Avertissement
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Correspondance de l’abbé Grégoire avec son clergé du Loir-et-Cher. Tome I. 1791 à 1795
- Pages : 11 à 14
- Collection : Univers Port-Royal, n° 29
AVERTISSEMENT
Nous avons relaté, à plusieurs reprises, les circonstances particulières dans lesquelles nous sont parvenues les archives de l’abbé Grégoire et exposé les conditions qui président actuellement à leur consultation. Nous croyons devoir les rappeler brièvement ici. Avant même le décès de l’abbé, en 1831, deux groupes d’héritiers, prétendant être, chacun, les véritables dépositaires de ses papiers, lettres, manuscrits, se disputent la succession : l’abbé Baradère Jean, Henri (chanoine de Tarbes) et Duplès Pierre-Jean (conseiller à la Cour royale) se disant exécuteurs testamentaires d’une part, Mme Dubois Marie-Anne légataire universelle d’autre part. Les deux premiers revendiquent uniquement l’héritage spirituel (papiers, manuscrits), la seconde réclame l’intégralité de la succession, archives comprises. Les deux requérants Baradère, Duplès soulignent, dans leur plaidoyer, l’importance qu’attachait l’abbé, dans ses derniers moments, à sa correspondance. Il allait jusqu’à recommander qu’à sa mort on en retirât plusieurs missives de certains de ses ennemis déclarés, qui lui avaient prodigué, par ce canal, des marques d’estime et d’amitié, lesquelles restaient susceptibles de les gêner auprès d’un certain public. Ce procédé, dont les intentions honorent, certes, les scrupules de notre auteur ne sont pas de nature, on le devine, à satisfaire pleinement les exigences de l’historien. Dans la réalité, Mme Dubois gagna son procès et les deux plaignants furent déboutés, ce, sans doute, en raison du caractère purement oral des engagements pris en leur faveur par l’abbé mourant. Cependant, la destination ultime des archives Grégoire demeure mystérieuse et n’a jamais été pleinement élucidée. C’est vraisemblablement à la mort de Mme Dubois, en 1836, qu’eut lieu leur dispersion. Une enquête historique approfondie mériterait d’être conduite sur cette ténébreuse affaire, mais elle déborde complètement l’objet du présent propos et du livre que nous publions.
12En fin de compte trois dépositaires principaux revendiquent officiellement la possession des manuscrits, lettres et papiers de Grégoire : la famille Carnot, la Société de Port-Royal, la bibliothèque de l’Arsenal. Ces trois fonds contiennent des textes publiés ou non, des notes personnelles et surtout une volumineuse correspondance. Nous avons édité récemment une première anthologie (lettres A à J) d’un tiers des lettres reçues par Grégoire, conservées dans les archives Carnot. Le deuxième volume est en préparation, mais le champ, jusque-là exploré, se limite à la France, or nombre d’épîtres expédiées du monde entier (États-Unis, Russie, Angleterre, Allemagne, Chine…) attendent leur déchiffrement complet. Nous avons, par ailleurs, dépouillé intégralement le fonds déposé à l’Arsenal, moins volumineux mais plus riche en correspondance active et qui concerne, en grande partie, le combat de Grégoire contre l’esclavagisme et ses rapports avec la toute jeune république d’Haïti. Le troisième fonds, véritablement énorme, déposé à la bibliothèque de Port-Royal, et dont nous extrayons cette correspondance, regroupe dans une trentaine de cartons, les lettres reçues par l’évêque constitutionnel Grégoire, émanant de tous les diocèses et départements de France, entre 1791 et 1801. Cet ensemble monumental n’a jamais fait jusque-là, l’objet d’une investigation systématique. La publication que nous amorçons, ici, de la correspondance de Grégoire avec son diocèse de Blois (Loir-et-Cher), dont il fut évêque durant une décennie, constitue une première et modeste avancée dans cette vaste entreprise de déchiffrement. Celle-ci exigerait, d’ailleurs, pour être menée à terme, le concours de plusieurs chercheurs.
En compulsant les documents relatifs au Loir-et-Cher, nous avons découvert la lettre suivante qui constitue un témoignage important et apporte un éclairage complémentaire quoique indirect à l’histoire compliquée de l’héritage littéraire de Grégoire. Elle ajoute une pièce essentielle à l’acte juridique de quarante-et-une pages, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal1. Ce texte qu’on pourrait assimiler à un dépôt de plainte ou à une requête en suspicion légitime met aux prises les deux groupes d’héritiers ci-dessus mentionnés, se prétendant les véritables dépositaires de ses papiers, manuscrits et lettres : Baradère 13et Duplès d’une part, Mme Dubois d’autre part. Même si, comme déjà indiqué, Mme Dubois gagna son procès, on constate d’après le document ci-après que les deux autres protagonistes ont poussé très loin leur opposition aux prétentions de cette dernière et justifié passionnément leur propre revendication. Duplès, en raison de ses compétences juridiques, figure l’acteur principal de cette entreprise, bien qu’il n’ait fréquenté, qu’au cours de la dernière période, l’entourage immédiat de Grégoire. Il dut cette tardive et relative intimité à la mémoire de son oncle Pierre-Jean Agier, juriste célèbre, qui avait été naguère l’un des proches amis de l’abbé et avait contribué, par ses écrits, à façonner la pensée de celui-ci sur plusieurs sujets. L’abbé Jean Baradère, originaire de Tarbes, un des fidèles du clergé constitutionnel, est resté célèbre pour avoir assisté l’évêque dans l’ultime étape de sa vie, et pour avoir rédigé une relation détaillée de ses derniers instants, puis de sa mort2. Le document juridique pré-cité, conservé à l’Arsenal, donne une certaine idée de la tension progressive, voire de l’hostilité, qui s’était peu à peu développée entre ces deux derniers protagonistes de l’affaire et Mme Dubois elle-même. La mise en demeure adressée à M. Bourgoin, négociant parisien, indique que Baradère et Duplès avaient fait transporter, chez lui, les archives de Grégoire, afin de les soustraire à la mainmise de la gouvernante et de ses amis. Comme le procès leur a donné tort, nous ignorons les conditions dans lesquelles ces derniers purent les récupérer et selon quelles modalités elles furent dispersées à la mort de Mme Dubois en 1836. La lettre que nous reproduisons ci-dessous s’est trouvée insérée dans la liasse du Loir-et-Cher, conservée à la Bibliothèque de Port-Royal. Bien quelle soit, par son contenu, étrangère à la correspondance qui suit, nous estimons nécessaire dans un souci d’objectivité, de la porter à la connaissance du lecteur.
14[Document non coté]
Lettre postérieure à la mort de Grégoire, concernant les objets que celui-ci a laissés en héritage, signée de deux exécuteurs testamentaires : l’abbé Baradère et Duplès.
Paris, le 6 Juillet 1831.
Adressée à M. Bourgoin, Négociant
Rue St Denis no 228 à Paris.
Monsieur,
Comme nous pouvions le craindre, quelques intrigants se sont interposés entre Madame Dubois et nous. Nous venons donc, Monsieur, vous prier de ne vous dessaisir d’aucun des papiers, livres, documents confiés à votre foi par nous, d’après les recommandations pressantes de M. Grégoire. Vous ne devez même ne connaître comme autorisés à en prendre communication que ceux qui seraient porteurs d’un mot de moi ou de M. Baradère.
Nous n’en exceptons ni Madame Dubois ni les personnes qui se présenteraient de sa part avec ou sans un mot d’écrit. Vous concevez l’utilité de la mesure que nous croyons devoir prendre.
Ce ne sera aussi qu’à nous, nous vous en prions, que vous remettrez l’état et la décharge des objets que feu M. l’Évêque de Blois a voulu qui fût confié à votre garde.
Agréez, Monsieur, les nouvelles assurances de notre considération distinguée.
Les exécuteurs testamentaires de M. Grégoire, ancien évêque de Blois.
Duplès [Pierre, Jean]
Baradère [Jean, Henri].
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-06236-3
- EAN : 9782406062363
- ISSN : 2491-2530
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06236-3.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/04/2017
- Langue : Français