[Introduction de la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Démons du crime. Les pouvoirs du truand dans l’entre-deux-guerres
- Pages : 59 à 60
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 118
Outils de contrôle social, les truands figurent en bonne place sur l’échafaud. Par l’exécution, le pouvoir se proclame victorieux de ceux qui l’ont défié et incite le public à rester dans le droit chemin. Les truands sont des gibiers de potence : leur carrière les mène devant le bourreau à moins qu’une rafale de balles ne fasse son office. La scène est si familière que le public y voit le dénouement ordinaire de la criminalité. Elle est son horizon d’attente.
La mise à mort constitue une scène matricielle dans les représentations de truands. Souvent punis à l’écran ou en bas de page, ils semblent prolonger ces mises à mort décrites par Foucault au début de Surveiller et punir. Mais ces punitions servent-elles encore efficacement la dissuasion au xxe siècle ?
L’affirmer serait hâtif et simplificateur. Il faut considérer les modalités et significations de la mise à mort, très différentes selon les pays. Les évolutions historiques de la peine capitale ont été largement étudiées1. Outre Foucault, des historiens ont souligné l’attention croissante des pouvoirs politiques aux affects du public et l’ont liée à une transformation majeure : la disparition progressive des exécutions. Plus que la gloire du criminel ou la dissuasion des spectateurs, c’est la représentation publique elle-même qui pose problème. Comment comprendre le retour sur scène de ce qui est désormais caché par la pratique pénale ? Rappel à l’ordre ou vieux cliché ? Que gagne ou que perd l’exécution à être montrée ?
La société qui se prétend civilisée ne fait plus un spectacle de la peine capitale. La dissuasion se heurte à la répugnance des mœurs, autre composante du contrôle social. Comment justifier une exhibition, désormais qualifiée de « barbare » ? Si la violence indigne, c’est 60aussi parce qu’elle rappelle la mort industrialisée qui a déferlé sur l’Europe. L’exécution du truand révèle l’ambivalence des sensibilités dans l’entre-deux-guerres. Le spectacle de la mort choque, mais il peut également jouer sur des pulsions occultées par le processus de civilisation et satisfaites par l’industrie culturelle. La mort du truand est aussi attractive que menaçante.
Les relations de pouvoir dans la représentation du châtiment et sa réception constituent nos premiers deux axes d’analyse. L’étude ne se limitera pas à la peine capitale dans un strict cadre légal. La procédure s’accommode mal des impératifs du spectacle. Le plus souvent, les truands meurent avant même de comparaître devant un tribunal. Toutefois leur fin brutale remplit une même fonction dissuasive. On prendra donc en compte toute mort de truand, du règlement de comptes au suicide en s’intéressant, plus largement, à la perception de la violence physique, afin d’esquisser un cadre culturel dans lequel la représentation de la mise à mort peut prendre effet.
Dans une perspective volontairement réductrice, un premier chapitre traite des relations de pouvoir dans les représentations de la mise à mort : comment les truands mis en scène jouent-ils en faveur du contrôle social ? Et comment, au vu des nouvelles pratiques pénales, ce spectacle conserve une portée polémique ? Le deuxième chapitre, adoptant une perspective plus large, examine comment la violence et ses représentations se sont transformées pour s’intégrer au monde moderne. Qu’elle soit le fait du pouvoir pénal ou des truands, la mort se civilise et devient acceptable. Certes, elle choque encore, mais elle divertit surtout et se consomme.
1 On peut, bien entendu, citer Surveiller et Punir de Foucault, mais également : Stuart Banner, The Death Penalty. An American History, Cambridge (MA) et Londres, Harvard University Press, 2002 ; J. Gorecki, Capital Punishment : Criminal Law and Social Evolution, New York, Columbia University Press, 1983 ; L. Masur Rites of Execution : Capital Punishment and the Transformation of American Culture, 1776-1865, New York et Oxford, Oxford University Press, 1989 ; R. J. Evans, Rituals of Retribution : Capital Punishment in Germany 1660-1987, New York, Oxford University Press, 1996 ; R. Bertrand et A. Carol (éd.), L’exécution capitale : Une mort donnée en spectacle xvie-xxesiècles, Aix-en-Provence, PUP, 2003.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-12667-6
- EAN : 9782406126676
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12667-6.p.0059
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/06/2022
- Langue : Français