Présentation
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Dictionnaire Gustave Flaubert
- Pages : 7 à 10
- Collection : Dictionnaires et synthèses, n° 10
Chapitre d’ouvrage : 1/30 Suivant
PRÉSENTATION
L’idée de composer un volumineux dictionnaire sur Gustave Flaubert peut sembler une vraie gageure ; après tout, ayant passé la plus grande partie de sa vie à concevoir ses œuvres, il n’était pas surnommé l’« ermite de Croisset » pour rien, et la misanthropie qu’il a développée très jeune le faisait naturellement s’écarter de ses contemporains, plus encore de ses concitoyens rouennais. Par ailleurs, même s’il a passé un temps infini à écrire, Flaubert a très peu publié au cours de sa brève carrière (de 24 ans seulement) : trois romans (Madame Bovary, Salammbô, L’Éducation sentimentale ; le quatrième, Bouvard et Pécuchet, demeure inachevé à cause de la mort soudaine de son auteur avant qu’il n’atteigne 59 ans), des contes (Troiscontes), une féerie, Le Château des cœurs (qui plus est, en collaboration), une pièce de théâtre (Le Candidat), et un texte au genre inclassable : La Tentation de saint Antoine.
Ce serait sans compter cependant tout ce que Flaubert a écrit pendant son enfance et son adolescence sans pour autant le faire paraître : une œuvre abondante mêlant contes, romans, récits de voyages, une pièce de théâtre, essais, travaux scolaires, cahier intime, le tout couvrant 1205 pages dans la « Bibliothèque de la Pléiade » chez Gallimard. Et, par-delà sa jeunesse, un autre récit de voyage (en collaboration avec Maxime Du Camp), Par les champs et par les grèves, dont seul un extrait a été publié par Flaubert ; deux versions successives de La Tentation de saint Antoine (1849 et 1856 ; quatre extraits de cette seconde version ont paru en revue du vivant de l’auteur), scénarios pour le théâtre en collaboration avec Louis Bouilhet, d’autres notes de voyage dans de nombreux carnets ainsi qu’un nombre important de carnets rendant compte des lectures de Flaubert comme de ses projets, une gigantesque correspondance (5 épais volumes dans la « Bibliothèque de la Pléiade »), sans oublier un énorme amas de manuscrits dispersés dans diverses bibliothèques ou dans des collections particulières, et auxquels on n’a commencé à s’intéresser qu’au cours du xxe siècle, plus encore à partir des années 1970 grâce à l’essor de la critique génétique. L’édition définitive des œuvres complètes comportera 5 volumes en 8Pléiade (le tome II contient 1658 pages avec les notes), ce qui est loin d’être négligeable.
De plus, Flaubert n’a pas toujours été le sédentaire que l’on envisagerait a priori, enfermé dans son cabinet de travail et polissant sa prose avec difficulté, ou dans une bibliothèque pour faire patiemment ses longues recherches documentaires. Il a beaucoup voyagé, en France bien sûr mais aussi en Angleterre, en Suisse, en Italie, en Belgique, en Allemagne, et son séjour en Orient a duré d’octobre 1849 à juin 1851. Ses scrupules en fait d’art l’ont même poussé à se rendre en Tunisie au printemps de 1858 alors qu’il rédigeait Salammbô, car il en était arrivé à la conclusion que si son travail n’était pas bon, c’était selon lui parce qu’il devait voir les paysages autour de Carthage afin d’être capable de les représenter dans son roman. D’ailleurs, pour écrire ses livres il n’a jamais cessé d’entreprendre des voyages de repérage. Ils sont nombreux dans le cas de L’Éducation sentimentale ; Flaubert écrit par exemple à Bouilhet qu’il ne peut continuer la rédaction d’un épisode sans avoir vu auparavant une fabrique de faïence, et pour cela il se rend trois fois à Creil. Pour Bouvard et Pécuchet, qui a nécessité à son auteur plusieurs voyages dans le but de dénicher le lieu idéal où en situer le récit, il fera aussi des excursions géologiques ; même pour Un cœur simple, l’un des Troiscontes, Flaubert ira sur le lieu de l’action revoir un paysage de son passé qu’il a oublié.
Enfin, malgré sa misanthropie, Flaubert a fréquenté très tôt le monde artistique (encore jeune inconnu, il a rencontré Victor Hugo en 1843 dans le salon du sculpteur James Pradier), attitude qui s’est accentuée lorsqu’il a acquis la célébrité que l’on sait, d’autant qu’il passait plusieurs mois par an à Paris, y conservant un pied-à-terre : salons (dont ceux de la princesse Mathilde et d’Aglaé Sabatier), théâtres (il était aussi proche des acteurs et des actrices), dîners littéraires (dont le fameux dîner Magny), visites d’expositions et de musées. Il ouvrait même le dimanche son domicile aux artistes pour y causer art et littérature avec ses confrères, dont, entre autres, les Goncourt, Taine, Renan, plus tard Zola et Maupassant, et il s’est rendu plusieurs fois chez George Sand à Nohant.
Le milieu de Flaubert n’est donc pas aussi exigu que son érémitisme (bien réel cependant) le laisse accroire, ce qui facilite la tâche d’un directeur de dictionnaire ayant une visée encyclopédique. Pour pouvoir produire un « tout Flaubert » en un ensemble d’environ 1300 notices, nous avons particulièrement travaillé sur les axes récurrents chez notre auteur, noms de personnes (qu’il s’agisse de personnes réelles ou inventées 9dans le cas des personnages), noms de lieux (apparaissant à la fois dans la vie et dans les textes), moments ayant des conséquences littéraires (par exemple une notice « péroné » à cause de la fêlure qui en 1879 interfère grandement avec l’écriture de Bouvard et Pécuchet et vaut à Flaubert une publicité dont il se serait bien passé), autres aspects biographiques (tels les « rentes » ou la « ruine ») ou intérêts particuliers, que ce soit de manière positive (philosophie, mythe, religion) ou négative (bourgeois, bêtise, politique), expressions typiquement flaubertiennes (surnoms, mots inventés), voire objets réels (« pipe ») ou fictifs (le « porte-cigares » de Madame Bovary). Flaubert ayant vécu pour son œuvre, nous l’avons certes privilégiée, avec des notices concernant les textes publiés ou encore inédits à sa mort, ainsi que les projets, les thèmes récurrents souvent qualifiés de pessimistes (insatisfaction, désillusion, échec, etc.), les motifs importants dans l’œuvre (bandeau, gorge-de-pigeon, pied, par exemple) ou dans sa production (cabinet de travail, plume – l’auteur se qualifiant lui-même d’« homme-plume »), sans oublier les techniques, puisque Flaubert a révolutionné la prose grâce à sa conception particulière de l’écriture en tant que travail : atteindre le Beau avec force ratures, sur de nombreuses pages toujours recommencées jusqu’à ce que la recherche du « mot juste » soit satisfaite, les brouillons l’attestent constamment. Et, comme Maupassant l’écrit dans son article paru dans L’Écho de Paris en 1890, « Gustave Flaubert fut dominé durant son existence entière par une passion unique et deux amours : cette passion fut celle de la Prose française ; un des amours pour sa mère, l’autre pour les livres » ; nous avons donc aussi introduit cette dernière dimension, avec des notices concernant les écrivains que Flaubert lisait pour le plaisir ou par nécessité (notamment quand ils lui envoyaient leur dernier livre publié) et les ouvrages qui ont compté pour lui, et pour diverses raisons, comme Don Quichotte dès son enfance.
D’ailleurs, le concept même de dictionnaire sied particulièrement à Flaubert, et ce non seulement parce qu’il « couchait » avec les dictionnaires pour vérifier la correction grammaticale de ses phrases (« Je couche avec la Grammaire des grammaires et le dictionnaire de l’Académie surcharge mon tapis vert », écrit-il aux Goncourt le 13 septembre 1862 alors qu’il s’attache aux dernières corrections, épuisantes, de Salammbô), mais encore parce qu’il rêvait depuis très longtemps, probablement depuis le milieu des années 1840, de fabriquer un dictionnaire sur un sujet qui le passionnait : les idées reçues. Il le mentionne pour la première fois dans une lettre à Louis Bouilhet alors qu’il se trouve à 10Damas : « Tu fais bien de songer au Dictionnaire des Idées Reçues. Ce livre complètement fait et précédé d’une bonne préface […] arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une œuvre étrange » (lettre du 4 septembre 1850) ; il s’y attellera surtout parallèlement à la rédaction de Bouvard et Pécuchet. Même si le projet est resté inachevé à cause de la mort de Flaubert, de nombreuses entrées ont été rédigées. L’une d’elles, justement, s’intitule « Dictionnaire », et l’écrivain y note avec ironie : « En rire – n’est fait que pour les ignorants ». Loin de nous, bien entendu, la volonté de souscrire à l’idée reçue ; ce dictionnaire d’auteur, se voulant un outil de référence ou de travail, s’adresse à un large public intéressé par Flaubert, étudiants, amateurs ou spécialistes, qui pourront passer d’une entrée à l’autre grâce à un riche système de renvois, et ainsi cheminer à loisir dans les aspects divers du monde flaubertien.
Finalement, le directeur du présent dictionnaire souhaite remercier ses collaborateurs, en particulier ceux qui ont accepté de se charger de plus de notices que ce qui était prévu à l’origine, surtout Thierry Poyet, dont la patience et la disponibilité ont permis l’achèvement de l’ouvrage, avec une mention toute spéciale pour Stéphanie Dord-Crouslé dont les conseils, nombreux et judicieux, ont joué un rôle très important dans la réalisation de ce projet.
Éric Le Calvez
- Thème CLIL : 3431 -- ENCYCLOPÉDIES, DICTIONNAIRES -- Encyclopédies et dictionnaires thématiques
- ISBN : 978-2-406-06033-8
- EAN : 9782406060338
- ISSN : 2261-5938
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06033-8.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/08/2017
- Langue : Français