The Artvertiser : improved reality de Julian Oliver
- Publication type: Journal article
- Journal: Études digitales
2016 – 1, n° 1. Le texte à venir - Author: Fourmentraux (Jean-Paul)
- Pages: 243 to 248
- Journal: Digital Studies
The Artvertiser :
improved reality1 de Julian Oliver
The Artvertiser est un projet de Julian Oliver, membre du Free Art Technology (FAT), une organisation qui à pour but l’enrichissement du domaine public par l’usage créatif des médias et technologies numériques. Le réseau FAT engage les artistes, ingénieurs, scientifiques, juristes, musiciens, à défendre les valeurs d’ouverture propres aux licences libres et à ouvrir de nouvelles pistes de réflexion critiques autour de l’esprit d’entreprise, de la culture du secret et du monopole induit par les droits d’auteur et les brevets2. Dans ce cadre, le projet Artvertiser confronte l’art et l’advert, l’artistique et la publicité de masse qu’il dénonce. Apparu entre 2008 et 2010 dans des expositions de rue à Berlin (Transmédiale) et à Bruxelles (Festival des Façades) ou encore à Rotterdam (Festival de l’Image) à pour but de s’approprier les espaces publicitaires en les détournant par un dispositif numérique de « réalité augmentée » qui révèle des œuvres d’art à la place des panneaux publicitaires.
Il s’agit ainsi d’occuper un espace public de plus en plus privatisé par les campagnes marketing en transformant des places comme Time Square ou Picadilly Circus en véritables galeries d’art. Pour en faire l’expérience, l’œuvre propose aux citoyens un dispositif technique – le « Billboard Intercept Unit » (en français : unité d’interception d’affichage) – sortes de jumelles spécialement conçues, équipées de caméra à l’avant et de lentilles oculaires à l’arrière. Pilotées par un algorithme, les jumelles fonctionnent via un logiciel de recherche d’images dans l’environnement urbain.
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Fig. 1 – Julian Oliver, The Artvertiser (2010), http://julianoliver.com.
245L’Artvertiser substitue aux images publicitaires une production plastique qui interroge de façon critique le débat sur la privatisation grandissante de l’espace public. En plus des jumelles, The Artvertiser et également disponible comme logiciel gratuit qui fonctionne sur les systèmes de Linux, Windows, OS X et les Androïds. Ce logiciel permet donc aux systèmes de la machine de reconnaître et identifier certaines publicités comme des publicités « à remplacer » via la Web Cam de l’ordinateur ou la petite caméra des téléphones. Et ensuite il doit remplacer instantanément l’image par une autre image qui vient s’accoler par dessus (toujours un autre contenu virtuel en 2D). Le code de ce programme a été développé à la base par Julian Oliver puis amélioré par Damian Stewart (le code de l’Artvertiser est licencié sous GPLv3, et disponible). Si une connexion internet est disponible à proximité, la substitution peut s’archiver directement ou être publiée en ligne sur des sites tels que Flickr et Youtube, proposant et construisant ainsi une « mémoire » alternative de la vision de la ville. En ce servant du média d’internet comme levier, l’idée est également tournée vers une sorte de « mécanisme de redistribution ». The Artvertiser propose de voir la ville comme un site que l’on peut repenser comme une grande exposition d’art pour les piétons et d’en conserver une trace pour ceux qui ne sont pas dans la rue et ne se servent pas du logiciel. Une autre utilisation du logiciel est également possible, en effet il a une fonctionnalité vidéo (non live) qui peut être utilisée. Elle permet à ceux qui le souhaitent de faire comme les artistes, de remplacer la publicité de leur choix par une « œuvre » qu’ils font ou qu’ils choisissent, de filmer et de partager la vidéo avec leurs amis ou sur les réseaux de leurs choix. Cela permet à tous de participer et l’art en devient encore plus public. Le logiciel gratuit est disponible peut être trouvé sur le site officiel de l’Artvertiser, il suffit d’avoir une Web Cam pour pouvoir l’utiliser.
L’Artvertiser donne la possibilité de voir le temps d’un instant nos villes comme un espace négociable qui n’est pas uniquement destiné à la consommation et à la lecture, mais sur lequel on peut écrire, une ville dans laquelle on peut s’exprimer. L’enjeu est aussi de bousculer l’idée d’espace public en questionnant l’hybridation et/ou l’articulation réel-virtuel à l’ère numérique :
–un espace public réel : la rue, le métro, les transports en communs etc. ;
246–un espace public numérique : les forums, les communautés en ligne, les espaces médiatiques, espaces d’affichages, les réseaux, les émissions au contenu diffusé sur le net ;
–un espace privé réel : l’habitation, l’intimité ;
–un espace privé numérique : le téléphone, la page personnelle sur un réseau social ou une communauté en ligne. Tous les espaces accessibles grâce à un login et mot de passe.
Julian Oliver parle alors ici de réalité améliorée, ou réalité augmentée. La réalité augmentée désigne les systèmes informatiques qui rendent possible la superposition d’un modèle virtuel à la perception que nous avons naturellement de la réalité et ceci en temps réel. Elle désigne les différentes méthodes qui permettent d’incruster de façon réaliste des objets virtuels dans une séquence d’images. Exploitant cette technologie, le projet Artvertiser questionne les frontières entre espaces publics et espaces privés, entre présence et intrusion, séduction et manipulation. L’Artvertiser défend ainsi une forme de média-activisme en réalisant des interventions temporaires ou permanentes dans la sphère médiatique urbaine.
Julian Oliver va faire appel à de nombreux artistes qui laisseront libre court à leur imagination pour détourner les publicités : le rendu peut être grotesque, féerique ou choquant, le but étant d’interpeller le passant. Tous ces artistes sont engagés contre la dictature de la publicité, qui pollue visuellement notre environnement. Leurs actions s’intègrent toujours dans un lieu spécifique, pour leur résonance particulière :
Devant un panneau publicitaire de la banque BNP Paribas indiquant quatre bureaux à louer et leur superficie, l’artiste Adélaïde François accole dessus par réalité augmentée une photo d’un champ de blé : jouant sur l’expression « se faire du blé », questionnant aussi la lutte de la nature contre la ville polluée.
L’artiste Alec De Busschère remplace une publicité pour un jeu vidéo par une photo de Julian Oliver en train de scruter les passants via ses jumelles Artvertiser : une mise en abyme de l’ingénieur et une réflexion sur notre société placée sous surveillance et conditionnée par la publicité.
Le projet Artvertiser entre ainsi en résonance avec d’autres travaux d’artistes qui ont également travaillé sur la question de la réappropriation de l’espace public. En voici quelques exemples d’actions, de contextes ou d’œuvres :
247–Christoph Steinbrener & Rainer Dempf : Delete ! (2006) : Dans une artère centrale de Vienne, tout signe publicitaire, slogan, pictogramme, nom de compagnie ou logo est recouvert d’un monochrome jaune pour une période de deux semaines. Ce détournement vise à faire réaliser aux passants que l’espace urbain est pollué par les publicités qui dictent leur conduite, et leur consommation. Le citadin est un consommateur sous pression, influençable. Par leur activisme, ces deux artistes dénoncent une dictature du consumérisme. URL : http://www.steinbrener-dempf.com/public-projects/delete/
–Graffiti Research Lab : Laser Tag (2007-2008) : Il s’agit d’un dispositif de tag lumineux, d’un graffiti éphémère tracé à distance (projeté) à l’aide d’un crayon-laser « tracké » par une caméra. La démarche est en « open source » : le Graffiti Research Lab met à disposition le manuel et le code de toutes leurs inventions, invitant chacun à fabriquer et améliorer leurs outils. Ce détournement de l’espace public comporte souvent un message politique engagé. URL : http://www.graffitiresearchlab.com/blog/projects/laser-tag/
–Jason Eppink : Pixelator (2007) : L’artiste réalise une intervention urbaine utilisant une « grille » en carton-mousse recouverte d’une feuille translucide (feuille de gélatine utilisée dans l’éclairage photo ou au cinéma) pour détourner des écrans publicitaires convertis inopinément en œuvre d’art vidéo. Cette œuvre fait figure d’anti-publicité en remplaçant cet encart publicitaire par un Do-It-Yourself, encourageant la création virtuelle. URL : http://jasoneppink.com/pixelator/
–Mark Callahan : Internet Soul Portraits (2005) : Les sites de Yahoo, Google, MSN, Amazon, CNN, eBay, The Weather Channel, MapQuest, Best Buy, ou encore MySpace sont ici réduits à leur structure, en une vision picturale permettant de percevoir l’identité « silencieuse » d’une grille graphique dépouillée de signes familiers. L’abstraction de ce web-design épure la toile et la décharge des publicités intrusives qui envahissent nos écrans au quotidien. URL : http://mazamedia.com/isp.html
248Ces pratiques interventionnistes révèlent des arts médiactivistes qui investissent et critiquent l’ordre social, politique et économique dominant. À l’ère des « lunettes intelligentes » développées par la firme Google, ce projet critique, héritier des Hacker Space, est également avant-coureur dans l’archéologie des médias : un courant de recherche qui rassemble aujourd’hui de nombreux chercheurs en media studies se désignant eux-mêmes comme « archéologues des médias » dans une approche influencée par l’archéologie du savoir de Michel Foucault. Influencés par les théories des médias, ces chercheurs s’intéressent aux machines médiatiques (qui communiquent ou mémorisent) qu’ils cherchent, comme des archéologues, à exhumer en même temps que leur environnement social, culturel et économique. Ces recherches se développent aujourd’hui en lien étroit avec l’histoire de l’art qui questionne la pérennité (matérielle et intellectuelle) d’œuvres d’art qui, depuis plusieurs décennies, font largement appel aux machines médiatiques et numériques. Dans ce contexte, au-delà de la démarche artistique et à l’instar de Julian Oliver, les praticiens des nouveaux médias s’engagent dans une politique esthétique de perturbation, d’intervention et d’éducation visuelle.
Jean-Paul Fourmentraux
1 URL : http://theartvertiser.com
2 Les membres du FAT Lab sont Evan Roth, James Powderly, Theo Watson, Bennett Williamson, Mike Baca, Jamie Wilkinson, Borna Sammak, LM4K, Tobias Leingruber, Becky Stern, Michael Frumin, Steve Lambert, Jonah Peretti, Randy Sarafan, Aram Bartholl, Geraldine Juárez, Greg Leuch, Magnus Eriksson, Golan Levin, Kyle McDonald, Addie Wagenknecht, KATSU, Les FFFFFrères Ripoulain (David Renault & Mathieu Tremblin). URL : http://fffff.at.
- CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN: 978-2-406-06193-9
- EAN: 9782406061939
- ISSN: 2497-1650
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-06193-9.p.0243
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 09-29-2016
- Periodicity: Biannual
- Language: French