Annexe n° 3 Extrait du Traité de la comédie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Théâtre. Tome III
- Pages : 601 à 603
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 97
ANNEXE no 3
Extrait du Traité de la comédie
La Mort de Pompées’est attiré de violentes critiques du Prince de Conti dans son Traité de la comédie1. Nous les donnons ici :
[…] L’amour n’est pas le seul défaut de la Comédie, la vengeance et l’ambition n’y sont pas traitées d’une manière moins dangereuse. Comme ces deux passions ne passent dans l’esprit de ceux qui ne se conduisent pas par les règles de l’Évangile, que pour de nobles maladies de l’âme, surtout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes : les poètes se rendant d’abord esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs héros. Comme ces deux passions ne passent dans l’esprit de ceux qui ne se conduisent pas par les règles de l’Évangile, que pour de nobles maladies de l’âme, surtout quand on ne se sert pour les contenter que des moyens que le monde trouve honnêtes : les poètes se rendant d’abord esclaves de ces maximes pernicieuses, en composent tout le mérite de leurs héros. […]. La vengeance n’est-elle pas encore représentée dans Cornélie comme un effet de la piété, et de la fidélité conjugale jointe à la force et à la fermeté Romaine, au troisième acte de la mort de Pompée, scène quatrième, lors qu’elle dit à César :
C’est là que tu verras sur la terre et sur l’onde
Le débris de Pharsale armer un autre monde :
Et c’est là que j’irai pour hâter tes malheurs,
Porter de rang en rang ces cendres et mes pleurs,
Je veux que de ma haine ils reçoivent des règles,
Qu’ils suivent au combat, des urnes au lieu d’aigles ;
Et que ce triste objet porte à leur souvenir
Les soins de me venger, et ceux de te punir.
602On ne peut pas dire qu’en cet endroit le poète ait voulu donner de l’horreur de la vengeance, comme il a voulu en donner de celle de Cléopâtre dans Rodogune ; au contraire c’est par cette vengeance qu’il prétend rendre Cornélie recommandable, et la relever au-dessus des autres femmes, en lui faisant un devoir, et une espèce même de piété, de sa haine pour César, qui attire le respect, et qui la fasse passer pour une personne héroïque. Mais il ne croit pas que sa vertu soit dans un degré assez haut, s’il ne fait monter sa piété vers Pompée, jusques à l’impiété et au blasphème vers les Dieux de l’antiquité, car il la fait parler dans la première scène du cinquième acte, aux cendres de son mari, en cette manière ;
Moi je jure des Dieux la puissance suprême,
Et pour dire encore plus, je jure par vous-même ;
Car vous pouvez bien plus sur ce cœur affligé
Que le respect des Dieux qui l’ont mal protégé.
Et sur la fin de la scène quatrième du même acte :
J’irai, n’en doute point, au partir de ces lieux,
Soulever contre toi les hommes et les Dieux :
Ces Dieux qui t’ont flatté, ces Dieux qui m’ont trompée ;
Ces Dieux qui dans Pharsale ont mal servi Pompée,
Qui la foudre à la main l’ont pu voir égorger :
Ils connaîtront leur crime, et le voudront venger ;
Mon zèle à leur refus, aidé de sa mémoire,
Te saura bien sans eux arracher la victoire.
Ce serait une fort méchante excuse à cette horrible impiété, de dire que Cornélie était païenne, car cela prouve seulement qu’elle se trompait, en attribuant la divinité à des choses qui ne la possédaient pas, mais cela n’empêche pas que, supposé qu’elle leur attribuât la divinité, elle n’eût pas des sentiments effroyablement impies. Cette estime pour Cornélie que le poète a voulu donner en cet endroit aux spectateurs, après l’avoir conçue lui-même, vient du fonds de cette même corruption qui fait regarder dans le monde comme des enfants mal nés et sans mérite, ceux qui ne vengent pas la mort de leur père, ou de leurs parents, en sorte que le public attache souvent leur honneur à l’engagement de se battre contre les meurtriers de leurs proches ; qu’on les élève dans de si horribles dispositions, et qu’on mesure leur mérite à la correspondance qu’on 603trouve en eux, aux sentiments qu’on prétend leur donner, que ces sortes de représentations favorisent encore d’une manière pathétique, et qui s’insinue plus facilement que tout ce qu’on pourrait leur dire d’ailleurs.
1 Traité de la Comédie, Paris, Billaine, 1666, p. 39-41.
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN : 978-2-406-14286-7
- EAN : 9782406142867
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14286-7.p.0601
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/04/2023
- Langue : Français