Réévaluer la notion d’œuvre de jeunesse dans la production, la transmission et la réception de la littérature médiévale L’exemple de Chrétien de Troyes et de Charles d’Orléans
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Encomia
2022, n° 44. varia - Auteur : Stout (Julien)
- Pages : 173 à 207
- Revue : Encomia
Réévaluer la notion d’œuvre
de jeunesse dans la production,
la transmission et la réception
de la littérature médiévale
L’exemple de Chrétien de Troyes
et de Charles d’Orléans
Peut-on appliquer la notion d’‘œuvre de jeunesse’ aux textes issus de la période médiévale ? Existait-il, dans le paysage littéraire du Moyen Âge européen, un lien quelconque entre la jeunesse et la production, la diffusion et la consommation d’œuvres de l’esprit ? On dénombre certes quantité de travaux historiens qui ont traité – textes littéraires à l’appui – des multiples définitions de la jeunesse au Moyen Âge d’un point de vue thématique, depuis les travaux fondateurs de Georges Duby sur les ‘jeunes’ de la société aristocratique1 et ceux de Philippe Ariès sur l’enfance et la théorie des différents âges de la vie durant l’Ancien Régime,2 jusqu’aux divers panoramas historiques, culturels3 et litté174raires4 produits plus récemment dans la mouvance des études sur les représentations de la jeunesse en lien avec les âges de la vie à travers les époques, notamment en Occident.5 En revanche, la question a rarement été posée dans les termes d’une réflexion spécifiquement poétique et critique sur la façon dont la jeunesse, en tant que représentation discursive et en tant que réalité biologique, aurait ou non influencé les pratiques de lecture et d’écriture des œuvres médiévales.6
Nous entreprendrons de combler ce manque en procédant à deux études de cas. Ancrées à la fois dans une approche poétique (analyse interne des textes) et manuscrite/éditoriale (analyse du contexte de transmission matérielle de ces mêmes textes), ces études porteront sur des poèmes de langue française qui ont été associés avec plus ou moins de certitude, par les médiévaux et/ou les modernes, à la jeunesse de leurs 175auteurs respectifs : l’œuvre lyrique attribuée au romancier champenois du xiie siècle Chrétien de Troyes7 et le Livre contre tout péché, associé à l’illustre auteur du xve siècle Charles d’Orléans.8
Le choix de focalisation sur les textes de deux auteurs français célèbres revêt assurément un caractère arbitraire, accentué par le côté partiellement artificiel des cloisonnements linguistiques et historiques modernes sur lequel il repose. Certes, les œuvres de Chrétien de Troyes et de Charles d’Orléans choisies sont dotées d’une grande richesse sémantique propice à l’examen méthodologique qui est le nôtre. Toutefois, ces cas ne seront donc pas traités comme absolus. Ils constitueront plutôt des prismes au travers desquels observer quelques-unes des tendances plus vastes quant aux rapports entre esthétique et ce qui faisait office de ‘jeunesse’ dans le paysage littéraire médiéval, au-delà des seules frontières de la poésie d’expression française. Par ailleurs, le choix des deux poètes se justifie car ils emblématisent deux périodes, le Moyen Âge central et le Moyen Âge tardif, ainsi que deux états de langue, l’ancien et le moyen français, traditionnellement distinguées par la critique. Nous observerons que les corpus et les époques qu’ils représentent chacun offrent des conceptions sensiblement distinctes de la jeunesse dans et à l’extérieur de la littérature. Plus précisément, nous verrons que nos deux corpus offrent des cas de figure poétiques et éditoriaux qui cristallisent chacun de façon plurivoque les variations, mais aussi les constantes entourant le rapport dialectique entre jeunesse et poétique d’une période à l’autre.
Indatable et délicate à rattacher à son œuvre romanesque qui est, elle aussi, difficile à situer sur un axe chronologique, l’œuvre lyrique rattachée à Chrétien de Troyes nous permettra surtout de constater le caractère grandement inopérant de l’emploi de la catégorie ‘œuvre de jeunesse’ dans le contexte de la littérature française du Moyen Âge central. Ce constat se fera en dépit d’une tendance critique qui consiste à appliquer, bon gré mal gré, une conception moderne, floue, et souvent péjorative de la notion d’œuvre de jeunesse à certaines œuvres médiévales. Ce constat sera cependant nuancé par la mise en lumière de certains outils 176qui permettent, sinon de dégager un traitement univoque de la jeunesse en poétique, du moins de signaler la manière dont le concept d’œuvre de jeunesse médiévale peut être reconstruit prudemment à partir de la combinaison d’une série de topoï, de pratiques éditoriales et de vocables. Suivant cette démarche, l’œuvre littéraire de jeunesse du Moyen Âge central en vient sporadiquement à désigner l’œuvre pécheresse que l’on renvoie dans un hors-texte éditorial et dont on se repent au seuil de sa vie.
Quant au Livre contre tout péché, apparemment composé par un très jeune Charles d’Orléans, il permettra d’explorer autrement le traitement éditorial de l’œuvre de jeunesse en contexte médiéval. Tout l’intérêt de cet exemple issu du Moyen Âge tardif réside dans le fait que l’œuvre de jeunesse n’y est plus associée à un passé honteux parce que marqué par le péché. L’œuvre de jeunesse y semble traitée comme une erreur esthétique, qui illustre l’absence de pleine maîtrise stylistique de son auteur et qui mérite de ce fait d’être effacée de la postérité.
Une catégorie critique moderne problématique
pour le Moyen Âge central ?
Avant d’entrer dans l’analyse, on identifiera – pour s’en distinguer – l’usage qu’un certain pan de la critique continue de faire de cette notion sans véritablement interroger son caractère opératoire pour l’ère chronologique concernée : l’étiquette d’‘œuvre de jeunesse’ est souvent employée de façon périphérique et dépréciative dans l’argumentaire d’un certain nombre de médiévistes, qu’ils soient philologues, critiques littéraires ou stylographes partisans de méthodes traditionnelles ou variablement informatisées. Vraisemblablement influencés par les canons esthétiques issus d’une certaine conception de la modernité qui a consacré une lecture dite ‘lansonienne’, c’est-à-dire auctoriale et biographique des œuvres littéraires vues comme l’expression d’une subjectivité individuelle, ces spécialistes appliquent à la littérature médiévale une vision auctoriale et paternaliste du lien entre production poétique et âges de la vie.9 Dans 177cette mouvance, le concept de jeunesse sert ainsi à disqualifier des pièces rattachées de façon plus ou moins sûre à des auteurs médiévaux dans une logique d’authentification textuelle, de datation ou de hiérarchisation esthétique. Même lorsqu’on ne sait absolument rien de l’époque de composition du poème d’un auteur que l’on qualifie de ‘jeune’, la jeunesse devient, sous la plume des philologues et des critiques, l’âge de l’absence de maîtrise, de la fougue, d’un art qui n’a pas encore atteint son plein potentiel.
Or les prémisses même de cette approche, qui consiste à placer les œuvres sur un axe chronologique qui inclut une enfance, une jeunesse, une maturation et une vieillesse peuvent-elles s’appliquer au champ littéraire médiéval ? Et à plus forte raison, sont-elles compatibles avec la période du Moyen Âge central (ca. 1000–1300), qui est celle de la ‘naissance’ de la littérature française (suivant une conception là encore anthropomorphique des âges de la vie et de la littérature qui désigne l’époque des premières incursions du français dans la culture livresque et littéraire jusqu’alors dominée par le latin). Cette période ne conserve en effet que relativement peu de noms d’auteurs francophones (environ 400 auteurs identifiés pour la période allant de 1100 à 1340 contre plusieurs centaines de textes anonymes conservés pour la même époque).10 Ces 178noms ne sont souvent que des patronymes inscrits au détour d’une copie manuscrite avare, la plupart du temps, de détails qui puissent permettre de reconstruire et de dater la vie et l’œuvre des figures auctoriales auxquels ils sont rattachés. En outre, tout exercice stylométrique qui viserait à surmonter cette opacité des données biographiques se voit confronté à une difficulté majeure et bien connue des philologues : comment analyser les fluctuations stylistiques de la langue d’un auteur dans un paysage littéraire antérieur à l’âge de l’imprimerie, où la majorité des textes sont soumis à la variance des copistes qui réactualisent la langue et la forme des œuvres littéraires qu’ils copient, même pour un texte signé d’un nom d’auteur ?11
Malgré ces écueils bien connus, plusieurs poèmes attribués de façon plus ou moins certaine à des noms d’auteurs connus de cette époque ont été, et continuent d’être qualifiés d’œuvres de jeunesse, selon des arguments somme toute assez peu variables, car essentiellement centrés autour des notions de qualité et de maîtrise que les prétendus jeunes auteurs n’auraient pas encore acquises. À titre indicatif, nous détaillerons brièvement trois exemples particulièrement emblématiques de cette première époque du Moyen Âge : Wace, Marie de France et Rutebeuf.
Comme on le sait, l’auteur du Roman de Brut12 est surtout célèbre pour avoir servi de point de départ à l’introduction de la légende du roi Arthur et de Merlin dans la littérature de langue française. Mais Wace a également produit trois vies de saints, la Vie de sainte Marguerite, Conception Notre Dame et la Vie de saint Nicolas,13 qui continuent d’être 179désignées – non sans une pointe de jugement péjoratif – comme des œuvres de jeunesse par leurs plus récents éditeurs.14
Pourtant, en dépit de la publication récente d’une analyse détaillée de son style,15 les détails sur la vie de cet auteur qui permettraient ce genre de datation sont assez rares. Les indices autobiographiques les plus importants sur Wace nous viennent en fait de son Roman de Rou,16 où il affirme avoir écrit plusieurs (moult) romans, terme qui désigne à l’époque des textes traduits du latin vers le français :
Jo di è dirai ke jo sui
Wace, de l’isle de Gersui
Ki est en mer vers occident,
Al fieu de Normendie apent.
A Caem fu petis portez,
Iloec fu à letres mis,
Puis fu lunges en France apris.
Quant de France jo repairai,
A Caem lunges conversai ;
De romanz fere m’entremis,
Mult en escris et mult en fis. (Wace, Roman de Rou, vv. 10444–54)
Non seulement cet extrait affiche-t-il une conscience minimale des âges de la vie en évoquant l’époque où l’auteur était ‘petis’, mais il associe bel et bien la période suivant sa formation aux lettres à une époque d’activité littéraire. De ce bref passage, que la critique a croisé avec les autres inscriptions auctoriales de Wace, on s’est risqué à une datation plus précise et peut-être, de ce fait, plus fragile de sa production littéraire, à commencer par l’une de ses trois compositions hagiographiques, la Vie de sainte Marguerite, que l’on fait habituellement remonter aux premières années de sa carrière d’écrivain.
Ainsi, l’argument selon lequel la Vie de sainte Marguerite serait une œuvre de novice tient en premier lieu du fait que l’auteur se signale 180comme ‘Wace’ dans la version du texte transcrite par le manuscrit de Tours, BM 927 : ‘Ci faut sa vie ce dit grace / Qui de latin en romans mist’ (Wace, Vie de sainte Marguerite, vv. 742–43).17 Cette dénomination serait à contraster avec les inscriptions auctoriales des autres œuvres, où c’est plutôt un ‘maître Wace’ qui a tendance à se signaler.18 À cela viendrait s’ajouter ‘la simplicité [du] style’19 de la Vie de sainte Marguerite, qui confirmerait que cette œuvre serait celle d’un apprenti – et non d’un maître –, appartenant à la liste des fameux ‘romans’ évoqués dans la parenthèse autobiographique du Roman de Rou citée précédemment.
Ces considérations ne semblent pas prendre en compte, pas même pour les disqualifier, les impératifs rimiques du vers octosyllabique, exerçant une contrainte minimale sur le choix de la présentation du nom de l’auteur, ni même le fait que le Roman de Rou, ‘œuvre de la maturité’,est également signé par Wace – et non ‘maître’ Wace. De cet exemple, il apparaît donc que les datations modernes travaillent contre la rareté des indices médiévaux sur sa biographie, et laissent surtout entrevoir les présupposés modernes associés à une certaine vision de la juvénilité esthétique.
Issue d’une génération légèrement postérieure à celle de Wace, Marie de France s’est quant à elle vue reprocher son absence de maîtrise dans l’écriture d’un Lai en particulier : Équitan.20 Il a en effet été qualifié d’‘œuvre de début, un texte lourd, maladroit, qui sent le procédé d’école’21 par Jeanne Wathelet-Willem. Toutefois, l’éditeur Ernest Hoepffner penchait plutôt, selon des critères tout aussi peu fondés dans les sources biographiques,22 pour l’œuvre tardive,23 selon une conception qu’on 181pourrait rapprocher, peut-être, du Spätstil décadent et faisandé tel que théorisé par Theodor Adorno.24
Les poètes du xiiie siècle et du début du xive siècle ne sont pas en reste. Michel-Marie Dufeil a ainsi proposé une ‘chronographie’ de l’auteur Rutebeuf,25 dont l’œuvre poétique constitue un cas délicat et légèrement distinct des deux précédents, puisque ses poèmes contiennent bel et bien certains renvois soit à des dates, soit à des événements datables, tels que la mort de personnages de plus ou moins grande envergure. C’est le cas du poème composé en l’honneur de Monseigneur Anseau de l’Isle,26 mort en 1251 environ durant la Septième Croisade (1248–1251), ce qui tend à placer le poème en début de carrière de Rutebeuf au regard des autres poèmes datables de l’auteur.27 Mais en plus de cette datation relativement certaine, Michel-Marie Dufeil offre un jugement esthétique de cette pièce de circonstance : ‘tout encore y est d’un débutant qui cherche son écriture et son style’28, jugement qui sera reconduit par Michel Zink dans son influente édition des œuvres complètes de Rutebeuf.29 Cette appréciation se voit ensuite transposée à des œuvres non datables pour leur part, mais dont la nature ‘grossière’ ou impersonnelle, permettrait un rattachement aux caractéristiques de la ‘jeunesse’ et de la ‘hargne’.30 Or, pour un poète dont le nom même est employé pour revendiquer une rudesse d’écriture, comparable au ‘rude bœuf’,31 un tel choix critique en dit tout autant sur les préférences des éditeurs modernes que sur ce qui constitue un style véritablement ‘vert’, ou ‘jeune’.
182Ces trois exemples sont loin d’être des exceptions. De façon cyclique, la notion d’œuvre de jeunesse a pu être appliquée, tout au long de l’époque moderne et avec plus ou moins de distance, à certains poèmes attribués à des auteurs issus du Moyen Âge central, comme Jean Bodel32, Raoul de Houdenc,33 Philippe de Rémi,34 Jean de Meun35 ou Jean de Condé.36 Dans ces divers cas de figure, la jeunesse – qui n’est jamais définie dans des termes concrets, et encore moins biologiques ou biographiques – est généralement cet âge de la vie où un auteur dévierait de sa ‘manière’ et de son propre ‘style’, notamment pour des raisons d’immaturité esthétique qui le pousseraient à recourir à des formules rhétoriques et poétiques déjà établies et à amoindrir la qualité générale de sa production littéraire à venir.
Une approche textualiste des œuvres du Moyen Âge central, telle qu’elle a été pratiquée par Paul Zumthor, Roger Dragonetti et leurs élèves,37 pourrait aisément disqualifier ces catégories comme de pures projections modernes qui ne résistent pas à l’épreuve de la réalité médiévale, grandement imperméable à la notion d’auteur et, a fortiori, à la chronologie de sa biographie. Cependant, l’analyse s’efforcera à présent de montrer comment il est possible de bâtir, prudemment, une méthode pour tenter de penser l’œuvre de jeunesse non plus dans les termes modernes exposés à l’instant, mais par l’entrecroisement, en contexte poétique et manuscrit, de termes, de pratiques et de topoï associés par les médiévaux à la jeunesse.
183Chrétien de Troyes : lyrisme, courtoisie
et ‘erreurs de jeunesse’ au Moyen Âge central
Rattachée à une figure d’auteur célèbre et se dérobant précisément à toute conclusion univoque sur la question, l’œuvre lyrique attribuée à Chrétien de Troyes et sa réception manuscrite constitue un cas de figure pertinent pour penser les outils méthodologiques et notionnels adaptés à la notion d’’œuvre de jeunesse’ du Moyen Âge central.
Prenons le risque de rappeler des faits plus que connus : actif dans la deuxième moitié du xiie siècle, Chrétien de Troyes doit sa renommée aux cinq romans de la Table Ronde – Érec et Énide, Cligès, Yvain, Lancelot et le Conte du Graal –auxquels il a apposé sa signature avec force et insistance.38 Cette signature a fait l’objet d’une révérence de la part des auteurs contemporains et des copistes qui ont transmis un, deux, voire la totalité du corpus romanesque de Chrétien de Troyes au sein de recueils manuscrits.39 À l’ère moderne, on a pu suggérer que ce corpus était unifié par la ‘griffe d’un style’.40 Par ailleurs, plusieurs indices suggèrent l’existence d’une œuvre littéraire plus vaste de l’auteur. Dans un de ses romans, Cligès, Chrétien dresse en effet une liste de ses œuvres passées : le roman d’Érec et Énide, une histoire tristanienne, un art d’amour d’Ovide, et l’histoire de la métamorphose d’un rossignol.41 De ces maigres indices, philologues et éditeurs ont classé chronologiquement les romans de Chrétien de Troyes : Érec et Énide, nécessairement antérieur au Cligès (qui le cite), puis Yvain, Lancelot et enfin le Conte du Graal, roman inachevé dont le terminus ante quem serait 1190, date supposée de la fin de carrière de l’auteur.42 Ils ont également avancé que Chrétien 184était très probablement l’auteur d’une version du conte de Philomena intégrée à une vaste traduction allégorisée des Métamorphoses d’Ovide du xive siècle intitulée l’Ovide moralisé, mais signée par un ‘Chrestiiens li Gois’.43 Études stylométriques à l’appui, on a d’ailleurs pu évoquer au sujet de ce texte une œuvre de jeunesse.44 Un autre récit conservé dans un manuscrit contenant deux romans de l’auteur et signé par un dénommé ‘Crestiiens’, Guillaume d’Angleterre, continue de faire polémique chez les spécialistes de Chrétien de Troyes.45 Là encore, la disparité stylistique ou, au contraire, la similarité perçue a pu être placée sur le coup de la jeunesse.46 Comparativement à ces deux textes narratifs très souvent analysés par la critique, l’œuvre lyrique associée à Chrétien de Troyes constitue une énigme philologique et stylométrique moins connue et moins facile à résoudre.
Plusieurs chansonniers de langue d’oïl attribuent des pièces à Chrétien de Troyes, souvent en contradiction avec d’autres chansonniers qui proposent soit des attributions concurrentes, soit le texte dépourvu d’attributions. En nous basant sur les données recueillies par Marie-Claire Zai,47 nous proposons ici un tableau synthétique de la situation éditoriale et attributive de ces multiples poèmes, en donnant le titre de la chanson, le sigle du ou des chansonniers dans lesquels la chanson se trouve, ainsi que l’emplacement de la chanson, et enfin l’attribution effectuée par tel ou tel chansonnier :48
185
Titre |
Sigle du chansonnier et emplacement |
Attribution |
R. 121 Amors tençon et bataille |
C (fol. 18r–18v) U (fol. 35r–35v) |
Cresteien de troies Aucune attribution médiévale |
R. 1664 D’Amors, qui m’a tolu a moi |
a (fol. 108r–108v) R (fol. 49v–50v) T (fol. 45v–46r) C (fol. 56v–57) U (fol. 30r–30v) H (fol. 224r) K (p. 58-59) N (fol. 17v–18r) P1 (fol. 2r–2v) P2 (fol. 154r–154v) X (fol. 45v–46r) V (fol. 29r–29v) L (fol. 49r) |
Crestiens de troies Crestie(n) de troies Crestiiens de troies Croistien de troies Aucune attribution médiévale Aucune attribution médiévale Gaces brullez Gaces brullez Gaces brullez Aucune attribution médiévale Gaces brulles Aucune attribution médiévale Aucune attribution médiévale |
R. 66 De joli cuer chanterai |
C (fol. 53r–53v) O (fol. 210r–210v) |
Crestieiens de troies Aucune attribution médiévale |
R. 1380 Quant li dous estez decline |
C (fol. 199v–200r) U (fol. 31v–32r) M (fol. 177r–177v) T (fol. 46r–46v) |
Gatiers dairches Aucune attribution médiévale Guios de digon Crestijens de troies |
R. 2020 Joie ne guerredons d’Amors |
M (fol. 162v) T (fol. 46r–46v) K (p. 233) N (fol. 113r–113v) P (fol. 111r–111v) X (fol. 158v–159r) |
Guios de digon Crestijens de troies Li t(re)soriers de lille Li tresoriers de lille Li tresoriers de lille Li tresorier de lille |
On remarque donc des tentatives méthodiques de créer un corpus auctorial en copiant des chansons les unes à la suite des autres autour de la figure de Chrétien de Troyes dans le chansonnier T, mais aussi une 186prolifération attributive qui engendre des conflits d’une copie à l’autre. En outre, on rappellera que cette œuvre lyrique n’est jamais copiée à côté des autres textes narratifs associés à Chrétien de Troyes, tout comme elle n’est pourvue d’aucune inscription auctoriale interne, c’est-à-dire qui ne provienne pas du paratexte des manuscrits.
Chez les philologues modernes, les poèmes lyriques inégalement attribués à Chrétien de Troyes bénéficient aussi d’un statut à part, trouble de surcroît, du fait qu’on hésite à parler de ‘style’ et surtout de style individuel pour la lyrique courtoise de langue d’oïl. Cet art, en effet, est particulièrement figé dans ses thèmes et ses formes. À la suite de Paul Zumthor, on aime le voir comme le lieu de l’effacement de l’individualité du poète au profit d’un ‘registre’ fixe de formes poétiques et de figures rhétoriques, et non pas de l’expression d’une intériorité préromantique où se décèlerait justement la ‘griffe d’un style’.49 L’étude la plus récente sur le style de Chrétien de Troyes par Danièle James-Raoul élude d’ailleurs la question en n’incluant pas le corpus, jugé trop différent d’un point de vue générique pour qu’un quelconque rapprochement stylométrique puisse être fait avec la production romanesque de Chrétien.
Cependant, certains arguments ‘stylistiques’ ont pu être avancés : la chanson R. 1664 d’Amors qui m’a tolu a moi, attribuée selon les manuscrits à Chrétien de Troyes ou au grand trouvère Gace Brulé, s’éloignerait tout d’abord du style de Gace. Marie-Claire Zai relève que la rime cuidier du vers 46 de cette chanson n’existe dans aucune des chansons attribuées à Gace, et que l’examen linguistique ne contre-indique pas une attribution à Chrétien de Troyes, si on accepte de croire que ce dernier venait, comme son nom l’indique, de Champagne.50 Mais surtout, la chanson contient un couplet sur les joies liées au plaisir amoureux différé :
Bien adoucist par delaier,
Et quant plus desiré l’auras
Plus t’en ert douls à l’essaier. (R. 1664, vv. 43–45)
Or ces vers rappellent étrangement ceux employés dans Le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes :
187Bien adoucist par delaiier,
Et plus est buens a essaiier
Uns petiz biens, quant il delaie,
Qu’uns granz, que l’an adés essaie.
Joie d’amor, qui vient a tart,
Sanble la vert busche qui art,
Qui de tant rant plus grant chalor
Et plus se tient an sa valor,
Con plus se tient a alumer (Chevalier au lion, vv. 2515–23)
De ce lien frappant, mais ténu, qu’un exercice borgésien ou bayardien pourrait déconstruire et signaler comme de l’intertextualité, du pastiche ou encore du ‘plagiat par anticipation’51 entre deux auteurs hétérogènes, certains ont pu conclure à l’authenticité du poème, y voyant le même esprit à l’œuvre que dans les romans de l’auteur. Le poème renvoie d’ailleurs à la légende de Tristan. Cela est certes commun dans la lyrique d’oc de l’époque, dont le texte s’inspire très vraisemblablement, surtout si l’on décide de prêter foi à l’hypothèse d’un contact avéré entre le Chrétien de Troyes ‘véritable’ et les troubadours.52 Mais la référence tristianienne retient tout de même l’attention ici du fait que le poète cherche à se démarquer de Tristan en disant que, contrairement à lui, il n’a pas bu le filtre d’amour.53 Or, dans le prologue de Cligès, Chrétien de Troyes semblait aussi se distinguer des romans tristaniens de son époque en se vantant d’avoir plutôt raconté l’histoire ‘Del roi Marc’ (Cligès, v. 5) que celle de Tristan.
Même les musicologues ont cru déceler l’ironie courtoise et savante du clerc champenois dans son usage des lignes mélodiques qui sont associées au poème, et qui accompagnent musicalement – ou contrastent – selon les cas, l’ascendance et la chute de l’amant-poète par des mélismes ascendants ou descendants, et ce, malgré une certaine variation dans 188la transmission des mélodies associées à la chanson et une absence de connaissances certaines concernant leur compositeur.54
Durant ce vaste exercice de comparaison entre les corpus lyrique et romanesque, certains critiques ont voulu voir dans ces chansons des œuvres de jeunesse ou, au contraire, de la maturité, toujours selon les termes d’une maîtrise stylistique plus ou moins acquise. Suivant une argumentation qui nous sera désormais familière, Jean Frappier affirme ainsi que, dans les chansons de Chrétien de Troyes, il ‘règne un beau désordre’, ce qui indique que ‘le poète ne connaît pas encore l’art de la composition’.55 Les arguments ont peiné à convaincre, puisqu’Anne Berthelot signale à juste titre, dans la prestigieuse édition de la Pléiade des œuvres complètes de Chrétien, qu’il est tout à fait possible d’imaginer un Chrétien de Troyes d’âge mûr composant ces chansons parallèlement à ses œuvres romanesques.56
Il est d’ailleurs difficile de trancher sur la question au regard des défis philologiques et rhétoriques liés à la lyrique courtoise médiévale. De plus, ce débat moderne intéresse moins que la réalité éditoriale – médiévale, cette fois-ci – d’une existence manuscrite distincte du Chrétien de Troyes romancier et de celui qui aurait été auteur de chansons courtoises. En effet, le caractère irrésolu de ce cas au regard des standards de la critique, et le traitement éditorial séparé de l’œuvre lyrique et romanesque attribuée à Chrétien de Troyes doit plutôt nous servir d’occasion pour recentrer le débat autour des conceptions et des pratiques médiévales liées à la jeunesse en contexte manuscrit et poétique.
Ainsi, dans le cas de Chrétien de Troyes, aucun indice textuel ou manuscrit ne vient alimenter la fiction d’une œuvre lyrique composée durant la jeunesse de l’auteur. Les manuscrits ne sont d’ailleurs d’aucun secours, puisque que tous les témoins codicologiques des œuvres qui lui sont attribuées de façon plus ou moins sûre ont été 189produits au xiiie siècle, soit après la période d’activité présumée de l’auteur.57
En revanche, si on change quelque peu de perspective et qu’on se tourne vers d’autres figures auctoriales et œuvres poétiques de la même époque, on notera que l’œuvre d’un poète, sa production lyrique par exemple, est parfois décrite dans les termes sinon d’une œuvre de jeunesse, du moins d’une production poétique antérieure dont on cherche à se départir du fait qu’on l’associe à une vie de péché qu’on laisse derrière soi. Ce lieu commun se laisse variablement observer à la fois dans le texte et dans le paratexte de plusieurs œuvres du Moyen Âge central.
L’auteur anglo-normand Denis Piramus, presque contemporain de Chrétien de Troyes, ouvre ainsi sa Vie deseint Edmund le Rei58 par un discours de contrition sur les erreurs poétiques passées, qu’il associe à sa ‘joefnesce’, qu’il contemple depuis sa ‘veilesce’ :
Mult ai usé cume pechere
Ma vie en trop fole manere,
E trop ai usée ma vie
E en peché e en folie.
Kant court hanteie os les curteis,
Si feseie les serventeis,
Chanceunettes, rimes, saluz
Entre les drues e les druz
[…] Ceo me fist fere l’enemi,
Si me tinc ore a malbailli ;
Jamés ne me burdera plus.
Jeo ai noun Denis Piramus ;
Les jurs jolifs de ma jeofnesce
S’en vunt, si trei jeo a veilesce,
Si est bien dreit ke me repente.
En autre ovre mettrai m’entente,
Ke mult mieldre est e plus nutable. (Vie seint Edmund, vv. 1–21)
Le passage affiche une connaissance fine des différents genres de la lyrique courtoise qu’aurait pratiqués l’auteur. Mais il renvoie également cette production à un autrefois de l’œuvre de Denis, qui se transforme aussi en 190un ailleurs éditorial : aucune de ces chansons n’a, de fait, été transmise, et il ne reste de l’auteur que sa production religieuse. On distingue en fait trois éléments que cet exemple d’auto-condamnation de la lyrique cristallise. Ils ont trait à la production, à la réception, et enfin aux pratiques lexicales et culturelles liées à la jeunesse au Moyen Âge central.
Premièrement, autour du pôle de la production des œuvres, l’extrait de la Vie de seint Edmund s’inscrit dans la longue tradition de ce qu’Anita Obermeier a nommé ‘auctorial self-criticism’.59 Il s’agit du topos, repris par des dizaines d’auteurs dès l’Antiquité et vivifié par l’essor progressif du contritionnisme à partir du xie siècle qui aboutira à l’imposition du dogme de la confession annuelle obligatoire à la suite du quatrième concile de Latran en 1215,60 et suivant lequel un auteur se repent de ses fautes passées, à commencer par ses fautes littéraires. Or, même si cela n’est pas systématique, cette faute peut être, comme dans le cas de l’auteur médio-latin Marbode de Rennes, explicitement associée à la ‘stulta rudisque iuventus’ (la jeunesse insensée et grossière).61
Deuxièmement, du côté de la transmission et de la réception de la littérature, ce topos de l’autocritique auctoriale peut être combiné à la pratique éditoriale qui consiste soit à ne pas recopier les œuvres poétiques ainsi condamnées, soit à les transcrire dans un ordre tel que l’on puisse déduire, dans l’organisation du manuscrit, un cheminement biographique menant de l’erreur – parfois associée à la jeunesse – à la repentance – parfois associée à la maturité ou à la vieillesse.
Si l’on s’en tient au domaine de la langue d’oïl, le manuscrit Paris, BnF fr. 19525 conserve par exemple une sélection des œuvres de Guillaume le Clerc de Normandie (fol. 67r–141r),62 parmi lesquelles un texte, le Besant Dieu,63qui offre une liste d’œuvres courtoises produites par l’auteur :
191Guillaume, un clers qui fu normanz,
Qui versefia en romanz,
Fablels e contes soleit dire. (Besant Dieu, vv. 79–81)
La production poétique condamnée ici n’est plus lyrique, bien qu’elle soit encore laïque et courtoise, ne serait-ce qu’en partie. De même, l’extrait ne parle pas explicitement de jeunesse ni de vieillesse. Mais il reprend une partie du topos observable chez Denis Piramus en racontant comment Guillaume a connu une conversion qui le pousse à changer de type de production poétique au cours de sa vie et à se tourner vers la littérature religieuse. Le manuscrit fr. 19525 entérine cette conversion en reléguant ces œuvres passées dans le hors-texte du recueil, composé exclusivement de pièces hagiographiques et religieuses.
D’autres recueils rassemblant des ‘œuvres complètes’ d’auteurs de l’époque reconduisent un procédé éditorial analogue. Les manuscrits de Paris, BnF fr. 2556664 et Paris, BnF fr. 837,65 bien connus des médiévistes, réunissent respectivement les œuvres d’Adam de la Halle (fol. 10r-68r pour la collection la plus ancienne)66 et de Rutebeuf (fol. 28rv–332v) et concluent tous les deux ces œuvres par des poèmes mettant en scène la repentance de leurs auteurs respectifs, rendus au seuil de leur vie : les Congés (fol. 66v–67v) et les Vers de la mort (fol. 67v–68r) dans le manuscrit 25566 etla Repentance Rutebeuf, nommée Mort Rutebeuf dans le recueil 837 (fol. 332r–332v). Il en résulte que le lectorat est incité à appliquer aux corpus auctoriaux transcrits la lecture autobiographique et critique véhiculée dans ces poèmes liminaires. Comme dans le cas de Guillaume de Clerc de Normandie, la production poétique condamnée n’est pas exclusivement lyrique, même si le manuscrit d’Adam de la Halle place effectivement les chansons courtoises en début de recueil et se conclut par de pieuses autocritiques s’éloignant du genre lyrique.
Ces divers exemples éditoriaux suggèrent donc une lecture esthétique et morale du cheminement biographique des auteurs mis en scène, mais ils n’évoquent pas explicitement les âges de la vie. De façon beaucoup 192plus claire, en revanche, l’immense tradition manuscrite du Roman de la Rose de Guillaume de Loris et Jean de Meung67 est parfois constituée de recueils qui intègrent aussi à leur suite un Codicille et un Testament maistre Jehan de Meun68où l’auteur Jean de Meung se repent de son passé et accuse explicitement la jeunesse :
J’ai fait en ma jonesce maint diz par vanité,
Où maintes gens se sont pluseurs fois délité ;
Or m’en doit Diex ung faire par vraie charité
Pour amender les autres, qui pou m’ont profité.
Bien doit estre escusé jone cuer en jonesce,
Quant Diex li donne grace d’estre viel en viellesce ;
Mais moult est grant vertu et très-haute noblesce,
Quant cuer en jone aâge à meurté s’adresce.’ (Testament, vv. 1–8)
Ici, la critique de l’erreur poétique passée est donc clairement jumelée à une critique topique d’un âge révolu, caractérisé par la vanité et la quête des plaisirs. Au même moment, les manuscrits qui décident de transcrire les œuvres attribuées à Jean de Meung les unes à la suite des autres donnent un cadre matériel et éditorial à cette fiction biographique critique des œuvres de jeunesse antérieures au Testament, sans qu’il soit possible de trancher avec certitude sur le fait que le Roman de la Rose et le Codicille constituent les ‘diz’ condamnés par l’auteur.69
Troisièmement, autour du pôle lexical et culturel, l’exemple de Denis Piramus et de ces multiples auteurs qui se repentent de leurs œuvres passées 193vient dialoguer avec les diverses pratiques et conceptions – dynamiques et malléables – que l’on relève pour ce qu’on appelle la jeunesse au Moyen Âge central. Des études historiques et culturelles de Philippe Ariès et Georges Duby70 aux relevés lexicaux des termes de jovent, jovencel ou encore bacheler effectués plus récemment par Philippe Ménard,71 il ressort que la période médiévale a pratiqué la célèbre théorie des âges de la vie que lui avait léguée l’Antiquité, sous la plume d’Aristote et de Galien, notamment.72 Relayée par les Étymologies d’Isidore de Séville (XI, 2 : ‘De aetatis hominis’), qui dénombre sept âges, aussi bien que par le traité des Quatre âges de l’homme de Philippe de Novarre,73 cette théorie tendait à distinguer, en leur conférant des caractéristiques morales et des frontières variables, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse et la vieillesse. S’il n’est pas possible de définir quelle variante du topos ils reprennent, les exemples de Denis Piramus ou de Jean de Meung constituent tout bonnement une application de celui-ci dans un contexte littéraire et auctorial. Dans ce contexte, on notera que le terme de ‘jonesce’ ou de ‘joefnesce’ tel qu’employé par Denis Piramus ou Jean de Meung pouvait potentiellement désigner des âges allant de la vingtaine à la cinquantaine.74 On rappellera donc le caractère flou et avant tout relationnel de la conception de la jeunesse dégagée.
Pour la période du Moyen Âge central, il reste qu’un lien pouvait être fait entre cet âge de la vie qu’était la ‘jeunesse’ et un certain nombre de pratiques discursives, culturelles et poétiques, au-delà des exemples cités jusqu’à présent. Tandis que les jeunes femmes et leurs corps font l’objet de tentatives de contrôle discursif et corporel de la part des clercs médiévaux,75 on note également plusieurs tentatives institutionnelles et sociales d’encadrer la fougue chaotique des jeunes hommes qui ont débouché sur des productions d’ordre esthétique, confirmant par conséquent une certaine affinité entre jeunesse, arts et discours.
194Cette affinité se manifeste par exemple dans la poésie et les condamnations entourant les Goliards, ces écoliers devenus vagabonds associés par ailleurs à une production poétique latinophone fondée sur l’assouvissement des désirs, l’anticléricalisme et les jeux de tavernes.76 Mais on rappellera que cet exemple correspond tout autant une catégorie sociale – les étudiants – ou une posture littéraire – une volonté ‘moderne’ de subvertir par la rhétorique l’exemple des anciens et illustres (et ‘vieux’ ?) poètes latins –77 qu’une catégorie d’âge.
À la jonction entre le Moyen Âge central et le Moyen Âge tardif, on note également le cas des abbayes de jeunesse, institutions sociales et urbaines qui confiaient à la jeunesse l’organisation du calendrier des fêtes, et qui permettaient de donner un cadre et une forme à l’expression des élans et aux frustrations sinon incontrôlables de la jeunesse masculine.78 On pense notamment aux fameux charivaris, rites de brouhaha apparemment rattachés à des pratiques de dialogues avec les morts, et qui se manifestaient notamment lorsqu’un veuf se remariait, ‘subtilisant’ ainsi une jeune femme à la communauté des jeunes célibataires qui venaient alors demander compensation en faisant un vacarme musical chez les nouveaux mariés.79 Des courroies de transmission entre ces spectacles 195vivants et la lyrique de l’époque existent, puisque le premier témoignage manuscrit du charivari nous vient d’un roman farci de pièces lyriques à savoir le Roman de Fauvel,80 conservé et illustré au fol. 34r manuscrit BnF fr. 146, daté de 131681. Dans ce recueil, le charivari prend la forme de citations de formes lyriques anciennes, mais feignant la folie, selon un renversement presque ‘surréaliste’ et propre à une déraison que les médiévaux pouvaient associer à la jeunesse, comme dans le cas de Marbode de Rennes et de Denis Piramus. En amont de cette période, la lyrique courtoise des troubadours – celle-là même qui inspira l’œuvre lyrique de trouvères comme Chrétien de Troyes – a bien entendu été associée, par ses thèmes, à l’expression idéalisée d’une jeunesse – celle des femmes souvent objectifiées et celle des hommes chantant leur amour – portée sur le désir.82 Sans être systématique, ni forcément rattaché à la notion d’auteur, le lien entre expression poétique et une certaine conception de la jeunesse pouvait donc exercer une influence sur les pratiques poétiques, éditoriales et culturelles du Moyen Âge central.
Pour en revenir à l’œuvre lyrique de Chrétien de Troyes, rappelons que cet argumentaire n’a pas été déployé pour plaider en faveur d’une nouvelle datation des chansons courtoises du célèbre romancier. Certes, les chansons de Chrétien sont matériellement séparées de son œuvre romanesque. Mais aucun indice textuel ou paratextuel ne vient alimenter l’idée que l’auteur aurait produit des poèmes dont il se serait ensuite repenti durant les dernières années de sa vie. La production lyrique de Chrétien, parfois qualifiée d’œuvre de jeunesse par les critiques modernes, nous a plutôt servi de prétexte à une réflexion sur les conditions de rencontre variables entre certaines productions esthétiques telles quel la lyrique courtoise et la notion de ‘jeunesse’ autour de phénomènes poétiques, culturels et/ou éditoriaux.
196Charles d’Orléans : la réception ambigüe
d’un poème de jeunesse du Moyen Âge tardif
Peut-être parce qu’il est issu du Moyen Âge tardif et qu’il suggère par-là un changement de paradigme esthétique, sinon épistémologique, le cas de Charles d’Orléans vient offrir un précieux contrepoint à la convergence des lieux communs culturels, poétiques et éditoriaux selon lequels l’œuvre de jeunesse serait une production déraisonnée et répréhensible moralement.
Période d’effondrement démographique lié aux épidémies et aux guerres et, selon un lien qui n’est pas nécessairement mécanique, de réagencement des rapports entre les âges,83 l’‘automne du Moyen Âge’84 est aussi une époque où les figures d’auteurs de langue française se multiplient et revêtent une épaisseur autobiographique dans des poèmes et des manuscrits qui rassemblent des œuvres complètes organisées chronologiquement.85 Dans le domaine francophone, Guillaume de Machaut est souvent présenté comme l’incarnation de ce changement de paradigme,86 au même titre que Jean Froissart, Eustache Deschamps, Antoine de la Salle ou encore Christine de Pisan, pour ne citer que les exemples les plus connus d’auteurs qui étaient parfois éditeurs, et qui plaçaient leurs œuvres inscrites dans une chronologie linéaire suivant les âges de la vie. Cela étant, ce surplus de référentialité, apparemment nouveau, acquis par les auteurs du xive siècle s’est traduit chez certains médiévistes modernes par un désir un peu trop appuyé d’appliquer la 197lecture biographique et les jugements de valeur sur les œuvres apparemment ‘de jeunesse’ de certains poètes célèbres, tels Guillaume de Machaut et moins célèbres, tels Oton de Grandson.
Dans son édition des œuvres complète de Guillaume de Machaut (certes ancienne, mais influente),87 Ernest Hoepffner confond par exemple un peu hâtivement la position initiale du Dit dou Vergier dans les recueils des œuvres du poète avec sa valeur esthétique et l’âge auquel l’aurait composé un Guillaume encore ‘vert’ et méconnaissable d’un point de vue stylistique :
[C’]est une œuvre de jeunesse, sans doute le premier essai littéraire de longue haleine du jeune poète. La place qu’il occupe, l’absence de l’anagramme habituel où le poète se nomme, l’infériorité technique de ce poème par comparaison avec les autres dits, enfin son contenu auquel manque presque complètement la note personnelle et originale qu’on trouve par tout [sic] ailleurs, tout cela contribue à nous confirmer dans cette pensée que le Dit dou Vergier marque le début littéraire de Machaut.88
Dans un même esprit, on peut évoquer, sans s’y appesantir, la différence entre l’intérêt thématique – et topique – indiscutable pour la jeunesse révolue affiché par le poète de la deuxième moitié du xive siècle qu’est Oton de Grandson et la lecture biographique que l’éditeur Arthur Piaget déduit de son œuvre.89
Emblème parmi d’autres de cette complexité du rapport entre jeunesse et esthétique à la fin du Moyen Âge, le cas de Charles d’Orléans nous permettra d’illustrer quelques-unes des potentialités heuristiques de notre enquête pour la fin du Moyen Âge. Charles est lui aussi de poésie autobiographique, transcrite dans un manuscrit dédié à l’auteur, pétrie de la théorie des âges de la vie et plus facilement datable que la production littéraire des rares auteurs français du Moyen Âge central. C’est à ce titre que nous nous intéresserons à son œuvre, qui recèle de 198surcroît quelques surprises éditoriales à même d’illustrer la richesse de la notion d’‘œuvre de jeunesse’ en contexte tardo-médiéval.
De fait, Charles est connu pour avoir mis en scène son propre cheminement biographique au sein d’un manuscrit partiellement autographe dédié à sa seule personne, le BnF fr. 25458.90 Ce recueil, qui est le plus connu de ce prince-poète du xve siècle, père du roi de France Louis XII, et témoin des bouleversements épidémiques et politiques de la fin du Moyen Âge (la Peste et la Guerre de Cent ans),91 s’ouvre sur un texte intitulé la Retenue d’amours (pp. 1–14 du recueil), qui affiche d’emblée le penchant de son auteur pour la théorie des âges de la vie.
Dans ce texte, un jeune narrateur, identifié clairement à la page 14 comme étant Charles d’Orléans (vv. 405–06 du poème), raconte la manière dont un messager du nom d’Âge est venu le chercher le jour de la Saint-Valentin, tandis qu’il logeait chez Enfance, et l’a mené jusqu’au logis d’une autre dame, du nom de Jeunesse. Cette nouvelle allégorie incite le narrateur, non sans résistances, à tomber amoureux, et de ce fait, à débuter sa carrière poétique, selon une conception finalement assez prévisible de la jeunesse comme moteur du désir qui sert, à son tour, à alimenter la poésie courtoise.
Ainsi, la jeunesse est déjà présentée comme un âge sinon passé, du moins suffisamment éloigné pour que l’auteur puisse y jeter un regard rétrospectif et critique, tant et si bien que cet âge se trouve, comme dans les cas du Moyen Âge central étudiés, à la confluence de l’art poétique que l’on pratique et du thème que l’on aborde rétrospectivement tout en le renvoyant dans un hors-texte. Le thème des âges de la vie reviendra d’ailleurs souvent dans l’œuvre du duc, qui se plaindra fréquemment de la fugacité de sa vitalité passée.92
Ces observations, assez banales au demeurant pour des spécialistes du poète et de son époque, ne nous intéressent que parce que le recueil, très 199vraisemblablement planifié par Charles lui-même, laisse de côté ce qui semble être la seule véritable œuvre de jeunesse – ou plutôt d’enfance ou d’adolescence – du duc. Baptisé Le livre contre tout péché, ce poème est conservé dans un manuscrit unique, le BnF lat. 9684,93 où il occupe une place marginale et ambigüe, à l’image de ce qu’il représente dans l’œuvre de Charles.
Le manuscrit est le fruit du travail de cinq copistes différents, il contient une majorité de textes latins : les feuillets de garde contiennent des listes historiques et des poèmes latins, tandis que le manuscrit lui-même donne tout à tour le Bellum Catilinarium de Salluste (fol. 1r–35r) ; un poème latin d’attribution incertaine (fol. 35r–35v) ; un poème d’Oudard du Fouilloy (fol. 36r–37v) et enfin le seul texte français du recueil, à savoir le Livre contre tout péché (fol. 37v–41r). D’après l’expertise de Pierre Champion, qui ne semble pas avoir été remise en cause depuis, le copiste du petit poème aurait été le précepteur de Charles d’Orléans durant son enfance, Nicole Garbet,94 là où les autres parties du recueil seraient le fruit du travail de copiste de Jean d’Angoulême, frère de Charles, tandis que c’est Jean Lebègue, humaniste connu pour son travail d’auteur et de copiste, ainsi que sa bibliophilie, qui aurait pris en charge la transcription et la planification de la majorité du codex.95
Transcrit par des proches de Charles, le manuscrit aurait été offert par Jean d’Angoulême au poète, son frère, comme en témoignent plusieurs indices textuels et paratextuels tels que des marques de possession et les mentions dans les inventaires tels ceux de la ‘Librairie’ royale de Blois effectué en 1518, où il est décrit comme un ‘Salustii tria volumina, paria, in pargameno’.96 L’hypothèse de Pierre Champion est qu’il s’agissait très vraisemblablement d’un manuel d’instruction destiné au duc durant son enfance.
L’attribution du poème Le livre contre tout péché au jeune Charles est le fait d’Antoine Thomas.97 Or cet exercice attributif moderne retient 200l’attention du fait qu’il travaille quelque peu contre le manuscrit. En effet, à une date qu’on ne saurait déterminer, le texte du poème a été gratté de telle sorte que le prénom de son signataire a été effacé, ne donnant alors au lecteur que l’âge et le titre du poète
Ce livre, lequel, Dieu donnant,
Je nommé [gratté] d’Orléans
Fiz quand je eus acompli X ans.
Antoine Thomas distingue clairement le nom de Charles, qu’une simple consultation du manuscrit permet effectivement d’observer.98
Par prudence, et sans avoir à tomber dans un positivisme ‘biographique’ prenant pour acquise l’hypothèse auctoriale, on peut se cantonner à dire que le poème contenait à l’origine une inscription de Charles d’Orléans, et que les indices ayant trait à la genèse et à la réception du manuscrit rendent cette attribution crédible. Cependant, le texte n’en occupe pas moins un statut stylistique et éditorial à part, tant aux yeux des spécialistes modernes de la poésie du duc que dans l’œuvre de Charles elle-même, et que l’on pourrait associer à la notion de jeunesse.
On doit certes conserver une neutralité historienne en ne reconduisant plus les jugements esthétiques des critiques, qui ont se sont jadis désolés de la piètre qualité du texte ou qui ont tenté d’en souligner les forces en les comparant avec la production juvénile d’autres grands noms de la littérature française, tels Victor Hugo.99 Il demeure que la forme distingue nettement ce poème du reste de la production attribuée à Charles.
Du point de vue de l’analyse interne, le texte est constitué de couplets d’octosyllabes à rimes plates qui s’enchaînent sans respecter de schéma strophique ou rimique particulier. Le texte emploie tout de même certaines subdivisions en fonction des péchés capitaux abordés, subdivisions qui sont accompagnées de rubriques signalant le nom du péché et qui sont soulignées de surcroît par des lettres filigranées de trois unités de réglure alternativement bleues et rouges.
Après un prologue annonçant les finalités et le titre du poème, le texte répond à une formule très stable et répétitive : à l’exception de la première ‘strophe’, qui aborde le péché d’orgueil en s’appuyant sur le récit de Lucifer (v. 19), l’énonciateur intègre systématiquement une formule de 201renvoi à une autorité ancienne et / ou reconnue : ‘A l’enseignement de Saint Bernart’ (v. 48) ; ‘Car par l’enseignement Cathon’ (v. 63) ; ‘Car Alain si nous enseigne’ (v. 71) ; ‘De Godeffroy l’enseignement’ (v. 84) ; ‘Et Alain en son livre dit’ (v. 99) ; ‘Et par Alain est demonstré’ (v. 109). S’il est certes possible de réprouver le caractère rébarbatif de ces itérations formulaires, on peut également les interpréter comme participant d’un ‘rythme’ propice à la parole didactique, qui use de la répétitivité pour mieux persuader soit un lectorat potentiel, soit l’auteur même du poème qui se servirait de ce traité comme d’une composition à la fois morale et mnémotechnique.
L’aspect itératif et dépouillé de l’expression poétique se laisse également percevoir ailleurs dans le texte, sous la forme de réemplois du même mot, soit pour deux rimes, soit dans le corps du poème. ‘Euvre’ substantivé rime ainsi avec ‘euvre’, employé comme un verbe (vv. 5–6). De même, le nom ‘avoir’, au sens de ‘possessions’, rime avec le verbe ‘avoir’ (vv. 51–52). Si, ailleurs, le poème reprend le même procédé pour le péché ‘d’ire’ (colère), puisque le ‘diz’, la forme poétique, rime avec le verbe dire conjugué à la première personne du singulier ‘diz’ (vv. 93–95), il insuffle un jeu minimal et légèrement vertigineux sur les sonorités de l’expression qui est en train de se déployer sur elle-même, puisque les rimes suivantes jouent sur l’homophonie ‘d’ire’ et de ‘dire’, terme qui ouvre de surcroît la section consacrée au péché d’ire : ‘D’ire vueil parler et si diz’. On peut aussi lire le vers ainsi, comme le fait Pierre Champion : ‘Dire vueil, parler, et si diz’.
Outre ce jeu d’assonances qui demeure caractéristique d’une poésie à teneur morale depuis le xiiie siècle,100 on note un retour de formules très semblables : ‘Il fout envie moult fuir’ (v. 70) ressemble à ‘Et pour ce, un chascun fuir / la doit […]’ (v. 81), ainsi qu’à ‘Chascun doit fuir peresse’ (v. 105). Le vers ‘Luxure si est deshonneste’ (v. 57) rappelle pour sa part le vers ‘D’un tres deshonneste peché’ (v. 39).
Comme nous le signalions, le poème se conclut par ailleurs sur une inscription désormais grattée de l’auteur. Dans le passage, le poète s’excuse de sa propre jeunesse, âge de la vie qui le rend inapte à produire un traité de morale digne de ce nom :
202Et me pardonnent, je leur pry,
En cecy se j’ay point failly.
Car je n’estoie pas si saige
Pour ce qu’estoie jeune d’age,
Que je peusse faire traitté
Qui fust de grant moralité (vv. 135–42).
Comme pour prévenir les critiques qui pourraient fuser au sujet de son œuvre, le jeune poète signale son âge en guise d’excuse pour un certain manque de maîtrise et de sagesse. Sur un autre mode que ce qu’on observait pour le Moyen Âge central, l’œuvre de jeunesse fait l’objet d’une repentance morale, à ce détail près que cette dernière est effectuée directement par le jeune auteur.
Cette inscription auctoriale gagne à être comparée à un autre poème qui contient une signature où Charles évoque sa jeunesse sur le mode de la confession. La Complaintede France, conservée dans le manuscrit autographe de l’auteur (pp. 191–93 du BnF fr. 25458),101 entretient en effet avec le Livre contre tout péché un rapport de fausse gémellité. Comme ce dernier, la Complainte se conclut sur une signature de l’auteur, accompagnée d’un développement sur sa genèse et sur son lien avec la jeunesse de l’auteur :
Et je, Charles, duc d’Orlians, rimer
Voulu ces vers, ou temps de ma jeunesse,
Devant chacun les vueil bien advouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse ;
Priant à Dieu, qu’avant qu’aye vieillesse,
Le temps de paix partout puist avenir,
Comme de cueur j’en ay la desirance,
Et que voye tous tes maulx brief finir,
Trescrestian, franc royaume de France. (Complainte,vv. 82–90)
Si Charles dit avoir composé ce texte ‘ou temps’ de sa ‘jeunesse’, sans préciser l’âge auquel il renvoie, il confesse également, comme une faute, le fait de n’avoir pas publié immédiatement ce poème et d’avoir attendu que le contexte lui soit favorable. On relève donc un auteur-éditeur qui met en scène son souci de contrôler la réception de son œuvre.
Bien qu’il soit possible de rapprocher les fictions d’origines de la Complainte et du Livre contre tout péché, la facture formelle de la Complainte 203le distingue nettement du Livre et le rapproche du reste de l’œuvre de Charles. Optant pour une forme fixe, particulièrement contraignante, la pièce se place sous le signe de la sophistication esthétique. Elle est composée de dix strophes décasyllabiques qui répètent les rimes ababbcdcd, le dernier vers de chaque strophe étant le même refrain : ‘Tres crestien, franc royaume de France’. Par rapport au Livre contre tout péché, on ne peut que constater que le choix des rimes est tel qu’elles ne se répètent jamais, ni l’une à la suite de l’autre, ni même d’un bout à l’autre du poème. La répétition du schéma rimique est plutôt l’occasion de créer des effets de contraste entre le sens des différentes strophes, avec la ‘tristesse’ et la ‘peresse’ (certes accompagnées de ‘sagesse’) de la strophe 2 qui qui jurent avec la ‘noblesse’, la ‘gentillesse’ et la ‘proesse’ de la strophe 1, mais aussi la ‘largesse’, la ‘promesse’ et la ‘Humblesse’ de la strophe 3.
On retrouve certes les sept péchés capitaux, comme dans le Livre contre tout péché, mais ils prennent place au sein de l’énumération continue des vices d’une France allégorisée. L’allégorie, sous la forme d’une apostrophe personnificatrice, constitue d’ailleurs un outil rhétorique employé en divers endroit du poème, ce qui distingue encore celui-ci du Livre contre tout péché.
Enfin, les références pédagogiques aux autorités anciennes cèdent le pas à un commentaire des actualités plus ou moins récentes du royaume de France, mais aussi à des références intertextuelles littéraires laïques : ‘Charlemaine, Rolant et Olivier’ (v. 56) sont cités comme des héros révolus dont la mention sert à souligner la décadence des hauts personnages contemporains de la France, même si c’est à titre de protagonistes de ‘chroniques’ qu’ils sont cités (v. 62). Ces différents aspects stylistiques ont tendance à rappeler les procédés et le lexique du Charles d’Orléans tel qu’il est représenté par le reste de sa production poétique,102 également caractérisée par un penchant pour la sophistication formelle et l’usage des formes fixes. Comparativement, le Livre ne doit pas nécessairement être qualifié de ‘maladroit’ ni ‘d’inabouti’, mais il est certainement distinct du reste du corpus de Charles.
L’inscription auctoriale de la Complainte corrobore d’ailleurs cette observation. Elle combine certes la question de la jeunesse de l’auteur 204au cœur au motif de la pénitence, mais elle revêt une saveur distincte de celle du Livre. Charles ne s’y excuse pas pour l’immaturité avec laquelle il se piquerait de morale à un âge si peu avancé ; il montre plutôt qu’il a fait preuve sinon de prudence, du moins d’un esprit calculateur et qu’il s’est appliqué un droit de réserve éditoriale. Cela suggère d’ailleurs une sorte de pacte de continuité entre le jeune poète et sa version plus âgée, qui se signale par ce prologue et devient le filtre au travers duquel s’exprime une jeunesse tempérée par le poids des ans.
Cette autorisation éditoriale est entérinée par le manuscrit lui-même, qui promeut visuellement le nom de l’auteur à la p. 193, et qui place le poème au cœur de l’album manuscrit des œuvres de Charles, où le nom du poète se démultiplie dans le texte et le péritexte. Alice Planche a certes noté un changement dans l’usage des inscriptions auctoriales entre l’œuvre la plus chronologiquement ancienne de Charles, signée, et celle de la vieillesse, où le nom disparaît du texte pour ne plus se situer que dans le péritexte.103 Mais cette stratégie auctoriale et éditoriale est distincte de celle, très particulière, qui caractérise le Livre contre tout péché.
En effet, nous avons vu à quel point le poème d’extrême jeunesse de l’auteur était matériellement séparé du reste de son œuvre. Nous pouvons également en dire davantage sur le grattage du nom de l’auteur, qui intrigue au plus haut point. À défaut de pouvoir trancher sur l’identité ou les motivations de la personne ayant procédé à cette censure, on se contentera de décliner les hypothèses possibles et leurs interprétations potentielles.
Il pourrait s’agir d’un lecteur moderne qui aurait eu à cœur de dissimuler cette identité. Cette hypothèse est assez peu crédible, du fait qu’elle semble aller à l’encontre de la pratique majoritaire des érudits modernes tels Claude Fauchet, plus enclins à souligner le nom de l’auteur pour constituer des histoires littéraires de la France. Mais elle est impossible à écarter entièrement.
Il est en revanche plus vraisemblable que ce grattage soit le fait soit d’un proche de Charles, soit ses successeurs immédiats, soit – et il s’agirait de l’hypothèse la plus intéressante, peut-être – d’une volonté personnelle du poète d’effacer son propre nom. En tout cas, nul n’est besoin de trancher pour constater que la transmission manuscrite du 205Livre acte cette hétérogénéité avec le reste du corpus auctorial. Le mode même de désignation du recueil dans les inventaires confirme ce que le manuscrit suggérait : c’est un ouvrage de Salluste qu’on décrit,104 et non pas un recueil du duc d’Orléans.
Or cette existence bâtarde d’une œuvre de jeunesse reléguée dans un non-lieu éditorial se révèle particulièrement savoureuse lorsqu’on la met en dialogue avec les phénomènes éditoriaux du Moyen Âge central décrits précédemment. En effet, on se souvient que l’œuvre de jeunesse pouvait être cette faute esthétique et morale dont que l’on reléguait à un ailleurs textuel, et ce, pour mieux se tourner vers une production poétique idéologiquement correcte. Or le Livre contre tout péché est de loin le poème où Charles se voit le plus préoccupé par la question du salut et du péché, et c’est pourtant lui qui semble presque dissimulé dans l’œuvre du duc.
Le Livre contre tout péché se serait-il vu ségrégué du reste de l’œuvre manuscrite de Charles, non plus à titre de faute morale de jeunesse, mais peut-être comme un écart esthétique ? La honte, pour cet auteur particulier, aurait-elle changé de forme ? Ce serait le petit poème religieux écrit dans un style dénué de subtilité, et non plus une production lyrique ou courtoise associée au péché que le recueil auctorial de Charles d’Orléans sépare des œuvres courtoises de la maturité, qu’il consacre. L’œuvre de jeunesse est certes conservée, mais à part, peut-être parce qu’elle n’honore pas le style de l’auteur.
Sans que cela fasse office de tendance majoritaire, il est vrai que peu avant l’époque de Charles d’Orléans, l’écrivaine Christine de Pizan offrait un regard rétrospectif et éclairant sur sa formation littéraire, caractérisée par un raffinement progressif du style au fil du temps, depuis la jeunesse jusqu’à la maturité :
Adonc me pris a forgier choses jolies, a mon commencement plus legieres, et tout ainsi comme l’ouvrier qui de plus en plus son euvre se soubtille comme plus il la frequente, ainsi tousjours estudiant diverses matieres, mon sens de plus en plus s’imbuoit de choses estranges, amendant mon stille en plus grand soubtilleté et plus haute matiere […].105
206Bien que le perfectionnement du style soit ici affaire de sagesse et de savoir tout autant que de maîtrise poétique, on sent bien que le raffinement vient avec la maturité, et que l’œuvre de jeunesse de Christine se voit dépréciée en raison de la maîtrise moindre dont elle est le produit.106
Faut-il cependant conclure de notre enquête à la plus grande ‘modernité’ des poètes et poétesses du Moyen Âge tardif, tels Charles d’Orléans ? Ces derniers représentent-ils un véritable changement de paradigme au regard du Moyen Âge central ? Se tourne-t-on définitivement vers le style individuel de l’auteur, devenu l’aune à laquelle on appréhende l’œuvre de jeunesse, plus grossière, et celle de la maturité, plus ‘subtile’ ? Répondre à l’affirmative à ces questions reviendrait à présupposer un sens trop clair à une histoire littéraire qui n’en a pas forcément. La démonstration, très partielle, hélas, a surtout illustré la nécessité de démêler prudemment et avec minutie les différentes composantes de ce qui demeure un chantier conceptuel, critique et poétique, sans tirer de conclusions hâtives quant à la notion d’œuvre de jeunesse en contexte 207poétique et manuscrit médiéval. Il est à parier qu’une étude à grande échelle et véritablement systématique, que nous appelons de nos vœux, ne se laisserait pas résumer à une lente et progressive marche vers une prétendue conception moderne de l’œuvre de jeunesse, elle aussi problématique et plurielle au demeurant.
Julien Stout
Université Concordia, Montréal
julien.stout@concordia.ca
1 Georges Duby, ‘Dans la France du Nord-Ouest, au xiie siècle : les “jeunes” dans la société aristocratique’, Annales, 19–5 (1964), 835–46.
2 Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Paris : Seuil, 1977).
3 Youth in the Middle Ages, éd. Peter Jeremy Piers Goldberg et Felicity Riddy (Woodbridge, Suffolk-Rochester, New York : Boydell & Brewer, 2004) ; Les âges de la vie au Moyen Âge, Actes du colloque du Département d’Études Médiévales de l’Université de Paris-Sorbonne et de l’Université Friedrich-Wilhelm de Bonn, Provins, 16–17 mars1990, éd. Henri Dubois et Michel Zink, (Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1992) ; Éducation, Apprentissages, Initiation au Moyen Âge, Actes du Ier Colloque International de Montpellier (Université Paul Valery) de novembre 1991, Cahiers du CRISIMA, 1, Montpellier (1993) ; Claude Gauvard, ‘Les jeunes à la fin du Moyen Âge : une classe d’âge ?’, in Les entrées dans la vie. Initiations et apprentissages,éd. Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (Nancy : Presses universitaires de Nancy, 1982), pp. 225–44 ; Michael Goodich, From Birth to old Age. The human Life Cycle in medieval Thought, 1250–1350 (New-York / Londres : University Press of America, 1989) ; Histoire des jeunes en Occident, I, De l’Antiquité à l’époque moderne, éd. Giovanni Levi et Jean-Claude Schmitt (Paris : Seuil, 1996) ; Young Medieval Women, éd. Katherine J. Lewis, Noël J. Menuge et Kim M. Phillips (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1999) ; Didier Lett, ‘Le corps de la jeune fille. Regards de clercs sur l’adolescente aux xiie–xive siècles’, Clio, Histoire, Femmes et Sociétés, 4, Le temps des jeunes filles (1996), 51–73 et L’Enfant des miracles. Enfance et société au Moyen Âge (xiie–xiiie siècle) (Paris : Aubier, 1997).
4 Dans ce domaine, on peut citer le travail bien connu d’Erich Köhler sur la jeunesse chez les troubadours : ‘Sens et fonction du terme “jeunesse” dans la poésie des troubadours’, Mélanges René Crozet (Poitiers : Société d’Études Médiévales, 1966), 567–83 ; Jeanne Lods, ‘Le thème de l’enfance dans l’épopée française’, Cahiers de civilisation médiévale, 3 (1960), 58–62. On consultera aussi Philippe Ménard, ‘“Je sui encore bacheler de jovent” (Aimeri de Narbonne, v. 766) : Les représentations de la jeunesse dans la littérature française aux xiie et xiiie siècles. Étude des sensibilités et mentalités médi[é]vales’, in Les âges de la vie au Moyen Âge, éd. Henri Dubois et Michel Zink, pp. 171–86.
5 Pour les périodes précédant ou suivant plus ou moins directement le Moyen Âge, voir, par exemple, Sophie Lalanne, ‘Bibliographie : genre et jeunesse dans l’Antiquité’, Genre & Histoire, 4 (2009) <https://journals.openedition.org/genrehistoire/712#tocto1n1> [Consulté le 16 décembre 2022] ; Jean-Pierre Neraudau, La jeunesse dans la littérature et les institutions de la Rome républicaine (Paris : Les Belles Lettres, 1979) ; Elena Isayev, ‘Unruly youth ? The myth of generation conflict in Late Republican Rome’, Historia : Zeitschrift für Alte Geschichte, 56, 1 (2007), 1–13 ; Dialectiques de la vieillesse dans l’Antiquité, éd. Sandrine Coin-Longeray et Daniel Vallat (Lyon : Librairie De Boccard, 2020) ; Louise Bruit Zaidan et al., Le corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours (Paris : Perrin, 2000) ; The Premodern Teenager : Youth in Society, 1150–1650, éd. Konrad Eisenbichler (Toronto : Centre for Reformation and Renaissance Studies, 2002), ou encore The Evolution of Adolescence in Europe, éd. Barbara A. Hanawalt, Journal of Family History, 17, 4 (1992).
6 Sur le modèle de l’ouvrage Les arts et les âges de la vie, éd. Jean-Marie Schaeffer et Ionana Vultur (Paris : Seuil, 2021), par exemple. Il serait bien entendu fructueux d’étendre ainsi l’enquête à l’ensemble des âges de la vie, et d’examiner la pertinence de concepts modernes tels que le fameux Spätstil théorisé par Theodor Adorno, ‘Spätstil Beethovens’, Moments musicaux, Musikalische Schriften (Francfort-sur-le-Main : Surkhamp, 2003), puis repris par Edward W. Saïd, ‘Adorno : de l’être-tardif’, Tumultes, 17–18 (2001–2002), 321–37.
7 Édition de référence : Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai (Berne – Francfort : Publications universitaires européennes, 1974). Voir aussi Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, éd. Daniel Poirion et Anne Berthelot (Paris : Gallimard, 1994), notamment pp. 1037–49.
8 Édité dans Charles d’Orléans, Poésies, éd. Pierre Champion (Paris : Honoré Champion, 1956), vol. 2, pp. 545–50.
9 L’exemple le plus connu de l’application de cette lecture et de ce vocabulaire conceptuel de la subjectivité pour la période médiévale demeure Michel Zink, La Subjectivité littéraire autour du siècle de Saint Louis (Paris : Presses Universitaires de France, 1985). Pour des études de type ‘la vie et l’œuvre’ appliquées au corpus littéraire médiéval, voir Jean Frappier, Chrétien de Troyes : l’homme et l’œuvre (Paris : Hatier-Boivin, coll. ‘Connaissance des lettres’, 1957) ; Estelle Doudet, Chrétien de Troyes (Paris : Tallandier, 2009) ; Henry Guy, Essai sur la vie et les œuvres littéraires du trouvère Adan de le Halle (Paris : Hachette, 1898) ; Frédéric Pluquet, Notice sur la vie et les écrits de Robert Wace, poète normand du xiie siècle (Rouen : J. Fère, 1824) ; Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort, ‘Notice sur la vie et les écrits de Marie de France’, Poésies de Marie de France. Poète anglo-normand du xiiie siècle, ou recueil de lais, fables et autres productions de cette femme célèbre (Paris : Marescq, 1832), pp. 1–23 ; etc. Voir aussi l’organisation de l’ouvrage de Charles-Victor Langlois, Histoire littéraire de la France (Paris : Imprimerie nationale, 19921), t. XXXV.
10 Sondage effectué à partir du Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Âge, éd. Geneviève Hasenohr et Michel Zink (Paris : Fayard, 1992) et Robert White Linker, A Bibliography of Old French lyrics (University of Mississipi, 1979) dans le cadre de notre thèse de doctorat. Voir Julien Stout, ‘L’auteur au temps du recueil. Repenser l’autorité et la singularité poétiques dans les premiers manuscrits à collections auctoriales de langue d’oïl (1100–1340) (Thèse de doctorat non publiée, Univers de Montréal, 2021). Nous nous permettons de renvoyer à ce travail pour une synthèse et une bibliographie sur la question – épineuse et souvent discutée – de la question de l’auteur de langue française, ainsi que celle de l’anonymat. On pourra également consulter Piero Andrea Martina et Richard Trachsler, ‘La Partie de cache-cache la plus longue du monde. Auteurs médiévaux contre critiques modernes’, Cahiers de Civilisation Médiévale, 65 (2022), 131–44 <https://doi.org/10.4000/ccm.9210> (consulté le 11 août 2023) et Richard Trachsler, ‘Auteurs et noms d’auteur. Ce qu’on lit dans les manuscrits’, in Autorschaft und Autorität in den romanischen Literaturen des Mittelalters, éd. Susanne Friede et Michael Schwarze (Berlin – Boston : 2015), pp. 137–46.
11 Sur la notion de variance, voir, bien sûr, Bernard Cerquiglini, Éloge de la Variante. Histoire critique de la philologie (Paris : Seuil, 1989). L’autre concept traditionnellement employé pour décrire la mobilité du texte médiéval est bien entendu celui de ‘mouvance’. Voir Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale (Paris : Seuil, 1972), pp. 64 et sq. Pour une discussion théorique sur la possibilité d’appliquer les méthodes de la stylométrie au contexte manuscrit médiéval, voir par exemple Maria Slautina et Mikhaïl Marusenko, ‘Les méthodes stylométriques pour la recherche de la paternité des textes médiévaux’, Les Cahiers du numérique, 4 (2014), 179–215 (pp. 185 et sq.).
12 Wace, Le Roman de Brut, éd. Ivor Arnold (Paris : Société des Anciens Textes Français, 1938–1940).
13 Wace, Vie de sainte Marguerite, Conception Notre Dame, Vie de saint Nicolas, éd. Françoise Laurent, Françoise Le Saux et Nathalie Bragantini-Maillard (Paris : Honoré Champion, 2019). Voir aussi Wace, La Vie de sainte Marguerite, éd. Hans-Erich Keller (Tübingen : Max-Niemeyer Verlag, 2012).
14 Voir l’introduction de Wace, Vie de sainte Marguerite, Conception Notre Dame, Vie de saint Nicolas, éd. Françoise Laurent, Françoise Le Saux et Nathalie Bragantini-Maillard, pp. 9–69, ainsi que La Vie de sainte Marguerite, éd. Hans-Erich Keller,pp. 37 et sq.
15 Le style de Wace, Actes du colloque de la Société d’Études de Recherches Arthuriennes et Médiévales, juillet 2019, éd. Denis Hüe (Orléans : Paradigme, 2020).
16 Wace, Roman de Rou, éd. Anthony J. Holden (Paris : Société des Anciens Textes Français, 1970–1973).
17 La Vie de sainte Marguerite, éd. Hans-Erich Keller, pp. 37–38.
18 Cf. la formulation ‘Mestre Wace’ dans Le Roman de Brut, v. 14866 et ‘Mestre Guace’ dans la Vie de saint Nicolas, v. 1546.
19 Wace, La vie de saint Nicolas par Wace, poème religieux du xiie siècle, éd. Einar Ronsjö (København – Lund : Munksgaard-Gleerup, 1942), p. 20, cité dans La Vie de sainte Marguerite, éd. Hans-Erich Keller, p. 39.
20 Édité dans Marie de France, Lais, éd. Laurence Harf-Lancner (Paris : Librairie Générale Française, 1990).
21 Jeanne Wathelet-Willem, ‘Équitan dans l’œuvre de Marie de France’, Le Moyen Âge, LXIX (1963), 344–45, cité dans Rupert T. Pickens, ‘Équitan : anti-Guigemar’, Romance notes, 15, 2 (1973), 361.
22 En effet, la biographie de ‘Marie de France’ demeure difficile à reconstruire, même si on s’est récemment essayé à l’exercice. Voir par exemple Carla Rossi, Marie de France et les érudits de Cantorbéry (Paris : Classiques Garnier, 2009).
23 Ernst Hoepffner, ‘Le lai d’Équitan de Marie de France’, in A Miscellany of Studies in Romance Languages and Literatures presented to Leon E. Kastner, ed. by Mary Williams et James A. de Rothschild (Cambridge : Heffer, 1932), pp. 294–302, plus particulièrement pp. 300–01, cité dans Rupert T. Pickens, ‘Équitan : anti-Guigemar’, p. 362.
24 Theodor Adorno, ‘Spätstil Beethovens’ et Edward W. Saïd, ‘Adorno : de l’être-tardif’.
25 Michel Marie Dufeil, ‘L’œuvre d’une vie rythmée : chronographie de Rutebeuf’, in Musique, littérature et société au Moyen Âge. Actes du colloque d’Amiens (mars 1980), ed by Danièle Buschinger et André Crépin (Paris : Honoré Champion, 1981), pp. 279–94.
26 Rutebeuf, Œuvres complètes, ed. by Michel Zink (Paris, Classiques Garnier, coll. ‘Le Livre de Poche’, 2001).
27 Michel Marie Dufeil, ‘L’œuvre d’une vie rythmée’, p. 673.
28 Ibid.
29 Rutebeuf, Œuvres complètes, éd. Michel Zink.
30 Michel Marie Dufeil, ‘L’œuvre d’une vie rythmée’, p. 672.
31 Voir, sur cette question, Olivier Collet, ‘“Sic ubi multa seges, bovis acres nosce labores” : les inscriptions d’auteur dans l’œuvre de Rutebeuf’, in ‘Toutes choses sont faictes cleres par escripture’. Fonctions et figures d’auteurs du Moyen Âge à l’époque contemporaine, éd. Virginie Minet-Mahy, Claude Thiry et Tania Van Hemelryck (Louvain-la-Neuve : Les lettres romanes, 2004), pp. 33–44. Nous revenons brièvement sur cette question en fin d’article.
32 Luciano Rossi, ‘L’œuvre de Jean Bodel et le renouveau des littératures romanes’, Romania, CXII, 447–48 (1991),332.
33 Keith Busby, ‘Le Roman des eles as guide to the sens of Meraugis de Portlesguez’, in The Spirit of the Court. Selected Proceedings of the Fourth Congess of the International Courtly Literature Society (Toronto 1983), éd. Glyn S. Burgess et Taylor A. Robert (Woodbridge : D.S. Brewer, 1985), pp. 79–89.
34 Alfred Jeanroy, ‘Les chansons de Philippe de Beaumanoir’, Romania, XXVI, 104 (1897), 517.
35 Louis Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française (Paris : Armand Colin & Cie, 1896), t. II, p. 128.
36 Jacques Ribard, Un Ménestrel du xive siècle, Jean de Condé (Genève : Droz, 1969), pp. 42 et 178.
37 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale ; Roger Dragonetti, Le mirage des sources. L’art du faux dans le roman médiéval (Paris : Seuil, 1987).
38 Voir Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, éd. Daniel Poirion et Anne Berthelot.
39 Pour la liste et la description détaillée de ces manuscrits, voir The Manuscripts of Chrétien de Troyes, éd. Keith Busby et al. (Amsterdam : Rodopi, 1993).
40 Danièle James-Raoul, Chrétien de Troyes, la griffe d’un style (Paris : Honoré Champion, 2007). Voir aussi Rudolf Grosse, ‘Der Stil Chrestien’s von Troies’, Französische Studien, 1 (1881), 127–261.
41 ‘Cil qui fist d’Erec et d’Enide, / Et les comandemanz d’Ovide / Et l’art d’amors an romans mist, / Et le mors de l’espaule fist, / Del roi Marc et d’Ysalt la blonde, / Et de la hupe et de l’aronde / Et del rossignol la muance’ (Cligès, vv. 1–7).
42 C’est à cette date que meurt à Saint-Jean d’Acre le dernier patron connu de Chrétien de Troyes, Philippe d’Alsace, mentionné dans le Conte du Graal. Sur les efforts de datation du corpus de Chrétien de Troyes, voir par exemple Daniel Poirion, ‘Introduction’, in Chrétien de Troyes, Œuvres complètes (Paris : Gallimard, coll. ‘La Pléiade’, 1994), pp. IX–XV.
43 Chrétien de Troyes, Philomena. Conte raconté par Ovide, éd. Cornelis de Boer (Paris : Paul Geuthner, 1909) et Pyrame et Thisbé, Narcisse, Philomena. Trois contes du xiie siècle français imités d’Ovide, éd. Emmanuèle Baumgartner (Paris : Gallimard, 2000). Voir également Olivier Collet, ‘L’Ovide moralisé : “authorship”, provenance, datation, destination’, Vox romanica, 74 (2015), 221–30 et ‘Introduction’, in Ovide Moralisé, Livre I, éd. Craig Baker et al. (Paris : Société des Anciens Textes Français, 2018), pp. 164–71.
44 Jean Frappier, Chrétien de Troyes : l’homme et l’œuvre, pp. 62–68 et Danièle James-Raoul, Chrétien de Troyes, la griffe d’un style, pp. 518–23.
45 Chrétien de Troyes (?), Guillaume d’Angleterre, éd. Christine Ferlampin-Acher (Paris : Honoré Champion, 2007).
46 Voir Brian J. Reilly et Moira R. Dillon, ‘Virtuous Circles of Authorship Attribution through Quantitative Analysis. Chrétien de Troyes’s Lancelot’, Digital Philology, 2.1 (2013), 60–85.
47 Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai.
48 Sur la datation exacte de ces attributions médiévales, voir ibid. Concernant le rondeau intitulé Soufrés, mairs, et si ne vous anuit, voir ibid., pp. 155–58.
49 Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, p. 232.
50 Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai, p. 91.
51 Pierre Bayard, Le Plagiat par anticipation (Paris : Les Éditions de Minuit, 2009) et Et si les œuvres changeaient d’auteur ? (Paris : Les Éditions de Minuit, 2010).
52 C’est là le cœur de ce que Lucilla Spetia nommait le ‘complesso dossier Carestia’, senhal employé notamment par le troubadour Raimbaut d’Orange et derrière lequel il faudrait reconnaître Chrétien de Troyes. Voir Lucilla Spetia, La dialettica tra pastorella e canzone e l’identità di Carestia : l’anonima (?) A une fontaine (RS 137) (Fregene : Spolia, 2017), ainsi que les travaux fondateurs de Luciano Rossi, ‘Chrétien de Troyes e i trovatori : Tristan, Linhaure, Carestia’, Vox Romanica, 46 (1987), 26–62.
53 Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai, pp. 97–99.
54 Daniel E. O’Sullivan, ‘Text and melody in early trouvère song : the example of Chrétien de Troye’s “D’amors qui m’a tolu a moi”’, Text, 15 (2003), 97–119.
55 Cité dans Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai, p. 159.
56 Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, éd. Daniel Poirion et Anne Berthelot, p. 1452. Cela est vrai même si on prête foi à l’hypothèse Carestia susmentionnée, qui signalerait une période d’échange littéraire avec les troubadours comme Raimbaut d’Orange, mort à une époque légèrement antérieure à la période d’écriture de certains des romans datables de Chrétien de Troyes. Sur ce débat, cf.supra, n. 52.
57 À l’exception, peut-être, des fameux fragments d’Annonay. Sur cette question, voir The Manuscripts of Chrétien de Troyes, éd. Keith Busby et al. Sur la datation des chansonniers, voir Chrétien de Troyes, Les Chansons courtoises de Chrétien de Troyes, éd. Marie-Claire Zai.
58 Denis Piramus, La vie seint Edmund le rei, éd. Delbert W. Russell (Oxford : Anglo-Norman Text Society, 2014).
59 Anita Obermeier, The History and Anatomy of auctorial self-criticism in the European Middle Ages (Amsterdam-Atlanta : Rodopi, 1999).
60 Voir Jean-Charles Payen, Le Motif du repentir dans la littérature française médiévale (des origines à 1230) (Genève : Droz, 1967).
61 Cité dans ibid., p. 81.
62 Une description du recueil et de son contenu est fournie dans Guillaume le Clerc de Normandie, Le Besant Dieu, éd. Ernst Martin (Halle : Verlag der Buchhandlung des Waisenhauses, 1869), pp. I–VII. Voir aussi Lucien Auvray et Henri Omont, Catalogue général des manuscrits français, ancien Saint-Germain français, Bibliothèque nationale, t. III (Paris : Ernest Leroux, 1900), pp. 339–41, ainsi que Olivier Collet et Sylviane Messerli, Vies médiévales de Marie-Madeleine (Turnhout : Brepols, 2008), pp. 131–61.
63 Guillaume le Clerc de Normandie, Le Besant Dieu, éd. Ernst Martin.
64 Pour une description récente et exhaustive de ce manuscrit célèbre, de même qu’une synthèse bibliographique, voir Federico Saviotti, ‘Precisazioni per una rilettura di BnF, fr. 25566 (Canzoniere Francese W)’, Medioevo romanzo, XXXV (2011), 262–84.
65 Très complète, la synthèse sur le manuscrit offerte par le site ‘Hypercodex’ de l’Université de Genève n’est plus accessible à l’heure actuelle. Voir ‘Hypercodex’ <http://129.194.19.127/documents/fichier004.pdf> Le serveur est actuellement indisponible.
66 En effet, une collection plus récente a été ajoutée au manuscrit aux fol. 2r–9v.
67 Sur cette question, voir Pierre-Yves Badel, Le roman de la Rose au xive siècle : Étude de la réception de l’œuvre (Genève : Droz, 1980).
68 Guillaume de Loris et Jean de Meung, Le Roman de la Rose, éd. Méon (Paris : Didot, 1814), t. 4, pp. 1–116.
69 Pour être plus précis, dès la deuxième moitié du xive siècle puis au xve siècle, Jean de Meun a acquis une célébrité considérable, qui s’est traduite par la production de manuscrits du Roman de la Rose qui constituaient un corpus d’œuvres présentées comme étant du même auteur : le Testament, le Codicille et les Sept articles de la foi. On sait désormais que les Sept articles sont de Jean Chapuis. Mais les codices du Moyen Âge finissant l’ont attribué massivement à Jean de Meun, qui a donc assurément fait l’objet de compilations organisées autour de sa personne, et ce malgré la double-autorité du Roman de la Rose. VoirPierre-Yves Badel, Le roman de la Rose au xive siècle : Étude de la réception de l’œuvre, pp. 63 et sq. On notera qu’à l’exception d’un manuscrit, le ms. Rome, Bibliothèque du Vatican, Reg. Lat. 1508, ces compilations auctoriales n’incluaient pas la traduction de la Consolation de Philosophie qui était également attribuée à Jean. Voir Glynnis M. Cropp, ‘Les manuscrits du Livre de Boece de Consolacion’, Revue d’Histoire des Textes, XII–XIII (1982–1983), 263–352.
70 Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime et Georges Duby, ‘Dans la France du Nord-Ouest’.
71 Philippe Ménard, ‘“Je sui encore bacheler de jovent”’.
72 Outre l’ouvrage de Philippe Ariès cité, voir l’introduction de l’ouvrage Les Âges de la vie au Moyen Âge, éd. Henri Dubois et Michel Zink, pp. 5–6.
73 Les Quatre Âges de l ’ homme, traité moral de Philippe de Navarre (sic), ed. by Marcel de Fréville (Paris : Société des Anciens Textes Français, 1888).
74 Voir l’efficace résumé dans Pierre Choinet, Le livre des trois âges, éd. Lydwine Scordia (Mont-Saint-Aignan : Publications des universités de Rouen et du Havre, 2009), pp. 44 et sq.
75 Didier Lett, ‘Le corps de la jeune fille. Regards de clercs sur l’adolescente aux xiie–xive siècles’.
76 Sur cette question abondamment étudiée, voir par exemple Jacques Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge (Paris : Seuil, 1985), pp. 29 et sq.
77 Voir, sur cette question, la fameuse citation de Gautier Map : ‘Antiquorum industria nobis pre manibus est ; gesta suis eciam preterita temporibus nostris reddunt presencia, et nos obmutescimus, unde in nobis eorum uiuit memoria, et nos nostri sumus immemores. Miraculum illustre ! Mortui uiuunt, uiui pro eis sepeliuntur ! Habent et nostra tempora forsitan aliquid Sophoclis non indignum coturno. Iacent tamen egregia modernorum nobilium, et attolluntur fimbrie uetustatis abiecte. Hoc nimirum inde est, quod reprehendere scimus, et scribere ignoramus ; carpere appetimus, et carpi meremur. Sic raritatem poetarum faciunt gemine lingue obtrectatorum. Sic torpescunt animi, depereunt ingenia ; sic ingenua temporis huius strenuitas enormiter extinguitur, et lucerna non defectu materie sopitur, sed succumbunt artifices, et a nostris nulla est autoritas’. Cité dans Géraldine Châtelain, ‘De nugis curialium, ou quand Jean de Salisbury et Gautier Map suivent la voie des exempla’, Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 23 (2012) <https://journals.openedition.org/crm/12805> (Consulté le 3 juin 2023).
78 Martine Grinberg, ‘Carnaval et société urbaine xive–xvie siècles : le royaume dans la ville’, Ethnologie française, nouvelle série, 4, 3 (1974), 215–44 et Natalie Zemon Davis, ‘The Reasons of Misrule : Youth Groups and Charivaris in Sixteenth-Century France’, Past & Present, 50 (1971), 41–75.
79 Le Charivari. Actes de la table ronde organisée à Paris (25–27 avril 1977) par l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et le Centre National de la Recherche Scientifique, éd. Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt (Paris – New York – La Haye : École des Hautes Études en Sciences Sociales – Mouton, 1981).
80 Le Roman de Fauvel, éd. Armand Strubel (Paris : Librairie générale française, 2012).
81 Fauvel studies. Allegory, chronicle, music, and image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS français 146, éd. Margaret Bent et Andrew Wathey (Oxford : Clarendon Press, 1998). Dans cet ouvrage, voir notamment Michel Huglo, ‘Le contexte folklorique et musical du charivari dans le “Roman de Fauvel”’, pp. 277–84.
82 Erich Köhler, ‘Sens et fonction du terme “jeunesse” dans la poésie des troubadours’.
83 Voir par exemple Josiah Cox Russel, Medieval Demography : Essays (New-York : AMS Press, 1987).
84 Johan Huizinga, L’automne du Moyen Âge, trad. Jean Bastin (Paris : Payot & Rivages, 2015).
85 Cf. la synthèse de Françoise Vieillard, ‘Le manuscrit avant l’auteur : diffusion et conservation de la littérature médiévale en ancien français (xiie–xiiie siècles)’, Travaux de littérature, 11 (1998), 39–53.
86 Parmi l’abondante littérature critique sur cette question, voir Sarah Jane Williams, ‘An Author’s Role in Fourteenth Century Book Production : Guillaume de Machaut’s “livre ou je met toutes mes choses”’, Romania, XC, 360 (1969) 433–54 ; Jacqueline Cerquiglini, ‘Un engien si soutil’. Guillaume de Machaut et l’écriture au xive siècle (Paris, Honoré Champion : 1985), ou encore les différents passages consacrés à Guillaume de Machaut dans Sylvia Huot, From Song to Book : The Poetics of Writing in Old French Lyric and Lyrical Narrative Poetry (Ithaca : Cornell University Press, 1987).
87 Sarah Jane Williams, ‘An Author’s Role in Fourteenth Century Book Production’ prend abondamment appui sur la lecture biographique proposée par Hoepffner et en tire des conclusions fondatrices du regard critique moderne posé sur l’activité éditoriale supposée du Guillaume historique.
88 Œuvres de Guillaume de Machaut, éd. Ernest Hoepffner, t. I (Paris : Firmin-Didot, 1905), pp. LV–LVI. En note, l’éditeur admet toutefois que le premier éditeur moderne de Guillaume, Prosper Tarbé, n’est pas de son avis.
89 Voir Arthur Piaget, Othon de Grandson, sa vie et ses poésies (Lausanne – Genève : Payot, 1941).
90 Outre la reproduction numérisée du recueil sur le site Gallica, on se reportera à la description et au facsimilé du recueil offerte par Pierre Champion, Le manuscrit autographe des poésies de Charles d’Orléans (Genève : Slatkine Reprints, 1975). Voir aussi Poetry of Charles d’Orléans and his Circle. A Critical Edition of BnF MS. fr. 25458, Charles d’Orléans’s Personal Manuscript, éd. John Howard Fox et Mary-Jo Arn (Tempe : Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2010).
91 Sur ces questions, voir Pierre Champion, Vie de Charles d’Orléans(1394–1465). Troisième édition (Paris : Honoré Champion, 2010).
92 Voir la synthèse effectuée dans Alice Planche, Charles d’Orléans ou la recherche d’un langage (Paris : Honoré Champion, 1975), pp. 131–35.
93 Description du manuscrit par Pierre Champion, La librairie de Charles d’Orléans, avec un album de fac-similés, (Paris : Honoré Champion, 1910), pp. 95–100.
94 L’attribution de la main qui a transcrit le Livre contre tout péché à Nicole Garbet est discutée ibid., p. 98.
95 Sur ces différents aspects, voir ibid., pp. 95–100.
96 Henri Omont, Anciens inventaires et catalogues de la Bibliothèque nationale, I (Paris : Ernest Leroux, 1908), p. 151.
97 Antoine Thomas, ‘Les premiers vers de Charles d’Orléans’, Romania, XXII, 85 (1893), 128–33.
98 Ibid., p. 131.
99 Alice Planche, Charles d’Orléans, p. 87.
100 Comme celle de Rutebeuf ou du Reclus de Molliens. Voir Nancy Freeman Regaldo, Poetic Patterns in Rutebeuf : A Study in Noncourtly Poetic Modes of the Thirteenth Century (New Haven : Yale University Press, 1970) et Ariane Bottex-Ferragne, Essai de poétique hélinandienne. Lire autour du Reclus de Molliens (Paris : Classiques Garnier, 2023).
101 Charles d’Orléans, Poésies, éd. Pierre Champion, vol. 1, pp. 258–61.
102 Sur cette question, voir Daniel Poirion, Le lexique de Charles d’Orléans dans les Ballades (Genève : Droz, 1967).
103 Alice Planche, Charles d’Orléans, pp. 680 et sq.
104 Henri Omont, Anciens inventaires et catalogues de la Bibliothèque nationale, p. 151. Cf.supra.
105 Christine de Pizan, Le livre de l’advision Cristine, éd. Christine Reno et Liliane Dulac (Paris : Honoré Champion, 2001),p. 111.
106 On notera que ce topos métallurgique, que Christine n’invente pas, est comme le reflet inversé des revendications à la simplicité, voire à l’inexpérience stylistique que l’on retrouve en amont du Moyen Âge tardif. Ainsi, chez des auteurs du Moyen Âge central comme Gautier de Coinci, Philippe de Remi ou Rutebeuf, qui affirment respectivement ne pas savoir ‘leonime’ (Le Roman de la Manekine v. 30) et rimer rudement comme le bœuf. Édition citée : Philippe de Remi, Le Roman de la Manekine, ed. by par Barbara N. Sargent-Baur (Amsterdam : Rodopi, 1999). Gautier de Coinci s’exprime lui aussi dans ces termes et use de la métaphore métallique qui paraît anticiper le discours de Christine : ‘La Mere Dieu, qui est la lime / Qui tout escure et tout eslime, / Escurer daint et eslimer, / Por ses myracles biau rimer, / La langue Gautier de Coinsi, / Qui por s’amor commence einsi’ (Miracles Notre Dame, I, Pr 1, vv. 325-329).’ Puis, plus loin : ‘Mais sains Jeroimes fait savoir, / Et bien le dit l’autoriteiz, / Que symplement la veritez / Vaut milz a dire rudement / Que biau mentir et soutilement.’ (Miracles Notre Dame, II, Pr. 1, vv. 58–62). Édition citée : Gautier de Coinci, Les miracles de Nostre Dame, éd. Frédéric Koenig, (Genève : Droz, 1955–1970), 4 t. Reprenant le fameux sermo humilis qui avait déjà permis aux auteurs chrétiens de l’Antiquité de se justifier face aux illustres et anciens auctores païens qui les précédaient, chacun de ces poètes du Moyen Âge central affirment en effet à sa manière s’exprimer dans une langue ‘rude’, non encore ‘limée’. Voir par exemple, la synthèse efficace fournie dans Augustine, the Confessions, éd. Gillian Clark (Cambridge : Cambridge University Press, 1993), pp. 70–73. L’objectif est pour eux de se distinguer des sinuosités du latin et plus généralement d’une poésie sophistiquée face à laquelle ils semblent vouloir se justifier. Or ils le font en s’exprimant dans un idiome assurément plus ‘jeune’, plus ‘vert’ qu’il ne l’est à l’époque de Christine. Cependant, encore une fois, les auteurs du Moyen Âge central évoquent plutôt l’inexpérience que la jeunesse. En outre, leurs revendications ne sont pas nécessairement associées à un récit biographique mêlant la persona individualisée des auteurs.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-16726-6
- EAN : 9782406167266
- ISSN : 2430-8226
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16726-6.p.0173
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 24/04/2024
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : philologie, attribution, âges de la vie, stylométrie, auteur médiéval, juvenilia