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Avant-propos
- Publication type: Book chapter
- Book: Économie. Passé, présent, avenir
- Pages: 7 to 10
- Collection: Library of Economics, n° 45
- Series: 1, n° 23
Book chapter: 1/45 Next
Avant-propos
Cet ouvrage a été conçu et une partie de sa rédaction a été réalisée avant qu’advienne la diffusion mondiale du virus « SARS-V-2 » (Covid 19) à partir du foyer chinois au début de l’année 2020. Fallait-il y intégrer l’analyse des conséquences économiques de cet événement et de ses implications pour l’avenir ? Le parti-pris retenu a été de ne pas en traiter. Pour deux raisons liées :
–Cet événement a eu et a encore au moment de la rédaction de cet avant-propos des conséquences dramatiques dans tous les domaines de la vie sociale, notamment des conséquences économiques ; dès lors que la principale d’entre elles a été une baisse importante de la production marchande, on peut comprendre que tout le monde parle à ce propos de crise économique, mais cette « crise » n’est en rien une crise « économique » comme l’ont été celles de 1929 et de 2008. Il serait préférable de parler de « trou », à l’image d’un trou d’air au cours d’un vol de long courrier1 ou, plus précisément, 8–d’une succession de trous plus ou moins profonds, les trous ayant succédés au premier trou de l’année 2020, résultant du confinement total, étant nettement moins profonds (jusqu’à preuve du contraire) que celui-ci.
–Le savoir économique, quelle que soit l’école de pensée à laquelle on fait appel, n’est d’aucun apport pour expliquer cette crise dès lors qu’elle n’a pas de causes économiques. Ainsi, la baisse de la consommation n’a pas été le résultat d’une baisse des revenus distribués (ou anticipés) mais d’une fermeture physique de beaucoup de lieux de consommation (magasins, restaurants, lieux de voyage), ce que confirme la forte progression des dépôts en caisse d’épargne des ménages lors du « trou » du premier confinement – ce sont ceux dont les revenus n’ont pas baissé en 2020 par rapport à 2019 qui ont réalisé ce flux d’épargne imposé par les conditions sanitaires, à commencer par les retraités2. Seuls les outils descriptifs – ils sont présentés dans la première section de la première partie du présent ouvrage – sont utiles. Cette profonde perturbation de l’activité économique normale impose une analyse spécifique tout particulièrement en ce qui concerne la politique économique mise en œuvre par les gouvernements des diverses nations et à l’échelle de l’Union européenne pour y faire face (le « quoi qu’il en coûte » en France). Cette analyse spécifique ne pouvait trouver place dans cet ouvrage.
À propos de cette profonde perturbation, l’apport de ce dernier est de décrire, caractériser et comprendre le contexteparticulier dans lequel elle est advenue, en donnant ainsi certaines clés pour comprendre pourquoi les États se sont permis une fuite en avant dans l’endettement – la présence de taux d’intérêts quasi nuls – et pourquoi les conséquences et les politiques suivies n’ont pas été les mêmes ici et là. Il n’en reste pas moins que son principal apport est de sortir de l’ombre cette incertitude radicale qui préside à tous les aspects du « vivre-ensemble » des 9humains (et plus généralement de tous les existants du cosmos) et qui est en quelque sorte effacée par le recours à des conventions. Cet effacement consiste à ramener l’incertitude radicale à du risque probabilisable, ce qui rend possible la prévision et la prise de décision. Avec la pandémie, l’incertitude radicale a refait surface sans que la grande majorité des commentateurs en fasse état parce qu’ils n’en ont jamais entendu parler. Or celle-ci est invivable. Elle perturbe profondément la sécurité ontologique qu’apporte le recours à des conventions, à commencer par la convention de continuité dont parle Keynes :
Dans la pratique, nous sommes tacitement convenus, en règle générale, d’avoir recours à une méthode qui repose à vrai dire sur une pure convention. Cette convention réside essentiellement – encore que, bien entendu, elle ne joue pas toujours sous une forme aussi simple – dans l’hypothèse que l’état actuel des affaires continuera indéfiniment à moins qu’on ait de raisons définies d’attendre un changement3.
L’une des dimensions dramatiques de ce moment que nous vivons est cette ignorance ou ce refus de voir cela, un refus qui a tout du déni freudien. On en prend la mesure lorsqu’on écoute tous les reproches qui sont faits à ceux qui, en responsabilité, n’ont pas fait « ce qu’il faut » ou toutes les demandes qui leurs sont adressées de « fixer une date » (pour les réouvertures), puisqu’en incertitude radicale on ne peut raisonnablement dire « ce qu’il faut faire » et prévoir en probabilité pour « fixer une date ». On ne peut que constater à ce propos le silence assourdissant, à quelques exceptions près, des scientifiques, en sciences de la matière et de la vie et en sciences sociales4. Il est le fruit de cette conception selon laquelle « les phénomènes sont soumis à des lois ; ces lois sont connaissables et il appartient aux scientifiques de les mettre à jour », une conception qui fait fit de l’incertitude radicale et que je qualifie dans Société, économie et civilisation. Vers une seconde modernité écologique et solidaire5 ? de conception propre à la première modernité.
Pour l’essentiel, le présent ouvrage est une reprise de tout ce qui a trait à l’économie dans ce dernier. Il porte sur la façon dont se forment en ce domaine les conventions et les règles de Droit sans lesquelles la 10vie serait invivable et pourquoi elles changent dans l’histoire. Nous sommes entrés depuis la fin du xxe siècle dans une période de remise en cause d’une partie des conventions et des règles de Droit acquises depuis que cette conception de la science s’est imposée.
En portant un nouveau regard sur cette science lugubre qu’est l’économie, ce traité entend aider son lecteur à vivre ce retour de l’incertitude radicale et l’inciter à participer à l’invention de nouvelles règles sociales.
Grenoble, février 2021.
1 Cette façon de voir devrait conduire le ministre des finances français, Bruno Le Maire, lorsqu’il annonce ce que son ministère prévoit comme niveau du PIB « en volume » pour l’année 2021, à ne pas nous dire comme d’habitude de combien ce niveau croit de 2020 à 2021, soit + 6 %, mais comment il se situe par rapport au niveau attient en 2019 (avant l’arrêt de l’activité dans de nombreuses branches dû à la crise sanitaire). En l’occurrence, comme le « trou » de 2020 a conduit à réduire de 7,9 % le niveau du PIB de 2020 par rapport à celui de 2019, le niveau prévu pour 2021 se situe encore 1,9 pt en dessous du niveau de 2019. On comprend alors tout de suite que l’on n’est pas encore sorti complètement du « trou » en 2021. De plus, il devrait nous dire quelle est la principale raison pour laquelle le niveau du PIB que l’on peut attendre d’un retour à la normale avec la fin des limitations physiques risque d’être inférieur au niveau atteint en 2019 ; à savoir, le fait que ceux qui ne retrouveront pas leur niveau de revenu de 2019 ne sont pas, sauf exception, ceux qui ont constitué une épargne importante en 2020, puisque ces derniers sont ceux dont le revenu n’a pas baissé de 2019 à 2020. D’ailleurs, ces derniers n’ont pas besoin de « tirer sur cette épargne » pour retrouver leur niveau de consommation de 2019 et beaucoup des dépenses qu’ils n’ont pas faites en 2020 ne peuvent faire l’objet d’un rattrapage ! Cela n’a pas de sens de parler d’une forte reprise de la croissance de 2020 à 2021 puis de 2021 à 2022, mais d’une sortie du trou qui amène en 2022 un peu au-dessus du niveau atteint avant la crise sanitaire (prévision de 4 pt).
2 Il est en grande partie la contrepartie du fort creusement du déficit des opérations non financières de l’État causé par la prise en charge du chômage partiel des salariés et les versements d’aides aux patrons d’entreprises individuelles salariales, aux autoentrepreneurs et aux autres indépendants (Billaudot et Clerc, 2020).
3 Keynes, 1966, p. 167, citation reprise dans la section B de la partie I.
4 L’une de ces exceptions est mon collègue et ami Robert Boyer (Boyer, 2020).
5 Billaudot, 2021.
- CLIL theme: 3340 -- SCIENCES ÉCONOMIQUES -- Histoire économique
- ISBN: 978-2-406-12899-1
- EAN: 9782406128991
- ISSN: 2261-0979
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-12899-1.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-30-2022
- Language: French