Les contraintes du verbal
- Publication type: Book chapter
- Book: Étude sur la langue romanesque de Victor Hugo. Le partage et la composition
- Pages: 209 to 210
- Collection: Studies in Romanticism and the Nineteenth Century, n° 48
- Series: Hugo, n° 1
Dans leur étude sur la langue littéraire telle qu’elle se développe de 1850 à 20001, Gilles Philippe et Julien Piat expliquent que la deuxième partie du xixe siècle marque le divorce de la langue littéraire et de la langue commune : dans l’imaginaire de l’époque, s’instaure le credo que le français ne serait pas une langue adaptée à la création littéraire. Alors qu’au xviiie siècle c’est plutôt l’inadaptabilité du français au rythme poétique, pensé sur le modèle du vers latin, qui pose problème, l’idée d’une distinction entre langue commune et langue littéraire émerge au début du xixe siècle2.
Remontant au xviiie siècle, l’idée que le caractère du français n’est pas bien adapté à l’expression littéraire se poursuit au xixe, où elle trouve de nombreux échos, prenant la forme d’une doxa qui justifiera l’idée moderniste que l’écrivain ne peut écrire que dans une « autre langue » voire en se préservant de la langue commune, comme c’est le cas chez un Mallarmé. Ce n’est pas la position de Hugo, qui n’y voit pas une loi générale de la langue, mais le simple retour du dogme classique de la clarté du français. On le sait, c’est contre ce dernier qu’il a construit son esthétique à partir de la Préface de Cromwell. Il y oppose la « correction de surface » du français classique, que « tient en laisse la grammaire » et la « correction intime, profonde, raisonnée, qui s’est pénétrée du génie d’un idiome, qui en a sondé les racines, fouillé les étymologies » grâce à quoi « elle peut oser, hasarder, créer, inventer son style3 ». Ce postulat selon lequel une « langue ne se fixe pas » se trouve réaffirmé au moment de l’exil avec une portée nouvelle. Sous le Second Empire, la classe dominante cherche dans le retour aux règles classiques une manière d’asseoir sa légitimité et trouve dans l’utopie du français comme langue nationale un nouveau mode de contrôle politique4.
Hugo se refuse à en prendre acte : la langue n’existe pas en dehors des individus qui la font, au premier rang desquels le génie créateur, dont le rôle n’est pas seulement de refléter l’éclat d’un idéal, mais de contribuer à la formation d’une matière historique. Car la langue pour Hugo n’est ni un système, ni un outil, mais bien un matériau, avec ses propriétés spécifiques.
À côté des règles de la grammaire officielle et des idéaux de la langue littéraire, Hugo choisit une troisième voie, celle des contraintes de la langue de tous. Nul besoin en ce sens de faire la guerre aux structures linguistiques5 ; il suffit, résistant à l’épuration grammaticale, de retrouver le principe de sa formation populaire, en faisant résonner l’écho étymologique qui relie langue romane et langue romanesque. Selon le principe du bricolage révolutionnaire qui, comme l’explique David Charles6, consiste à faire du retournement de l’obstacle le principe même du progrès, Hugo se concentre alors tout particulièrement sur trois types de contraintes du langage verbal, lisibilité, signification et forme.
1 La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, dir. G. Philippe et J. Piat, Paris, Fayard, 2009.
2 « Benjamin Constant écrit encore Adolphe dans le même style, la même “langue” que celle qu’il emploie pour son journal et ses lettres à Germaine de Staël, non Chateaubriand, qui n’écrit pas Atala comme il écrit à Fontanes. Chateaubriand dans son œuvre littéraire n’écrit pas seulement mieux que le commun des hommes, il écrit autrement, jargonne une langue étrangère », comme l’explique Claude Millet (« Le jargon romantique », art. cité).
3 PC, p. 30.
4 Voir Jacques-Philippe Saint-Gérand, « Langue et langages du xixe siècle », Nouvelle histoire de la langue française, dir. J. Chaurand, Paris, Seuil, 1999, p. 379-504.
5 C’est en ce sens qu’on peut comprendre le célèbre vers des Contemplations, rhétorique et syntaxe renvoyant, par métonymie, aux règles du bon goût classique pour la première et à l’organisation plastique de la langue pour la seconde.
6 La Pensée technique dans l’œuvre de Victor Hugo, Paris, PUF, 1997.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-8124-3338-2
- EAN: 9782812433382
- ISSN: 2258-4943
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3338-2.p.0209
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-09-2015
- Language: French