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- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dictionnaire Victor Hugo
- Pages : 1073 à 1075
- Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 24
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Waterloo
La bataille de Waterloo (Hugo prononce Vaterlo-o) inspire le poète dès son premier Cahier de vers français, vraisemblablement en 1816 [Hugo V., 1952c]. Ces vers seront reproduits, mais sous une forme en partie censurée, dans le Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, sans doute à cause de son ton par trop ultra*. Frappante toutefois, l’ambivalence dont se teinte déjà l’événement, écroulement d’une gloire nationale et libération, appréciation qu’en 1869 Hugo trouvera encore « assez juste » [CFL, XIV, p. 1282 ; Hovasse, 2017b]. Éclipsée dans le poème « Bonaparte » des Odes et Poésies diverses, la bataille resurgit en 1827 dans l’ode « À la colonne* de la place Vendôme », qui annonce que bientôt « la Vendée aiguisera son glaive / Sur la pierre de Waterlo[o] » [OB, p. 192]. Les tensions entre bonapartisme et ultracisme dépassées, Les Chants du crépuscule recueilleront en 1835 un tombeau de « Napoléon II » où Waterloo apparaît comme la butée de l’hybris napoléonienne, la marque de la présence de Dieu dans l’histoire. La défaite de Napoléon Ier* est définitivement un de ces grands événements par quoi la providence impose ses vues sur l’humanité. Hugo tend toutefois à écarter sa funeste mémoire – et à s’écarter de la plaine Saint-Jean lors de son voyage en Belgique de 1837, jugeant « inutile de rendre cette visite à lord Wellington* » et d’honorer ainsi non seulement la « victoire de l’Europe sur la France », mais le « triomphe complet, absolu, éclatant, incontestable, définitif, souverain, de la médiocrité sur le génie » [FB, p. 642].
« Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! » [Chât., p. 128] : le poème « L’expiation », au cœur de Châtiments, donne sous le Second Empire une première évidence sensible à la grande défaite tout en l’inscrivant dans le cycle des crimes et des peines qu’à la suite d’un Ballanche Hugo projette dans l’histoire. L’héroïque Waterloo n’y est cependant pas le châtiment du 18 Brumaire : Napoléon Ier aura dû attendre dans sa tombe le coup d’État de 1851* pour expier le sien dans la honte. Même mesure par Dieu des événements après Sedan : « Tout proportionner, c’est sa loi. À pire que Brumaire, il fallait pire que Waterloo » [HC, p. 454].
Hugo se décide finalement à aller sur les lieux de la bataille non en 1852, au moment de son exil à Bruxelles, mais en 1861. Il restera « deux mois courbé sur ce cadavre » [Chantiers, p. 896]. Il en résultera la longue digression du livre « Waterloo » des Misérables, qui déploie le récit de voyage en épopée*, en dernière épopée : « gond du dix-neuvième siècle » [p. 269], Waterloo signe la fin hasardeuse, c’est-à-dire fatale et providentielle, de l’épopée guerrière, le passage des temps de la tyrannie au temps de la démocratie pacifique. Cependant, brutalement raccordée à la digression en sa fin, la fiction dit aussi que s’ouvre avec Waterloo l’époque des petits malfrats, Thénardier et son double historique évident, Napoléon le Petit.
1074► Descotes, 1984 ; Dufour, 2017 ; Hovasse, 2017b ; Hugo V., 1952c ; Laforgue, 1994c ; Laurent, 2017a ; Millet, 2017b ; Neefs, 2017 ; Rosa G., 1995b ; Savy, 2002, 2017.
→ apocryphes ; Delavigne ; guerre ; guerre de 1870-1871 ; hasard, fatalité, providence ; monument ; paix ; paysage ; suicide.
Claude Millet
Wellington, Arthur Wellesley, duc de –
1769-1852
Homme militaire et de politique (il est à plusieurs reprises ministre ou secrétaire d’État tory de 1827 à 1846), Wellington est à double titre une figure honnie du libéral-bonapartisme : en tant que vainqueur de Napoléon Ier à Waterloo* et en tant qu’ultraconservateur. C’est de fait à l’Angleterre* du ministre tory que s’en prend le Journal… d’un révolutionnaire de 1830, regrettant que la jeune monarchie de Juillet ne s’appuie pas contre elle sur le peuple anglais [LPM, p. 121] ; mais le nom de Wellington revient finalement peu sous la plume de Hugo, même dans les textes consacrés à l’épopée napoléonienne et à sa fin tragique : c’est au « sort » d’expliquer Waterloo, non à un homme [CFL, VI, p. 141]. Seule la longue digression sur la bataille de 1815 dans Les Misérables revient plusieurs fois sur le général anglais, mais pour en faire l’agent involontaire du progrès [p. 273, 276], non le vainqueur de Waterloo [p. 271]. Chef de guerre « froidement héroïque » [p. 254], lui manque non le goût du sublime [p. 264] mais le génie. De Napoléon, il est l’« antithèse » : « la géométrie », « le carnage tiré au cordeau », « le vieux courage classique », contre « tous les mystères d’une âme profonde » associée au destin et à la nature [p. 273 sq.]…
Claude Millet
Widor
→ mélodie française.
William Shakespeare
Paru sans nom d’auteur le 14 avril 1864 à Paris (Librairie internationale) et Bruxelles (A. Lacroix*, Verboeckhoven* et Cie), avec des relais de diffusion à Leipzig, Livourne et Milan, ce volume sera en 1882, selon le classement de l’édition dite « définitive » des Œuvres complètes* de Victor Hugo, le second volet, après Littérature et Philosophie mêlées, de sa « philosophie ». Les circonstances avaient été celles de la célébration, le 23 avril 1864, du 300e anniversaire de la naissance de Shakespeare*. Prévu à l’origine pour servir de préface à la nouvelle traduction des Œuvres de Shakespeare par François-Victor Hugo*, le livre se présenta finalement comme le « manifeste littéraire du xixe siècle* », appelé à continuer l’« ébranlement philosophique et social causé par les Misérables » [CFL, XII, p. 358]. Ajout tardif, le livre « Shakespeare l’ancien » conforte le « mythe de Victor Hugo » : après Eschyle* I (« Shakespeare l’ancien ») et II (Shakespeare), on attendait Eschyle III, avec, comme « résultante et […] commencement absolu », Hugo, dessiné « en creux » par l’ouverture à tous les possibles de l’art après la Révolution, et « en relief » par les Génies* qui l’annonçaient [Albouy, 1969, p. 146]. Après une biographie de Shakespeare, le recensement des génies au livre II de la première partie relève d’une poétique de la liste. Hugo procède par accumulation, sans commencement ni fin [WS, p. 409 sq., 454], ou par énumération, formant alors système. Les auteurs de la série romaine sont ceux en qui Hugo pouvait se reconnaître et reconnaître des versants de son œuvre : la voyance (Lucrèce*), la poésie-châtiment (Juvénal*), l’histoire écrite au fer rouge (Tacite*). La liste conduit ensuite jusqu’au seuil du xviie siècle. 1075Rabelais*, Cervantès et Shakespeare relèvent d’une esthétique que nous dirions « maniériste » : poétique de l’illimitation et de la démesure [Gaudon J., 1971, 1980], de l’idée « bifurquée » [WS, p. 379] ou de l’arabesque* [p. 344].
Dès ce début de l’essai, la destinée du génie est « très-mêlée d’amertume » [p. 257]. Les reproches « unanimement adressés à Shakespeare » – « Invraisemblance, extravagance, absurdité. – […] Abus du contraste et de la métaphore. – […] Écrire pour le peuple. – Sacrifier à la canaille » [p. 340] – sont ceux-là même qu’avait eu à subir l’auteur des Misérables. « Zoïle aussi éternel qu’Homère », dira le titre du livre III de la deuxième partie. À quoi Hugo oppose une pratique de la critique* dont le principe est l’admiration [WS, p. 382], l’acceptation des génies comme des entités indiscutables [p. 380]. La valeur des génies n’est pas relative. Ils appartiennent à la région des Égaux. L’art en ce sens est hors du temps et de l’histoire, dont il « problématise le schéma diachronique », celui de la « mauvaise science, qui refuse l’infini et fige la connaissance » [Roman, 1999a]. Il n’y a pas de progrès en art, et l’on ne saurait non plus parler à son sujet de « décadence », comme avait fait Nisard*, à propos de Juvénal, dans ses Études de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence (1834) [WS, p. 271, n. 13]. L’art fait, comme on dit, autorité. Le joint de cette théorie de l’art à une théorie politique se trouve dans l’idée qu’il ne saurait y avoir d’autorité – et partant de légitimité, ni de roi – « en dehors de l’auteur » [Seebacher, 1993a, p. 252]. Roi qui n’aurait en vue que l’émancipation des masses et serait, comme le beau*, « serviteur du vrai » [p. 399 sqq.]. L’histoire – l’histoire « vraie », et non « définitive » comme avait d’abord écrit Hugo – est donc « à refaire » dans une perspective démocratique [p. 444].
Les Zoïles se surpassèrent : « Il nous mènerait à Charenton » (Armand de Pontmartin, dans La Gazette de France) ; « Le grand Pan est mort » (Francisque Sarcey, dans Le Nain jaune). Sainte-Beuve ne manqua pas d’égratigner l’auteur dans une note de son compte rendu de l’Histoire de la littérature anglaise de Taine : « Des talents puissants n’ont pas hésité à faire de l’exagération une vertu (voir dans le Shakespeare de Victor Hugo […] toute une théorie sur les génies outrés) » [Sainte-Beuve, 1867, p. 123, n. 1]. Datée d’« avril 1865 », la « Préface de la nouvelle traduction des œuvres de Shakespeare » [WS, p. 455 sqq.] ne paraîtra qu’en 1865, avec le tome XV et dernier de ladite traduction. Sa prose est loin d’avoir la densité poétique de William Shakespeare.
► Albouy, 1969 ; Gaudon J., 1971, 1980 ; Hugo V., 1988, 2016d ; Naugrette, 2016a ; Peyrache-Leborgne, 2003 ; Roman, 1999a ; Sainte-Beuve, 1867 ; Seebacher, 1993a.
→ actualité ; anonymat ; autobiographie ; GAP ; Proses philosophiques ; PrS ; UB.
Bernard Leuilliot †
- Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
- ISBN : 978-2-406-14626-1
- EAN : 9782406146261
- ISSN : 2261-5938
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14626-1.p.1073
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/06/2023
- Langue : Français