Préface
- Grand Prix du Livre France Musique-Claude Samuel 2022
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Donizetti et la France (1831-1897). Carrière, créations, réception
- Pages : 11 à 14
- Collection : Études sur le théâtre et les arts de la scène, n° 17
Préface
C’est un grand plaisir pour moi de préfacer cet ouvrage. Stella Rollet est la première étudiante dont j’ai codirigé les recherches (en l’occurrence une excellente maîtrise sur les dernières années du Théâtre-Italien de Paris), au sein du Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines dont elle est désormais chercheuse associée. Cette codirection était assurée avec le professeur Jean-Yves Mollier – que je tiens à saluer dans cette préface – et elle a été renouvelée pour la thèse dont est tiré le présent ouvrage. Je sais que Jean-Yves Mollier partage avec moi un grand sentiment de fierté pour avoir accompagné ce magnifique travail dont le premier attrait est à coup sûr son sujet. Gaetano Donizetti, en effet, est un créateur qui manque de légitimité. S’il y a bien eu une « renaissance donizettienne », matérialisée par des éditions critiques de partitions, des travaux de recherche et de nombreux spectacles, ce mouvement de renaissance, comme le rappelle Stella Rollet, a eu lieu en dehors de la France. Pour beaucoup encore, Donizetti reste le représentant d’un art du xixe siècle souvent jugé sans grande valeur, produit en série pour un public « bourgeois » et que seul, peut-être, le génie d’un metteur en scène peut arriver à « dépoussiérer », selon le terme consacré. Il s’agit certes là d’une caricature, mais le trait est à peine forcé. Donizetti est en partie encore un compositeur méprisé, ce qui fait de lui un objet d’étude particulièrement intéressant pour l’histoire culturelle. Le risque en pareil cas est de vouloir réhabiliter « son » personnage et d’être à son tour partisan. Stella Rollet a su éviter cet écueil, tout en restant en empathie avec celui qu’elle étudie.
De surcroît, Stella Rollet a eu le grand mérite de traiter son sujet avec des sources originales. Elle a repéré des sources que les chercheurs n’utilisent pas aussi souvent qu’on pourrait le penser et elle les a traitées de façon (quasi) exhaustive, ce qui représente un labeur proprement extraordinaire. C’est là la grande force de son travail. Elle a entrepris 12une collecte impressionnante aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale de France (notamment à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra), à la Bibliothèque de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et dans bien d’autres centres d’archives encore, y compris en Italie. Grâce à ces immenses dépouillements, elle a pu recenser toutes les représentations de Donizetti à Paris du 1er septembre 1831 au 31 décembre 1897. Afin de pouvoir exploiter ce recensement en faisant des comparaisons, ce sont pas moins de 24 000 représentations lyriques d’une multitude de compositeurs qui ont été reconstituées ! En parallèle, il a fallu repérer et lire plus de 7 000 articles parus sur Donizetti dans la presse française – de façon exhaustive de 1831 à 1853 puis d’une manière encore très complète jusqu’en 1897. Pour parvenir à ce résultat, pas moins de 150 journaux ont été dépouillés, certains sur toute la période d’étude, à savoir deux tiers de siècle. Stella Rollet est ainsi devenue, sans même le vouloir, une éminente spécialiste de la presse du xixe siècle. Elle a acquis une méthodologie très sûre pour analyser un article de presse, l’écriture journalistique n’ayant plus de secrets pour elle. Ce travail de dépouillement, d’une ampleur exceptionnelle, est un remarquable apport à l’histoire culturelle du xixe siècle qu’il convient de souligner fortement.
Grâce à cette extraordinaire collecte de données, Stella Rollet a pu développer son analyse dans trois directions : le récit de la carrière parisienne de Donizetti ; l’étude du processus de création d’un opéra, depuis l’idée initiale jusqu’à la première représentation et jusqu’à ses divers prolongements ; enfin la réception de Donizetti en France, envisagée sous tous ses aspects. Le propos, on le voit, est ambitieux et la période étudiée est vaste. Elle va de 1831, année des débuts de Donizetti à Paris, non pas jusqu’à la mort du musicien en 1848 mais jusqu’à 1897, année du premier centenaire de sa naissance. Par ailleurs, si Paris est privilégié, la province n’est pas négligée, même s’il aurait fallu au moins une seconde thèse pour traiter cet aspect dans sa totalité. L’Italie et l’Autriche sont également souvent citées. Stella Rollet a ainsi exploré des pistes de recherche très variées et son étude menée sur deux tiers de siècle est riche d’informations et d’analyses. Qu’on me permette de citer quelques-uns des apports les plus notables de son travail. Dans la première partie, il faut saluer le savoir-faire de la chercheuse en matière de croisement des sources (bibliographie donizettienne, journaux, correspondances privées, etc.). Ainsi est très bien montrée, par exemple, la façon dont Donizetti 13prépare sa conquête de Paris. Le court développement sur l’orthographe du nom du musicien, fort révélatrice de sa notoriété, est judicieux. Stella Rollet analyse finement les négociations entre Donizetti et les différents théâtres, les relais dont il dispose à Paris, de même que la puissance de l’Opéra de Paris et d’Eugène Scribe. En outre, le cas de Donizetti a l’intérêt de mettre l’accent sur l’aventure du Théâtre de la Renaissance, pas assez mise en valeur par les historiens du spectacle au xixe siècle. Un autre thème qui court à travers tout le livre est la question du nationalisme culturel, liée à celle de la plus ou moins grande adaptation des créateurs étrangers aux habitudes du public parisien et français. On mesure également la concurrence entre les grandes capitales culturelles européennes (Vienne, Londres, Paris). Tout ce qui concerne Dom Sébastien et son échec s’avère passionnant. La fin de vie de Donizetti, quant à elle, analysée avec beaucoup de sobriété, est poignante.
Dans la deuxième partie, Stella Rollet poursuit un double but : approfondir la connaissance des mécanismes étudiés en première partie et, à travers le cas particulier de Donizetti, présenter le fonctionnement du monde des spectacles en France au xixe siècle. L’écueil en pareil cas est de savoir si le cas analysé est oui ou non représentatif – question dont la chercheuse est en permanence consciente. L’étude des contrats avec les directeurs, les librettistes et les éditeurs – documents souvent délaissés mais si importants – est menée avec une grande sûreté de main. De même, ce qui est dit sur les relations de Donizetti avec ses interprètes et sur les éventuels retards de création des œuvres est original et éclairant. L’analyse des interventions de la censure est un passage obligé que la chercheuse franchit avec aisance. La question des droits d’auteur donne lieu à des pages très neuves et excellentes. C’est là un des sommets de l’ouvrage. Le procès avec Victor Hugo (sur la question de la réutilisation d’un même sujet d’un genre théâtral à un autre) est également très bien mis en perspective.
Dans la troisième partie, on ne peut qu’être séduit par les cas précis que Stella Rollet a choisi de détailler, par exemple Don Pasquale, œuvre à laquelle elle attribue, à juste titre, un rôle particulier dans la réputation de compositeur prolifique faite à Donizetti. Le dernier chapitre sur la mémoire de Donizetti en France, enfin, est un beau cas d’école sur la construction d’une postérité. Stella Rollet cherche ici, on le voit, à comprendre ce que l’étude du compositeur peut apporter au-delà de son 14cas particulier. C’est un des grands mérites de son livre de contribuer à une meilleure connaissance tout à la fois de Donizetti, du monde des spectacles et plus généralement de la culture au xixe siècle.
Grâce à Florence Naugrette, que je salue amicalement, le magistral travail de Stella Rollet est aujourd’hui accessible à un large public. Qu’il me soit permis de m’en réjouir et de souhaiter à ce travail un succès égal à celui remporté en son temps par le répertoire donizettien !
Jean-Claude Yon
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10979-2
- EAN : 9782406109792
- ISSN : 2275-2978
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10979-2.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/05/2021
- Langue : Français