Balises 4

Balises 4

La postérité des inventions conceptuelles de Gilles Deleuze et Félix Guattari, par le truchement d’Édouard Glissant, met l’archipel au goût du jour. On se souvient, dans Mille plateaux, de la distinction faite entre espace appelé « lisse », où domine la ligne, et espace dit « strié », qui soumet la ligne au point1. Cette différenciation s’applique à ce qu’on sait de l’île – un point dans l’espace – et de l’archipel – un réseau de connexions qui relie les îles entre elles en créant des intervalles. Or, « c’est comme si la mer avait été, non seulement l’archétype de tous les espaces lisses, mais le premier de ces espaces à subir un striage qui le gagnait progressivement, et le quadrillait ici ou là, et d’un côté, puis de l’autre2. » À la recherche d’un autre modèle, on se tournera vers la notion de rhizome, hostile à toute unité comme à tout binarisme. On plaidera pour une Multiplicité dont donnerait une idée la forme hétérogène, émiettée, discontinue de l’archipel. Et c’est bien, comme on le verra, ce qui se passe en apparence avec les archipels littéraires à notre disposition. Deux aspects, cependant, font obstacle aux séductions rhizomatiques. Premièrement, la dimension signifiante de discours en séries comme autant de parcours d’îles en îles à mettre en correspondance dans un type d’écriture apparenté davantage au puzzle qu’au rhizome. Car s’il est vrai d’affirmer que l’archipel est un espace composite, il l’est aussi de penser que c’est un espace à composer. Deuxièmement, selon Mille Plateaux, « les multiplicités se définissent par le dehors3 ». Ce que la lecture des archipels de Rabelais, Swift et Christopher Priest nous montre, en revanche, est une logique inclusive de l’archipel. Un archipel est tout ce qu’on peut mettre à l’intérieur. À ce titre, il est certes ouvert, mais l’est moins à ce qui serait son dehors qu’à ce qui constitue plutôt son ailleurs et son devenir, entre île et continent.