Wikipédia et l’auctorialité Critique de l’économie politique du signe encyclopédique
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2017 – 1, n° 3. Variations digitales et transformation du milieu - Auteur : Gilbert (Jacques Athanase)
- Pages : 117 à 140
- Revue : Études digitales
Wikipédia et l’auctorialité
Critique de l’économie politique
du signe encyclopédique
Il y a quinze ans je proposais, dans un contexte tout différent, une communication intitulée : Wikipédia une encyclopédie sans autorité1 publiée en 2005. Au moment de la créatio et même les quelques années qui suivirent, Wikipédia était considéré comme l’exemple même de la dimension participative et collaborative du Web qui permettait de faire advenir enfin l’« intelligence collective » dont le monde semblait jusqu’alors dépourvu. Ma présentation devant une assemblée d’activistes d’Internet leur expliquant que le modèle de Wikipédia était, pour une large part, fondé sur ceux issus de l’ultra-libéralisme de l’école de Chicago avait paru un peu provocante. Avec le recul, ma position n’a pas vraiment changé même si, au fil du temps, elle s’est enrichie et a évolué. Bien entendu l’environnement lui-même n’est plus exactement le même. L’article de David Valentine, présent dans ce même numéro 3 d’Études digitales, fait écho à cette réflexion dans une direction différente. Sa lecture m’a donné envie de reprendre la question au point où je l’avais laissée.
Wikipédia en 2018 n’est plus celui de 2005. Cette précision est importante car travailler sur un texte en ligne sans cesse modifié revient à envisager un objet qui n’est en rien homéostatique. Au-delà d’en comprendre les principes de fonctionnement, il importe toujours de savoir à quel état du texte on se réfère. Cet aspect a été souligné par Serge Bouchardon, dans son ouvrage sur La valeur heuristique de la littérature numérique : souvent, concernant la « littérature numérique », il n’existe pas d’état du texte en dehors de sa manipulation2. En l’espèce, 118Wikipédia n’est pas à proprement l’objet d’une « manipulation » mais le fait que le texte demeure sans cesse modifiable par tous ses lecteurs aboutit à un résultat comparable : l’état « stable » de Wikipédia ne peut être saisi qu’en le figeant un instant, si bien qu’une référence bibliographique se doit d’indiquer précisément le jour et l’heure de la saisie de la citation. Un des paradoxes de Wikipédia tient au fait qu’il peut être utilisé gratuitement et qu’il paraît ainsi ouvert à tous alors qu’en réalité il nécessite des connaissances, à la fois de la part de ses lecteurs et de ses contributeurs. Car il existe un bon et un mauvais usage de Wikipédia. Le « bon usage » consiste à savoir discriminer ce qu’on y trouve et être capable de faire la part des choses, de reconnaître les informations non pertinentes. En d’autres termes, reconnaître ce qui est valide et ce qui ne l’est pas. On pourrait probablement affirmer la même chose de toute activité de lecture en général et cela pourrait porter tout simplement le nom d’esprit critique. C’est exactement ce que se propose cet article qui définit toutefois préalablement les conditions particulières de la lecture de Wikipédia. Le « mauvais usage » revient à ignorer ces précautions qui sont toujours nécessaires mais particulièrement lors de la lecture de Wikipédia en raison de l’hétérogénéité fondamentale du texte. On peut ainsi appréhender l’encyclopédie comme une simple ressource documentaire mais il faut aussi considérer qu’il s’agit bien d’une économie du savoir au sens de sa distribution. Par l’expression « économie du savoir » on peut comprendre deux choses. Tout d’abord, il s’agit d’une disposition. Une encyclopédie est une représentation de ce qui fait l’objet d’un savoir et mérite par suite une entrée. Ainsi, chaque article prend sa place au sein de l’ensemble et se trouve éventuellement intégré à tout un système croisé de références. Wikipédia constitue également une économie, au sens contemporain du terme, dans la mesure où le fait d’y trouver certains contenus, ou non, découle aussi des forces socio-scientifiques qui poussent à placer au premier plan, ou non, certains domaines de la connaissance. Wikipédia s’inscrit ainsi dans le jeu des influences de la société à laquelle il appartient.
Pour toutes ces raisons, il me semble intéressant de procéder à un bilan des quelques années écoulées. Une telle démarche s’impose d’autant plus que le savoir n’est jamais exempt des enjeux de pouvoir qui traversent les institutions qui l’organisent. Et, de ce point de vue, Wikipédia peut être considéré comme une institution parmi d’autres.
119Permanence du projet encyclopédique ?
Peut-on inscrire Wikipédia dans la lignée des encyclopédies antérieures ? Le projet encyclopédique de Diderot et d’Alembert est à marquer d’une pierre blanche : il postule en son cœur une sorte d’équivalence entre les auteurs et les destinataires de par sa structure même : « L’ordre encyclopédique ne suppose point que toutes les sciences tiennent directement les unes aux autres. Ce sont les branches qui partent d’un même tronc, savoir de l’entendement humain3 ». Le « tronc commun » de l’entendement est la même faculté à l’œuvre, qu’il s’agisse de lire ou d’écrire, même si elle peut s’exercer à des degrés divers. Diderot commence son article « Encyclopédie » à sa manière :
En effet, le but d’une Encyclopédie est de rassembler les connoissances éparses sur la surface de la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, & de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siecles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siecles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même tems plus vertueux & plus heureux, & que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain4.
Toutes les encyclopédies modernes sont plus ou moins issues de ce modèle. On peut même dire que le lecteur-auteur de Wikipédia est l’aboutissement de ce processus qui rapproche le lecteur et l’auteur. Pour D’Alembert, il s’agit de présenter « au public » l’ouvrage d’une « société de gens de lettres ». Le Prospectus donne le ton : « On ne peut disconvenir que depuis le renouvellement des lettres parmi nous, on ne doive en partie aux Dictionnaires les lumières générales qui se sont répandues dans la société, et ce germe de science qui dispose insensiblement les esprits les plus à même à des connaissances plus profondes5 ». Wikipédia pousse à son terme ce mouvement jusqu’à une parfaite réversibilité des fonctions puisque chacun peut être lecteur et auteur, ou plus exactement contributeur dans la mesure où il n’y a pas d’auteur ni de signature. Là encore, l’aspect contributif se trouve dès le départ de 120la conception de l’Encyclopédie, comme le souligne Diderot : « Quand on vient à considérer la matière immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on aperçoive distinctement, c’est que ce ne peut être l’ouvrage d’un seul homme6. ». Gilbert Simondon dans un article de 1950 décrit ainsi l’esprit encyclopédique : « Remplacer le statut de transcendance par un contrat d’immanence qui relie l’homme à son semblable, c’est échapper au fatum de la solitude individuelle pour amener l’être à découvrir sa participation à l’aventure humaine ouverte. Préférer l’ordre opératoire à l’ordre structural, la méthode au système, c’est fonder l’humanisme universel7 ». Nul doute qu’il ne s’agisse pour Simondon d’une démarche opératoire et d’un acte technique. L’Encyclopédie relève d’un ensemble d’opérations techniques, les mêmes qui à la même époque permettent à une presse émergente de constituer une opinion publique. Il s’agit des techniques d’impression et de leur inscription dans une nouvelle temporalité déjà marquée par un environnement pré-industriel. Simondon compare les encyclopédistes aux cybernéticiens de son époque : « Les encyclopédistes modernes sont les savants constructeurs de centre automatique de documentation, c’est-à-dire les cybernéticiens8… »
La double ambition de D’Alembert est de satisfaire « tout à la fois le plus qu’il est possible, l’ordre encyclopédique de nos connaissances et leur ordre généalogique9 » d’où cette comparaison curieuse de l’Encyclopédie qui tient à la fois de l’arbre et de la mappemonde10 pour répondre à la nécessité de la monstration tout en s’inscrivant dans une organicité arborescente issue de la tradition la plus ancienne : l’arbre, dit de Porphyre. L’avènement des techniques automatisées de l’information a profondément modifié la recherche dans les encyclopédies : on ne procède plus de manière alphabétique ou analytique, on renseigne un champ sans avoir besoin de voir la carte. L’utilisation des bases de données n’est pas une modification technique neutre : il y a une différence significative entre une lecture humaine et la « lecture » d’un disque support de mémoire de masse (HD, Mémoire flash, etc.). La première, linéaire ou sélective, intensive ou extensive, relève toujours d’une identification des éléments signifiants selon un mode temporel qui inscrit le matériau mémorisé dans une certaine 121durée à peu près irréductible. La construction d’une lecture procède, en conséquence, comme une forme de pliage mémoriel qui relève du classement analytique. Aussi, l’arbre du savoir et ses mécanismes d’inclusion ou d’exclusion sont essentiellement destinés à organiser la séquentialité qui donne sens, un sens qui est consubstantiellement dans le temps et ses plissements. Une telle inscription temporelle suggère une nécessaire successivité, pour le moins celui qui mène du début à la fin d’une phrase. Un lecteur qui lirait toutes les premières lignes de tous les volumes papier de l’Encyclopédie Universalis aurait toutefois du mal à se constituer un quelconque savoir. L’écriture/lecture d’un disque dur est d’une tout autre facture. Et pour cause, il est « lu » ou « écrit » d’une tout autre façon qu’un livre : l’information y est « n’importe où » mais elle peut être constamment parcourue, si bien qu’il est possible d’y avoir accès de manière quasiment instantanée, totalement indiscriminée, mais parfaitement répertoriée. Ce mode d’inscription a un effet sur les modalités de présentation des informations elles-mêmes même si l’interface est, bien entendu, à même de restituer l’organisation humaine des savoirs. L’index analytique et l’ordre alphabétique des encyclopédies « papier » laissent désormais la place aux champs et aux mots-clés. En un sens la mappemonde, aussi bien que la structure de l’arbre ont laissé la place à un tout autre mode de manifestation. Cette évolution est importante, bien qu’elle soit passée plutôt second plan, l’attention s’étant surtout portée au transfert du support pour des raisons qui relèvent de la séduisante rapidité de l’outil. La distribution des anciennes Encyclopédies reposait également sur un système de renvois permettant d’établir des relations entre des branches et des rameaux mais les renvois demeurent malgré tout secondaires au regard du classement disciplinaire. Ils peuvent indiquer des chemins particuliers mais ne doivent pas brouiller la « mappemonde ». Quand l’interface de Wikipédia médiatise l’ordre d’apparition des informations, l’arbre n’apparaît plus et sans doute non plus la mappemonde mais plutôt les occurrences et leurs relations de manière plus riche. Le lecteur, qui flânait naguère au gré des pages à la recherche de sujets curieux, se voit proposer un parcours aléatoire dont les principes lui échappent. Il existait sans doute déjà, lorsqu’il se prêtait au jeu de cette lecture livresque, un aléa incommensurable : celui du geste qui tourne les pages. Wikipédia propose un parcours aléatoire de ses pages mais on ignore la programmation de l’algorithme qui le produit et il n’est plus rattaché à une dimension gestuelle.
122La nouveauté principale de Wikipédia découle de l’interactivité permise par Internet qui établit, de manière quasi instantanée, la possibilité pour chaque lecteur de modifier le texte qu’il lit. Une telle interactivité est la condition sine qua non d’un projet d’encyclopédie collaborative que ses lecteurs, qui sont par conséquent également ses contributeurs, peuvent indéfiniment amender. Cette séduisante plasticité pose néanmoins immédiatement les questions qu’engagent tous les dispositifs du même type : Comment fonctionne réellement l’interactivité ? Jusqu’à quel point l’ouverture « à tous » est-elle réelle ? Y-a-t-il ou non un plan préalable ? Ces interrogations sont légitimes. On peut soutenir, avec Hayek, que le refus du planisme, la promotion de l’auto-organisation du savoir, permettent d’atteindre une plus grande efficacité. Mais, outre que l’on entre ici dans le champ de l’idéologie, on constate par ailleurs, et plus fondamentalement, que Wikipédia a évidemment vampirisé les structures antérieures du savoir. Celles-ci sont détectables à travers les règles et les médiations encadrant les participations de chacun. Il est ainsi bien évidement question d’éviter, soit l’article « parasite », voire dépourvu d’intérêt, soit la répétition. On va jusqu’à rappeler la nécessité d’écrire dans un « style académique11 ». C’est l’effet d’énonciation éditoriale théorisé par Emmanuël Souchier12. L’opportunité d’ouvrir une nouvelle entrée, et jusqu’à la forme même que celle-ci prendra, demeure ainsi sous contrôle. Cet encadrement, rencontrant ironiquement l’interactivité fondamentale prônée par ailleurs, a donné lieu, il y a quelques années en France, à un reversement assez caractéristique : la création de la fiche d’un homme politique assez peu connu avait été contestée par les régulateurs qui considéraient sa réputation insuffisante pour être répertoriée. L’effet paradoxal de sa radiation fut de précisément lui assurer la célébrité qui lui manquait. Cette logique aboutit au fait qu’on trouve sur Wikipédia des sujets qui n’auraient pas trouvé leur place dans les anciennes encyclopédies au motif qu’ils ne relèvent pas du savoir institué. Le contour général des domaines traités par Wikipédia est de la sorte difficile à appréhender : il n’y a pas de « tableau général » comme celui que présente d’Alembert dans son Discours préliminaire. Il n’y a plus ni structure, ni contour et encore moins de « volumes » qui 123produiraient matériellement un effet de séquence. Comme c’est généralement le cas avec les supports de masse informatiques, la « limite » d’un serveur n’est en rien déterminée par la valeur de son contenu et sa structure visible ne reflète pas vraiment sa structure matérielle. Précisément, à l’instar de nombreuses bases de données disponibles en ligne, Wikipédia ne livre pas d’emblée l’étendue de son contenu dont le contour paraît toujours en expansion.
L’auteur et son autorité
Les anciennes encyclopédies s’appuient sur des autorités. Leur principe consiste à proposer des articles écrits par des auteurs réputés, et dont le sujet leur est commandé en amont. La plupart du temps, les articles sont donc signés : la source est identifiable. L’auteur est reconnu comme spécialiste et son article, indépendamment de sa qualité intrinsèque, bénéficie de l’autorité dont il jouit lui-même, une autorité par ailleurs validée par les instances académiques. Cette logique de la spécialité structure notre profession de chercheur. En France, le CNU garde le temple. Les Universités délivrent des diplômes garantis par l’État, par la réputation des universités, etc. Il y a une dimension institutionnelle qui garantit la validité du savoir établi. La contrepartie de cette autorité institutionnelle est la responsabilité, entendue au sens originel du terme. On peut questionner l’auteur et lui demander de répondre de ses affirmations. Imaginons un scientifique qui donnerait dans un article, de manière délibérée, une mauvaise préconisation médicale : il pourrait avoir à en répondre, son erreur mettant éventuellement en cause l’institution qui le garantit. Raison pour laquelle une institution se sent engagée par ce qu’elle garantit et tient à ce que le pouvoir de certification du savoir qui lui a été accordé ne se trouve jamais en situation d’être compromis.
La critique de l’auteur telle qu’elle s’est développée pendant les années soixante visait précisément la prétention des auteurs à maîtriser le sens de leurs écrits. Elle concernait plus souvent l’écriture littéraire, là où le « grand auteur » peut se trouver sacralisé, mais elle s’est ensuite étendue aux autres arts comme à tous les domaines, en somme à tous 124les champs où la fonction de l’auctorialité peut être interrogée. Dans sa conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ? » Foucault13 établit, grâce à une archéologie de la fonction-auteur, cette première responsabilité de répondre de ses textes. Il démontre que celle-ci a même précédé la notion moderne d’auteur comme celui qui peut revendiquer une paternité et une propriété sur ses textes. Or, la « mort de l’auteur », selon le titre d’un article de Barthes14, telle qu’elle a été envisagée pendant les années soixante et soixante-dix, correspondait à une remise en cause du principe d’autorité, laquelle était essentiellement revendiquée au profit du lecteur : « La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur15 ». On remarquait que la notion d’auteur n’avait pas toujours existé sous sa forme moderne. À partir de ce constat, un certain nombre de notions qui polarisaient et légitimaient les études littéraires et artistiques se trouvaient remises en cause : L’auteur est-il vraiment l’auteur ? N’est-ce pas plutôt la société et l’époque qui produisent les œuvres ? Hegel et Marx avaient largement contribué à ouvrir cette problématique, relativisant la place du sujet dans l’histoire. Et l’auteur, l’artiste, n’échappaient pas à ce processus. Ils étaient, au mieux, ceux qui savaient saisir leur époque et lui rendre l’art qui lui correspondait.
Suivant ces prémisses, il est pour ainsi dire normal que le privilège du sens jusqu’alors conféré à l’auteur lui soit contesté. Il n’est bientôt même plus assuré que l’auteur soit celui qui comprenne le mieux son œuvre. Sa supposée autorité enferme l’œuvre dans le projet auctorial alors que les potentialités de lecture qu’elle offre par ailleurs sont immenses. Certains auteurs prennent en charge ce caractère fondamentalement indéterminé de « l’œuvre » dans leur démarche même. « À vous de jouer » propose le bandeau du roman de Marc Saporta, Composition no 1, paru en 196316. C’est l’époque de l’« œuvre ouverte », pour reprendre la formule d’Umberto Eco et de la multiplicité des sujets telle qu’elle est exposée dans Mille plateaux par Deleuze et Gattari. Présentant le feuilletage de la schizophrénie 125comme une libération des carcans du sujet, celle-ci semble offrir une voie de sortie, une échappatoire à son enfermement sur lui-même. On assiste au « délignage » du sujet souverain et de son corollaire, la figure romantique de l’auteur qui rassemble son « génie » dans l’authentification de sa signature. Cette dernière, particulièrement, est relativisée au point de potentiellement relever d’un choix aléatoire. Passée cette critique pour ainsi dire historique, la décomposition du processus de la décision auctorisante s’est étendue à la plupart des domaines de l’art et de la production intellectuelle. Avec toutefois, et comme en contrecoup, une forte tendance à fétichiser le geste « auctorisant ». L’histoire complexe de l’urinoir de Duchamp est en ce sens exemplaire. L’objet présenté lors de la première exposition n’est pas « vraiment » l’original mais un substitut choisi dès lors qu’il a fallu fétichiser l’acte original d’auctorisation. Même chose concernant la pièce silencieuse de Cage, 4’33’’. Le dispositif aléatoire auquel a recours le compositeur suppose l’improbabilité que la musique survienne. Et effectivement, il n’y a pas de musique pendant quelques minutes. Le seul geste « auctorisant » tient à la durée de ce temps et à la cérémonie qui l’accompagne. De même, les œuvres musicales de cette époque sont nombreuses à intégrer la variation de l’interprète qui est à la fois lecteur et acteur de l’œuvre. Plusieurs pièces de Cage peuvent ainsi être jouées de manière assez différente et prendre des dispositions diverses selon les choix opérés par les interprètes.
Que signifie cette généralisation de la critique de l’auteur qui s’étend jusqu’au projet même de l’œuvre et de sa production ? C’est à Foucault qu’il revient de l’avoir le plus nettement élaborée par la mobilisation d’une démarche archéologique à rebours des découpages et des classements généalogiques produits par les institutions, les considérant comme autant de dispositifs grâce auxquels ces dernières apportaient un socle à l’auctorisation. Ce faisant, Foucault conteste les liens comme les discontinuités « établis », au sens fort du terme, avec pour projet de classer et de déclasser. Il leur substitue la description de discontinuités qui ne doivent pas présupposer leur objet selon la méthode qu’il décrit dans son Archéologie du savoir. On retrouve la même approche dans la conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ? ». Elle s’inscrit dans le prolongement de la démarche suivie dans Les mots et les choses. Foucault et affirme ainsi nettement son refus du modèle génétique :
126Vous formez, m’a-t-on dit, des familles monstrueuses, vous rapprochez des noms aussi manifestement opposés que ceux de Buffon et de Linné, vous mettez Cuvier à côté de Darwin, et cela contre le jeu le plus visible des parentés et des ressemblances naturelles. Là encore, je dirais que l’objection ne me semble pas convenir, car je n’ai jamais cherché à faire un tableau généalogique des individualités spirituelles, je n’ai pas voulu constituer un daguerréotype intellectuel du savant ou du naturaliste du xviie et du xviiie siècle ; je n’ai voulu former aucune famille, ni sainte ni perverse, j’ai cherché simplement – ce qui était beaucoup plus modeste – les conditions de fonctionnement de pratiques discursives spécifiques17.
Sous cette modestie « méthodologique », Foucault ramène donc l’auctorisation à des fonctions discursives discrètes et entreprend de la déconstruire jusqu’à la donner pour un « moment fort de l’individualisation ». De la sorte, il met à jour l’instance, ou plus précisément sa place toujours absente, qui régit l’acte d’écrire : « il ne s’agit pas de l’épinglage d’un sujet dans un langage ; il est question de l’ouverture d’un espace où le sujet écrivant ne cesse de disparaître18. » La référence heideggerienne est, chez Foucault, souvent sous-jacente : le fond du Das-ein et de « l’être pour la mort » constitue l’horizon du dispositif et rapporte sans cesse celui-ci à une ontologie jamais donnée comme telle. Elle constituera par la suite le point de départ de sa biopolitique dont le lieu n’est jamais donné :
Ce rapport de l’écriture à la mort se manifeste aussi dans l’effacement des caractères individuels du sujet écrivant ; par toutes les chicanes qu’il établit entre lui et ce qu’il écrit, le sujet écrivant déroute tous les signes de son individualité particulière ; la marque de l’écrivain n’est plus que la singularité de son absence ; il lui faut tenir le rôle du mort dans le jeu de l’écriture. Tout cela est connu ; et il y a beau temps que la critique et la philosophie ont pris acte de cette disparition ou de cette mort de l’auteur19.
In fine, Foucault vise l’œuvre. L’effacement de l’auteur aboutit en effet à celui de l’œuvre qui se fragmente en ses multiples versions et semble s’effilocher à mesure qu’on croit pouvoir en faire la synthèse. Foucault 127refuse même l’usage du terme d’écriture qui lui paraît réinstaller une forme de tradition historico-transcendantale20. Surtout, la notion d’auteur lui paraît dissimuler ce qu’elle produit au bout du compte : « La fonction auteur est donc caractéristique du mode d’existence, de circulation et de fonctionnement de certains discours à l’intérieur d’une société21. »
Le texte de Foucault appartient à une époque qui pratique la critique systématique de toutes les structures d’autorité patriarcales susceptibles d’empêcher l’exercice d’une liberté « sans entraves » et ce, malgré les mises en garde de Hegel au début des Principes de la philosophie du droit. Le déterminisme historique de Hegel et de Marx est désavoué comme une préconception quasi théologique entrant elle-même dans les structures de pouvoir et de domination. Pourtant, la description « phénoménologique » des discontinuités ne surgit pas, comme Foucault pourrait le laisser entendre, d’un simple constat. On ne doit pas l’envisager naïvement, si tant est que l’on suive les recommandations mêmes de Foucault. Cette description se trouve elle-même instanciée par la position qui l’institue. Une fois le sujet ou l’auteur démontés, comme de simples effets discursifs relevant d’un jeu de force et produisant un effet de pouvoir, il faut concevoir que le point d’où il est possible de faire le constat des discontinuités ne peut être pensé lui-même comme discontinu sans produire sans cesse un effet de recul, dont l’effet corollaire dénoncé par Umberto Eco est une « dérive sémiotique », quand les représentations renvoient indéfiniment à d’autres représentations22. Chez Foucault, la référence au dispositif heideggerien (Gestell) bloque le mouvement ascendant vers ce qui le produit. Non seulement le dispositif ne se livre pas comme un mode de production mais il doit toujours demeurer fondamentalement celé. Le repérage, sous l’hétérogène, du dispositif comme réseau stratégique de pouvoir risque alors d’ignorer qu’il relève également d’une forme technique de dispositif. Sauf à l’appréhender comme l’infinie modulation des règles, sur le mode cybernétique, d’une machine plus générale qui comprend les interactions individuelles, ou, plus exactement encore, 128les pense sur le mode néo-libéral du marché23. Mais là encore le dispositif foucaldien demeure prisonnier d’une ontologie du sujet et de l’objet qui persistent comme des présences fantomatiques après qu’ils ont été déconstruits. Il n’y a pas, comme chez Simondon, de réel statut technique des opérations qui autoriserait la véritable construction d’un savoir « transductif ». C’est bien le sens de la critique de Foucault par Dany-Robert Dufour, de lui reprocher d’avoir soumis son entreprise de désinstitutionnalisation aux modes de la gouvernementalité néolibérale :
Ce fut l’option de Foucault : contre l’État moderne hégélien, il n’a cessé de célébrer la « société civile » alors même que les intérêts individuels n’y sont qu’en apparence en lutte libre et égale les uns contre les autres puisque ceux qui sont les plus puissants peuvent y jouer d’emblée gagnants24.
Wikipédia n’échappe pas à cette illusion qui, sous couvert de collaboration, laisse penser que tous les acteurs se trouvent libres d’échanger objets et informations selon les principes d’une économie du partage. En réalité, c’est la plateforme qui régit et organise la « liberté » des échanges d’information sur le modèle du marché. Wikipédia est un dispositif aux puissantes fonctions régulatrices, mais un dispositif qu’il ne faut pas spécialement entendre « au sens foucaldien ». À la question de savoir ce qu’il entend par dispositif, Michel Foucault répond :
Ce que j’essaie de repérer sous ce nom, c’est, premièrement, un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit, voilà les éléments du dispositif. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments25.
129Et il précise un peu plus loin :
Un premier moment qui est celui de la prévalence d’un objectif stratégique. Ensuite, le dispositif se constitue proprement comme tel, et reste dispositif dans la mesure où il est le lieu d’un double processus : processus de surdétermination fonctionnelle, d’une part, puisque chaque effet, positif et négatif, voulu ou non voulu, vient entrer en résonance, ou en contradiction, avec les autres, et appelle à une reprise, à un réajustement, des éléments hétérogènes qui surgissent çà et là. Processus de perpétuel remplissement stratégique, d’autre part26.
Le dispositif foucaldien se tient entre l’infrastructurel et le superstructurel, dans ce lieu incertain et discontinu du réseau. Mais quand Foucault énumère les éléments du dispositif, il s’en tient à la formulation substantivée du dit et du non dit, et ce faisant, comme l’écrit Agamben, aux catégories du « disposable ». Il n’envisage pas la dimension technique des opérations transductives comme le fait Gilbert Simondon. Pour celui-ci en effet, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est un acte technique dans son organisation même. Elle correspond à un développement de l’imprimerie et présente des planches techniques comme aucune ne l’avait fait avant elle. Le projet encyclopédique demeure incompréhensible si on ne prend pas en compte cette dimension que Simondon rattache à l’émergence d’une population d’artisans techniciens et urbains27. La poursuite du projet encyclopédique par Wikipédia doit être envisagée comme son déploiement selon des modalités opérationnelles différentes. Les « hommes liés par l’intérêt général du genre humain & par un sentiment de bienveillance réciproque28 » évoqués dans l’article « Encyclopédie » de Diderot disposent désormais d’une technique interactive qui rend possible l’écriture collaborative, pourvu qu’on se trouve connecté au réseau. Le dispositif technique et informationnel rend possible une boucle de rétroaction permanente entre lecture et écriture. Mais le renoncement à toute auctorisation s’il est possible n’est en rien nécessaire. La technique autorise le choix de l’autorégulation. Cette autorégulation des savoirs peut fonctionner d’une manière assez comparable à ce que pourrait être un « marché du savoir » encadré par 130un certain nombre de règles procédurales. Elle paraît poursuivre le mouvement amorcé avec l’Encyclopédie dans la mesure où elle mobilise une communauté de savants. Wikipédia semble en effet avoir poussé à son terme l’homothétie de l’auteur et du lecteur jusqu’à pouvoir inverser les deux fonctions puisqu’à chaque instant le lecteur peut intervenir sur le texte qu’il lit et devenir contributeur anonyme. J’entends par homothétie, une ressemblance de forme mais à des échelles différentes. D’Alembert s’adresse certes à un public savant et déjà éduqué mais l’accès au « tronc commun de l’entendement », s’il rapproche l’auteur du lecteur, ne les rend pas interchangeables. Une des compétences techniques des encyclopédistes consiste à savoir maîtriser la technique de monstration du savoir quand il faut satisfaire « à la fois l’ordre encyclopédique de nos connaissances et (…) leur ordre généalogique29 ». Cette opération de présentation est essentiellement d’ordre technique, elle est à la fois organisation et interface, à destination d’un public, ce que n’était pas la monadologie leibnizienne. On peut comparer cette « opération » au travail de l’acteur pour composer son rôle et produire sur le public un effet, essentiellement assuré par une maîtrise technique, sans qu’il soit le moins du monde nécessaire d’éprouver les sentiments dont on produit les signes. À la différence de celui qui joue « d’âme » et ne peut produire que les effets qu’il ressent lui-même, celui qui compose ses effets dispose d’une palette beaucoup plus large puisqu’il se trouve en mesure de jouer des personnages très différents. Le jeu théâtral est une technique de représentation et de monstration de la même manière que l’Encyclopédie. L’interactivité d’Internet à l’œuvre dans Wikipédia produit un mode technique différent dans la mesure où il autorise une rétroaction instantanée. Cela signe-t-il pour autant la fin du privilège de l’auteur ? Foucault voyait dans la figure de l’auteur une institution bourgeoise de domination. Il répète que le pouvoir « n’existe pas » :
Le pouvoir, ça n’existe pas. Je veux dire ceci : l’idée qu’il y a, à un endroit donné, ou émanant d’un point donné, quelque chose qui est un pouvoir, me paraît reposer sur une analyse truquée, et qui, en tout cas, ne rend pas compte d’un nombre considérable de phénomènes. Le pouvoir, c’est en réalité des relations, un faisceau plus ou moins organisé, plus ou moins pyramidalisé, plus ou moins coordonné, de relations. Donc, le problème n’est pas de constituer une théorie du pouvoir qui aurait pour fonction de refaire ce qu’un 131Boulainvilliers, d’un côté, un Rousseau, de l’autre, ont voulu faire. Tous deux partent d’un état originaire où tous les hommes sont égaux, et puis, que se passe-t-il ? Invasion historique pour l’un, événement mythico-juridique pour l’autre, toujours est-il qu’à partir d’un moment les gens n’ont plus eu de droits et il y a eu du pouvoir. Si on essaie de bâtir une théorie du pouvoir, on sera toujours obligé de le considérer comme surgissant en un point et à un moment donné, et on devra en faire la genèse, puis la déduction. Mais si le pouvoir est en réalité un faisceau ouvert, plus ou moins coordonné (et sans doute plutôt mal coordonné) de relations, alors le seul problème est de se donner une grille d’analyse, permettant une analytique des relations de pouvoir30.
S’il ne peut se trouver immédiatement nommé et désigné, il se trouve néanmoins instancié et c’est précisément en ce point que l’opposition du cèlement et du dévoilement de l’ontologie heideggerienne s’avère paradoxalement incapable d’appréhender la dimension opératoire de la technique. Gilbert Simondon le rappelle, les civilisations d’agriculteurs, comme Rome l’était, sont fondamentalement techniciennes, bien plus que ne le sont celles des bergers qui n’ont besoin que de peu de technicité31. Certes, comme le pense Foucault, le pouvoir n’est pas simplement déterminé par la technique. Il ne s’y tient pas dissimulé mais plutôt « comme un faisceau ouvert plus ou moins coordonné ». Il réside dans un mode relationnel complexe que les usages d’Internet ont bien montré, sans qu’on puisse toutefois limiter sa dimension technique à celle de ses énoncés. Il s’en suit que les espaces de liberté s’inversent en techniques de contrainte parce que la technologie est fondamentalement transductive, c’est-à-dire relationnelle. C’est ainsi que le share peut se révéler in fine simple monopole d’une plateforme. La boucle de rétroaction de Wikipédia n’échappe pas à ce phénomène et particulièrement à la force des idéologies et à l’interaction politique qui la mobilise. Comme on l’a vu et malgré sa gratuité, Wikipédia constitue bien une économie des savoirs au sens de leur distribution mais aussi celui d’une régulation de forces contraires selon un souci de neutralité afin d’établir une sorte de « marché libre et non faussé » des savoirs. En aucun cas le Wiki n’implique nécessairement une disparition de l’auteur.
132Du suspens symbolique
à la dérive sémiotique
En réalité, il y a une grande différence entre l’homothétie présumée du lecteur et de l’auteur et leur possible inversion. La question est de même nature que celle qui oppose, autour de la notion de spectacle, Diderot et d’Alembert d’un côté, Rousseau de l’autre. Diderot, sous la parole du Second dans son Paradoxe sur le comédien, considère que la représentation est une production relevant de la compétence de l’acteur : il revient à ce dernier de faire éprouver au spectateur les sentiments dont il assure la représentation. Le spectateur « éprouve » donc et reçoit la représentation produite par le comédien. Voyant dans cette situation un clivage politique majeur, Rousseau propose d’instaurer un nouveau type de spectacle où chacun est à la fois spectateur et acteur : « Donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes32 ». On connaît le succès et l’influence d’une telle déclaration sur les arts et la mise en scène. Mais on aurait tort de la restreindre à ces deux champs spécifiques. En effet, elle peut aussi servir de « matrice » pour d’autres situations où l’inversion des fonctions est possible. On y voit généralement l’affirmation d’une conception populaire et démocratique non hiérarchisée, non orientée, non clivée dont l’économie du partage pourrait figurer un des développements, voire un surpassement en tant qu’elle permettrait de s’approprier les moyens de production du spectacle par ceux qui le subissent. Néanmoins, l’inversion des fonctions apparaît plus complexe si on l’appréhende par le prisme d’une « économie politique du signe » pour reprendre l’expression de Jean Baudrillard. Elle se trouve essentiellement liée au statut politique du signe au moment où il se trouve échangé. Baudrillard a ainsi constamment insisté sur la fonction symbolique de l’échange, tentant de réintroduire cette dimension dans la circulation sémiologique que Foucault tend à considérer comme un simple mode énonciatif alors qu’il engage profondément la culture technique. Gilbert Simondon différencie nettement l’approche technique de l’Encyclopédie de la position de Rousseau : « Rousseau se vit comme une modalité de l’univers, non 133comme un producteur d’artifices33 ». Le refus des spectacles et de la césure représentative détermine également une relation à la technique et engage un rapport spécifique sur les plans politique et sémiologique. Si on se situe sur le plan économique, on peut noter que le processus d’inversion du spectateur et de l’acteur est à peu près contemporain (1758) de l’abstraction de l’homo economicus chez Adam Smith (1776). Cette coïncidence ne vaut certes en rien démonstration. Pour autant, Rousseau s’est intéressé à plusieurs reprises à la question de l’échange et de la monnaie, notamment dans L’Émile. On ne saurait croire que cet intérêt soit entièrement imperméable à ses autres préoccupations, et à sa critique du signe représentatif en particulier. Quelle remarque une telle hypothèse nous autorise-t-elle ? Elle nous permet, en premier chef, de constater une étrange proximité entre la pensée de Smith et les considérations « monétaires » de Rousseau. En effet, l’homo economicus de Smith poursuit son seul intérêt, optimisant à cette fin ses inputs et ses outputs. Il n’y a, dès lors, plus vraiment de différence entre acheteur et vendeur dans la mesure où l’un et l’autre veulent exactement la même chose : plus d’inputs et moins d’outputs. Or, les passages consacrés par Rousseau à la monnaie vont dans le même sens d’une neutralisation des différences par un effet d’uniformisation. Certes, Rousseau réprouve l’usage de la monnaie comme « signe supplémentaire », comme le fait remarquer Jacques Derrida dans sa Grammatologie, mais sa critique de la monnaie est elle-même fondamentalement de nature monétaire :
La monnaie n’est qu’un terme de comparaison pour la valeur des choses de différentes espèces ; et en ce sens la monnaie est le vrai lien de la société ; mais tout peut être monnaie34.
Si effectivement « tout peut être monnaie », il en résulte que le signe, incarné dans les choses mêmes, finit par devenir immanent comme le montre l’hypothèse du troc, censé précéder la monnaie alors qu’il n’est qu’un échange monétaire sans monnaie. Marcel Mauss a montré que l’échange archaïque se fait sur le mode du don et de la circularité symbolique qu’il engage. Chez Smith, comme chez Rousseau, il faut supposer une sorte de tabula rasa symbolique née de l’intérêt. Smith 134n’attend rien de la bienveillance de son boucher ou de son boulanger. Dans son Second discours, Rousseau entrevoit un homme à l’état de nature pré-technique et présocial et délié de toute contrainte instituée. Il vit dans un état d’indifférenciation pré-sémiologique. Pierre Nicole l’indique nettement, la confrontation avec des croyants d’autres religions suspend l’obligation de charité générale envers le prochain dans son Quatrième traité : Des moyens de conserver la paix :
Leur amour est un objet dangereux, qui attire notre cœur et qui l’empoisonne par une douceur mortelle. Leur haine est un objet irritant qui nous met en danger de perdre la charité, mais l’indifférence est un milieu très proportionné à notre état et à notre faiblesse, et qui nous laisse la liberté d’aller à Dieu sans nous détourner vers les créatures
Tout amour des autres pour nous est une espèce de lien et d’engagement, non seulement parce que la concupiscence nous y attache et que nous craignons de la perdre, mais aussi parce qu’il produit certains devoirs dont il est difficile de se bien acquitter… C’est un bien qu’il ne faut pas souhaiter parce qu’il est accompagné de trop de dangers35.
Il faut préférer l’indifférence qui seule autorise un échange neutre. Il faut alors parler de désymbolisation plus de de simple sécularisation : plus rien n’oblige en dehors de ce qui se trouve mis sur la table lors de l’échange. Les positions sont alors interchangeables. Il n’y a plus de clivage représentatif et le rapport d’égalité de chacun à chacun présuppose que tout contrat se trouve établi selon une situation neutre. Le point de départ de l’action est pour Smith l’intérêt bien compris, il se tient chez Rousseau dans cette sentence généralisable à chacun : « il faut que je vive36 ». Sentence qui ramène tous les hommes à une exigence unique et irréductible de la nécessité pour soi de vivre. Ce n’est pas un hasard si l’ouvrage dont Rousseau conseille la lecture au jeune Émile est Robinson Crusoë37. Tout à sa survie, le personnage du roman s’impose comme une mise en récit de la nécessité pour soi : « il faut que je vive ». La parenté avec l’éthique protestante a été parfaitement révélée par la réécriture romanesque de Michel Tournier. Pourtant, cette manière de 135poser les choses est relativement nouvelle au xviiie siècle. Paul Jorion, grâce à une lecture attentive d’Aristote, démontre dans son ouvrage Le prix38 que la fixation des prix par le jeu de l’offre et de la demande n’advient pratiquement jamais en situation effective. S’appuyant toujours sur Aristote, il en déduit que c’est le statut des personnes en position d’échange qui détermine la valeur d’échange. Par conséquent, il faut établir une valeur proportionnelle à la position de chacun39. L’hypothèse de Paul Jorion, dans le droit fil des travaux de Marcel Mauss et de bien d’autres anthropologues, refuse ainsi de considérer l’échange « individuel » comme « seulement » individuel dans la mesure où cet échange se trouve pris dans tout un réseau d’obligations sociales. Ce point est essentiel, d’autant plus qu’il est évoqué par Rousseau au sujet d’un « Grand Seigneur » ottoman qui s’adonne à la production manuelle :
On dit que par un ancien usage de la maison ottomane, le Grand Seigneur est obligé de travailler de ses mains ; et chacun sait que les ouvrages d’une main royale ne peuvent être que des chefs-d’œuvre. Il distribue donc magnifiquement ces chefs-d’œuvre aux grands de la Porte ; et l’ouvrage est payé selon la qualité de l’ouvrier40.
Rousseau apprécie cette coutume dans la mesure où elle oblige un Grand à travailler, même s’il souhaite, in fine, « que ce qu’il fait ne tire pas son prix de l’ouvrier, mais de l’ouvrage41 ». De fait, le mode d’échange prôné par Rousseau est égalitaire : chacun doit payer indépendamment de son statut et non pas « à la tête du client », comme on dit familièrement. Il refuse donc la dimension symbolique, dont pourtant tout échange traditionnel est investi car fondé sur un mode circulaire qui établit des obligations réciproques. Au contraire, l’immanence de l’échange égalitaire, qui peut éventuellement être dépourvu de signe spécifique dès lors que « tout est monnaie », abolit tout clivage. Il reste cependant l’autorité du prince « car le prince seul a droit de battre monnaie, attendu que lui seul a droit que son témoignage fasse autorité parmi tout un peuple42 ». Et c’est bien parce que ce que la souveraineté fait autorité que Rousseau prendra un soin extrême de distinguer la volonté générale de la volonté de 136tous. Seule la première se trouve en mesure d’enclencher un processus d’autorité et par suite d’auctorisation qui sera dénié à chaque membre interchangeable de la totalité, du tous.
En effet, l’inversion possible des fonctions d’acteur et de spectateur, mais tout aussi bien de lecteur et d’auteur, a pour effet de bloquer tout processus d’auctorisation pour lui substituer une validation « sans statut » que Rousseau souhaite immanente et transparente. Selon ce même schéma, lecture et écriture peuvent être appréhendées, comme de simples « entrées » et « sorties » bien loin de la disputatio médiévale et de ses autorités désormais incomprises et refusées. C’est ainsi l’économie générale des signes qui se trouve changée. Par exemple, André Orléan souligne à quel point les phénomènes de titrisation des marchés avaient favorisé l’apparition de bulles financières en abolissant la différence initiale entre acheteur et vendeur. En effet, la loi de l’offre et de la demande, qui veut qu’on vende quand les prix montent et qu’on achète quand les prix baissent, ne fonctionne plus dès lors que les acheteurs se projettent exclusivement sur la revente à laquelle ils vont procéder43. Le cas échéant, on achète quand les prix montent et on vend quand les prix baissent. Le « marché » du signe peut se retrouver soumis à ce processus de « bulle sémiologique » alors même que lecture et écriture sont également « titrisées ». Dès lors, le principe d’auctorisation ne relève plus de la production d’un garant selon un modèle de classification logique et inclusif mais d’un dispositif économique de garanties qui permet de « gérer » la contradiction sur le mode de la neutralité des échanges sémiologiques. Il faut vraiment prendre Roland Barthes au sérieux quand il affirme que « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur44 ». Il s’agit bien d’une transaction sémiologique que d’ailleurs Barthes explique dans une conférence Sur la lecture :
Dans cette perspective, la lecture est véritablement une production : non plus d’images intérieures, de projections, de fantasmes, mais, à la lettre, de travail : le produit (consommé) est retourné en production, en promesse, en désir de production, et la chaîne des désirs commence à se dérouler, chaque lecture valant pour l’écriture qu’elle engendre à l’infini45.
137On croit retrouver les hypothèses de Gary Becker et de sa nouvelle théorie du consommateur46 quand il invente, à peu près dans les mêmes années, un consommateur qui s’avère être, en réalité, le producteur des satisfactions qu’il consomme. La production sémiologique de ce nouveau consommateur est totalement liée au fait que sa vie entière est considérée comme une ressource : dans cette perspective, il doit, pour chaque choix, procéder à une allocation optimale de son temps selon un processus herméneutique et heuristique de production du sens. Ce nouveau producteur est avant tout producteur de sens. Ce fonctionnement en boucle réduit le producteur de biens mis sur le marché au simple rôle de « producteur premier » qui n’intervient pas dans la production sémiologique à proprement parler. À l’autre bout du spectre, le consommateur ne consomme plus que ses fantasmes. Le modèle beckerien a pour intérêt de montrer la forte relation qui existe entre une critique de l’émetteur/producteur et la propension autotélique de la figure analogue du récepteur/consommateur qui vise ses « satisfactions ». Si l’on suit Barthes, c’est ici qu’on peut évoquer le « plaisir du texte ». Au-delà, on voit bien que le principe d’auctorisation se dissipe de lui-même dès lors que la production est désormais le fait du seul récepteur-consommateur. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, Umberto Eco s’est penché, dans Les limites de l’interprétation, sur le risque de « dérive sémiotique » qui émerge à partir du moment où l’interprétation ne cesse de produire de nouvelles significations : le signifiant se réfère alors indéfiniment au signifiant sans que le processus se trouve jamais arrêté. Eco vise la déconstruction derridienne, laquelle réfute la possibilité d’une origine référentielle de la sémiose pour pouvoir toujours déconstruire toute forme d’auctorialité. Il met en garde contre le risque d’une disparition pur et simple de l’émetteur : cette logique poussée à son terme implique que le sens revienne essentiellement au récepteur. La « libération » du récepteur, quand elle en arrive au point d’effacer l’émetteur, pose bien entendu une question sémiologique majeure : comment le récepteur peut-il s’approprier le sens sans le recevoir ? L’inversion pratiquée par Rousseau agit de la 138même manière : elle abolit le privilège de toute autorité transcendante à l’exception de la simple présence du peuple souverain désigné comme « volonté générale ». Au sein du peuple, il n’y a que des individus interchangeables dont le pouvoir symbolique se trouve neutralisé. Derrida notait ainsi le caractère quasi suspendu de la fête rousseauiste : elle est en effet « sans sacrifice, sans dépense et sans jeu47 » dans la mesure où elle n’instaure pas de circularité. Et il précise : « Ce mouvement d’abstraction analytique dans la circulation des signes arbitraires est bien parallèle à celui dans lequel se constitue la monnaie48 ». Toutefois, il ne met pas en évidence le processus de désymbolisation qui s’y trouve opéré. Et pour cause, la déconstruction qu’il opère procède également de la dérive sémiotique comme le montre Umberto Eco49. Celle-ci peut ainsi être comprise comme une sorte de « bulle spéculative » : elle génère indéfiniment du sens selon un mécanisme d’optimisation qui risque de ne jamais rencontrer de retour à un quelconque signifié, celui-ci étant plus ou moins évacué dès l’origine. Comme le remarque Vincent Kaufmann, lorsqu’il traite de la place de l’auteur dans la littérature contemporaine dans Dernières nouvelles du spectacle50, l’auteur n’est pas mort, il est plutôt devenu une sorte de pastiche de lui-même, un auteur Canada dry. Si « Chacun est un artiste » ainsi que le clame Beuys, il existe bien un marché où cette situation d’équité radicale se trouve malgré tout évaluée. Or, sur ce marché des valeurs, le style et l’auctorisation de la signature retrouvent tous leurs droits. C’est à là qu’apparaît la figure de l’expert, cette figure capable de procéder à une expertise qui produira une valeur par elle-même, avec toutefois l’accord des parties concernées. La « dérive sémiotique » rend toujours possible une nouvelle médiation. En l’espèce le rôle d’expert revient à évaluer une transaction à un moment donné. Qu’il s’agisse de bien ou de signes importe peu. Cette indifférenciation justifie pleinement que l’un des personnages du Tout petit monde de David Lodge passe sans transition et sans aucune difficulté de la déconstruction post-derridienne à la spéculation boursière. Dans les deux cas, il s’agit simplement de contrôler un même flux sémiologique.
139Dans la même veine, les « tribunaux » dits arbitraux produisent un type de vérité tout à fait nouveau car établi de manière purement contractuelle. L’affirmer ne consiste pas à laisser accroire qu’une autorité législative ou institutionnelle est par ailleurs infaillible. Néanmoins, les décisions prises par une autorité supposent qu’il existe, sinon une vérité, du moins une situation décisive qui tient lieu de « vérité ». C’est d’une certaine façon le rôle du juge de décider de la nature de l’action qui doit régler la relation entre la personne et la chose. La décision est pragmatique dans la mesure où elle n’énonce aucune vérité mais l’arrêt d’une effectivité. Il s’agit d’une opération au sens où l’entend Simondon. Le modèle arbitral au contraire impose son horizontalité au détriment de la verticalité des institutions comme l’a montré Alain Supiot51. Le cas de l’encyclopédie Wikipédia, c’est en cela qu’il est intéressant, tient également de ce régime de vérité qui se met en place, avec ses intercessions, ses discussions et ses débats qui défendent tous un principe de neutralité vis-à-vis les théories préexistantes. Or, et c’est là une zone grise qui signale pour le moins le caractère idéologique que nous avons évoqué en ouverture de notre réflexion, la régulation de ce principe de neutralité constitue précisément le dispositif de l’encyclopédie comme son principe organisateur. La fonction qui était celle de l’auteur, si on retient l’hypothèse de l’énonciation éditoriale proposée par Emmanuël Souchier incombe désormais à la plateforme. Toutefois les plateformes, comme chacun sait refusent de porter la responsabilité de ce qu’elles hébergent. Elles se limitent, à les entendre, à gérer les flux. Il s’agit, bien évidemment, d’un choix politique et « économique » tout à fait circonstancié qui se présente à son tour comme « autorité » sans autorité puisqu’il s’agit d’une simple instance régulatrice qui se traduit par le terme neutre et apolitique de gouvernance. On s’étonne aujourd’hui que le président américain évoque l’existence de vérités ou faits « alternatifs ». La chose n’est pas si surprenante si la concurrence est bien le mode de présentation des informations et si aucune instance ne se trouve en mesure de les départager. Car, rappelons-le, les « tribunaux arbitraux » du savoir ne se trouvent pas en mesure de produire une décision savante qui ait force de « loi ».
Umberto Eco finit par trouver dans le principe de l’habitude, tel qu’il est développé chez Searle, une possibilité d’arrêter la dérive sémiotique : celle-ci naît de l’assentiment d’une communauté. En politique, la common 140decency d’Orwell constitue la limite imprescriptible mais commune d’un sens partagé. Dans le domaine scientifique, l’évaluation par les pairs est la norme. Or, Wikipédia étend indéfiniment le domaine de la « parité ». Il est intéressant de noter que le par latin, dont découle le mot « parent », signifie aussi bien « rival » qu’« égal ». Pour le dire autrement : quand l’instance généalogique de la parenté, qui prévalait dans l’organisation du savoir, rencontre celle de de la séparation des égaux (par), le savoir doit trouver son chemin et ses traverses.
Jacques Athanase Gilbert
Université de Nantes
IEA de Nantes
1 Jacques A. Gilbert, « Wikipédia, une encyclopédie sans autorité », in Franck Cormerais, Poétique du numérique, L’entretemps, 2008.
2 Serge Bouchardon, La valeur heuristique de la littérature numérique, Hermann, Paris, 2014.
3 D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie, Médiations, 1965, page 71.
4 Denis Diderot, Article « Encyclopédie ».
5 D’Alembert, Prospectus d’octobre 1750.
6 Denis Diderot, Article « Encyclopédie ».
7 Gilbert Simondon, Sur la philosophie, 1950-1980, PUF, 2016, page 121.
8 Idem, page 129.
9 D’Alembert, Discours, page 61.
10 Idem, page 60.
11 Wikipédia, 15 janvier 2018.
12 Emmanuël Souchier, “Formes et pouvoirs de l’énonciation éditoriale”, in Communication & Langages. Année 2007 154, p. 23-38.
13 Michel Foucault, Qu’est-ce qu’un auteur ? Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, no 3, juillet-septembre 1969, p. 73-104. (Société française de philosophie, 22 février 1969 ; débat avec M. de Gandillac, L. Goldmann, J. Lacan, J. d’Ormesson, J. Ullmo, J. Wahl.) Dits Écrits Tome I texte no 69.
14 Roland Barthes, « La mort de l’auteur », in Bruissement de la langue, Nouveaux essais critiques, Point-Seuil, 1984.
15 Idem.
16 Marc Saporta, Composition no 1, Le Seuil, 1962.
17 Michel Foucault, Qu’est-ce qu’un auteur ?, Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, no 3, juillet-septembre 1969, p. 73-104. (Société française de philosophie, 22 février 1969 ; débat avec M. de Gandillac, L. Goldmann, J. Lacan, J. d’Ormesson, J. Ullmo, J. Wahl.) Dits Écrits Tome I texte no 69.
18 Idem.
19 Idem.
20 Idem.
21 Idem.
22 Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, Grasset, 1992.
23 Armen Khatchatourov, Études digitales, no 2, 2016, « Big data entre l’archive et le diagramme », page 83.
24 Dany-Robert Dufour, Introduction à la Fable des abeilles de Mandeville, Éditions Pocket, 2017, page 52.
25 Michel Foucault, Le jeu de Michel Foucault (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J. Miller, J.-A. Miller, C, Millot, G. Wajeman), Ornicar ?, Bulletin Périodique du champ freudien, no 10, juillet 1977, p. 62-93. Peu de temps après la parution de La Volonté de savoir, nous avons invité Michel Foucault à venir passer une soirée avec nous. D’une conversation à bâtons rompus, nous donnons ici quelques moments. A.G. Dits Écrits tome III texte no 206.
26 Idem.
27 Gilbert Simondon, Sur la philosophie, opus cit, « Introduction à une épistémologie généralisée » et « Portée philosophie de la technique », 1980.
28 Denis Diderot, Article “Encyclopédie”, op. cit.
29 D’Alembert, op. cit. page 61.
30 Michel Foucault, Le jeu de Michel Foucault (entretien avec D. Colas, A. Grosrichard, G. Le Gaufey, J. Livi, G. Miller, J. Miller, J.-A. Miller, C, Millot, G. Wajeman), Ornicar ?, Bulletin Périodique du champ freudien, no 10, juillet 1977, p. 62-93. Dits Écrits tome III texte no 206.
31 Gilbert Simondon, Introduction à une épistémlogie généralisée (1980). Op. cit.
32 Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d’Alembert, 2003.
33 Gilbert Simondon Sur la philosophie, op. cit. « De l’implications technologique dans les fondements d’une culture » pages 379-380.
34 Jean-Jacques Rousseau, L’Émile, Livre III, Garnier-Flammarion, page 245.
35 Pierre Nicole, Choix des petits traités de morale de Nicole : De la faiblesse de l’homme, De la soumission à la volonté de Dieu, Des diverses manières dont on tente Dieu, Des moyens de conserver la paix avec les hommes, De la civilité chrétienne / édition revue et corrigée par M. Silvestre de Sacy. Éditeur, J. Techener (Paris), 1857, page 299.
36 Idem, page 252.
37 Ibid., page 239.
38 Paul Jorion, Le prix, Flammarion, 2016,.
39 Paul Jorion, Le prix.
40 Ibid., page 262, c’est moi qui souligne « qualité ».
41 Ibid., page 262.
42 Ibid., page 245-246.
43 André Orléan L’empire de la valeur, Seuil, 2011.
44 Roland Barthes, La mort de l’auteur, in Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, Le Seuil 1984.
45 Idem, page 247.
46 Gary Becker, On the New Theory of Consumer Behavior, Robert T. Michael and Gary S. Becker. The Swedish Journal of Economics, Vol. 75, No. 4 (Dec., 1973), p. 378-396, Published by : Wiley on behalf of The Scandinavian Journal of Economics. DOI : 10.2307/3439147 Stable URL : http://www.jstor.org/stable/3439147. Page Count : 19.
47 Jacques Derrida, De la grammatologie, Le Seuil, 1967, page 433.
48 Idem.
49 Umberto Eco, Les limites de l’interprétation, Grasset, 1992,.
50 Vincent Kaufmann, Dernières nouvelles du spectacle, Le Seuil 2017.
51 Alain Supiot, La gouvernance par les nombres, Fayard, 2016.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-08531-7
- EAN : 9782406085317
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08531-7.p.0117
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/11/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français