Conclusion de la deuxième partie
- Premier prix de la recherche historique du département des Alpes Maritimes
- Publication type: Book chapter
- Book: Enfermer et Punir. Histoire des prisons et des prisonniers des Alpes-Maritimes (1792-1939)
- Pages: 393 to 394
- Collection: Mediterranean Studies, n° 19
Conclusion
de la deuxième partie
De la séparation à l’isolement des prisonniers, le paysage carcéral de la région niçoise évolue profondément durant tout le xixe siècle. L’application des idéaux issus des Lumières consistant à remplacer les peines corporelles par la privation de liberté s’affirment lentement avec l’élaboration d’espaces punitifs nouveaux1. Au début du xixe siècle, le monde des prisons est bouleversé par les effets de la Révolution, les difficultés économiques et le brigandage endémique de la région niçoise. Pour faire face à l’augmentation de la population carcérale, de nouveaux locaux faisant office de prison ouvrent à la hâte mais demeurent insuffisants malgré la bonne volonté des autorités. La séparation des différentes catégories de détenus est plus ou moins respectée. À Nice, les prisonniers sont enfermés dans trois établissements : les prisons sénatoriales qui deviennent une maison de Justice affectée aux condamnés à de courtes peines, le couvent des Jésuites qui est transformé en une maison d’arrêt pour l’enfermement des prévenus, et la maison de correction qui est installée dans l’ancien bagne pour les militaires et déserteurs. À Grasse également l’inflation pénitentiaire amène l’ouverture de nouveaux établissements, la maison d’arrêt de l’Évêché est complétée par l’ancienne geôle de la Torre de la Càrce et par l’ancien Séminaire convertit en prison. La promiscuité caractérise tous ces établissements qui manquent cruellement de moyens pour assurer leur fonctionnement. En 1811, l’entretien des maisons d’arrêt et des chambres de sûreté incombe entièrement à la charge des départements, ce qui contribue à aggraver leur situation déjà précaire2.
394La Restauration et le changement de souveraineté rétablissent dans leur fonction d’origine les prisons sénatoriales de Nice. Régulièrement, des améliorations sont apportées à l’édifice afin d’y appliquer modestement les avancées en matière d’innovation pénitentiaire. À Grasse, du côté français, la prison de l’Évêché ferme définitivement ses portes en 1846 et la nouvelle maison d’arrêt ouvre les siennes juste à côté du tribunal. Elle fait partie des premières prisons cellulaires qui réalisent concrètement les idées de séparation et d’isolement des détenus avant l’adoption de la loi du 5 juin 1875 sur l’enfermement individuel des prévenus et des condamnés à moins d’un an de prison3. À Nice, le virage cellulaire s’accomplit plus tardivement en 1887 avec l’ouverture de la maison d’arrêt dessinée par l’architecte Dieudé-Defly. Il met la géométrie au service de l’utopie carcérale et fait de l’architecture pénitentiaire un moyen de punition. La peine privative de liberté est désormais standardisée et le traitement des prisonniers est uniformisé. La surveillance est optimale grâce au plan rayonnant du bâtiment. La sécurité est maximale avec les nombreux sas, murs et grilles qui veillent à prévenir les évasions. Chacun, qu’il soit riche ou pauvre, dispose désormais d’un espace délimité, d’une cellule identique contenant la même quantité de mètre cube d’air et pourvu d’un confort semblable. Par cette architecture carcérale, la peine doit devenir égalitaire et infliger à tous les mêmes conditions de détention. Les modes de vie des détenus évoluent tout au long de la période en parallèle avec la lente maturation des locaux pénitentiaires qui doivent à la fois punir, prévenir, amender et corriger.
1 Beccaria Cesare., Des délits et des peines, éd. Guillaumin, Paris, 1856 (B.N.F. département droit, économie, politique).
2 Ministère de l’Intérieur, Code des prisons, Paris, tome I, imprimerie administrative Paul Dupont, 1845, p. 60.
3 Entre 1875 et 1910 quatre-vingt prisons cellulaires sont construites dans le but de séparer et d’isoler les prisonniers afin de mieux lutter contre le phénomène de la récidive. La première guerre mondiale interrompt cette politique de construction qui n’est plus poursuivie ensuite pour des raisons budgétaires et démographiques.
- CLIL theme: 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN: 978-2-406-15945-2
- EAN: 9782406159452
- ISSN: 2264-4571
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15945-2.p.0393
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 04-10-2024
- Language: French