Maladie de la santé et santé de la maladie Lycas et ses théâtres
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions
2021 – 2, n° 19. varia - Auteur : Panichi (Nicola)
- Pages : 109 à 125
- Revue : Éthique, politique, religions
Maladie de la santé
et santé de la maladie
Lycas et ses théâtres
Ut bona sæpe valetudo cum dicitur esse
Corporis, et non est tamen hæc pars ulla valentis
Lucrèce, De rerum natura, III, 102-103.
« Philosophia pariter et salutaris et dulcis est ? »
Dans une longue section de l’« Apologie de Raymond Sebond », Montaigne analyse le problème du mal dans l’histoire de la philosophie (qu’il considère comme une histoire des « sectes ») pour conclure :
De vray, qui desracineroit la cognoissance du mal, il extirperoit quand et quand la cognoissance de la volupté, et en fin aneantiroit l’homme : Istud nihil dolere, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, stuporis in corpore1. Le mal est à l’homme bien à son tour. Ny la douleur ne luy est tousjours à fuïr, ny la volupté tousjours à suivre (II, 12, 493C).
Il s’agit d’un passage bien connu, écrit à la suite de Cicéron : l’insensibilité à la douleur ne s’obtient qu’à un prix élevé, la barbarie de l’âme et la torpeur du corps. Montaigne ajoute un autre aspect : l’insensibilité correspond à l’anéantissement de l’homme en tant qu’il est homme ; le mal physique n’est donc pas toujours à éviter parce que le fait de sentir le mal est la condition même du vivre. Jusqu’à la conclusion paradoxale : « le mal est à l’homme bien à son tour ».
110Cette caractérisation ouvre de nouveaux horizons bien identifiables dans les Essais : la reconnaissance que le mal (physique), impossible à éliminer, est à reconsidérer sur le plan moral et politique. Dans un premier temps, l’attitude de Montaigne se loge dans un moule classique : l’existence même d’une morale est soumise à la condition que le mal existe ; il n’y aurait pas de morale s’il n’y avait pas de choix entre le bien et le mal, il n’y aurait pas de santé morale (et une morale ne serait même ni possible ni nécessaire) s’il n’y avait un mal à surmonter et à vaincre. Mais cette position se révèle plus nuancée et interlocutoire : faut-il toujours surmonter le mal et le vaincre ? Cette position permet à Montaigne de mener une investigation du monde moral qui, renvoyant à des présupposés ontologiques et génétiques (l’existence dans l’homme du bien et du mal), permet une analyse plus complexe de la catégorie de maladie. Ainsi qu’on le verra, l’exemple de Lycas constitue l’emblème de cette complexité.
Montaigne adresse à lui-même et à son lecteur de nombreuses questions, usant de différents mots et registres : quel rapport faut-il établir entre maladie et mal ? La maladie est-elle toujours le symptôme d’un mal ou est-elle quelquefois la marque d’un excès ? Existe-t-il une ligne de démarcation nette entre maladie et santé, bien et mal, ou plutôt, la santé même a-t-elle ses maladies comme la maladie sa santé ? Est-ce que le bien porte en soi un germe de mal et le mal un germe de bien ? Si au mal ne succède pas toujours un bien et si au mal peut même parfois succéder un mal encore pire (comme dans le cas des assassins de César), le sujet (l’homme, le moi) peut-il, une fois qu’il a pris conscience de la fragilité de cette limite et de cette ligne de démarcation, adopter une conduite éthique dans sa vie si l’éthique même, dans la tradition philosophique classique, relève du choix entre bien et mal ? Comme le note Montaigne : « les loix ethiques, qui regardent le devoir particulier de chacun en soy, sont si difficiles à dresser, comme nous voyons qu’elles sont […] » ? (III, 13, 1070B)
Ce n’est qu’après avoir reconsidéré les présupposés de cette partition (entre ce qui est bien et ce qui est mal) que Montaigne se demande si le paradigme moral de la maladie et de son antonyme, la santé, fonctionne de manière isomorphe sur le plan du corps naturel et du corps social, comme une longue tradition de philosophie politique l’a soutenu. La question est aussi de savoir si le bios fonde aussi bien la politique, que 111l’anthropologie, du point de vue de son origine, de l’art du gouvernement et du rapport entre gouvernants et gouvernés.
La conclusion que la santé a ses maladies comme la maladie sa santé trouve une illustration dans le personnage de Lycas (et en partie, celui d’Ajax chez Sophocle). Même si l’on admet, comme le proclame l’Ecclésiaste, que le fait de n’avoir conscience de rien procure la vie la plus heureuse (II, 12, 496), la philosophie est considérée comme une douce médecine pour toute sorte de maux. Elle peut aller jusqu’à prôner le suicide. Ce qu’il faut encore nous demander, c’est quelle idée s’est faite Montaigne de cette annexion-intrusion de la médecine dans la philosophie. En pensant la philosophie dans le cadre de la pensée de Plutarque (« douce médecine »), Montaigne suggère-t-il qu’une médecine adoucie est utile grâce à une sorte de leurre bénéfique au sens de Lucrèce, leurre de l’art et de la nature parce qu’il rend doux ce qui est amer et fait du bien2 ?
En vérité, le topos ne passe pas ici par Lucrèce ou Plutarque, mais est cité directement, avec correction, de Sénèque, en mobilisant le passage de la lettre 50 à Lucilius où le philosophe romain introduit le personnage d’Harpaste, la folle de sa femme3 :
Je ne suis pas ambitieux, disons nous, mais à Rome on ne peut vivre autrement ; je ne suis pas sumptueux, mais la ville requiert une grande despence […]. Ne cherchons pas hors de nous nostre mal, il est chez nous, il est planté en nos entrailles. Et cela mesme que nous ne sentons pas estre malades, nous rend la guerison plus mal-aisée. Si nous ne commençons de bonne heure à nous penser, quand aurons nous pourveu à tant de playes et à tant de maus ? Si avons nous une tres-douce medecine que la philosophie : car des autres, on n’en sent le plaisir qu’apres la guerison, cette cy plait et guerit ensemble. Voylà ce que dit Seneque, qui m’a emporté hors de mon propos ; mais il y a du profit au change (II, 25, 689-690A).
112Montaigne nous dit que l’argument de Sénèque l’a emporté hors de son propos, mais qu’« il y a du profit au change ». Les deux propositions ne sont ni complètement fausses ni complètement vraies. De la lettre de Sénèque qui démontre que les défauts résident en nous et non dans les choses (comme un mal radical), Montaigne lie le début et la fin et traduit correctement jusqu’à « maus ». Il coupe tout le reste, y compris l’allusion à notre inertie lorsqu’il s’agit d’appeler un médecin (« Et pourtant nous n’appelons même pas un médecin médecin »), en récupérant la référence finale à la philosophie comme douce médecine qui fait du bien. Sénèque montrait à Lucilius combien la vertu est difficile à appréhender au début, surtout pour une âme faible qui craint tout ce dont elle n’a aucune expérience, et comment il faut obliger cette âme à faire les premiers pas (itaque cogenda est ut incipiat). Par la suite, la médecine ne sera plus amère (deinde non est acerba medicina), voire elle plaira de plus en plus jusqu’à la guérison. La philosophie devient à la fois agréable et porteuse de santé (Aliorum remediorum post sanitatem voluptas est, philosophia pariter et salutaris et dulcis est).
Que reste-t-il donc du profit que nous a promis Montaigne ? Pense-t-il que la philosophie fonctionne toujours comme remède et soin à la maladie ? Et, surtout, quelle philosophie, si elle-même a ses maladies (le dogmatisme, l’épicurisme par certains aspects, le scepticisme académique et le stoïcisme avec sa morale téléologique, par exemple) pour lesquelles il faut trouver une nouvelle médecine ? Montaigne semble répondre comme l’éditeur de la seconde Préface à la Nouvelle Héloïse, à qui l’homme de lettres (Rousseau), dans un jeu de rôle, avait proposé les vers de Lucrèce en italien, dans la traduction du Tasse : « J’ai peur que vous ne vous trompiez encore : ils [les lecteurs] suceront les bords du vase, et ne boiront pas la liqueur4 ».
113« Mais où la trouvons-nous ? »
Dans la section du texte de l’Apologie qui nous intéresse5, Montaigne analyse les remèdes que la philosophie épicurienne propose à l’homme quant au but de la vie. La tranquillité de l’âme et du corps avait été présentée dans ses caractéristiques complexes, dans les pages précèdentes6 et elle avait été considérée comme fin et bien suprêmes de tous les courants philosophiques (« En cecy y a il une generalle convenance entre tous les philosophes de toutes sectes, que le souverain bien consiste en la tranquillité de l’ame et du corps », II, 12, 488A). La tranquillité consiste en l’absence de toute maladie (morale et physique) et elle est à la santé ce qu’est le salut à l’individu.
Dans le texte de 1588, Montaigne ajoutera sans vouloir être emphatique : « Mais où la trouvons-nous ? ». L’interrogation n’est pas rhétorique et fournit la clef de lecture des argumentations programmatiques qui suivent. Toutes les sources que Montaigne utilise dans cette page, et dont il use sans parcimonie, tentent de tracer une frontière, sans qu’aucune ne soit complètement adaptée à son discours (« tout exemple cloche »). Dans son répertoire d’arguments utiles à son thème, ce dernier les dépasse tous jusqu’à marquer, dans quelques cas, une distance infranchissable avec sa source.
Déjà, dans l’édition de 1580, Montaigne avait cité quelques vers d’Horace qui représentaient une sorte de palinodie ironique par rapport à l’attitude austère que le poète latin avait manifesté jusque-là : « Ad summum sapiens uno minor est Jove : dives, Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum ; Praecipue sanus, nisi cum pituita molesta est7 » (II, 12, 488A). Maintenant la question se précise : où est-ce que le sage (le philosophe) pense trouver les remèdes pour acquérir cette tranquillité qui est la compagne du plaisir, de la voluptas, comme l’exige la théorie épicurienne – c’est-à-dire ce savoir qui précisément rend sage et nous 114donne la santé ? Épicure, son interlocuteur privilégié dans cette page à travers le truchement critique de Cicéron, croyait l’avoir trouvée, entre autres, dans la gestion volontaire des images et du souvenir. Mais tandis que Montaigne propose un exemple qui l’éloigne du contexte épicurien, jugé insuffisant, voire erroné, il finit par exposer quelques-unes des solutions (provisoirement) admises par la philosophie avec une certaine indulgence, au titre de solutions génériques. Il fait des concessions vraisemblables (« je croy qu’ils [les philosophes] ne me nieront pas […] » II, 12, 495A), qu’il semble rattacher au scepticisme avant qu’elles ne soient balayées, avec les éléments épicuriens, de la scène pour laisser place au remède ultime – le suicide.
Une fois écarté le recours épicurien à la mémoire (le souvenir des biens passés réjouit et rend moins pénible le présent) et, fugacement, à l’ignorance, même le palliatif de la construction d’un théâtre imaginaire (l’anecdote de Lycas) ou l’illusion de posséder tous les navires qui vont et viennent du Pirée (l’anecdote de Thrasilaos) se révèlent être des fantaisies dont le but est de procurer par d’autres moyens cette constance apportée par la tranquillité que l’homme n’arrive jamais à posséder :
Comment la philosophie, qui me doit mettre les armes à la main pour combattre la fortune, qui me doit roidir le courage pour fouler aux pieds toutes les adversitez humaines, vient elle à cette mollesse de me faire conniller par ces destours couards et ridicules ? (II, 12, 495A)
Le remède ultime indiqué – le suicide – se révèle non seulement faux, mais il est ici le rejeton impuissant de l’ignorance et du non-être. On le sait, d’autres chapitres adopteront une tout autre tonalité (« Philosopher c’est apprendre à mourir », « Coutume de l’île de Céa » et certaines réflexions de l’« Apologie »).
Lorsqu’il expose le premier remède (le recours à la mémoire), aussitôt repoussé8, Montaigne répond d’abord à Épicure par la médiation du De finibus cicéronien. En empruntant à cette source, il fait correspondre, sur l’Exemplaire de Bordeaux, deux visées opposées, dont l’une est fausse et l’autre vraie. La première citation du De finibus (I, 17, 57) est tout d’abord 115pleinement insérée dans la discussion critique de la théorie épicurienne : « Et cela est faux : Est situm in nobis, ut et adversa quasi perpetua oblivione obruamus, et secunda jucunde et suaviter meminerimus9 » (II, 12, 494-495C). Montaigne ira jusqu’au deuxième livre du De finibus pour exposer dans sa véridicité la position contraire d’une manière très nette : « Et cecy est vray : Memini etiam quae nolo, oblivisci non possum quae volo10 ». La mémoire apparaît comme une source, in potentia et in actu, de maladie.
Cicéron, qui avait mis en parallèle le pour et le contre, rejetant la position épicurienne sur le lien entre gestion des images, réminiscence et volonté, avait recouru au thème de l’« art de l’oubli », évoqué par la très célèbre anecdote de Thémistocle, reprise aussi, mais très rapidement, dans le De oratore (II, 87, 351). C’est un locus bien connu : à qui lui promettait l’art de la mémoire, Thémistocle répondit : « Je préférerais l’art de l’oubli, car je me souviens de ce que je ne veux pas, mais je ne réussis pas à oublier ce que je veux ». Dans De finibus (I, 12, 41), le philosophe d’Arpinum avait bien souligné la position épicurienne selon laquelle pour le savant, le sage, les biens passés ne s’évanouissent pas et il ne doit jamais se souvenir des maux. Mais est-il en notre pouvoir de choisir nos souvenirs (De fin., II, 32, 104), l’homme ne possédant pas l’art de l’oubli ?
Cicéron concluait qu’il s’agissait d’une réplique intelligente (magno hic ingenio) qui correspondait bien à la réalité : si réprimer le souvenir (des maux passés) est un ordre donné par un philosophe trop autoritaire (imperiosi philosophi), les épicuriens alors ordonnent des choses impossibles (quod facere non possim). Il peut arriver que même le souvenir des maux soit agréable et donc certains proverbes se révèlent plus vrais que les dogmes épicuriens ; ce n’est pas par hasard si l’on dit : « agréables sont les souffrances endurées » et Euripide a raison d’écrire « “il est doux le souvenir des souffrances passées”11 ». Euripide s’élève donc lui-même aussi « contre » Épicure.
Si le conseil de se fier à la mémoire vient donc d’Épicure (« Et de qui est ce conseil ? de celuy qui se unus sapientem profiteri sit ausus12 », II, 12, 495), Montaigne ajoute, après le passage cicéronien et en vertu de 116cet esprit de contamination qui lui est coutumier, un de nombreux éloges lucrétiens du philosophe grec contenu dans le De rerum natura (III, 1043-1044), comme celui « qui genus humanum ingenio superavit, et omnes / praestrinxit stellas, exortus uti aetherius sol13 ».
Mais dans cette marqueterie voulue parfaite, il fallait qu’il y eût Sénèque le tragique, qui conjugue le thème de l’impuissance du remède de la mémoire à celui de l’ignorance. « [A] De vuyder et desmunir la memoire, est-ce pas le vray et propre chemin à l’ignorance ? [C] Iners malorum remedium ignorantia est14 ». Et la lettre 88 ad Lucilium donne un intéressant témoignage contre les coryphées du nihil scire : « Non facile dixerim utris magis irascar, illis qui nos nihil scire voluerunt, an illis qui ne hoc quidem nobis reliquerunt, nihil scire. Vale15 ».
On assiste ici à un premier découpage conceptuel du texte de l’« Apologie » entre le remède impossible et le remède palliatif. À partir de ce moment, Montaigne se concentre sur un niveau plus profond de la problématique et il envisage les concessions que propose la philosophie en guise de consolation en empruntant les « apparences frivoles » du vulgaire :
Nous voyons plusieurs pareils preceptes par lesquels on nous permet d’emprunter du vulgaire des apparences frivoles où la raison vive et forte ne peut assez, pourveu qu’elles nous servent de contentement et de consolation. Où ils ne peuvent guerir la playe, ils sont contents de l’endormir et pallier. (II, 12, 495A)
Il s’agit toujours de ces remèdes palliatifs que la philosophie irait jusqu’à justifier « par quelque foiblesse et maladie du jugement » :
Je croy qu’ils ne me nieront pas cecy que, s’ils pouvoient adjouster de l’ordre et de la constance en un estat de vie qui se maintint en plaisir et en tranquillité par quelque foiblesse et maladie de jugement, qu’ils ne l’acceptassent : potare et spargere flores / Incipiam, patiarque vel inconsultus haberi16. (II, 12, 495A)
117Encore une fois on retrouve la référence à Horace (I, V, 14), mais avec une intention épistémologique et morale qui fait la différence en introduisant une image précise de la phénoménologie philosophique, c’est-à-dire la folie, maladie absolue ou vraie santé, qui pénètre dans la trame du texte.
« Patiarque vel inconsultus haberi » –
L’humeur peccante de Lycas
Faiblesse et maladie de jugement prennent une forme concrète dans l’anecdote de Lycas, suivie d’un autre exemple, d’un registre et d’un poids différents. Selon Montaigne, plusieurs philosophes se comporteraient exactement comme Lycas :
Il se trouveroit plusieurs philosophes de l’advis de Lycas : cettuy-cy ayant au demeurant ses meurs bien reglées, vivant doucement et paisiblement en sa famille, ne manquant à nul office de son devoir envers les siens et estrangiers, se conservant tres-bien des choses nuisibles, s’estoit, par quelque alteration de sens, imprimé en la fantasie une resverie : c’est qu’il pensoit estre perpetuellement aux theatres à y voir des passetemps, des spectacles et des plus belles comedies du monde. Guery qu’il fust par les medecins de cette humeur peccante, à peine qu’il ne les mit en proces pour le restablir en la douceur de ces imaginations, pol’me occidistis, amici, Non servastis, ait, cui sic extorta voluptas, Et demptus per vim mentis gratissimus error17. (II, 12, 495A)
Les médecins ont ôté à Lycas le plaisir en lui ôtant la maladie de son « humeur peccante ». Montaigne apparente la « resverie » de Lycas à celle de
Thrasilaus fils de Pythodorus, qui se faisoit à croire que tous les navires qui relaschoient du port de Pyrée et y abordoient, ne travailloient que pour son service : se resjouyssant de la bonne fortune de leur navigation, les recueillant avec joye. Son frere Crito l’ayant faict remettre en son meilleur sens, il regrettoit cette sorte de condition en laquelle il avoit vescu plein de liesse et deschargé de tout desplaisir. C’est ce que dit ce vers ancien Grec, qu’il y a beaucoup de commodité à n’estre pas si advisé. (II, 12, 495-496A)
118Nous retrouvons le même parcours vers le déplaisir, la privation de volupté.
La conclusion provisoire du discours montaignien aboutit au concept d’ignorance à travers la convergence entre le passage l’Ajax de Sophocle (552, G. 554) – où le héros, enviant la félicité de son petit-fils, s’écrie : « N’avoir conscience de rien, c’est le bonheur suprême » – et l’Ecclésiaste (I, 18) : « En beaucoup de sagesse, beaucoup de desplaisir ; et, qui acquiert science, s’acquiert du travail et tourment ». Science est souffrance. Si, avec Sénèque, Montaigne avait placé l’ignorance au rang des faux remèdes dans le mal et du mal, il en souligne à présent la prétention à constituer, en tant que bien suprême, un remède unique. Une telle conclusion clôt la liste des exempla en confirmant la ligne de lecture de Montaigne.
Cette liste d’exemples a probablement une autre source, non nommée par Montaigne : Érasme et son Éloge de la folie mais aussi l’Adagium 1981 du livre II : In nihil sapiendo jucundissima vita (« la vie est très belle sans rien savoir ») qui, obiter dictum, demeure quelque peu mystérieux. Dans l’édition de 1536 sur laquelle se fondent les éditions critiques modernes, ainsi que dans l’édition de 1550 (Lugduni, apud Sebastianum Gryphium), l’adage en question est répertorié sous la formule : In nihil sapiendo jucundissima vita, et non comme l’indiquent Villey, Friedrich, Tournon, Garavini, etc., sous la mention : I, 981, Fortunata stultitia. On ne trouve aucun adage nommé ainsi. Mes recherches sont d’abord demeurées infructueuses, avant que je ne découvre dans l’adage In nihil sapiendo jucundissima vita tous les exemples rapportés dans le passage de l’Apologie dont nous nous occupons. Le syntagme (Fortunata stultitia) n’apparaît que dans quelques éditions posthumes comme surtitre ou rubrique générale où sont regroupés divers adages thématiquement apparentés, et plus particulièrement dans certaines éditions des Épitomés des Adages – où les exemples mentionnés dans le passage de l’Apologie ne sont présents parfois que partiellement ou dans un ordre différent par rapport à l’adage In nihil sapiendo qui en revanche les contient tous – et dans l’Index locorum. En tous les cas, jamais n’apparaît le nom propre de Lycas (si bien que l’hypothèse d’une source autre qu’Érasme est rendue plausible) et dans certaines éditions n’apparaît même pas l’anecdote18. 119Quoi qu’il en soit, l’ordre originel de l’édition érasmienne se retrouve rétabli dans l’Apologie.
Montaigne a eu recours à Cicéron (De finibus et Tusculanae), Horace, et très probablement à Érasme, pour montrer comment les recommandations épicuriennes sont « couardes et vaines ». Mais il faudrait préciser que son point de vue ne se réduit pas simplement à un contra Épicure et pro Cicéron … Le scénario est bien plus complexe si l’on tient compte de cette probable présence d’Érasme.
La « souvenance des biens passés » se montre donc d’un très médiocre secours face aux sollicitations toutes-puissantes du corps. L’autonomie de la mémoire, que la volonté ne peut rendre sélective, représente un obstacle incontournable19. D’après l’extrait des Tusculanae (III, 15, 33) cité partiellement dans l’Exemplaire de Bordeaux (II, 12, 494C), la pratique épicurienne se caractérise par un volontarisme ferme et une toute-puissance de la raison. Pour Cicéron :
Quant au soulagement du chagrin, Épicure le fait dépendre de deux choses : se détacher de la pensée des peines et s’attacher à la contemplation des plaisirs. Épicure estime en effet que l’âme peut obéir à la raison et se laisser guider par elle. Or la raison nous interdit d’envisager les peines, elle nous arrache aux pensées amères, elle affaiblit notre vue en ce qui concerne la contemplation des misères ; puis, lorsqu’elle a sonné la retraite et rompu le contact avec elles, elle nous ramène en avant, elle nous invite à fixer nos regards sur des plaisirs de toute sorte, à en repaître notre pensée, car Épicure veut que la vie du sage soit remplie des plaisirs, plaisirs passés que la mémoire lui rappelle, plaisirs à venir que son espoir évoque. Ces choses-là, nous les avons dites à notre manière, et les Épicuriens s’expriment autrement, mais c’est le fond et non la forme qui nous importe20.
Donc, « c’est le fond non la forme qui nous importe ». Le résultat est qu’on entretient d’autant mieux le souvenir qu’on s’obstine à l’éradiquer 120par des remèdes supposés aptes à les faire disparaître. Montaigne nous avait dit qu’il est inutile de « conniller », l’oubli ne se commande pas. L’âme conserve en soi des marques rebelles. Cette sagesse n’est pas sagesse. Sur ce qui deviendra l’Exemplaire de Bordeaux, Montaigne, ajoutant des formules tirées du premier et du second livre du De finibus (I, 17 et II, 32), relaie la charge contre Épicure, en discréditant sa doctrine. Par la critique, encore une fois empruntée à Cicéron (à la fois Tusculanae, II, 17, 35 et De finibus II, 32, 104), le sage épicurien est ainsi (presque) éliminé de la scène philosophique.
Les deux théâtres
Ces prémisses étant établies, il est possible de se concentrer sur l’anecdote de Lycas pour tenter de mieux comprendre la valeur symbolique (et morale) de son théâtre. Si Montaigne semble accepter et généraliser, à travers l’idée du theatrum perennis avec spectateur qu’a imaginé l’Argien, le thème sceptique du monde phénoménal, monde de l’apparence, ou plutôt de sa projection21, il ajoute une fonction manifestement différente par rapport à la signification et au fonctionnement du topos classique du theatrum mundi.
La thèse qui est maintenant discutée est que la philosophie elle-même est prête à partager quelques faiblesses et infirmités de l’intellect, de l’imagination et de ses caprices (entre autres, le comportement de celui qui s’imagine toujours au théâtre ou qui pense être le possesseur des navires qui vont au Pirée ou en viennent) à condition que l’enjeu soit d’en tirer une certaine saveur de tranquillité et de plaisir, de joie et d’absence de souffrance – même dans l’hypothèse où, en réalité, les remèdes proposés fonctionneraient comme « médecine » palliative. L’idée 121de se trouver en permanence au théâtre, ou mieux aux théâtres comme dans l’anecdote de Lycas, pour assister à des pièces réjouissantes, ne peut être considérée, sinon par assonance, comme une simple reprise du topos de la vie comme théâtre. Lycas imagine ce théâtre intérieur pour ne pas vivre seulement dans l’autre dimension, celle du theatrum mundi où, par ailleurs, il joue régulièrement son rôle ; il vit le théâtre imaginaire dans une vie agréablement onirique, projection de son désir, tandis que le topos de la vie comme théâtre est une sorte de registre ordonné par des rôles prédéfinis, où les hommes, malgré eux, s’adaptent comme les acteurs à un scénario où ils dissimulent leur vie. Nous pourrions même dire que Montaigne nous fait assister ici à un retournement du topos de la vie comme théâtre.
Lycas est aussi bon acteur dans la vie réelle qu’il est excellent spectateur au théâtre du plaisir, de la voluptas. Si la bonne praxis, la bonne vie pratique, c’est de s’adapter aux us de son propre pays, Lycas en est l’acteur par excellence : en effet, il est un brave citoyen, un bon père de famille, il obéit à ses devoirs même vis-à-vis des étrangers, il se tient éloigné des choses nocives. Il est bon citoyen, mais il ne s’interdit pas de rêver, d’imaginer, de créer – on pourrait dire qu’il est bon citoyen à condition et au prix de rêver. Le comportement adapté au mos commun légitime paradoxalement ce rêve, le dépassement de la vie comme theatrum mundi et la nécessité d’un divertissement à soi, par un autre théâtre – et le pluriel utilisé par Montaigne (« perpetuellement aux theatres »), indique clairement sa dimension imaginaire.
Il s’agit ici d’un comportement orienté (la pratique du monde selon les codes sociaux acceptés) de façon à permettre le divertissement grâce à la construction de ce théâtre fantastique, dont les rôles ne sont pas des rôles empruntés comme les masques sur la scène de la vie quotidienne pour un rôle commandé, et les acteurs jouent en échappant aux règles mêmes du théâtre : dans ce théâtre onirique, la scène de la vie imaginée est toujours voluptueuse.
Deux idées liées au théâtre viennent ainsi se superposer sans se confondre : la première, celle des règles du theatrum mundi, la seconde, celle de la fantaisie, de l’imaginaire et du plaisir (de la voluptas), mais aussi, du point de vue de la théorie de la connaissance, de l’apparence et du phénomène. Si ce n’est que, dans ce théâtre, il n’y a que des choses agréables (comme si la force de l’imagination pouvait être ici aussi 122dirigée par la volonté), l’attitude de Lycas ne pourrait-elle évoquer, avec cependant quelques différences radicales et peut-être un renversement, celle de Pyrrhon, du Pyrrhon du portrait montaignien qui suit dans ces mêmes pages ? La bonne vie que mène Lycas ne semble-t-elle pas en quelque sorte se présenter comme une anticipation de la bonne vie de Pyrrhon ? C’est au fond la question que se pose Olivier Guerrier et à laquelle il faut répondre. Mais la réponse se trouve pour ainsi dire dans les termes mêmes de la question.
Si le Pyrrhon de Montaigne démasque les illusions et les fantasmes, les impostures doctrinales, les mirages de toute sorte, de façon à se libérer en même temps de leur enchantement et du malaise qui leur est lié, il enseigne surtout à être « homme vivant, discourant et raisonnant, jouïssant de tous plaisirs et commoditez naturelles, embesoignant et se servant de toutes ses pieces corporelles et spirituelles en regle et droicture » (II, 12, 505C). Mais tandis que la vie active devient dans l’optique sceptique uniquement un devoir extérieur en face du monde – et alors que Pyrrhon, « homme vivant », en tant que sceptique, « s’il veut vivre » (II, 12, 505C), pratique beaucoup de choses sans les comprendre, ni les percevoir ni les partager, en étant conscient cependant qu’il peut les démasquer –, le fait d’être en permanence au théâtre des apparences (les phénomènes ?), comme le natif d’Argos, ne semble pas être le fruit d’une opération de dévoilement ; et quand son masque de théâtre est tombé, Lycas en est comme tué. L’imagination est à son tour une illusion, une illusion qui semble fonctionner comme supplément, dans le double sens du terme. Ici le divertissement ne naît pas de l’humeur mélancolique, mais peut-être du devoir qui adapte le comportement à l’ethos commun, preçu comme coutume (un statut au fond désagréable). Si le mode de vie de Lycas et celui du sceptique Pyrrhon se ressemblent par certains côtés, jamais ils ne se superposent. La gnoséologie et l’épistémologie pyrrhoniennes n’ont rien à voir avec ce théâtre du fantastique. Si Lycas ressemble à Pyrrhon par sa vie conforme aux coutumes de son pays, et s’il adopte pour le monde réel une morale provisoire, le monde intellectuel du sceptique renvoie à la suspension du jugement, à la skepsis, non au plaisir, comme le précise justement Guerrier.
Dans le cas de Lycas, la jouissance du théâtre semble suppléer à la non jouissance de la vie comme théâtre, ou theatrum mundi. Nous sommes en présence d’un divertissement qui introduit la possibilité 123même d’un décalage entre pratique de la vie (même si elle est bonne) et images agréables, composées dans un théâtre intérieur. Et sur de telles images qui peuplent les théâtres de Lycas, Montaigne dit seulement qu’elles sont agréables.
En rapport avec l’exemple de Pyrrhon qui suit, Montaigne semble relancer un cas d’exemplum inversé. Si le topos est présenté après un long discours sur la gnoséologie sceptique débouchant sur la dimension pratique du scepticisme (« s’il [le philosophe] veut vivre ») et sur l’admission d’une façon de vivre similaire à celle qu’on appellera plus tard la morale provisoire, dans l’exemplum de Lycas, après avoir affirmé qu’il s’agit d’un citoyen exemplaire, Montaigne introduit la création du théâtre intérieur par une « alteration de sens » qui imprime dans la « fantasie » une « resverie ». Ici la conception sceptique paraît fonctionner aussi à l’envers. Lycas ne construit pas un monde d’incertitude sur la base de laquelle, « s’il veut vivre », il doit organiser une vie réglée, mais tout en vivant une vie « bien reglée », il n’échappe pas, par une altération du sens, à la création du théâtre intérieur. Lycas est engagé dans la comédie de la vie et il en sort par la « resverie » d’un autre théâtre dont il est spectateur. De cette « alteration de sens » (forme de maladie qui donne une santé illusoire) Lycas n’est pas conscient : il ignore qu’il s’agit d’une maladie qui lui donnera une autre maladie. Mais c’est l’illusion où peut tomber aussi la philosophie. C’est l’antre de Platon au rebours …
À bien voir, alors, cette altération du sens ressemble, même vaguement, à la fortunata stultitia érasmienne : une folie qui nous fait être toujours au théâtre pour assister en spectateur et non en acteur (mais Lycas s’identifie-t-il aussi aux acteurs ?) et pour y voir projetée la félicité dont nous prive la vie réelle, malgré ou à cause du fait qu’elle observe « doucement et paisiblement » les règles : le renvoi au déréglé, au plaisir, dériverait d’une sage folie (« alteration de sens »). Au-delà du sceptique Pyrrhon, voici Moria, la sagesse incarnée par la folie érasmienne. Et c’est justement d’Érasme, de l’abeille laborieuse (pour reprendre une expression chère à Jean-Claude Margolin22), qu’on devrait repartir.
Mais la conclusion de Montaigne diverge de la vision érasmienne. S’il donne l’exemple de Lycas dans le cadre de la phénoménologie des faux remèdes que la philosophie est prête à échanger contre la tranquillité de l’âme – forme sublime de santé –, cet exemple, tout en maintenant son 124caractère paradoxal sur la vague de la fortunata stultitia, ne constitue pas un remède réel, mais ici encore un faux remède, qui n’est même pas un remède dans le mal. Il s’agit en somme d’une sorte de renoncement à la philosophie, d’une résignation qui révèle son impuissance ; le divertissement, s’il est positif pour Lycas (qui y trouve sa tranquillité), demeure toujours pour Montaigne (et pour sa philosophie vraye et naifve), malgré le distinguo, un remède illusoire – une maladie où Lycas voit sa santé.
pour une conclusion
De toute évidence, ce n’est pas l’illusion qui guérit Lycas mais la démystification de l’illusion qui comporte une nouvelle douleur et la disparition du plaisir – procurant en somme une nouvelle maladie. Montaigne ne met pas en question l’efficacité de la cure – après tout Lycas guérit –, mais son utilité, puisque la lucidité « tue » l’Argien en lui ôtant le bonheur. Il ne s’agit pas de l’efficacité du soin, mais de l’illusion qui ne guérit pas. Si ce n’est pas l’illusion qui guérit mais la démystification de l’illusion, la même démystification crée de nouveau la maladie. Nous sommes au rouet.
Olivier Guerrier s’est demandé si cette opération inconsciente de Lycas théâtralisait le scepticisme. Or si l’attitude de l’Argien suit une sorte de scepticisme qui procède à une mise entre parenthèses de ce qui est, en le réduisant à l’état d’apparences, dans ces pages la cible n’est pas la skepsis mais l’eudémonisme – le plaisir, la volupté.
Il reste que la philosophie dans son histoire (de l’épicurisme au scepticisme) n’a trouvé contre le stoïcisme que des remèdes trompeurs. Pas de médecine qui guérit : ni douce-amère, ni très-douce. Les épicuriens nous fournissent des moyens insuffisants et les sceptiques, qui tentent d’accepter quelques images empruntées au vulgaire pour la tranquillité de la vie, procèdent à un partage entre un dedans et un dehors ne permettant pas d’atteindre un état meilleur. La philosophie se chargera de leur faire prendre conscience de leurs propres rêves : mais prendre conscience de ses rêves signifie mourir pour Lycas, et le massacre des illusions fait naître de nouvelles maladies.
125« Fortis imaginatio generat casum, disent les clercs ». C’est le très célèbre incipit de l’essai « De la force de l’imagination ». Mais les clercs attribuaient cette prise de conscience aux médecins. Un de ces théologiens à qui pourrait se référer Montaigne (« les clercs ») est Jean Gerson23, auteur bien connu par Jean-François Pic de la Mirandole, qui le cite dans son De imaginatione. Alors il faudrait corriger génétiquement le locus communis avec la formulation que l’on trouve dans un ouvrage de Gerson, son De passionibus animae : « Sic asserunt Medici, quod imaginatio facit casum ». Il s’agit toujours du médecin/philosophe (ici Avicenne) et de la philosophie qui, comme la lance d’Achille, blesse et guérit, attitude à quoi Montaigne ne semble plus croire.
La profondeur heuristique et herméneutique du chiasme – santé de la maladie / maladie de la santé – garde malgré nous toute sa valeur. C’est l’horizon incontournable de l’humaine condition.
Nicola Panichi
École normale supérieure de Pise
1 « Cette insensibilité ne se peut acquérir qu’à un prix élevé : au prix de l’abrutissement de l’âme et de la torpeur du corps ». (Tusculanae disputationes, III, 6). Les traductions des citations latines de l’édition Villey et les italiques sont toujours de notre fait.
2 Lucrèce, De rerum natura, I, 936-947, IV, 11-25.
3 « Adjoutons encore un’histoire voisine de ce propos, que Seneque recite en l’une de ses lettres. Tu sçais, dit-il escrivant à Lucilius, que Harpaste, la folle de ma femme, est demeurée chez moy pour charge hereditaire, car, de mon goust, je suis ennemy de ces monstres, et si j’ay envie de rire d’un fol, il ne me le faut chercher guiere loing, je me ris de moy-mesme. Cette folle a subitement perdu la veue. Je te recite chose estrange, mais veritable : elle ne sent point qu’elle soit aveugle, et presse incessamment son gouverneur de l’en emmener par ce qu’elle dit que ma maison est obscure. Ce que nous rions en elle, je te prie croire qu’il advient à chacun de nous : nul ne connoit estre avare, nul convoiteux. Encore les aveugles demandent un guide, nous nous fourvoions de nous mesmes » (II, 25, 689A).
4 J.-J. Rousseau, La Nouvelle Héloïse, in OC, sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, 1959 et suivantes, II, p. 17, texte établi par Henri Coulet et annoté par Bernard Guyon.
5 De la page 494 à la page 496 de l’édition Villey.
6 En particulier II, 12, 488.
7 « En somme, le sage n’est inférieur qu’au seul Jupiter : il est riche, libre, illustre, beau, donc il est le roi des rois – sauf lorsqu’il souffre d’un rhume ». En guise de conclusion de la première partie du premier livre des Epistulae (I, 1, 106-108).
8 « Car la memoire nous represente, non pas ce que nous choisissons, mais ce qui luy plaist. Voire il n’est rien qui imprime si vivement quelque chose en nostre souvenance que le desir de l’oublier : c’est une bonne maniere de donner en garde et d’empreindre en nostre ame quelque chose que de la solliciter de la perdre ».
9 « Il dépend de nous d’enfouir nos malheurs, pour ainsi dire, dans un oubli définitif, et de nous remémorer nos bonheurs avec une douce joie ».
10 « Me viennent des souvenirs dont je ne veux pas, et ne me vient pas l’oubli que je désire » (De finibus, II, 32, 104).
11 Andromède, fr. 133.
12 « Qui seul a osé se proclamer sage » (De finibus, II, 3, 7).
13 « Qui par son génie s’est élevé au-dessus de l’humanité, et a éclipsé tous les hommes, comme le soleil levant dans le ciel éclipse les étoiles ». Les « éloges » d’Épicure se trouvent aussi dans l’avant-propos des livres I et V du De rerum natura ; et indirectement, dans les livres II (éloge de sa philosophie) et VI (éloge d’Athènes qui lui a donné naissance).
14 « L’ignorance est un remède impuissant contre le malheur » (Œdipe, III, 515).
15 « Je ne saurais dire si je me dois irriter davantage devant ceux qui nient que nous puissions connaître ou ceux qui ne nous laissent même pas la consolation de l’ignorance. Vale ».
16 « Je vais me mettre à boire et à répandre des fleurs, et j’accepterai de passer pour écervelé ».
17 « Pardieu, vous m’avez tué, mes amis, dit-il, au lieu de me sauver, moi à qui vous avez arraché la joie, en m’ôtant de force une si délicieuse illusion » (Horace, Epistulae, II, II, 138).
18 Pour exemple : Desiderii Erasmi Roterodami Adagiorum Epitome Recognita : Accessit ex ipso Chiliadum Erasmi volumine pluribus in locis Supplementum non minus utile, quam necessarium, quod praefatio digito quasi monstrabit ; Iunctus […], Lipsiae, Försterus, 1696. Elle apparaît dans l’Index locorum des Epitomi V, Lugduni Batavorum.
19 Selon l’addition de 1588 (II, 12, 494B) qui inclut un vers en italien (Che ricordarsi il ben doppia la noia, dans la traduction italienne de Ludovico Dolce de la Giocaste d’Euripide) ; mais aussi Dante, Inferno, V, 120-121, Tasso, Ariosto…
20 « Levationem autem aegritudinis in duabus rebus ponit, avocatione a cogitanda molestia et revocatione ad contemplandas voluptates. Parere enim censet animum rationi posse et, quo illa ducat, sequi. Vetat igitur ratio intueri molestias, abstrahit ab acerbis cogitationibus, hebetem aciem ad miserias contemplandas facit ; a quibus cum cecinit receptui, inpellit rursum et incitat ad conspiciendas totaque mente contrectandas varias voluptates, quibus ille et praeteritarum memoria et spe consequentium sapientis vitam refertam putat. Haec nostro more nos diximus, Epicurii dicunt suo ; sed quae dicant, videamus, quo modo, neglegamus ». L’italique est de mon fait.
21 Voir O. Guerrier, Quand “les poètes feignent” : “fantasie” et fiction dans les Essais de Montaigne, Paris, Champion, 2002, en part. p. 362-374 (réédition Paris, Classiques Garnier, 2018). Pour la polysémie de l’imagination chez Montaigne voir N. Panichi, Les liens à renouer. Scepticisme, possibilité, imagination politique chez Montaigne, Paris, Champion, 2008 (avec une vaste bibliographie sur l’imagination à la Renaissance) ; Michel de Montaigne. L’immaginazione, Firenze, Olschki, 2010, ainsi que notre édition commentée de l’essai De la force de l’imagination, Paris, Classiques Garnier, 2021.
22 J.-C. Margolin, Érasme. Une abeille laborieuse, un témoin engagé, Caen, Paradigme, 1993.
23 « Sic asserunt Medici, quod imaginatio facit casum et mortem inducit : et hanc virtutem usque ad hoc elevare voluerunt aiqui, ut per eam mirabiles impressiones fierent in elementis et in rebus extrinsecis, ut quod ad imaginationem alicuius (sicut refert Avicenna) cadat camelus. […] Haec autem consideratio docet quam saluberrimum est assuefieri, ut animus noster a phantasmatibus, quantum possibile est fieri se denudet, et avertat in exercitatione sua. Quod qualiter fieri habeat, tetigimus alibi in Tractaculo De practica Theologiae mysticae, consideratione ultima » (J. Gerson, De passionibus animae, Consideratio XX, in Œuvres complètes, introduction, texte et notes par Mgr. Glorieux, vol. IX, éd. Palémon Glorieux, 10 vol., Desclée, Paris-Tournai-Rome-New York 1960-1973 [Tournai, 1973], p. 20). Sur Gerson comme source de Jean-François Pic de la Mirandole, je renvoie à l’édition critique du De imaginatione (sous presse), par F. Molinarolo, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Pise, à qui je dois cette précieuse mention.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-12623-2
- EAN : 9782406126232
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12623-2.p.0109
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/12/2021
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Lycas, théâtre, philosophie, voluptas, imagination, maladie, santé