[Introduction à la seconde partie]

Au commencement était l’action1.

La sentence qui nous invite à « devenir soi » nous a paru jusqu’ici devoir supposer de manière évidente une certaine connaissance de soi, notamment à la lecture des Dialogues de Platon. Nous avons vu ainsi que la dimension de la connaissance était pour le moins essentielle dans la dynamique du devenir soi chez celui-ci et même que l’on ne saurait être soi et se maîtriser en l’absence d’une certaine connaissance de soi. Ce sont des points que nous voudrions ici interroger à nouveaux frais en analysant les textes que Nietzsche consacre au devenir soi et la poésie de Pindare dans laquelle le philosophe va chercher cette thématique. Nous allons ainsi revenir sur la priorité de la connaissance de soi et voir que la dynamique du devenir soi doit peut-être, au minimum, être lancée pour que la connaissance de soi devienne possible. C’est en ce sens que nous nous réapproprions le mot de Goethe selon lequel « au commencement était l’action ». Il nous faudra donc, dans une certaine mesure, renverser le schéma platonicien (même si nous avons vu qu’il était plus subtil en réalité), puisqu’il ne s’agit pas simplement d’aller de la connaissance de soi vers le devenir soi, de la théorie vers la pratique, mais plutôt de la pratique vers la théorie. Aussi, il y a des raisons proprement philosophiques, notamment chez Nietzsche, à cette nécessité de commencer par la pratique ou du moins de ne pas penser la théorie indépendamment de celle-ci. Paradoxalement, il se pourrait que la connaissance de soi, pensée abstraitement, nous paralyse et empêche le processus du devenir soi, ce qui fait que, loin d’être complémentaires, les deux impératifs qui nous occupent pourraient en venir à être contradictoires.

Nous allons donc revenir dans un premier temps principalement sur les textes de la Naissance de la tragédie et de la Deuxième considération inactuelle qui nous mettent en garde contre un idéal théorique abstrait et coupé de la pratique, après quoi nous interrogerons la manière dont Pindare pense l’action au départ du processus qui nous permet de devenir nous-mêmes et, ensuite, de nous connaître réflexivement. Nous verrons alors la manière dont Nietzsche se réapproprie le mot du poète, et comment le devenir soi, tel que thématisé dans les Inactuelles, fait malgré tout une certaine place à la connaissance de soi alors que cette dernière semble tout simplement occultée dans la maxime nietzschéenne « Deviens ce que tu es ». Nous soutenons ainsi finalement qu’il y a la place chez Nietzsche pour un certain type de connaissance qui ne prévienne pas la pratique, mais qui épouse au contraire le mouvement du devenir soi.