligents qui distribuent automatiquement la devise de la société pour récompenser les développeurs qui créent des applications sur sa plate-forme ou les utilisateurs qui adoptent le comportement souhaité ». Et « le propriétaire de l’espace en ligne est alors le souverain. En effet, des souverainetés déjà opérationnelles telles que Google revendiquent et étendent leur territoire souverain exclusif en absorbant les espaces existants. L’introduction des pouvoirs de vérifiabilité et de permanence de la chaîne de blocs pourrait renforcer le degré de granularité des données capturées et monétisées par ces plates-formes d’entreprise68.
Alors que le discours anarcho-libertaire met en avant la disparition des contraintes étatiques, des barbelés bureaucratiques, on devine sans peine combien la technologie blockchain peut renforcer les hiérarchies, centraliser le pouvoir, recréer des châteaux forts, exacerber les inégalités, affaiblir les systèmes ouverts.
243Souveraineté d’État techno-totalitaire
Cela apparaît de manière plus claire encore du côté des États et de leurs institutions qui cherchent à s’approprier « la machine a-centrée » pour leur propre compte, en réglementant les activités résonnant avec les technologies blockchain. Les États ont compris assez rapidement, tout le parti qu’ils pourraient en tirer du côté de l’extension des moyens de contrôle. En prenant appui sur les tendances ou qualités structurelles de la blockchain, vérifiabilité, globalité (transcendant ou recouvrant en y étant fortement connectés l’espace géographique et les frontières nationales), liquidité (la liquidité de la valeur est améliorée par la localisation d’une réserve de valeur qui ne dépend pas ou n’est pas sous le contrôle direct d’une banque souveraine, d’une banque centrale ou d’une société privée), permanence, décentralisation…, les États donc et leurs institutions bureaucratiques peuvent se doter de capacités plus grandes pour intervenir globalement dans la vie quotidienne des individus. De nouvelles formes technologiques totalitaires commencent ainsi à émerger. L’internet des objets et ses rejetons, par exemple et pas le moindre, l’internet of body (IOB, via les nano-capteurs et interfaces de santé), tout cela amplifié par la puissance de l’intelligence artificielle, renforce les capacités de surveillance des mondes physiques et sociaux.
L’intérêt des autorités chinoises pour les « Complex cyber-physical-social systems69 », le développement continu de son système de réputation (Zhima Credit) couplé à des bases de données génétiques et l’intérêt pour la technologie blockchain érigée au rang de technologie essentielle, indiquent que les voies de l’hypercontrôle aux caractéristiques chinoises sont en marche. Peu de temps après l’affirmation de XI sur la technologie essentielle, le parti communiste a ouvert une application sur smartphones, permettant à ses 90 millions de membres d’enregistrer sur une blockchain les raisons pour lesquelles ils ont adhéré. De même, en relation avec les problèmes évoqués précédemment, les autorités chinoises ont examiné 244avec attention le déploiement d’une crypto-monnaie, poussées en cela par le projet Libra (à présent en suspens) de Facebook70.
La souveraineté mutuelle renforcée :
retour sur l’holochain ?
L’Holochain se présente comme un internet alternatif permettant de véritables applications peer-to-peer. Elle tente de surmonter les limitations de la blockchain. Elle est entièrement distribuée et permet l’intégrité des données à des coûts (en particulier énergétiques) très inférieurs à des configurations blockchain. Elle est open-source et gratuite. « L’Holochain est un élément constitutif d’un projet plus vaste appelé Ceptr (from receptor), un cadre de coopération pour la coordination sociale à grande échelle et les applications distribuées, ainsi qu’une architecture informatique bio-inspirée d’unités réceptrices de fractales conçue pour pouvoir évoluer en tant que systèmes adaptatifs complexes. Dans ce cadre Holochain est le moteur d’intégrité des données. Elle a d’abord été exploitée en tant qu’architecture autonome (à intégrer progressivement ou à évoluer vers Ceptr) et a été introduite dans le grand public avec sa première application, Holo, une alternative distribuée, facilement accessible et basée sur un navigateur, aux plateformes de cloud computing à la demande telles que Amazon Web Services71 ».
Elle est composée de technologies cryptographiques : « Distributed Hash table72 ».
Nous pensons que les Holochains sont l’une de ces percées (majeures) car elles adoptent une approche différente pour garantir l’intégrité des données partagées. Au lieu d’être construites sur des jetons cryptographiques, (Tokens), elles sont organisées autour de la validation cryptographique de personnes (pairs) validée par rapport à un enregistrement cryptographique immuable de leurs actions.
245Contrairement à la blockchain, la holochain est centrée sur l’agent (elle est agent-centrique) plutôt que sur les données – c’est-à-dire qu’au sein du ou des réseaux, les acteurs / agents eux-mêmes forment leurs alignements et leurs agencements en fonction de leur vision subjective du ou des réseaux ou du réseau de relations dont ils sont l’expression et l’exprimé. Selon Hank Sohota cette solution élimine le gaspillage d’énergie, les exigences de stockage.
La holochain fournit (nous l’avons déjà souligné) une technologie sociale inspirée de la biomimétique, basée sur un logiciel, un modèle (d’où peut émerger l’anarchie), une vie sans intermédiation de masse comme une nécessité. Nous permettant ainsi de passer à une époque post-monétaire avec, par exemple, une multitude de monnaies de crédit mutuelles adossées à des actifs (crypto) – qui dans le contexte de la holochain sont interopérables de manière native – en utilisant une définition beaucoup plus large de la monnaie (un symbole formel). Système donc de mise en forme, de validation et de mesure des flux (valeur, promesses ou réputation, par exemple)73.
Ce changement permet de gérer l’intégrité des données sans la charge informatique considérable que représente un consensus informatique sur un grand livre. Notre graphique DHT (table de hachage distribuée) assure une cohérence éventuelle tout en n’autorisant que la propagation de données valides et en tenant chacun responsable de ses actions74.
Comme l’écrit Hank Sohota75, selon ce point de vue, « on peut penser à une interprétation beaucoup plus éclairée que la version néolibérale de la pensée hayékienne Tout flux de valeur, quel qu’il soit, doit d’abord être reconnu et reconnu avant de pouvoir être géré au mieux ».
246Détour vers J. Rifkin et E. Ostrom
Dans son ouvrage « The zero marginal cost society : The internet of things, the collaborative commons and the eclipse of Capitalism76 » Jeremy Rifkin avait déjà indiqué l’importance de ces processus de différenciation, multifractals, affectant les agencements de production, de circulation, création à travers la convergence de l’Internet de la Communication, de l’Internet de l’Énergie et de l’Internet de la Logistique dans un Internet des Objets, dans un réseau sans couture « au point de mener la production des services et des objets à un coût marginal proche de zéro ». D’un autre point de vue (nous ne faisons qu’esquisser sa position) E. Ostrom va mettre en évidence la très grande diversité des arrangements institutionnels construits par les communautés, et « surtout le fait que ces arrangements ne relèvent strictement ni du marché ni de l’État », qu’ils ne reposent pas sur une « régulation directe par une autorité centrale77 » et que leur réussite repose sur « une riche combinaison d’instruments publics et privés ».
Pouvoirs et contre-pouvoirs en société datacentrique ou de l’extraction démocratique
et non-démocratique en milieu numérique
Le conflit des plateformes qui apparaît à travers l’examen que nous avons fait de leur puissance de striage, de leur productivité, de leur mode d’organisation donne à la question de la gouvernance polycentrique et à la possible sortie de l’axiomatique capitaliste de nouvelles perspectives.
Si nous portons une attention plus poussée aux outils de datamining-mapping, aux technologies intellectives réflexives78, si nous maintenons ouverte la possibilité de fabriquer des bases de données modulaires, 247intelligentes, si nous renforçons les applications pour les linked-data et si nous privilégions les protocoles réseaux type « commotion ou holochain » (pour gérer l’entrée et la sortie du réseau internet), une cryptographie contrôlée est en fait comme en droit toujours contestable (quelque chose comme une falsifiabilité absolue garantissant la tentation d’un enclosure, fractalisée, garantissant de pouvoir toujours contester les asymétries transparence/opacité), si nous œuvrons à la fabrication d’applications open-source, des interfaces publiques pour gérer à terme le développement de la smart urbanisation et les IOT du monde agricole, de la santé etc., bref tout ce qui garantit les moyens de pilotage d’une écologie politique générale incluant séparations et frontières, réflexivités, alors nous pouvons espérer des stratégies de contre-pouvoirs, des tactiques pour des guérillas prolongées non déterminées négativement, mais productrices de devenirs post-démocratiques. Ces processus n’étant plus alors sous l’hégémon du représentationnisme.
L’algorithmique et les « big data » sont, nous l’avons dit au centre de la production de Valeur. Nous avons indiqué encore la croissance de nouvelles valeurs attachées à des dispositifs non-monétaires ou en appui sur la fragmentation de la monnaie et la montée en puissance des agencements a-centrés, de nouvelles grammaires économiques.
Tout cela est aussi au centre de la gestion des collectifs sous les conditions de plus en plus fortes des évolutions des écologies environnementales, des écologies de l’esprit, des modes d’existences au travail, des régimes de conflictualités et des cosmopolitismes incertains qui pointent à l’horizon. L’extension des actants qui fabriquent le monde comme notre milieu associé est immense et les hybrides ne cessent de croître, l’internet des objets en étant une des expressions les plus fortes. Le polycentrisme et les modes différenciés de délibération, de décision sont posés avec vigueur et les tensions entre dispositifs centrés et a-centrés, entre constructivisme planificateur et intelligences collectives ouvertes sont de plus en plus marquées. Les savoirs experts et les savoirs profanes entrent dans de nouveaux rapports, et la question démocratique dans les sociétés performatives et dans le contexte de la mondialisation où cohabitent processus d’extension de certains réseaux et fragmentation des territoires, homogénéisations et différenciations, doit affronter le renouvellement de ses conditions quand ce n’est pas de son Désir.
248La tension entre les pouvoirs et les contre-pouvoirs est incertaine et les méga plateformes, qu’on pourrait appeler aussi molaires voient monter des rivales, des rivaux à partir des mouvements dits Open, de la forme réseau contre les organisations hiérarchiques traditionnelles. La question de leurs rapports est complexe, ces rapports étant conflictuels (Nous l’avons en partie déjà évoqué). Les méga plateformes doivent ouvrir leur formalisme, leurs algorithmes de capture, leurs hiérarchies et routines formalisées pour permettre des arrangements plus flexibles et des interactions avec un mélange de réseaux de citoyens, d’entreprises, de plateformes dont les devenirs minoritaires sont souvent en opposition avec les grandes stratégies de capture. Au niveau international nous sommes dans un enchevêtrement d’ordres et de souverainetés79.
Des devenirs minoritaires
dans le domaine de l’algorithmie
Dissémination des nouvelles technologies intellectives et des algorithmes, des interfaces et transformation des modes de circulation et d’évaluation des savoirs doivent être au cœur de la relance de ce désir démocratique et de la créativité.
Ce que l’on nomme les « Big data » ce sont les traces numériques produites dans les milieux divers par des acteurs, des actants de toutes sortes. Ces traces constituent des « réserves » en évolution rapide liée à la croissance phénoménale des capteurs qui peuplent et vont peupler le monde. Nouvelle espèce vivante donc en croissance rapide et mondiale. Ces réserves et l’algorithmique (la mathématique plus que jamais au cœur de l’Histoire) sont un des moteurs de la création de Valeur(s) aujourd’hui et demain.
Dans ce cadre-là les formes de « l’Open » et de manière plus étroite, les mouvements dits de « l’Open Data », sont tiraillés entre des modes de constructivisme planificateur et le plus ou moins « libre jeu » des intelligences collectives.
249La fixation provisoire sur la question dite des données personnelles n’est pas assurée de sa pertinence démocratique. En tous cas elle oblige à distinguer « données personnelles », « sphère de l’intime » et « régime de visibilité et d’invisibilité » ; enfin elle conduit à redéfinir la labilité ou pas des zones de secret, et le statut et la place des objets cryptiques et qui en détient les clefs de production et de dissémination. A minima donc cette question doit être approchée de manière très nuancée et pragmatique, différenciée et négociée de manière ouverte. La vie d’une data est traversée d’événements multiples et en tant que complexe relationnel, elle occupe des topoï différents, elle se transforme au gré de la transformation de ses milieux associés, des collectifs auxquels elle s’accroche ou est accrochée.
Dans les sociétés performatives la question de savoir si « les données personnelles sont une anomalie » a toute sa force et on doit lui faire face. Il y a plusieurs moyens, plusieurs types de forces et plusieurs types de résistances pour faire face. Parmi ces moyens, un consiste à imaginer des dispositifs de redistribution de la production de savoirs et de connaissances et de favoriser la dissémination des technologies de Data Mining et de façon plus générale des technologies intellectives associées au monde numérique.
Ce que nous suggérons, c’est de réfléchir et d’agir afin d’enlever (ou au moins de réduire les rentes de situations monopolistiques) le Data mining et l’Algorithmie des mains des grandes machines scientifico-politiques (impériales ou post-impériales), des grandes machines de capture du marketing, de la santé… et d’œuvrer à la multiplication et dissémination des petites machines d’extraction des savoirs, des petites machines de navigation et de connexion, des petites machines d’écriture-lecture. Et/ou de faire en sorte que les grandes puissent s’adapter à des petits dispositifs et s’ouvrent donc à la renégociation de leur place et statut technopolitique, jusqu’à n’aller pourquoi pas, à produire les conditions de leur propre démantèlement ?
Ce pourrait être là une ligne stratégique pour « l’Open Data » sous sa forme publique. Promouvoir sous des formes économiques spécifiques la dissémination d’éléments d’applications ou des applications devant être exploités, combinés par les individus ou groupes d’individus variables et hétérogènes.
Il s’agirait de mettre en place des processus d’utilisation les plus extensifs de dispositifs permettant de lutter contre la concentration 250des moyens de production et d’extraction des savoirs, de lutter contre le bridage des écologies cognitives par la non-dissémination des micro-outils de datamining, de cartographies, etc.
Pour enfoncer encore le clou ce qui doit être visé c’est ce qui fait face, contourne, le maintien des dispositifs qui favorisent la spécialisation du savoir, les monopoles professionnels qui vont avec, les asymétries dans la réutilisation des données. Et quand bien même nous arriverions à faire proliférer les boucles récursives productrices de réflexivité pour maintenir ouvert la possibilité de contre-pouvoirs… il conviendrait d’aller plus loin encore. Pour suivre les voies proposées en 1972 dans l’Anti-Œdipe, « ce n’est pas seulement par la dissémination de noo-machines relativement simples et petites que doit se faire la résistance créatrice mais au nom de l’innovation machinique elle-même au cœur de ce que certains nomment la noopolitik (Arquilla-Ronfeldt), le noopolitique (Stiegler) ou de la “neo-cortical politik” » (US-Army).
Et la question politique et stratégique, l’interrogation démocratique (pour les puissances et acteurs immergés dans ce vaste processus), sont bien de comprendre en profondeur quelle est la nature de la relation existante entre la dissémination-dispersion des nouvelles technologies intellectuelles et la genèse au sein des formations sociales de nouveaux rapports de puissance et de pouvoir fondés à la traversée du plissement numérique, de dispositifs de « savoir-pouvoir » émergents associés ? Enfin de comprendre la relation entre cette différenciation et dissémination et une capacité d’expansion économique, stratégique, (sous les contraintes des grandes crises écologiques) liée aux capacités renouvelées et transformées des intelligences collectives.
Jean-Max Noyer
Professeur Émérite des Universités
1 Bernard Stiegler, La technique et le temps, Tome 3, Éditions Galilée, Paris, 2001.
2 CPSS : https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_cyber-physique et Smart dispatching for energy internet with complex cyber-physical-social systems : A parallel dispatch perspective, Lefeng Cheng, Tao Yu, 2019.
3 Actants : « La sociologie de la traduction de Michel Callon et Bruno Latour emprunte la notion d’actant au modèle sémiotique de Algirdas Julien Greimas pour fonder sa conception des actants ». Cette notion a été reprise ensuite par la théorie des acteurs-réseaux. https://fr.wikipedia.org/wiki/Actant.
4 Benjamin Bratton, The Black Stack, e-flux, 2014.
5 Jean Tirole, Économie du bien commun, Presses universitaires de France, Paris 2016.
6 Ars Industrialis : http://www.arsindustrialis.org/
7 Benjamin Bratton, The Black Stack, e-flux, 2014.
8 Gilles Deleuze, Felix Guattari, Capitalisme et Schizophrénie, Mille Plateaux, Éditions de minuit, Paris, 1981.
9 Louise Merzeau, De la surveillance à la Veille, Cités, No 39, Presses Universitaires de France, Paris 2009.
10 Michael Hardt Antonio Negri, Empire, La Découverte, Paris, 2000.
11 Michael Hardt Antonio Negri, Empire, Paris, 2000.
12 Benjamin Bratton, The Black Stack, e-flux, 2014.
13 Alexander R. Galloway : P r o t o c o l, How Control Exists after Decentralization, The MIT Press Cambridge, Massachusetts London, England, 2004.
14 Alexander R. Galloway : Protocol, How Control Exists after Decentralization, The MIT Press Cambridge, Massachusetts London, England, 2004.
15 Ibid.
16 Alexander R. Galloway, Les nouveaux réalistes : philosophie et postfordisme, Éditions Léo Scheer, 2012.
17 Benjamin Bratton, The Black Stack, e-flux, 2014.
18 Suivant ici Gilles Deleuze : Foucault, Paris 1986.
19 Ibid.
20 Jean-Max Noyer, La stratégie américaine du contrôle continu : De la « Noopolitik » (1999) à « Byting Back » (2007) : une création de concepts et de dispositifs de contrôle des populations, 2008.
21 Jean-Max Noyer, L’expertise stratégique face aux développements de l’intelligence artificielle, Études internationales, vol. 19, no 4, 1988.
22 Antoine Bousquet : The Scientific Way of Warfare : Order and Chaos on the Battlefields of Modernity, 2009 (Chaoplexic warfare or the future of military organization).
23 Martin C. Libicki, David C. Gompert, David R. Frelinger, Raymond Smith, Byting Back, Regaining Information superiority against 21ST-CENTURY insurgents, Rand corporation, 2007.
24 Jean-Max Noyer, La stratégie américaine du contrôle continu : De la « Noopolitik » (1999) à « Byting Back » (2007) : une création de concepts et de dispositifs de contrôle des populations, 2008.
25 https://en.wikipedia.org/wiki/Zhima_Credit
26 Edward. Luttwak, Le paradoxe de la Stratégie, Ed. Odile Jacob, Paris 1989.
27 Jean-Max Noyer, Prolégomènes à des infrastructures intellectives pour l’édition numérique scientifique, Revue Digital Humanities, Garnier Flammarion Juillet 2019.
28 Ces dernières années, chimie, physique et informatique ont permis de développer des technologies dites « omiques ». Il s’agit de mettre en œuvre une ingénierie d’analyse systématique du contenu du vivant à l’échelle moléculaire. En macromolécules ADN (génomique) ; ARN (transcriptomique) ; protéines (protéomique) ; métabolites cellulaires (métabolomique) ; lipides (lipidomique). Une plate forme de services technologiques adaptés et fonctionnant à la demande peut désormais, à partir de n’importe quel échantillon contenant de la matière organique, réaliser une méta-analyse de type « omique ».
29 https://www.inserm.fr/connaitre-inserm/infrastructures-recherche.
30 Jean-Max Noyer, Les intelligences collectives dans l’horizon du trans et posthumanisme, Iste, 2017.
31 https://www.inserm.fr/connaitre-inserm/infrastructures-recherche.
32 Patrice Flichy, Jean-Samuel Beuscart https://www.cairn.info/revue-reseaux-2018-6-page-9.html
33 Abby C. King, Sandra J. Winter, Benjamin W. Chrisinger, Jenna Hua, Ann W. Banchoff, Maximizing the promise of citizen science to advance health and disease, Preventive Medecine, 2019.
34 Dans la période actuelle et la pandémie, de Covid-19, le partage d’informations ascendant, les partenariats public-privé, le « hacktivisme » et l’action collective participative ont été pour l’instant au cœur du succès dans la coordination d’un ensemble consensuel et transparent de réponses au coronavirus.
35 MOOC en 2008 pour désigner un cours nommé Connectivism and Connective Knowledge, ou CCK0827, organisé par George Siemens et Stephen Downes.
36 Jean-Max Noyer, Les vertiges de l’hyper-marketing : datamining et production sémiotique, https://books.openedition.org/pressesmines/1662?lang=fr
37 James Der Derian : Virtuous War : Mapping the Military-Industrial-Media-Entertainment-Network, Routledge, 2009.
38 Catherine Malabou, Que faire de notre cerveau ?, Bayard, 2011.
39 Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, 1990, http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html
40 « Il est utile de noter que Les agencements collectifs d’énonciation fonctionnent en effet directement dans les agencements machiniques, et l’on ne peut pas établir de coupure radicale entre les régimes de signes et leurs objets. », Gilles Deleuze.
41 « Il est urgent de détromper C. Malabou. Pour R. Godin », 17 juin 2018, Anabelle Prune. Voir aussi sur ces questions le rapport de la Mission d’étude sur les monnaies locales complémentaires et les systèmes d’échange locaux (2015), et Michel Aglietta, Pepita Ould, Ahmed et Jean-François Ponsot, « La monnaie la valeur et la règle », Entretien avec Michel Aglietta. https://journals.openedition.org/regulation/10998. Voir en particulier le point 5 « Les technologies monétaires et l’avenir de la banque centrale ».
42 Catherine Malabou, « Cryptomonnaie : Le capitalisme amorce aujourd’hui son tournant anarchiste », Le Monde économie, juin 2018.
43 John Flood & Lachlan, Robb Legal Scholarship Network, Griffith Law School, Research Paper No. 17-23, « Trust, Anarcho-Capitalism, Blockchain and Initial Coin Offerings ».
44 F. Hayek, Denationalization of Money : An Analysis of the Theory and Practice of Concurrent Currencies Institute of Economic Affairs, 1976. Dans cet ouvrage Hayek défend l’abolition du monopole de la banque centrale. Les banques centrales opèrent la planification économique, en fixant arbitrairement la structure des prix par la manipulation des taux d’intérêt.
45 Entretien avec Michel Aglietta. Voir en particulier le point 5, « Les technologies monétaires et l’avenir de la banque centrale », 2015.
46 « La différence entre monnaie locale et monnaie virtuelle, c’est qu’a priori dans le deuxième cas on peut avoir une surface beaucoup plus large, mondiale, avec des transactions sur Internet. Ces monnaies peuvent en outre être émises par des acteurs puissants. Pour l’instant on parle du bitcoin, mais supposons que les très grands acteurs d’Internet comme Google, Alibaba, Amazon émettent des monnaies – ce qu’ils peuvent faire à coût marginal presque nul grâce à leur maîtrise des technologies de transaction. On entrerait alors dans le domaine de la concurrence d’émetteurs monétaires par rapport aux monnaies bancaires, ce qui poserait problème aux banques centrales. » https://journals.openedition.org/regulation/10998
47 https://blockchainfrance.net/
48 Pierre Lévy, https://pierrelevyblog.com/tag/blockchain/
49 Ethereum, blockchain, open source. Ethereum est un protocole d’échanges décentralisés permettant la création par les utilisateurs de contrats intelligents grâce à un langage de Turing complet. Ces contrats intelligents sont basés sur un protocole informatique permettant de vérifier ou de mettre en application un contrat mutuel. Ils sont déployés et consultables publiquement dans une blockchain.
50 Brian Massumi, 99 Theses on the Revaluation of Value A Postcapitalist Manifesto, University of Minnesota Press 2018.
51 Brian Massumi, ibid.
52 Gravity : a scalable infrastructure for the crypto-economy https://medium.com/economic-spacing/gravity-a-scalable-infrastructure-for-the-crypto-economy-f653ca73b881
53 Space : https://economicspace.agency/ Post capitalist economic expression Economic media capable of communicating the value of care, health, the biosphere.
54 https://blog.p2pfoundation.net/difference-blockchain-holochain/2017/11/02.
55 https://medium.com/economic-spacing/gravity-a-scalable-infrastructure-for-the-crypto-economy-f653ca73b881
56 Towards Post-Capitalism : A Language for New Economic Expression https://medium.com/econaut/towards-post-capitalism-7679d2831408
57 L’objectif de la plateforme Space consiste à offrir une finance en open source : devenir une rampe de lancement facilement utilisable pour la création, le déploiement, le partage, la personnalisation, la copie et le remixage d’espaces économiques modulaires, interopérables et autogérés. La plateforme permet aux groupes et aux individus de faire leurs propres offres, d’émettre leurs propres jetons (tokens) programmables et de définir leurs propres systèmes de valeurs. L’avenir de la crypto-finance, Economic Space Agency (ECSA), Multitudes, no 71, 2018/2.
58 Ibid.
59 Akseli Virtanen, Crypto-Political Economy Transcending Hayek and his digital disciples. https://medium.com/econaut/crypto-political-economy-dd91c6fcff7
60 Gilles Deleuze, Felix Guattari, L’Anti-Oedipe, Capitalisme et schizophrénie T 1, Éditions de minuit, Paris, 1972.
61 Nous reprenons une des formules clés du chapitre 1 de l’Anti-Œdipe, ibid., 33-34.
62 G. Deleuze, F. Guattari, ibid.
63 Ibid.
64 Ibid., p. 51 : « Le corps sans organes est produit comme un tout, mais à sa place, dans le processus de production, à côté des parties qu’il n’unifie et ne totalise pas. »
65 M. Hardt, T. Negri sur la puissance du commun, Commonwealth, Belknap Press of Harvard University Press, 2010.
66 http://ceptr.org/projects/holochain et Hank Sohota, Beyond Bitcoin and Ethereum — a fairer and more just post-monetary sociopolitical economy February 16, 2019 No Comment P2P Foundation.
67 Sarah Manski, Ben Manski, No Gods No Masters No Coders ? The Future of Sovereignty in a Blockchain World, Law Critique, 2018.
68 Ibid.
69 Lefeng Cheng, Tao Yu, « Smart dispatching for energy internet with complex cyber-physical-social systems : A parallel dispatch perspective », International Journal of Energy Research, 2019.
70 Frédéric Lemaître, « L’OPA de la Chine sur la monnaie virtuelle et la blockchain », Le Monde, 5 novembre 2019.
71 http://ceptr.org/projects/holochain
72 https://fr.wikipedia.org/wiki/Table_de_hachage_distribu%C3%A9e
73 https://blog.p2pfoundation.net/beyond-bitcoin-and-ethereum%E2%80%8A-%E2%80%8Aa-fairer-and-more-just-post-monetary-sociopolitical-economy/2019/02/16
74 Ibid.
75 Hank Sohota, Beyond Bitcoin and Ethereum — a fairer and more just post-monetary sociopolitical economy February 16, 2019 No Comment P2P Foundation.
76 J. Rifkin, The zero marginal cost society : The internet of things, the collaborative commons and the eclipse of Capitalism, 2015.
77 E. Ostrom, 1990.
78 Voir les travaux de Pierre Levy et de Jean-Max Noyer.
79 Anne-Marie Slaughter. A New World Order, Princeton and Oxford : Princeton University Press, 2004. Et Anne-Marie Slaughter, The Chessboard and the Web : Strategies of Connection in a Networked World, 2017.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-11521-2
- EAN : 9782406115212
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11521-2.p.0207
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/05/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : plateformes, infrastructure, scalabilité, écologie, valeur