Introduction
- Publication type: Journal article
- Journal: Entreprise & Société
2022 – 1, n° 11. varia - Authors: Méric (Jérôme), Jardat (Rémi)
- Pages: 15 to 18
- Journal: Business & Society
PRéSENTATION DU NUMéRO
Jérôme Méric
CEREGE-IAE de Poitiers
Rémi Jardat
LITEM –
Université d’Évry-Paris-Saclay
Les sciences de gestion, notamment parce que leur statut fait l’objet de discussions internes et externes, n’ont pas fini de s’interroger sur leur nature, autant que sur celle de la connaissance qu’elles engendrent. En France, le courant de pensée initié par Centre de Gestion Scientifique porte depuis plus de trois décennies le projet de proposer une vision unifiée de ce qui fait les sciences de gestion. L’équipe de rédaction d’Entreprise & Société (ENSO) a proposé à Armand Hatchuel, pour le « Grand Angle », de se prêter au jeu du regard rétrospectif – et prospectif – sur sa contribution à ce courant et à ses interactions avec les auteurs de qui se sont penchés sur l’épistémologie du champ. De son attachement à Michel Foucault, à Gilbert Simondon et à John William Miller, il retient les piliers de sa pensée que sont, successivement, l’intrication des savoirs et de relations, l’organisation comme un objet d’ingénierie, et l’importance des normes de gestion comme « face visible » de l’action collective, l’énigme dont l’épistémologie constitue le fondement des sciences de gestion. L’occasion d’un échange où tour à tour sont abordés les travaux d’Armand Hatchuel et des membres du CGS sur la société à mission, l’innovation, la raison créatrice.
Il est des événements de la vie des entreprises qui frappent soudain le ronronnement des affaires de coups de tonnerre. Il s’agit souvent de 16scandales, qui exposent momentanément ce monde discret à l’opinion publique, au prix d’émois, de lynchages, et parfois d’effets tardifs sur la réglementation (Garlot-Falguières, 2021). Il s’agit plus rarement de situations ou d’actes dont la portée symbolique interroge les évolutions de la société. Ce que nous appelons ici « l’affaire Faber-Danone » relève bien de ce second cas de figure. D’une part Danone porte l’image d’une entreprise engagée sociétalement sous l’impulsion d’Antoine Riboud, alors à la tête de BSN. Notre revue a rappelé la teneur de cet engagement grâce à la contribution de Gérard Thoenig dans la rubrique « Éclairage » du numéro 8, sous le titre de la « révolution de la cinquième équipe ». Emmanuel Faber perpétuait – à sa manière – le « double projet » économique et social de l’entreprise, en faisant de l’entreprise la première société à mission du CAC 40. Le coup de tonnerre advint en mars 2021, avec le limogeage du PDG de Danone, suite au vote d’une motion de défiance par le conseil d’administration, moins d’un an après l’adoption par l’assemblée générale du statut d’entreprise à mission.
Cette « affaire » interroge les évolutions de la société à plusieurs égards. À la surface des choses, peut-être, la sous-performance boursière de Danone à l’égard de ses concurrents aurait conduit à l’insatisfaction de fonds activistes et à des jeux d’influence – nécessairement indirects, ces fonds étant minoritaires – auprès des membres du CA. Mais d’aucuns ont vu la sanction infligée au PDG d’alors d’avoir doté l’entreprise d’une mission sociétale, alors qu’elle était cotée en bourse. Sur ce dernier point, les questions fusent : le statut de société à mission est-il compatible avec la cotation boursière ? Si c’est le cas, cela signifie-t-il pour autant que l’adoption d’un tel statut permet de dépasser le stade d’un certain « green » ou « social washing » au point de déranger les investisseurs ou leurs représentants ? À ces questions très contemporaines, des interrogations plus pérennes ont refait surface comme la question du profil du dirigeant et de sa manière de perpétuer – ou non – l’histoire d’une grande entreprise.
La revue Entreprise & Société (ENSO) ne pouvait faire l’économie de revenir sur cet événement, et d’appeler des chercheurs à s’emparer de ce « matériau chaud » (Aggeri, 2016), dans un numéro intégralement consacré à cette actualité. Nous visions à la fois à privilégier la prise de distance et l’émergence d’un débat éclairé sur ce que veut dire l’« affaire Faber-Danone ». Pour cela, la revue a organisé un séminaire de pré-publication à la fin de l’année 2021, qui a permis de recueillir 17et d’évaluer des contributions qui répondent à la nécessité d’ouvrir une disputatio harbermassiennesur le sujet.
C’est à l’invitation de Roland Pérez que des contributions ont pu être collectées et choisies, qui abordent une ou plusieurs des questions qu’une telle affaire a suscitées, dans l’esprit d’ouverture au monde professionnel et à la transdisciplinarité qui caractérisent notre ligne éditoriale. Pierre Victoria et Jean Noël Vieille portent un regard d’experts sur la performance boursière de Danone dans les mois qui ont précédé l’éviction d’Emmanuel Faber. S’ouvre ensuite le cahier scientifique, où Xavier Hollandts et Benjamin Chapas font l’hypothèse d’une hypertrophie de la RSE dans le projet d’Emmanuel Faber, susceptible de diviser plus qu’elle ne rassemble. Nicolas Cuzacq porte un regard juridique sur l’entreprise à mission, et appelle à la mise en place de dispositifs propres à doter le statut de société à mission d’un caractère opposable à la dure loi des affaires. Kevin Levillain, Armand Hatchuel, Jérémy Lévêque et Blanche Segrestin proposent pour leur part de pousser plus loin l’investigation sur la société à mission et suggèrent que les pratiques organisationnelles que l’adoption de ce statut a permis de renforcer ou d’adopter se perpétuent au-delà de l’éviction du dirigeant qui a initié ce changement. Amélie Artis interroge pour sa part le caractère effectif de la société à mission, et souligne ses faiblesses par rapport au modèle coopératif. Enfin, Bernard Ramanantsoa adopte une visée philosophique pour opposer le paradoxe d’une entreprise devenue une institution, dont les dirigeants contribuent à construire l’histoire, mais une histoire qui les transcende.
Deux recensions complètent opportunément les débats restitués dans ce numéro. Roland Pérez commente la parution des Grands auteurs en Management Public dans la collection bien connue d’EMS, sous la direction de Stéphanie Chatelain-Ponroy, Patrick Gibert, Madina Rival et Alain Burlaud. Clément Carn se penche sur la Philosophie d’une écologie anticapitaliste – pour un nouveau modèle de gestion écologique, publié par Alexandre Rambaud et Jacques Richard.
Et puisque l’actualité soulève aujourd’hui plus que jamais les questions de l’interaction entre la société et les entreprises, l’équipe éditoriale de la revue a fait le choix de consacrer son numéro 12 aux effets de la crise pandémique sur l’économie sociale et solidaire, une intrication de maladies et d’effets d’environnement qui invitent à revisiter le concept de syndémie.
18BIBLIOGRAPHIE
Aggeri, F. (2016), « La recherche-intervention : fondements et pratiques », Barthélemy J. et Mottis N.,À la pointe du management. Ce que la recherche apporte au manager, Malakoff, Dunod, p. 79-100.
Garlot-Falguières E. (2021), Financial Scandals in France : Historical construction of responsibility and Outcomes, Thèse de doctorat de l’université PS, Université Paris-Dauphine.
- CLIL theme: 3312 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Économie publique, économie du travail et inégalités
- ISBN: 978-2-406-13800-6
- EAN: 9782406138006
- ISSN: 2554-9626
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-13800-6.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-20-2022
- Periodicity: Biannual
- Language: French