Annexe IV
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Correspondance. Tome XXIV. Avril 1874 – mai 1876
- Pages : 655 à 672
- Réimpression de l’édition de : 1990
- Collection : Bibliothèque du xixe siècle, n° 24 – Hors collection
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ANNEXE N° IV
DERNIERS MOMENTS ET OBSÈQUES
DE GEORGE SAND
SOUVENIRS D'UN AMI
Nous étions tous très inquiets, nous communiquant les nouvelles que le docteur Favre envoyait à Alexandre Dumas et celles qu'Aucante adressait à Calmann Lévy, nos seules sources d'information sur l'état de la santé de George Sand, notre illustre amie.
Le jeudi, 8 juin 1876, en revenant d'accompagner Flaubert, chez qui nous avions trouvé une lettre de Martine et la copie au crayon d'une dépêche de M. Plauchut, laissée par Eugène Lambert, annonçant que Madame Sand était au plus mal, je reçus ce télégramme :
La Châtre, 4 hs, 46 m. du soir.
Ma mère est morte.
MAURICE SAND.
J'allai immédiatement communiquer cette triste nouvelle à Dumas. Il l'avait aussi reçue. Nous convînmes de nous prévenir mutuellement de l'heure et du lieu des obsèques pour nous y rendre ensemble.
Le lendemain matin, 9 juin, plusieurs journaux, les Débats entre autres, annonçaient que Madame Sand serait
678 inhumée à Paris. Cette nouvelle parut invraisemblable. Effectivement, à huit heures un mot de Madame Dumas me prévenait que les obsèques auraient lieu à Nohant, et que son mari m'attendrait à la gare d'Orléans, le jour même, à dix heures du matin. Je fis préparer ma valise à la hâte. Le temps était affreux ; une pluie fine, serrée, froide, des rafales d'un vent âpre ; on se serait cru en octobre.
A la gare, je trouvai sept personnes venues dans le même but. Dumas arriva quelques instants après. Lui, Lambert, Paul Meutice, M. Edouard Cadol, Calmann Lëvy et moi, nous prîmes place dans le même compartiment.
Nous arrivâmes à Châteauroux à trois heures et quart. La pluie ne cessait de tomber, le so] était complètement détrempé. Il n'y avait au débarcadère que la diligence et les deux pataches qui desservent habituellement la route de La Châtre, et déjà au complet. Grâce à un ami de collège de Dumas, le capitaine Cadet de Vaux, je trouvai chez un carrossier une espèce de berline que je louai pour deux jours, et à quatre heures nous nous mîmes en toute pour Nohant, préparés à coucher dans quelque auberge de rouliers, faute de mieux.
A sept heures du soir nous étions à Nohant. On finissait de dîner. Nous attendîmes dans le jardin.
Le docteur Favre vint à nous, et prenant Dumas à l'écart, il lui raconta dans les plus grands détails la maladie et la mort de notre pauvre amie.
Maurice, son fils, ne tarda pas. Il se jeta dans mes bras. Je le trouvai changé, vieilli, les cheveux presque blancs. « C'est plus que la moitié de moi-même que je perds p, me dit-il.
Madame Lina, sa femme, prévenue de notre arrivée, nous fit servir immédiatement à dîner. Pendant que nous étions à table, Maurice vint et, apercevant Dumas, lui passa les bras autour du cou, l'embrassant avec effusion'.
1. Dans le manuscrit autographe on lit ici : e Maurice, en voyant Dumas, l'embrassa. Dumas reçut cette caresse avec froideur, ne croyant, mais à tort, ni à son affection, ni à son chagrin, pour des raisons qui datent de plusieurs années. ~ (W. K., p. 623).
679 A ce moment, on apporta une dépêche de Paris. C'était la Société des gens de lettres qui priait Dumas de vouloir bien prononcer un discours au nom de la Société. Il déclara n'en vouloir rien faire, n'étant pas membre de cette association, et pensant, fort justement, qu'elle aurait pu envoyer une délégation spéciale, ou tout au moins un représentant.
Étaient installés au château, autre les hôtes habituels, Madame Clésinget (Solange Sand) qui, prévenue de l'état désespéré de sa mère par une dépêche de son notaire, était venue de Paris en toute hâte, des parents : Oscar Cazamajou, Madame Simonnet, Edme, René et Albert Simonnet, le docteur Favre, MM. Aucante, Amie et Plauchut, amis de Madame Sand'.
Boutet, ]e factotum de Madame Sand à Paris, qui était logé dans les environs, voulut m'emmener ;mais Madame Lina avait eu la bonté de prier le docteur Pestel de vouloir bien m'accueillir dans sa belle résidence de Saint-Chartier. A dix heures, par une nuit noire et une pluie battante, je m'y rendis, en compagnie de Paul Meurice et de Calmars Lévy, qui devaient également y demeurer.
Nous restâmes à causer avec le docteur Pestel jusque près de minuit. Comme notre hôte avait constamment soigné Madame Sand pendant sa maladie, je le priai de nous raconter les derniers moments de cette femme aussi bonne qu'illustre.
Le lendemain j'interrogeai les principaux témoins de sa mort, afin d'en fixer le récit, estimant que les détails de cet événement ne seraient pas sans intérêt pour les amis et les admirateurs du merveilleux écrivain que fut George Sand.
Les réponses de ces témoins furent comparées et soumises à un contrôle minutieux. De retour à Paris, je mis en
1. Texte primitif : < ... en plus de la famille habiruelle, Solange, que Maurice avait prêvenue par une lettre envoyée à Paris, mais sans l'inviter à venir, qui était venue néanmoins et n'avait cessé de veiller au chevet de sa mère avec sollicitude. n (mëme référence). Texre de la lettre de Maurice
Notre mère est malade et son état est grave. Les docteurs Papet, Pestel et Chabenat attendent deux mêdecins de Paris qui arriveront demain matin. Viens, si tu veux. MAURICE. s (W. K., p. 614).
680 ordre les renseignements que j'avais recueillis, et envoyai au docteur Pestel les résultats de mon enquête, en le priant de s'assurer de leur parfaite authenticité.
Après avoir lu le manuscrit avec attention, il me le renvoya complété par des notes que j'ai utilisées dans les pages qui suivent, plusieurs fois en me servant de son langage même.
* ~
Madame Sand, à la suite d'une fièvre typhoïde contractée vers 1856', et qui avait laissé des ulcérations, souffrait souvent de violentes douleurs intestinales. Parlant peu d'elle-même, ne se plaignant presque jamais, ne voulant pas attrister ses enfants par la visite du médecin, elle n'avait recours à lui que lorsqu'elle ne pouvait s'en dispenser, préférant choisir ses remèdes.
Pendant tout le printemps, sa santé avait été bonne ; mais depuis quinze jours l'atonie des organes était com- plète. Cependant, elle se préparait à quitter Nohant pour un séjour d'un mois à Paris, et devait partir le 3 juin. Le 30 mai, la maladie fit soudainement explosion.
Vers les trois heures de l'agrès-midi, Madame Sand, à la suite d'un médicament qu'elle avait pris le matin sur les conseils d'un jeune médecin de La Châtrez, se sentit très mal. Appelant sa femme de chambre, elle lui dit d'aller chercher Maurice, qu'elle n'en pouvait plus et souffrait horriblement. Son fils la trouva étendue sur le canapé, en proie à de vives douleurs.
Lorsque, une heure après, Madame Lina rentra d'une noce de village où elle était allée avec ses fillettes, Madame Sand se plaignit de fortes souffrances et de nausées. Les douleurs allèrent en augmentant, des vomissements
1. En réalitë, fin octobre 1860. (G. L.)
2. Le docteur Marc Chabenat. Celui-ci, dans sa Note, a précisé : 8 Je prescrivis pour le lendemain matin 30 mai, 30 grammes d'huile de ricin avec 30 grammes de sirop d'orgeat. Je choisis de préférence un purgatif doux agissant plutôt mécaniquement qu'en irritant l'intestin, parce que je croyais avoir affaire à un intestin ulcërë. Lc purgatif fut pris le mardi 3l mai à 10 heures du matin. n (W. K., p. 603)
681 survinrent et à huit heures on envoya chercher son vieil ami, le docteur Papet. Dès qu'il l'eut examinée, il dit à Maurice : «Elle est perdue ! ~ Il passa la nuit à Nohant. Cette nuit fut atroce pour la malade ; elle poussait des cris qu'on entendait du fond du jardin.
Le lendemain matin on fut quérir le docteur Pestel. Il jugea la situation tellement grave que la présence d'un médecin de Paris lui parut nécessaire. Maurice répondit qu'il allait télëgraphier au docteur Favre de venir t. Le docteur Pestel voulait qu'on adjoignît à ce dernier un médecin d'une science pratique incontestée. Et comme Maurice dit n'en pas connaître, on lui désigna Barth ou Jaccoud. Le lendemain 1°` juin, le docteur Favre arriva seul 2, n'ayant pu amener un des deux médecins désignés. Il repartit immédiatement pour Paris avec le mandat d'envoyer sans tarder un chirurgien, M. Péan ou un autre. Ce même jour, Madame Lina avait télégraphié au docteur Darchy, l'ancien médecin de Madame Sand, qui habitait dans la Creuse, de venir. Avant de quitter Nohant, le docteur Favre, dont le zèle et le dévouement ne se démentirent pas une minute, voulut être porteur d'une note explicative de la maladie, pour le docteur Péan. Ce fut le docteur Pestel qui la rédigea.
Le 2 juin, les docteurs Péan et Darchy arrivèrent 3 et
L «Mme Sand avai[ un médecin, un certain docteur Favre, qui m'a toujours produit une déplorable impression. Malheureusement à Nohan[ on croyait en lui. Je ne veux pas dire que le pauvre cher homme ai[ causé par son incapacité la moindre catastrophe. Non ;mais étant donné la possibilité (à laquelle je ne croyais pas) de sauver la malade, le docreur Favre, faux savant, bavard et sans pratique médicale, ne pouvait être qu'un obstacle. » (Note de Paulin de Vasson, W. K., p. 607)
2. «Alors mon homme, en présence des crois médecins, et avant d'avoir vu !a malade, fait des discours sur sa maladie ; « C'érair la dyuenterie, ou bien c'est une hernie, je la frictionnerai, etc. > Pestel tapait du pied. Enfin il s'est décidé à entrer dans la chambre de Mme Sand. Il en redescend et alors, jusqu'à son départ, o~ n'entend que le docteur Favre avec son flux de paroles inutiles et cette faconde intempestive. > (Même référence).
3. Séparëment
Darchy était arrivé de Chambon (Creuse) dans la nuit du I" au 2, appelë par une dêpêche de Lina. Le docteur Péan arriva vers 9 heures le 2. « Il examina la malade et après cet examen, nous descendîmes dans le salon où il fuc décidé qu'on ne pouvai[ avoir recours à l'entérotomie et que l'on se
682 l'opération fut pratiquée dans l'après-midi. Elle souffrit le martyre stoïquement : la sueur ruisselait de son front.
On télégraphia alors au docteur Favre de revenir. Il revint par le premier train'.
La fièvre disparut ;les docteurs Péan et Favre retournè- rent àParis, le dimanche 4 juin, croyant la pauvre malade
sauvée.
Ce qui surtout la préoccupait, l'humiliait, c'était la nature de son mal :comme l'hermine elle serait morte d'une tache. Très souvent, elle répéta : «Que Maurice ne me voie pas souffrir ;épargnez-lui cette peine, et que les petites ne viennent pas. ~ La nuit suivante, voyant le docteur Pestel se pencher sur son oreiller, elle lui dit, le tutoyant pour la première fois : «Mon pauvre petit docteur, que tu es bon ; je te remercie... Pourquoi rester ? Une si vilaine maladie ! u Et c'est pour que ses enfants et ses amis ne pussent en voir les traces, qu'elle les éloignait de son chevet.
Cependant, le 7 juin au matin, Madame Lina qui veillait l'ayant entendue murmurer : «Adieu, mes chères petites filles ! ~ lui dit : «Veux-tu qu'on aille les chercher ? — Oui », répondit-elle. Les enfants vinrent et s'approchè- rent du lit. «Mes chères petites, leur dit-elle, que je vous aime ! Oh !mes adorées, je vous aime ! Je vous aime ! ~ Et elle répétait ces paroles à travers ses halètements de douleur.
contenterait d'injecter, à l'aide de la sonde asophagienne introduite le plus loin possible, une certaine quantité d'eau de Seltz... La petite opération fut remise après le déjeuner, M. Péan voulant repartir le soir même pour Paris... A midi et demie environ, M. Péan, assisté des confrères donc j'ai parlé et en présence de Mme Lina, de M. Cazamajou et des deux domestiques déjà cités [la nounou Solange Marier et la Thomas] introduisit la sonde oesophagienne... 12 siphons d'eau de Seltz furent successivement injectés. Mme Sand eut des souffrances horribles pendant l'opération, mais un soulagement notable ensuite. b (Note du Dt Chabenat, Le Berry médical, janvier 1938).
I. Inexact, de même que tout le paragraphe suivant : le docteur Péan était repani le 2 au soir. Favre n'a été rappelé par télégramme que le 4 juin ; il azriva le 5 avec Plauchut. L'état de la malade s'était aggravé le 4 pouls à 100, ballonnement du ventre plus considérable. (idem). Nous citons le Berry médical qui a publié les Notes du Dr Chabenat d'après l'autographe on peut y constater que W. Karënine ne les a pas reproduites avec une entière fidélité. (G. L.)
683 Pendant sa maladie, Madame Sand parla très peu. Mais dans la nuit du 7 au 8 juin, on lui entendit fréquemment répëter d'une voix affaiblie : «Mon Dieu, la mort, la mort !
Cette nuit, elle éprouva de grandes souffrances. Il fallait à tout instant la relever dans son lit et la changer de position. Le docteur Pestel, Madame Clésinger et la dévouée Solange Marier ne testèrent pas deux minutes sans être occupées soit à la mouvoir, soit à la faire boite. Vers une heure du matin, elle voulut être lavée. En vain on lui représenta que ce serait une secousse inutile et pénible. Elle insista jusqu'à ce qu'on lui obéit.
Sur les trois heures du matin, Maurice, marchant sans bruit, se présenta sur le seuil de la porte. Madame Sand le vit aussitôt et s'écria : «Non, non, va-t'en. ~
A plusieurs reprises elle dit à ceux qui l'entouraient « Ayez pitié, mes enfants ;ayez pitié ! »Vers six heures du matin, la malade cherchant du regard la lumière, Madame Clésinger changea la direction t du lit de façon que sa mère eût la fenêtre en face.
Il y avait à ce moment près d'elle : Madame Lina, Madame Clésinger, René Simonnet, M. Cazamajou et le docteur Favre. Le docteur Pestel s'était éloigné à quatre heures, jugeant d'après le pouls de la malade que l'existence se prolongerait pendant vingt-quatre heures environ. Tout à coup, elle dit d'une façon à peine intelligible : «Adieu, adieu, je vair mourir. Adieu Lina, adieu Maurice, adieu Lolo, ad .. N, voulant certainement ajouter : adieu Titite, mais elle ne le put. Puis elle murmura peu après : « Lat.rsez verdure. ~ Ensuite elle dit « J'ai faim. p On lui donna un peu de gelée de viande. Elle répéta encore : « Lair.rez verdure z. ~ Quelques instants
1. Cette nuit-là Mme Sand l'a passêe sur un li[ de fer placé au milieu de sa chambre vis-à-vis la cheminée... C'est sur ce lit qu'elle est morte. n {Noces du D` Pestel, W. K., p. 612).
2. Légende, selon le D' Pestel et lina. Le docteur a joint ici une note au manuscrit d'Harrisse : a C'est le 7 juin, vers 9 heures du soir. Il n'y avait près d'elle que sa fille et sa bru lorsqu'elle prononça ces mots qu'on prit d'abord pour du délire, mais auxquels on attribua plus tard leur signification vraie. b (W. K., p. 613) Confirmation par le même dans une autre note
684 s'écoulèrent, puis elle prit la main de Solange et la porta à sa bouche en faisant le simulacre de mordre. 5a fille lui demanda si elle voulait manger. Elle fit signe que oui. On lui fit avaler péniblement une ou deux petites cuillerées de bouillon. Alors le regard devint fixe et terne, la respiration laborieuse, et elle s'éteignit ainsi à dix heures du matin ' .
Au moment où elle allait expirer, Madame Lina, Solange, MM. Simonnet et Cazamajou s'étaient agenouillés auprès de son lit. Le docteur Favre ftt de même. Dès que la malade eut rendu le dernier soupir, le docteur Favre se redressa, et levant la main au-dessus du corps de George Sand, il dit avec force : u Tant que je vivrai, votre mémoire ne sera jamais souillée Z. »
George Sand, baronne Dudevant, née Lucile-Aurore- Amandine Dupin de Francueil, née à Paris, tue Meslay, n° 15 (19 actuel), le 12 messidor an XII (lef juillet 1804)3 mourut en son château de Nohant (Indre}, le jeudi, 8 juin 1876, à dix heures du matin, dans sa soixante- douzième année.
La veille, 7 juin, vers neuf heures du soir, il n'y avait
a Ces deux mots ont été prononcés le 7 juin au soir, comme je l'ai indiquê plus haut. Je le tiens de Mme Maurice, que j'ai interrogée à cet égard aujourd'hui même, 3 juillet 1876. ~ (Idem).
On verra plus loin la signification des mots en question.
I. Note ajoutée par Harrisse : «Aurore et Gabrielle n'étaient pas présences ; lorsque, ayant ëté appelées, elles approchèrent du chevet de leur grand' mère, celle-ci avait cessë de vivre. Maurice dormait dans sa chambre, accablé de chagrin et de fatigue. Ce furent ses fillettes qui vinrent lui apprendre la mort. Il s'assit, puis s'abîma dans son dësespoit. 11 répétait, au milieu de ses sanglots : "Ma mère, ma mère ! La vie pour nous est finie !"
2. Note ajoutée par Harrisse ::Dans une visite que ]e Dr Favre fit au Dt Papet, à Ars, parlant des derniers moments de Madame Sand, il dit que la voyant près de rendre le dernier soupir, il se jeta à genoux et adressa à Dieu une invocation pour qu'il reçût l'âme du grand écrivain >. L'étrange docteur aimait les attitudes théâtrales.
3. Note d'Harrisse : < Le 16 messidor an XIi, 5 juillet 1804 a, lit-on à tort dans l'Histoire de ma v:é ;Paris, 1854, in-8", t. V, p. 208 et 219, > Harrisse aurait pu ajourer t. Vl, p. 226 et 236, mais il ne s'est pas avisé qu'au t. VI, p. 249, George Sand a donné la date exacte : ]2 messidor, soit le I°' juillet. Dans ouvrer autob:ôgrapbiguer, les passages visés sont : t. I, p. 461, 464, 468, 472. Voit également la p. 3236 où nous avons reproduit les acres de naissance et de baptême, qui lèvent toute espèce de doute. (G. L.).
685 près d'elle à ce moment que sa fille et sa bru lorsqu'elles entendirent prononcer ces mots : «Adieu, adieu, je vair moure'r », puis plusieurs paroles inintelligibles, finissant par : «Laierez verdure. »Solange regarda Madame Lina, comme pour lui dire que sa pauvre mère n'avait plus ses facultés ; mais en y réfléchissant, voici l'interprétation qu'elles donnèrent à ces deux mots
Tl y a dans le cimetière de Nohant, à l'angle de droite, appuyé au mut mitoyen qui le sépare du château, un petit enclos réservé, tout recouvert de broussailles et de plantes folles qui cachent ]a tombe du père et de la grand'mère de Madame Sand'. Quand on entre dans cet enclos, on remarque une croix en marbre blanc, sans aucune inscription, et derrière cette croix, une stèle aussi de marbre blanc. Ces deux petits monuments funéraires furent érigés par Maurice et par Madame Clésinger lors- qu'on yinhuma les restes de son enfant, transfêrés de Paris, vers 1855, en l'absence de Madame Sand Z. Celle- ci, àson retour à Nohant, vit ces ornements tumulaires avec regret, ayant toujours préféré, dit-elle, au marbre, de la verdure pour des tombes.
D'après un des récits 3 qui me furent faits, Madame
I. Dans Le Monde Illurtré du 17 juin 1876, o~ voit un dessin de Srott gravé par Mêaullc qui apporte une confirmation, en montrant des tombes envahies par les plantes folles et des fleurs. (G. L.).
2. Inexact les restes de Jeanne Clésinger n'ont pas été « transEérës », mais amenés ditectemem de Paris. Morse dans la nuit du 13 au 14 janvier 1855, l'enfam a écé enrerrée le 16 à Nohanr. Ce n'était absolument pas en !'abrence de George Sand : voir t. X1II, p. 26, n. 2. Mais les < ornements » de la tombe on été apportés par Solange à l'anniversaire, le 13 janvier 1856. G. Sand était en effet à Paris à ce moment. Voir sa réaction au t. XIII, p. S05 (lettre ~° 6991) et 509-510 (lettre n° 6994).
L'autre monumen[ esc celui de Marc-Antoine, mor[ en 1864 à Guillery et transféré vers 1865, donc beaucoup plus tard. (G. L.j.
3. Ce récit est celui du Dr Pestel, qui s'exprime ainsi (on relèvera les différences) : ~ Mme Solange avait trouvé quelques jours auparavant dans un petit sachet de satin bleu un écrit de sa mère, daté de 1857 ou 1858, qui commençait ainsi : s Ceci esc l'expression des mes dernières volontés. La mort n'étant pas un malheur, mais une dêlivrance, je ne veux sur ma tombe aucun emblème de deuil, je dêsire au contraire qu'il n'y ait que des fleurs, des arbres et de La verdure », puis elle indiquait les détails relatifs à son enterrement, mais il n'était nullement question d'enterrement civil. A cette époque, elle voulait être enterrée dans le cimetière de Ceaulmont près de
686 Solange, lorsqu'elle arriva à Nohant, aurait trouvé, dans un petit sachet de satin bleu, un écrit de sa mère daté de 1857 ou 1858, qui commençait ainsi : « La mort n'ëtant pas un malheur, mais une délivrance, je ne veux sur ma tombe aucun emblème de deuil, je désire, au contraire, qu'il n'y ait que du gazon et des fleurs, des arbres et de la verdure. »Cet écrit aurait été déchiré peu après. Je n'ai pu contrôler ces détails. Mais lors des promenades que je fis avec Madame Sand, ou quand nous allions préparer un herbier des plantes mentionnées dans ses romans champêtres, il nous arriva plusieurs fois de passer devant cet enclos. Un jour que rentrant au château nous traversions le cimetière, Madame Sand s'arrêta un instant pour me fournir quelques détails sur ce lieu, en réponse à mes questions. Elle me donna alors à entendre que son désir serait d'avoir une sépulture cachée sous le feuillage comme celle de sa grand'mère. C'est évidemment à cette pensée que se rapportaient les paroles :Laissez verdure, qu'elle prononça la veille et le jour de sa mort t.
Lorsque nous arrivâmes à Nohant, les restes de l'illustre défunte étaient déjà exposés, sut son lit, dans sa chambre à coucher, le visage tout couvert de fleurs. Dumas, montrant plus de courage que moi, voulut la voir une dernière fois. Il me dit en descendant que la main droite, mignonne et polie comme l'ivoire, seule n'ëtait pas recouverte.
Ce fut Madame Clésinget qui, aidée de Solange Marier, pieusement donna aux restes de sa mère les derniers soins.
Elle passa dans la chambre mortuaire toute la nuit du 8 au 9 juin. Avec elle s'y rendirent successivement les jeunes
Gatgilesse. Plus tard, paraît-il, elle avait voulu l'être à Palaiseau. n (W. K., p. 619).
Il est bien étrange que ce document capital n'ait ëté vu par personne que Solange, et ait disparu sans laisser de traces, s'il a vraiment existé ailleurs que dans ]'imagination de Solange. On va voir qu'Harrisse reste dubitatif. (G. L.)
1. La veille, oui, mais non le jour de sa mort, comme on l'a vu plus haut (G. L.).
687 Simonnet, le docteur Favre, Aucante, MM. Amic et Plauchut.
La nuit suivante, les servantes seules veillèrent ; la décomposition, hélas ! était tellement avancée, qu'elles durent se tenir dans le cabinet de travail adjacent. Mais quand on l'ensevelit, les traits de notre pauvre amie parurent bien moins altérés que la veille.
Le samedi, 10 juin, je descendis de bonne heure au salon du docteur. Je l'engageai vivement à mettre par écrit tout ce qui s'était passé sous ses yeux pendant la maladie de Madame Sand. II me le promit'.
A dix heures, mes compagnons et moi nous reprîmes, par une pluie battante, la route de Nohant, où nous déjeunâmes en compagnie du prince Napoléon, de Renan et de Flaubert, arrivés le matin même. Les amis, les invités, les curieux, des reporters envoyés pat le Figaro et le Bien public, se promenaient dans le jardin. Ils discu- taient la nouvelle qui venait de nous être communiquée que Madame Sand serait enterrée selon les rites de la religion catholique. Tout le monde parut étonné et on se demandait à qui il fallait attribuer l'initiative de cette cérémonie inattendue. J'allai aux renseignements.
Les parents et les amis de la famille croyaient que le testament contiendrait une clause formelle ordonnant des funérailles civiles ; non que Madame Sand affichât des sentiments anti-religieux ;mais son opinion sur les prêtres, ou plutôt sur le bas-clergé Z, était défavorable.
Dumas et Aucante, auxquels elle avait de son vivant confié d'importants papiers, ayant eu à interroger M` Ladre, son avoué à La Châtre, ou M` Moulin son notaire, sur les dernières dispositions de la défunte â l'êgard de ces documents, apprirent que, par un codicille, la garde leur en était maintenue 3. Bn même temps, ils furent
1. Ce que le Dr Pestel fit avec conscience .dans le but de fixer (ses] souvenirs personnels :, a-t-il déclaré (W. K., p. 610).
2. Ceci serait discutable : George Sand a eu des relations sympathiques avec plusieurs curés de campagne : Rocher, Many, Clément, par exemple. (G. L.).
3. Voir ce codicille (qui concerne la conservation et lz publication éventuelle des écria manuscrits qui se trouveront dans le domicile principal et dans les
688 informés que le testament ne renfermait aucune disposition déterminant la manière dont elle voulait être inhumée.
La question de l'enterrement fut alors agitée par les membres de la famille, auxquels vinrent s'adjoindre le Dr Favre, MM. Aucante et Plauchut.
Dès le 7 juin, dans la soirée, Madame Solange, prévoyant la fin prochaine de la malade, avait consulté MM. Simonnet et Cazamajou sur le mode d'enterrement qu'il conviendrait de préférer. Chacun d'eux lui répondit : «Mais je pense que ce sera un enterrement civil. » Telle n'était pas l'opinion de Madame Solange.
Un des amis de la famille' donna son mot. Il dit que Madame Sand devait être enterrée civilement ; que ses opinions l'exigeaient ;que faire autrement serait lui aliéner tout le parti républicain ; que du reste Madame Sand était allée à l'enterrement civil de Sainte-Beuve, étant la seule femme qui s'y trouvât, que c'était là, de sa part, une sorte de déclaration.
Madame Solange lui répondit que d'abord Madame Sand n'était pas la seule femme qui se fût rendue aux obsèques de Sainte-Beuve Z :que si elle y était allée, c'était à cause de Sainte-Beuve et non dans l'idée d'adhérer à un enterrement civil3 ; qu'au contraire, dans bien des circonstances sa mère s'était moquée de gens qui se faisaient inhumer ainsi ;dernièrement encore à l'occasion de l'enterrement civil à Châteauroux d'un nommé Patu- teau-Francoeur4.
résidences au jour du décès) au tome XX, p. 304-305, n" 13229. La garde et l'usage éventuel est confié à Maurice. ll n'y est pas question des documents confiés à Aucante et Dumas (la correspondance avec Alfred de Musset) par lettre du 10 mars 1864 (t. XVIII, p. 31]-314, n° 10747). Mais le codicille en question n'annule pas la mission confiée en 1864. (G. L.).
]. Cet ami esc Plauchut, d'après les Notes du D' Pestel (W.K., P. 617)
2. Exact :nous savons par l'Agenda que se trouvaient aussi aux obsèques du critique Solange elle-même, Mme Brétillot son amie, Mme Ratazzi (t. XXI, p. 80, n. 1). (G. L. )
3. Note d'Harrisse : « ... Aux obsèques de Sainte-Beuve, Madame Sand fut tout le temps à mon bras, et elle ne dit absolument tien du caractère de la cérémonie. »
4. Contrairement à ce que croyait Karénine, il ne s'agit pas de Jean Patureau-Francæur, mort et enterré en Algérie en ]868, mais de son fils Joseph, mort à Châteauroux le 1°' janvier 1876. Laissons à Solange La
689 Madame Lina répondit à Solange : «Madame Sand n'a jamais exprimé devant moi d'intentions à ce sujet. J'ai fait enterrer civilement mon père, parce que cela me regardait. Il s'agit de votre mère ; c'est à vous à régler cette question avec Maurice'.
Maurice inclinait pour un enterrement civil. Sa soeur lui demanda s'il avait des instructions de sa mère, il répondit que non. Elle insista alors pour que Madame Sand fût inhumée religieusement, disant que si elle eût désiré être enterrée civilement, disant, elle n'aurat pas manqué de le dire.
La famille Simonnet, M. Cazamajou et le docteur Favre, qu'on croyait libre penseur, se rangèrent de cet avis z. Il ne fallait pas, dirent-il, par un enterrement civil choquer les sentiments religieux de la population au milieu de laquelle Madame Sand avait toujours vécu et allait avoir sa dernière demeure.
Le docteur Papet, consulté, dit à Madame Solange que s'il y avait un enterrement civil, ni lui ni sa famille ne s'y rendraient.
Sur les instances du docteur Favre, Maurice consentit à un service religieux. Et lorsque, après la cérémonie funèbre,
responsabilité de son affirmation surprenante, car G. S. a assisté à l'enterre- ment sans prêtre de Maillard le 25 janvier 1865, et y a fait lire un adieu préparê par elle ; et n'a-t-elle pas fait enterrer Manceau de la même manière ? Il semble qu'aucun des assistants n'a pensé à cet argument. (G. L.)
1. Voici la note de Lina sur ce problème : a J'étais à mille lieues de penser que Mme Sand passerait par l'église, je fus donc stupéfaite quand, dans la matinée qui suivit ]a mort, je fus appelée par Solange, Simonnet et Cazamajou, qui me prouvèrent qu'il valait mieux enterrer religieusement Mme Sand. Je regimbai violemment, mais, tout entière à mon chagrin, je leur répondis de s'adresser à Maurice, que cela le regardait, que de son vivant j'avais droit de la protéger, qu'après sa mort cela regardait les enfants. Je comptais sut Maurice, loin de croire qu'il accëderait aux raisonnements de Solange et de Simonnet. Ce dernier, pour me faire céder, m'assura que mes filles ne se marieraient pas, si je faisais obstacle à l'acte religieux. Je suis persuadée que George Sand, qui avait un écrit lorsqu'elle était chez des amis, n'a pas voulu en avoir à Nohant, de peur d'un conflit entre Solange et son frère. LtNn. > (W. K., p. 622).
2. Note du Dr Pestel : a Mme Clésinger, la famille Simonnet, M. Cazamajou, le docteur Favre se prononcèrent énesg:'que~nent pour un enterrement religieux. a (W. K., p. 627).
690 Papet vint prendre congé de Maurice, ce dernier lui dit, avec une grande émotion : « Es-tu content ?les choses se sont-elles passées selon ton désir ? —Oui, répondit le plus ancien et le plus fidèle ami de Madame Sand, je trouve que tout s'est passé pour le mieux. »Maurice lui serra la main avec effusion t.
L'abbé Villemont, curé de Vic, connaissait Madame Sand personnellement. Il avait même récemment déjeuné et passé toute une après-midi au château, et pendant la maladie de notre amie il était venu chaque jour demander de ses nouvelles ; se promenant même dans le jardin, sous les fenêtres de la maison en lisant son bréviaire, avec l'espoir sans doute, qu'au moment suprême, elle le ferait demander. Bien que Madame Sand eût conservé toute sa raison, elle ne dit pas un mot à ce sujet. Si elle avait manifesté le désir de voir un prêtre, le respect de son fils et de sa bru pour toutes ses volontés était tel, que, malgré leur sentiment à cet égard, ils n'eussent pas hésité à y obéit. D'autre part, MM. Aucante et Plauchut éloignèrent l'abbé Villemont, pensant que sa présence à Nohant, si elle était connue de Madame Sand, ne pourrait que l'attrister sans la décider jamais à recourir à ses bons offices.
Aussi lorsque Solange, après qu'elle lui eut fermé les yeux, demanda pour le corps de sa mère l'entrée de l'église à l'abbé Villemont, celui-ci ne crut pas devoir
I. Étrange rëaction. Quelle que soit l'opinion personnelle que l'on a sur ]e fond du problème. On ne peut que s'ëtonner de cette recherche d'une approbation. Maurice n'avait pas à se faire dicter sa décision par tel ou tel, mais à faire ce que lui conseillaient aussi bien Paulin de Vasson qu'Amie Le premier répondait à ses interrogations : a ]l faut consulter Mme Sand. Elle est morte, mais les immortels laissent leurs æuvres et la réponse aux questions qu'on peut leur poser ». L'autre : e Je ne veux pas, me dit M. Maurice, que ma mère soit enterrée comme un chien. —Mais vous n'avez pas à vouloir, répliquai-je, mais à observer la volonté de Mme Sand exprimëe ici même devant tous lors de l'enteaement de M. Duvernet. » (W. K., p. 621). Pour Amie, Kazénine ne donne pas de référence ; il faut supposer qu'il s'agit de confidences verbales. Dommage, car on aurait aimé savoir ce qu'avait dit G.S. de l'enterrement de Duvernet. Elle n'y est pas allée, selon l'Agenda. Mais elle a dû faire ses rêflexions devant Amic, qui était arrivé à Nohant le 14 octobre 1874, cinq jours avant les obsèques. (G. L.)
691 l'accorder avant d'en avoir obtenu la permission de l'archevêque de Soutges. De là un échange de dépêches télégraphiques de Solange avec le cardinal de la Tour d'Auvergne, qui n'hésita pas à accorder l'autorisation demandée.
Sut ces entrefaites, il se produisit un contretemps. La bière en plomb envoyée de Paris s'étant trouvée trop petite, on avait été obligé d'en faire venir une autre, laquelle n'arriva que très peu de temps avant l'heure fixée pour les obsèques.
Vers les onze heures et demie, le cercueil fut descendu dans le vestibule du château, et exposé une heure durant recouvert d'un drap monuaire à croix d'argent. Lorsque je m'approchai, la cour était presque remplie de paysannes, la tête couverte de leur capeline, et je crois en avoir vu plusieurs asperger la bière d'eau bénite. Matie Caillaud' se trouvait à la gauche du cercueil, distribuant des brindilles de laurier, en guise de buis, à tous ceux qui s'approchaient.
Entre midi et demie et une heure, le corps fut levé et portê à bras dans la petite église par des paysans vêtus d'un Barreau bleu. Ils étaient précédés du prêtre, homme encore jeune. Derrière lui, venait un vieillard en blouse, qui portait un cierge et psalmodiait Z. Le prince Napoléon tenait d'une main un des cordons du poêle et de l'autre une des petites branches de laurier 3.
Le convoi entra dans l'église ;mais comme elle était déjà presque remplie, pat des paysannes, ceux qui suivaient ne purent s'y placer, et refluant au dehors, ils vinrent se mêler aux villageois et à quelques ouvriers venus de La Châtre, qui se tenaient sur la place, tête nue, par la pluie et le vent. Il y avait en tout environ deux cents personnes.
1. Les lecteurs de la Correspondance connaissent Marie Caillaud, qui avait longtemps fait parie du personnel de Nohant, et qui souvent joua des rôles sur le petit théâtre. Elle ëtaic passée au service de Solange à Moncgivray. L'idée des brins de laurier à jeter sur ]e cercueil était une idée de Lina. (G. L.)
2. Le père Carnat, sonneur et fossoyeur. (G. L.)
3. Les autres cordons ëtaienc tenus paz Oscar Cazamajou, René Simonnec et Alexandre Dumas fils. (W. K., p. 602).
692 Nous remarquâmes l'absence de Hetzel, de Marchal, de Charles Edmond et du directeur de l'Odéon'.
La pluie ne cessait de tomber. On entendait de la place les chants et le service religieux, qui dura peu de temps. Sans attendre la sortie, j'allai au cimetière. Le nouveau caveau de l'enclos était béant. Commencé la veille, on venait à peine de le terminer. Des paysans et le maçon en admiraient la solidité et le ciment.
C'est une simple voûte en briques, construite au milieu du terrain réservé, et dont le sommet ne dépasse pas le niveau du sol. A la gauche de l'entrée du caveau, cachées sous des broussailles, sont, côte à côte, les dalles qui recouvrent les restes du père et de la grand mère de Madame Sand. (Sa mère est enterrée à ParisZ.) Une des deux tombes s'étend un peu sous le mur qui sépare le cimetière de la cour du château. Un très beau cyprès s couvre ces tombes de ses rameaux,
La porte de communication, récemment pratiquée dans le mur mitoyen, se trouvait ouverte. Vers une heure, la procession funèbre, précédée d'un enfant de choeur portant la croix, et du prêtre revêtu d'une étole violette très usée, franchit la porte et vint se placer près du caveau. Les autres assistants se répandirent dans le cimetière, mais les places les plus rapprochées échurent à des gens complète- ment étrangers.
Après quelques courtes prières, le précre, l'enfant de choeur et le chantre se retirèrent. Un homme assez âgé, que j'appris être M. Périgois 4, conseiller général de l'Indre
1. Le manuscrit d'Hauisse était rédigé autrement : a Nous remarquâmes l'absence de Marchal, de Duquesnel (le directeur de l'Odéon), de Hetzel et de Charles-Edmond Choïecki (du Tempr), le fait est que ce sont tous les quatre de prodigieux égoïstes. m (W. K., p. 628).
Henri Amic inscrit Charles-Edmond dans la liste des assistants (George Sand. Mer rouvenirr, p. 231). Qui des deux se trompe ? (G. L.)
2. Elle était enterrée au cimetière Mon martre (et non au Père-Lachaise, comme le croyait Karénine). Depuis, ses restes ont é[é ramenés à Nohant. (G. L.)
3. Ce cyprès est un if.
4. Le manuscrit d'Harrisse est rédigé autrement : a Un vieillard, que j'appris être M. Périgeois, avocat et conseiller général de l'Indre, républicain très avancé, de cette voix dolente qui est le trait distinctif de l'ëloquence
693 et républicain très avancé, lut d'une voix émue un discours retraçant en termes dignes et justes la vie parmi eux de l'illustre défunte.
Paul Meurice alors s'avança et, à son tour, il lut, lentement, de solennelle façon, les pages que Victor Hugo avait envoyées. Ce style, ces phrases toutes faites qui ne signifient absolument rien, produisirent un médiocre effet. Flaubert, lui, trouvait cette prosopopée sublime, et il m'avoua l'avoir déjà lue trois fois, chaque fois y découvrant de nouvelles beautés. Le prince Napoléon et Renan n'y virent qu'une ~ affaire de procédé, à la portée de tout littérateur possédant un copieux lexique ».
Le prince s'était proposé de prendre la parole. Dumas, de son côté, avait passé une partie de la nuit à écrire un discours'. Mais étant venus à penser qu'entre le clergé et Victor Hugo il n'y avait pas place pour eux, ils se turent.
Ce cimetiêre inculte, toutes ces paysannes enveloppées de manteaux, agenouillées et priant dans l'herbe humide ; le ciel gris, la pluie fine et froide qui vous fouettait le visage, ]e vent bruissant à travers le cyprès et se mêlant aux litanies du vieux chantre, me touchèrent bien plus que toute cette rhëtorique. Et cependant je ne pouvais m'empêcher de dite, à part moi, que la nature, en ce triste moment, devait bien à George Sand un dernier rayon de soleil !
J'allai faire mes adieux à Maurice et à sa femme. Me prenant les mains, Madame Lina me dit : «Bien qu'elle ne soit plus, vous nous restez, n'est-ce pas ? ~
J'étais tellement êmu que je ne savais quoi répondre.
Je cherchai alors Aurore et Gabrielle, pour les embrasser avant de partir. Les chères petites étaient à la grille du château, au milieu d'une foule de pauvres venus de tous
française et qui, à nous autres Anglais et Amêricains, semble si étrange et si factice, lut un discours, re[raçant en termes dignes et parfois touchants, la vie de l'illustre défunte. e (W. K., p. G29)
Né le ~5 avril 1819, Périgois avait 57 ans (et non 51 comme le dic Karënine). Le terme de vieillard paraît excessif. On voit qu'Harrisse a[ténua. (G. L.)
1. Le discours de Dumas parut dans le Figaro (11 juin 1879), dans !e Tempr (le lendemain).
694 les environs, occupées à distribuer des aumônes, selon leur coeur et suivant la touchante coutume du pays.
HENRY HARRISSE.
Septembre 1876.
DERNIERS MOMENTS ET OBSÈQUES
DE GEORGE SAND
SOUVENIRS D'UN AMI
Nous étions tous très inquiets, nous communiquant les nouvelles que le docteur Favre envoyait à Alexandre Dumas et celles qu'Aucante adressait à Calmann Lévy, nos seules sources d'information sur l'état de la santé de George Sand, notre illustre amie.
Le jeudi, 8 juin 1876, en revenant d'accompagner Flaubert, chez qui nous avions trouvé une lettre de Martine et la copie au crayon d'une dépêche de M. Plauchut, laissée par Eugène Lambert, annonçant que Madame Sand était au plus mal, je reçus ce télégramme :
Ma mère est morte.
MAURICE SAND.
J'allai immédiatement communiquer cette triste nouvelle à Dumas. Il l'avait aussi reçue. Nous convînmes de nous prévenir mutuellement de l'heure et du lieu des obsèques pour nous y rendre ensemble.
Le lendemain matin, 9 juin, plusieurs journaux, les Débats entre autres, annonçaient que Madame Sand serait
678 inhumée à Paris. Cette nouvelle parut invraisemblable. Effectivement, à huit heures un mot de Madame Dumas me prévenait que les obsèques auraient lieu à Nohant, et que son mari m'attendrait à la gare d'Orléans, le jour même, à dix heures du matin. Je fis préparer ma valise à la hâte. Le temps était affreux ; une pluie fine, serrée, froide, des rafales d'un vent âpre ; on se serait cru en octobre.
A la gare, je trouvai sept personnes venues dans le même but. Dumas arriva quelques instants après. Lui, Lambert, Paul Meutice, M. Edouard Cadol, Calmann Lëvy et moi, nous prîmes place dans le même compartiment.
Nous arrivâmes à Châteauroux à trois heures et quart. La pluie ne cessait de tomber, le so] était complètement détrempé. Il n'y avait au débarcadère que la diligence et les deux pataches qui desservent habituellement la route de La Châtre, et déjà au complet. Grâce à un ami de collège de Dumas, le capitaine Cadet de Vaux, je trouvai chez un carrossier une espèce de berline que je louai pour deux jours, et à quatre heures nous nous mîmes en toute pour Nohant, préparés à coucher dans quelque auberge de rouliers, faute de mieux.
A sept heures du soir nous étions à Nohant. On finissait de dîner. Nous attendîmes dans le jardin.
Le docteur Favre vint à nous, et prenant Dumas à l'écart, il lui raconta dans les plus grands détails la maladie et la mort de notre pauvre amie.
Maurice, son fils, ne tarda pas. Il se jeta dans mes bras. Je le trouvai changé, vieilli, les cheveux presque blancs. « C'est plus que la moitié de moi-même que je perds p, me dit-il.
Madame Lina, sa femme, prévenue de notre arrivée, nous fit servir immédiatement à dîner. Pendant que nous étions à table, Maurice vint et, apercevant Dumas, lui passa les bras autour du cou, l'embrassant avec effusion'.
1. Dans le manuscrit autographe on lit ici : e Maurice, en voyant Dumas, l'embrassa. Dumas reçut cette caresse avec froideur, ne croyant, mais à tort, ni à son affection, ni à son chagrin, pour des raisons qui datent de plusieurs années. ~ (W. K., p. 623).
679 A ce moment, on apporta une dépêche de Paris. C'était la Société des gens de lettres qui priait Dumas de vouloir bien prononcer un discours au nom de la Société. Il déclara n'en vouloir rien faire, n'étant pas membre de cette association, et pensant, fort justement, qu'elle aurait pu envoyer une délégation spéciale, ou tout au moins un représentant.
Étaient installés au château, autre les hôtes habituels, Madame Clésinget (Solange Sand) qui, prévenue de l'état désespéré de sa mère par une dépêche de son notaire, était venue de Paris en toute hâte, des parents : Oscar Cazamajou, Madame Simonnet, Edme, René et Albert Simonnet, le docteur Favre, MM. Aucante, Amie et Plauchut, amis de Madame Sand'.
Boutet, ]e factotum de Madame Sand à Paris, qui était logé dans les environs, voulut m'emmener ;mais Madame Lina avait eu la bonté de prier le docteur Pestel de vouloir bien m'accueillir dans sa belle résidence de Saint-Chartier. A dix heures, par une nuit noire et une pluie battante, je m'y rendis, en compagnie de Paul Meurice et de Calmars Lévy, qui devaient également y demeurer.
Nous restâmes à causer avec le docteur Pestel jusque près de minuit. Comme notre hôte avait constamment soigné Madame Sand pendant sa maladie, je le priai de nous raconter les derniers moments de cette femme aussi bonne qu'illustre.
Le lendemain j'interrogeai les principaux témoins de sa mort, afin d'en fixer le récit, estimant que les détails de cet événement ne seraient pas sans intérêt pour les amis et les admirateurs du merveilleux écrivain que fut George Sand.
Les réponses de ces témoins furent comparées et soumises à un contrôle minutieux. De retour à Paris, je mis en
1. Texte primitif : < ... en plus de la famille habiruelle, Solange, que Maurice avait prêvenue par une lettre envoyée à Paris, mais sans l'inviter à venir, qui était venue néanmoins et n'avait cessé de veiller au chevet de sa mère avec sollicitude. n (mëme référence). Texre de la lettre de Maurice
Notre mère est malade et son état est grave. Les docteurs Papet, Pestel et Chabenat attendent deux mêdecins de Paris qui arriveront demain matin. Viens, si tu veux. MAURICE. s (W. K., p. 614).
680 ordre les renseignements que j'avais recueillis, et envoyai au docteur Pestel les résultats de mon enquête, en le priant de s'assurer de leur parfaite authenticité.
Après avoir lu le manuscrit avec attention, il me le renvoya complété par des notes que j'ai utilisées dans les pages qui suivent, plusieurs fois en me servant de son langage même.
Madame Sand, à la suite d'une fièvre typhoïde contractée vers 1856', et qui avait laissé des ulcérations, souffrait souvent de violentes douleurs intestinales. Parlant peu d'elle-même, ne se plaignant presque jamais, ne voulant pas attrister ses enfants par la visite du médecin, elle n'avait recours à lui que lorsqu'elle ne pouvait s'en dispenser, préférant choisir ses remèdes.
Pendant tout le printemps, sa santé avait été bonne ; mais depuis quinze jours l'atonie des organes était com- plète. Cependant, elle se préparait à quitter Nohant pour un séjour d'un mois à Paris, et devait partir le 3 juin. Le 30 mai, la maladie fit soudainement explosion.
Vers les trois heures de l'agrès-midi, Madame Sand, à la suite d'un médicament qu'elle avait pris le matin sur les conseils d'un jeune médecin de La Châtrez, se sentit très mal. Appelant sa femme de chambre, elle lui dit d'aller chercher Maurice, qu'elle n'en pouvait plus et souffrait horriblement. Son fils la trouva étendue sur le canapé, en proie à de vives douleurs.
Lorsque, une heure après, Madame Lina rentra d'une noce de village où elle était allée avec ses fillettes, Madame Sand se plaignit de fortes souffrances et de nausées. Les douleurs allèrent en augmentant, des vomissements
1. En réalitë, fin octobre 1860. (G. L.)
2. Le docteur Marc Chabenat. Celui-ci, dans sa Note, a précisé : 8 Je prescrivis pour le lendemain matin 30 mai, 30 grammes d'huile de ricin avec 30 grammes de sirop d'orgeat. Je choisis de préférence un purgatif doux agissant plutôt mécaniquement qu'en irritant l'intestin, parce que je croyais avoir affaire à un intestin ulcërë. Lc purgatif fut pris le mardi 3l mai à 10 heures du matin. n (W. K., p. 603)
681 survinrent et à huit heures on envoya chercher son vieil ami, le docteur Papet. Dès qu'il l'eut examinée, il dit à Maurice : «Elle est perdue ! ~ Il passa la nuit à Nohant. Cette nuit fut atroce pour la malade ; elle poussait des cris qu'on entendait du fond du jardin.
Le lendemain matin on fut quérir le docteur Pestel. Il jugea la situation tellement grave que la présence d'un médecin de Paris lui parut nécessaire. Maurice répondit qu'il allait télëgraphier au docteur Favre de venir t. Le docteur Pestel voulait qu'on adjoignît à ce dernier un médecin d'une science pratique incontestée. Et comme Maurice dit n'en pas connaître, on lui désigna Barth ou Jaccoud. Le lendemain 1°` juin, le docteur Favre arriva seul 2, n'ayant pu amener un des deux médecins désignés. Il repartit immédiatement pour Paris avec le mandat d'envoyer sans tarder un chirurgien, M. Péan ou un autre. Ce même jour, Madame Lina avait télégraphié au docteur Darchy, l'ancien médecin de Madame Sand, qui habitait dans la Creuse, de venir. Avant de quitter Nohant, le docteur Favre, dont le zèle et le dévouement ne se démentirent pas une minute, voulut être porteur d'une note explicative de la maladie, pour le docteur Péan. Ce fut le docteur Pestel qui la rédigea.
Le 2 juin, les docteurs Péan et Darchy arrivèrent 3 et
L «Mme Sand avai[ un médecin, un certain docteur Favre, qui m'a toujours produit une déplorable impression. Malheureusement à Nohan[ on croyait en lui. Je ne veux pas dire que le pauvre cher homme ai[ causé par son incapacité la moindre catastrophe. Non ;mais étant donné la possibilité (à laquelle je ne croyais pas) de sauver la malade, le docreur Favre, faux savant, bavard et sans pratique médicale, ne pouvait être qu'un obstacle. » (Note de Paulin de Vasson, W. K., p. 607)
2. «Alors mon homme, en présence des crois médecins, et avant d'avoir vu !a malade, fait des discours sur sa maladie ; « C'érair la dyuenterie, ou bien c'est une hernie, je la frictionnerai, etc. > Pestel tapait du pied. Enfin il s'est décidé à entrer dans la chambre de Mme Sand. Il en redescend et alors, jusqu'à son départ, o~ n'entend que le docteur Favre avec son flux de paroles inutiles et cette faconde intempestive. > (Même référence).
3. Séparëment
Darchy était arrivé de Chambon (Creuse) dans la nuit du I" au 2, appelë par une dêpêche de Lina. Le docteur Péan arriva vers 9 heures le 2. « Il examina la malade et après cet examen, nous descendîmes dans le salon où il fuc décidé qu'on ne pouvai[ avoir recours à l'entérotomie et que l'on se
682 l'opération fut pratiquée dans l'après-midi. Elle souffrit le martyre stoïquement : la sueur ruisselait de son front.
On télégraphia alors au docteur Favre de revenir. Il revint par le premier train'.
La fièvre disparut ;les docteurs Péan et Favre retournè- rent àParis, le dimanche 4 juin, croyant la pauvre malade
sauvée.
Ce qui surtout la préoccupait, l'humiliait, c'était la nature de son mal :comme l'hermine elle serait morte d'une tache. Très souvent, elle répéta : «Que Maurice ne me voie pas souffrir ;épargnez-lui cette peine, et que les petites ne viennent pas. ~ La nuit suivante, voyant le docteur Pestel se pencher sur son oreiller, elle lui dit, le tutoyant pour la première fois : «Mon pauvre petit docteur, que tu es bon ; je te remercie... Pourquoi rester ? Une si vilaine maladie ! u Et c'est pour que ses enfants et ses amis ne pussent en voir les traces, qu'elle les éloignait de son chevet.
Cependant, le 7 juin au matin, Madame Lina qui veillait l'ayant entendue murmurer : «Adieu, mes chères petites filles ! ~ lui dit : «Veux-tu qu'on aille les chercher ? — Oui », répondit-elle. Les enfants vinrent et s'approchè- rent du lit. «Mes chères petites, leur dit-elle, que je vous aime ! Oh !mes adorées, je vous aime ! Je vous aime ! ~ Et elle répétait ces paroles à travers ses halètements de douleur.
contenterait d'injecter, à l'aide de la sonde asophagienne introduite le plus loin possible, une certaine quantité d'eau de Seltz... La petite opération fut remise après le déjeuner, M. Péan voulant repartir le soir même pour Paris... A midi et demie environ, M. Péan, assisté des confrères donc j'ai parlé et en présence de Mme Lina, de M. Cazamajou et des deux domestiques déjà cités [la nounou Solange Marier et la Thomas] introduisit la sonde oesophagienne... 12 siphons d'eau de Seltz furent successivement injectés. Mme Sand eut des souffrances horribles pendant l'opération, mais un soulagement notable ensuite. b (Note du Dt Chabenat, Le Berry médical, janvier 1938).
I. Inexact, de même que tout le paragraphe suivant : le docteur Péan était repani le 2 au soir. Favre n'a été rappelé par télégramme que le 4 juin ; il azriva le 5 avec Plauchut. L'état de la malade s'était aggravé le 4 pouls à 100, ballonnement du ventre plus considérable. (idem). Nous citons le Berry médical qui a publié les Notes du Dr Chabenat d'après l'autographe on peut y constater que W. Karënine ne les a pas reproduites avec une entière fidélité. (G. L.)
683 Pendant sa maladie, Madame Sand parla très peu. Mais dans la nuit du 7 au 8 juin, on lui entendit fréquemment répëter d'une voix affaiblie : «Mon Dieu, la mort, la mort !
Cette nuit, elle éprouva de grandes souffrances. Il fallait à tout instant la relever dans son lit et la changer de position. Le docteur Pestel, Madame Clésinger et la dévouée Solange Marier ne testèrent pas deux minutes sans être occupées soit à la mouvoir, soit à la faire boite. Vers une heure du matin, elle voulut être lavée. En vain on lui représenta que ce serait une secousse inutile et pénible. Elle insista jusqu'à ce qu'on lui obéit.
Sur les trois heures du matin, Maurice, marchant sans bruit, se présenta sur le seuil de la porte. Madame Sand le vit aussitôt et s'écria : «Non, non, va-t'en. ~
A plusieurs reprises elle dit à ceux qui l'entouraient « Ayez pitié, mes enfants ;ayez pitié ! »Vers six heures du matin, la malade cherchant du regard la lumière, Madame Clésinger changea la direction t du lit de façon que sa mère eût la fenêtre en face.
Il y avait à ce moment près d'elle : Madame Lina, Madame Clésinger, René Simonnet, M. Cazamajou et le docteur Favre. Le docteur Pestel s'était éloigné à quatre heures, jugeant d'après le pouls de la malade que l'existence se prolongerait pendant vingt-quatre heures environ. Tout à coup, elle dit d'une façon à peine intelligible : «Adieu, adieu, je vair mourir. Adieu Lina, adieu Maurice, adieu Lolo, ad .. N, voulant certainement ajouter : adieu Titite, mais elle ne le put. Puis elle murmura peu après : « Lat.rsez verdure. ~ Ensuite elle dit « J'ai faim. p On lui donna un peu de gelée de viande. Elle répéta encore : « Lair.rez verdure z. ~ Quelques instants
1. Cette nuit-là Mme Sand l'a passêe sur un li[ de fer placé au milieu de sa chambre vis-à-vis la cheminée... C'est sur ce lit qu'elle est morte. n {Noces du D` Pestel, W. K., p. 612).
2. Légende, selon le D' Pestel et lina. Le docteur a joint ici une note au manuscrit d'Harrisse : a C'est le 7 juin, vers 9 heures du soir. Il n'y avait près d'elle que sa fille et sa bru lorsqu'elle prononça ces mots qu'on prit d'abord pour du délire, mais auxquels on attribua plus tard leur signification vraie. b (W. K., p. 613) Confirmation par le même dans une autre note
684 s'écoulèrent, puis elle prit la main de Solange et la porta à sa bouche en faisant le simulacre de mordre. 5a fille lui demanda si elle voulait manger. Elle fit signe que oui. On lui fit avaler péniblement une ou deux petites cuillerées de bouillon. Alors le regard devint fixe et terne, la respiration laborieuse, et elle s'éteignit ainsi à dix heures du matin ' .
Au moment où elle allait expirer, Madame Lina, Solange, MM. Simonnet et Cazamajou s'étaient agenouillés auprès de son lit. Le docteur Favre ftt de même. Dès que la malade eut rendu le dernier soupir, le docteur Favre se redressa, et levant la main au-dessus du corps de George Sand, il dit avec force : u Tant que je vivrai, votre mémoire ne sera jamais souillée Z. »
George Sand, baronne Dudevant, née Lucile-Aurore- Amandine Dupin de Francueil, née à Paris, tue Meslay, n° 15 (19 actuel), le 12 messidor an XII (lef juillet 1804)3 mourut en son château de Nohant (Indre}, le jeudi, 8 juin 1876, à dix heures du matin, dans sa soixante- douzième année.
La veille, 7 juin, vers neuf heures du soir, il n'y avait
a Ces deux mots ont été prononcés le 7 juin au soir, comme je l'ai indiquê plus haut. Je le tiens de Mme Maurice, que j'ai interrogée à cet égard aujourd'hui même, 3 juillet 1876. ~ (Idem).
On verra plus loin la signification des mots en question.
I. Note ajoutée par Harrisse : «Aurore et Gabrielle n'étaient pas présences ; lorsque, ayant ëté appelées, elles approchèrent du chevet de leur grand' mère, celle-ci avait cessë de vivre. Maurice dormait dans sa chambre, accablé de chagrin et de fatigue. Ce furent ses fillettes qui vinrent lui apprendre la mort. Il s'assit, puis s'abîma dans son dësespoit. 11 répétait, au milieu de ses sanglots : "Ma mère, ma mère ! La vie pour nous est finie !"
2. Note ajoutée par Harrisse ::Dans une visite que ]e Dr Favre fit au Dt Papet, à Ars, parlant des derniers moments de Madame Sand, il dit que la voyant près de rendre le dernier soupir, il se jeta à genoux et adressa à Dieu une invocation pour qu'il reçût l'âme du grand écrivain >. L'étrange docteur aimait les attitudes théâtrales.
3. Note d'Harrisse : < Le 16 messidor an XIi, 5 juillet 1804 a, lit-on à tort dans l'Histoire de ma v:é ;Paris, 1854, in-8", t. V, p. 208 et 219, > Harrisse aurait pu ajourer t. Vl, p. 226 et 236, mais il ne s'est pas avisé qu'au t. VI, p. 249, George Sand a donné la date exacte : ]2 messidor, soit le I°' juillet. Dans ouvrer autob:ôgrapbiguer, les passages visés sont : t. I, p. 461, 464, 468, 472. Voit également la p. 3236 où nous avons reproduit les acres de naissance et de baptême, qui lèvent toute espèce de doute. (G. L.).
685 près d'elle à ce moment que sa fille et sa bru lorsqu'elles entendirent prononcer ces mots : «Adieu, adieu, je vair moure'r », puis plusieurs paroles inintelligibles, finissant par : «Laierez verdure. »Solange regarda Madame Lina, comme pour lui dire que sa pauvre mère n'avait plus ses facultés ; mais en y réfléchissant, voici l'interprétation qu'elles donnèrent à ces deux mots
Tl y a dans le cimetière de Nohant, à l'angle de droite, appuyé au mut mitoyen qui le sépare du château, un petit enclos réservé, tout recouvert de broussailles et de plantes folles qui cachent ]a tombe du père et de la grand'mère de Madame Sand'. Quand on entre dans cet enclos, on remarque une croix en marbre blanc, sans aucune inscription, et derrière cette croix, une stèle aussi de marbre blanc. Ces deux petits monuments funéraires furent érigés par Maurice et par Madame Clésinger lors- qu'on yinhuma les restes de son enfant, transfêrés de Paris, vers 1855, en l'absence de Madame Sand Z. Celle- ci, àson retour à Nohant, vit ces ornements tumulaires avec regret, ayant toujours préféré, dit-elle, au marbre, de la verdure pour des tombes.
D'après un des récits 3 qui me furent faits, Madame
I. Dans Le Monde Illurtré du 17 juin 1876, o~ voit un dessin de Srott gravé par Mêaullc qui apporte une confirmation, en montrant des tombes envahies par les plantes folles et des fleurs. (G. L.).
2. Inexact les restes de Jeanne Clésinger n'ont pas été « transEérës », mais amenés ditectemem de Paris. Morse dans la nuit du 13 au 14 janvier 1855, l'enfam a écé enrerrée le 16 à Nohanr. Ce n'était absolument pas en !'abrence de George Sand : voir t. X1II, p. 26, n. 2. Mais les < ornements » de la tombe on été apportés par Solange à l'anniversaire, le 13 janvier 1856. G. Sand était en effet à Paris à ce moment. Voir sa réaction au t. XIII, p. S05 (lettre ~° 6991) et 509-510 (lettre n° 6994).
L'autre monumen[ esc celui de Marc-Antoine, mor[ en 1864 à Guillery et transféré vers 1865, donc beaucoup plus tard. (G. L.j.
3. Ce récit est celui du Dr Pestel, qui s'exprime ainsi (on relèvera les différences) : ~ Mme Solange avait trouvé quelques jours auparavant dans un petit sachet de satin bleu un écrit de sa mère, daté de 1857 ou 1858, qui commençait ainsi : s Ceci esc l'expression des mes dernières volontés. La mort n'étant pas un malheur, mais une dêlivrance, je ne veux sur ma tombe aucun emblème de deuil, je dêsire au contraire qu'il n'y ait que des fleurs, des arbres et de La verdure », puis elle indiquait les détails relatifs à son enterrement, mais il n'était nullement question d'enterrement civil. A cette époque, elle voulait être enterrée dans le cimetière de Ceaulmont près de
686 Solange, lorsqu'elle arriva à Nohant, aurait trouvé, dans un petit sachet de satin bleu, un écrit de sa mère daté de 1857 ou 1858, qui commençait ainsi : « La mort n'ëtant pas un malheur, mais une délivrance, je ne veux sur ma tombe aucun emblème de deuil, je désire, au contraire, qu'il n'y ait que du gazon et des fleurs, des arbres et de la verdure. »Cet écrit aurait été déchiré peu après. Je n'ai pu contrôler ces détails. Mais lors des promenades que je fis avec Madame Sand, ou quand nous allions préparer un herbier des plantes mentionnées dans ses romans champêtres, il nous arriva plusieurs fois de passer devant cet enclos. Un jour que rentrant au château nous traversions le cimetière, Madame Sand s'arrêta un instant pour me fournir quelques détails sur ce lieu, en réponse à mes questions. Elle me donna alors à entendre que son désir serait d'avoir une sépulture cachée sous le feuillage comme celle de sa grand'mère. C'est évidemment à cette pensée que se rapportaient les paroles :Laissez verdure, qu'elle prononça la veille et le jour de sa mort t.
Lorsque nous arrivâmes à Nohant, les restes de l'illustre défunte étaient déjà exposés, sut son lit, dans sa chambre à coucher, le visage tout couvert de fleurs. Dumas, montrant plus de courage que moi, voulut la voir une dernière fois. Il me dit en descendant que la main droite, mignonne et polie comme l'ivoire, seule n'ëtait pas recouverte.
Ce fut Madame Clésinget qui, aidée de Solange Marier, pieusement donna aux restes de sa mère les derniers soins.
Elle passa dans la chambre mortuaire toute la nuit du 8 au 9 juin. Avec elle s'y rendirent successivement les jeunes
Gatgilesse. Plus tard, paraît-il, elle avait voulu l'être à Palaiseau. n (W. K., p. 619).
Il est bien étrange que ce document capital n'ait ëté vu par personne que Solange, et ait disparu sans laisser de traces, s'il a vraiment existé ailleurs que dans ]'imagination de Solange. On va voir qu'Harrisse reste dubitatif. (G. L.)
1. La veille, oui, mais non le jour de sa mort, comme on l'a vu plus haut (G. L.).
687 Simonnet, le docteur Favre, Aucante, MM. Amic et Plauchut.
La nuit suivante, les servantes seules veillèrent ; la décomposition, hélas ! était tellement avancée, qu'elles durent se tenir dans le cabinet de travail adjacent. Mais quand on l'ensevelit, les traits de notre pauvre amie parurent bien moins altérés que la veille.
Le samedi, 10 juin, je descendis de bonne heure au salon du docteur. Je l'engageai vivement à mettre par écrit tout ce qui s'était passé sous ses yeux pendant la maladie de Madame Sand. II me le promit'.
A dix heures, mes compagnons et moi nous reprîmes, par une pluie battante, la route de Nohant, où nous déjeunâmes en compagnie du prince Napoléon, de Renan et de Flaubert, arrivés le matin même. Les amis, les invités, les curieux, des reporters envoyés pat le Figaro et le Bien public, se promenaient dans le jardin. Ils discu- taient la nouvelle qui venait de nous être communiquée que Madame Sand serait enterrée selon les rites de la religion catholique. Tout le monde parut étonné et on se demandait à qui il fallait attribuer l'initiative de cette cérémonie inattendue. J'allai aux renseignements.
Les parents et les amis de la famille croyaient que le testament contiendrait une clause formelle ordonnant des funérailles civiles ; non que Madame Sand affichât des sentiments anti-religieux ;mais son opinion sur les prêtres, ou plutôt sur le bas-clergé Z, était défavorable.
Dumas et Aucante, auxquels elle avait de son vivant confié d'importants papiers, ayant eu à interroger M` Ladre, son avoué à La Châtre, ou M` Moulin son notaire, sur les dernières dispositions de la défunte â l'êgard de ces documents, apprirent que, par un codicille, la garde leur en était maintenue 3. Bn même temps, ils furent
1. Ce que le Dr Pestel fit avec conscience .dans le but de fixer (ses] souvenirs personnels :, a-t-il déclaré (W. K., p. 610).
2. Ceci serait discutable : George Sand a eu des relations sympathiques avec plusieurs curés de campagne : Rocher, Many, Clément, par exemple. (G. L.).
3. Voir ce codicille (qui concerne la conservation et lz publication éventuelle des écria manuscrits qui se trouveront dans le domicile principal et dans les
688 informés que le testament ne renfermait aucune disposition déterminant la manière dont elle voulait être inhumée.
La question de l'enterrement fut alors agitée par les membres de la famille, auxquels vinrent s'adjoindre le Dr Favre, MM. Aucante et Plauchut.
Dès le 7 juin, dans la soirée, Madame Solange, prévoyant la fin prochaine de la malade, avait consulté MM. Simonnet et Cazamajou sur le mode d'enterrement qu'il conviendrait de préférer. Chacun d'eux lui répondit : «Mais je pense que ce sera un enterrement civil. » Telle n'était pas l'opinion de Madame Solange.
Un des amis de la famille' donna son mot. Il dit que Madame Sand devait être enterrée civilement ; que ses opinions l'exigeaient ;que faire autrement serait lui aliéner tout le parti républicain ; que du reste Madame Sand était allée à l'enterrement civil de Sainte-Beuve, étant la seule femme qui s'y trouvât, que c'était là, de sa part, une sorte de déclaration.
Madame Solange lui répondit que d'abord Madame Sand n'était pas la seule femme qui se fût rendue aux obsèques de Sainte-Beuve Z :que si elle y était allée, c'était à cause de Sainte-Beuve et non dans l'idée d'adhérer à un enterrement civil3 ; qu'au contraire, dans bien des circonstances sa mère s'était moquée de gens qui se faisaient inhumer ainsi ;dernièrement encore à l'occasion de l'enterrement civil à Châteauroux d'un nommé Patu- teau-Francoeur4.
résidences au jour du décès) au tome XX, p. 304-305, n" 13229. La garde et l'usage éventuel est confié à Maurice. ll n'y est pas question des documents confiés à Aucante et Dumas (la correspondance avec Alfred de Musset) par lettre du 10 mars 1864 (t. XVIII, p. 31]-314, n° 10747). Mais le codicille en question n'annule pas la mission confiée en 1864. (G. L.).
]. Cet ami esc Plauchut, d'après les Notes du D' Pestel (W.K., P. 617)
2. Exact :nous savons par l'Agenda que se trouvaient aussi aux obsèques du critique Solange elle-même, Mme Brétillot son amie, Mme Ratazzi (t. XXI, p. 80, n. 1). (G. L. )
3. Note d'Harrisse : « ... Aux obsèques de Sainte-Beuve, Madame Sand fut tout le temps à mon bras, et elle ne dit absolument tien du caractère de la cérémonie. »
4. Contrairement à ce que croyait Karénine, il ne s'agit pas de Jean Patureau-Francæur, mort et enterré en Algérie en ]868, mais de son fils Joseph, mort à Châteauroux le 1°' janvier 1876. Laissons à Solange La
689 Madame Lina répondit à Solange : «Madame Sand n'a jamais exprimé devant moi d'intentions à ce sujet. J'ai fait enterrer civilement mon père, parce que cela me regardait. Il s'agit de votre mère ; c'est à vous à régler cette question avec Maurice'.
Maurice inclinait pour un enterrement civil. Sa soeur lui demanda s'il avait des instructions de sa mère, il répondit que non. Elle insista alors pour que Madame Sand fût inhumée religieusement, disant que si elle eût désiré être enterrée civilement, disant, elle n'aurat pas manqué de le dire.
La famille Simonnet, M. Cazamajou et le docteur Favre, qu'on croyait libre penseur, se rangèrent de cet avis z. Il ne fallait pas, dirent-il, par un enterrement civil choquer les sentiments religieux de la population au milieu de laquelle Madame Sand avait toujours vécu et allait avoir sa dernière demeure.
Le docteur Papet, consulté, dit à Madame Solange que s'il y avait un enterrement civil, ni lui ni sa famille ne s'y rendraient.
Sur les instances du docteur Favre, Maurice consentit à un service religieux. Et lorsque, après la cérémonie funèbre,
responsabilité de son affirmation surprenante, car G. S. a assisté à l'enterre- ment sans prêtre de Maillard le 25 janvier 1865, et y a fait lire un adieu préparê par elle ; et n'a-t-elle pas fait enterrer Manceau de la même manière ? Il semble qu'aucun des assistants n'a pensé à cet argument. (G. L.)
1. Voici la note de Lina sur ce problème : a J'étais à mille lieues de penser que Mme Sand passerait par l'église, je fus donc stupéfaite quand, dans la matinée qui suivit ]a mort, je fus appelée par Solange, Simonnet et Cazamajou, qui me prouvèrent qu'il valait mieux enterrer religieusement Mme Sand. Je regimbai violemment, mais, tout entière à mon chagrin, je leur répondis de s'adresser à Maurice, que cela le regardait, que de son vivant j'avais droit de la protéger, qu'après sa mort cela regardait les enfants. Je comptais sut Maurice, loin de croire qu'il accëderait aux raisonnements de Solange et de Simonnet. Ce dernier, pour me faire céder, m'assura que mes filles ne se marieraient pas, si je faisais obstacle à l'acte religieux. Je suis persuadée que George Sand, qui avait un écrit lorsqu'elle était chez des amis, n'a pas voulu en avoir à Nohant, de peur d'un conflit entre Solange et son frère. LtNn. > (W. K., p. 622).
2. Note du Dr Pestel : a Mme Clésinger, la famille Simonnet, M. Cazamajou, le docteur Favre se prononcèrent énesg:'que~nent pour un enterrement religieux. a (W. K., p. 627).
690 Papet vint prendre congé de Maurice, ce dernier lui dit, avec une grande émotion : « Es-tu content ?les choses se sont-elles passées selon ton désir ? —Oui, répondit le plus ancien et le plus fidèle ami de Madame Sand, je trouve que tout s'est passé pour le mieux. »Maurice lui serra la main avec effusion t.
L'abbé Villemont, curé de Vic, connaissait Madame Sand personnellement. Il avait même récemment déjeuné et passé toute une après-midi au château, et pendant la maladie de notre amie il était venu chaque jour demander de ses nouvelles ; se promenant même dans le jardin, sous les fenêtres de la maison en lisant son bréviaire, avec l'espoir sans doute, qu'au moment suprême, elle le ferait demander. Bien que Madame Sand eût conservé toute sa raison, elle ne dit pas un mot à ce sujet. Si elle avait manifesté le désir de voir un prêtre, le respect de son fils et de sa bru pour toutes ses volontés était tel, que, malgré leur sentiment à cet égard, ils n'eussent pas hésité à y obéit. D'autre part, MM. Aucante et Plauchut éloignèrent l'abbé Villemont, pensant que sa présence à Nohant, si elle était connue de Madame Sand, ne pourrait que l'attrister sans la décider jamais à recourir à ses bons offices.
Aussi lorsque Solange, après qu'elle lui eut fermé les yeux, demanda pour le corps de sa mère l'entrée de l'église à l'abbé Villemont, celui-ci ne crut pas devoir
I. Étrange rëaction. Quelle que soit l'opinion personnelle que l'on a sur ]e fond du problème. On ne peut que s'ëtonner de cette recherche d'une approbation. Maurice n'avait pas à se faire dicter sa décision par tel ou tel, mais à faire ce que lui conseillaient aussi bien Paulin de Vasson qu'Amie Le premier répondait à ses interrogations : a ]l faut consulter Mme Sand. Elle est morte, mais les immortels laissent leurs æuvres et la réponse aux questions qu'on peut leur poser ». L'autre : e Je ne veux pas, me dit M. Maurice, que ma mère soit enterrée comme un chien. —Mais vous n'avez pas à vouloir, répliquai-je, mais à observer la volonté de Mme Sand exprimëe ici même devant tous lors de l'enteaement de M. Duvernet. » (W. K., p. 621). Pour Amie, Kazénine ne donne pas de référence ; il faut supposer qu'il s'agit de confidences verbales. Dommage, car on aurait aimé savoir ce qu'avait dit G.S. de l'enterrement de Duvernet. Elle n'y est pas allée, selon l'Agenda. Mais elle a dû faire ses rêflexions devant Amic, qui était arrivé à Nohant le 14 octobre 1874, cinq jours avant les obsèques. (G. L.)
691 l'accorder avant d'en avoir obtenu la permission de l'archevêque de Soutges. De là un échange de dépêches télégraphiques de Solange avec le cardinal de la Tour d'Auvergne, qui n'hésita pas à accorder l'autorisation demandée.
Sut ces entrefaites, il se produisit un contretemps. La bière en plomb envoyée de Paris s'étant trouvée trop petite, on avait été obligé d'en faire venir une autre, laquelle n'arriva que très peu de temps avant l'heure fixée pour les obsèques.
Vers les onze heures et demie, le cercueil fut descendu dans le vestibule du château, et exposé une heure durant recouvert d'un drap monuaire à croix d'argent. Lorsque je m'approchai, la cour était presque remplie de paysannes, la tête couverte de leur capeline, et je crois en avoir vu plusieurs asperger la bière d'eau bénite. Matie Caillaud' se trouvait à la gauche du cercueil, distribuant des brindilles de laurier, en guise de buis, à tous ceux qui s'approchaient.
Entre midi et demie et une heure, le corps fut levé et portê à bras dans la petite église par des paysans vêtus d'un Barreau bleu. Ils étaient précédés du prêtre, homme encore jeune. Derrière lui, venait un vieillard en blouse, qui portait un cierge et psalmodiait Z. Le prince Napoléon tenait d'une main un des cordons du poêle et de l'autre une des petites branches de laurier 3.
Le convoi entra dans l'église ;mais comme elle était déjà presque remplie, pat des paysannes, ceux qui suivaient ne purent s'y placer, et refluant au dehors, ils vinrent se mêler aux villageois et à quelques ouvriers venus de La Châtre, qui se tenaient sur la place, tête nue, par la pluie et le vent. Il y avait en tout environ deux cents personnes.
1. Les lecteurs de la Correspondance connaissent Marie Caillaud, qui avait longtemps fait parie du personnel de Nohant, et qui souvent joua des rôles sur le petit théâtre. Elle ëtaic passée au service de Solange à Moncgivray. L'idée des brins de laurier à jeter sur ]e cercueil était une idée de Lina. (G. L.)
2. Le père Carnat, sonneur et fossoyeur. (G. L.)
3. Les autres cordons ëtaienc tenus paz Oscar Cazamajou, René Simonnec et Alexandre Dumas fils. (W. K., p. 602).
692 Nous remarquâmes l'absence de Hetzel, de Marchal, de Charles Edmond et du directeur de l'Odéon'.
La pluie ne cessait de tomber. On entendait de la place les chants et le service religieux, qui dura peu de temps. Sans attendre la sortie, j'allai au cimetière. Le nouveau caveau de l'enclos était béant. Commencé la veille, on venait à peine de le terminer. Des paysans et le maçon en admiraient la solidité et le ciment.
C'est une simple voûte en briques, construite au milieu du terrain réservé, et dont le sommet ne dépasse pas le niveau du sol. A la gauche de l'entrée du caveau, cachées sous des broussailles, sont, côte à côte, les dalles qui recouvrent les restes du père et de la grand mère de Madame Sand. (Sa mère est enterrée à ParisZ.) Une des deux tombes s'étend un peu sous le mur qui sépare le cimetière de la cour du château. Un très beau cyprès s couvre ces tombes de ses rameaux,
La porte de communication, récemment pratiquée dans le mur mitoyen, se trouvait ouverte. Vers une heure, la procession funèbre, précédée d'un enfant de choeur portant la croix, et du prêtre revêtu d'une étole violette très usée, franchit la porte et vint se placer près du caveau. Les autres assistants se répandirent dans le cimetière, mais les places les plus rapprochées échurent à des gens complète- ment étrangers.
Après quelques courtes prières, le précre, l'enfant de choeur et le chantre se retirèrent. Un homme assez âgé, que j'appris être M. Périgois 4, conseiller général de l'Indre
1. Le manuscrit d'Hauisse était rédigé autrement : a Nous remarquâmes l'absence de Marchal, de Duquesnel (le directeur de l'Odéon), de Hetzel et de Charles-Edmond Choïecki (du Tempr), le fait est que ce sont tous les quatre de prodigieux égoïstes. m (W. K., p. 628).
Henri Amic inscrit Charles-Edmond dans la liste des assistants (George Sand. Mer rouvenirr, p. 231). Qui des deux se trompe ? (G. L.)
2. Elle était enterrée au cimetière Mon martre (et non au Père-Lachaise, comme le croyait Karénine). Depuis, ses restes ont é[é ramenés à Nohant. (G. L.)
3. Ce cyprès est un if.
4. Le manuscrit d'Harrisse est rédigé autrement : a Un vieillard, que j'appris être M. Périgeois, avocat et conseiller général de l'Indre, républicain très avancé, de cette voix dolente qui est le trait distinctif de l'ëloquence
693 et républicain très avancé, lut d'une voix émue un discours retraçant en termes dignes et justes la vie parmi eux de l'illustre défunte.
Paul Meurice alors s'avança et, à son tour, il lut, lentement, de solennelle façon, les pages que Victor Hugo avait envoyées. Ce style, ces phrases toutes faites qui ne signifient absolument rien, produisirent un médiocre effet. Flaubert, lui, trouvait cette prosopopée sublime, et il m'avoua l'avoir déjà lue trois fois, chaque fois y découvrant de nouvelles beautés. Le prince Napoléon et Renan n'y virent qu'une ~ affaire de procédé, à la portée de tout littérateur possédant un copieux lexique ».
Le prince s'était proposé de prendre la parole. Dumas, de son côté, avait passé une partie de la nuit à écrire un discours'. Mais étant venus à penser qu'entre le clergé et Victor Hugo il n'y avait pas place pour eux, ils se turent.
Ce cimetiêre inculte, toutes ces paysannes enveloppées de manteaux, agenouillées et priant dans l'herbe humide ; le ciel gris, la pluie fine et froide qui vous fouettait le visage, ]e vent bruissant à travers le cyprès et se mêlant aux litanies du vieux chantre, me touchèrent bien plus que toute cette rhëtorique. Et cependant je ne pouvais m'empêcher de dite, à part moi, que la nature, en ce triste moment, devait bien à George Sand un dernier rayon de soleil !
J'allai faire mes adieux à Maurice et à sa femme. Me prenant les mains, Madame Lina me dit : «Bien qu'elle ne soit plus, vous nous restez, n'est-ce pas ? ~
Je cherchai alors Aurore et Gabrielle, pour les embrasser avant de partir. Les chères petites étaient à la grille du château, au milieu d'une foule de pauvres venus de tous
française et qui, à nous autres Anglais et Amêricains, semble si étrange et si factice, lut un discours, re[raçant en termes dignes et parfois touchants, la vie de l'illustre défunte. e (W. K., p. G29)
Né le ~5 avril 1819, Périgois avait 57 ans (et non 51 comme le dic Karënine). Le terme de vieillard paraît excessif. On voit qu'Harrisse a[ténua. (G. L.)
1. Le discours de Dumas parut dans le Figaro (11 juin 1879), dans !e Tempr (le lendemain).
694 les environs, occupées à distribuer des aumônes, selon leur coeur et suivant la touchante coutume du pays.
HENRY HARRISSE.
Septembre 1876.
- Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
- ISBN : 978-2-406-08500-3
- EAN : 9782406085003
- ISSN : 2258-8825
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08500-3.p.0677
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 14/12/2018
- Langue : Français