The poet and the lynx Rino Cortiana (1944–2022)
- Publication type: Journal article
- Journal: Constellation Cendrars
2023, n° 7. varia - Author: Leroy (Claude)
- Pages: 15 to 19
- Journal: Cendrars Constellation
Le Poète et le lynx
Rino Cortiana (1944-2022)
Fig. 1 – Rino Cortiana. © Ysenquin.
Élégance est le mot qui vient aussitôt à l’esprit quand on songe à Rino Cortiana. Une élégance qui donnait de l’allure à chacune de ses entreprises, sa relation aux autres et son attention aux textes, le choix de ses vêtements et son geste d’écriture, et cette gaieté contagieuse qui laissait parfois entrevoir ce qu’elle masquait de violence et de mélancolie. Mais c’était une élégance aux antipodes du dandysme dont le dédain qui retranche et la morgue qui impose n’étaient pas les siens. À force de sourires, de boutades et de pirouettes, il se donnait un air de désinvolture qui pouvait donner le change. C’était chez lui une forme de politesse. Derrière les manières affables du joyeux compagnon, se dissimulait un 16solitaire qui avait le culte de l’amitié sans l’afficher. Remarquable cuisinier (comme son ami Frédéric Jacques Temple), il régalait ses visiteurs de délicieuses préparations de pâtes. Connaissant comme sa poche les meilleurs restaurants de Venise et tous ses bistrots, il sacrifiait chaque jour et toujours en compagnie au rite de l’ombra, cet apéritif de l’amitié.
Né à Valli di Pasubio en 1944, Rino Cortiana a fait ses études à l’université Ca’ Foscari de Venise où, par la suite, il enseignera toute sa vie jusqu’à atteindre le plus haut grade de « professore ordinario ». Universitaire, poète et traducteur, son nom s’est fait connaître sous trois signatures qui sont les variations d’une même exigence. Dès ses débuts, l’alternance de ces pratiques balise son parcours et lui donne son originalité. Tôt reconnu, lauréat du prix Eugenio Montale en Italie et du prix Blaise Cendrars en Suisse (1988), il ne posait pas au poète et il se gardait de tenir discours sur le long et lent travail d’écriture qui le hantait. Brève, dense, elliptique, d’un abord difficile, son œuvre comprend pour l’essentiel cinq recueils : L’Azzurro di Giotto (1983), La Tela e il drago (1989 ; La Toile et le dragon. Hommage à Carpaccio, traduit par F. J. Temple, 2004), Venezia Venusia Vanesia (2002), Lynx Lynx (2005), Fili di Storia dalla tela della Conquista (2017). Poète, il aime dialoguer avec ses peintres, Giotto, Carpaccio, Poussin. Et la toile de Bayeux fait l’objet de son dernier recueil.
Spécialiste de littérature française, Rino a commencé par un mémoire sur Les Poètes de la Commune (1971). Ont suivi notamment des travaux sur le roman noir et une thèse sur Jacques le fataliste de Diderot (1983). Mais c’est à la poésie moderne et contemporaine qu’il va consacrer l’essentiel de ses travaux, et d’abord aux avant-gardes historiques (futurisme, dada, simultanéisme). C’est l’histoire de la modernité en France et en Italie, de ses figures et de ses mythes, qui oriente ses recherches. Attentif à la structure d’horizon, à l’espace de la page, au regard qui écrit ou au travail de la typographie, au fil de ses analyses, il s’est tourné vers Tardieu, Soupault, Char, Jaccottet, Bonnefoy, Bernard Noël, du Bouchet, Roubaud ou Réda. Mais ce sont ses travaux sur la poésie de Cendrars, et plus récemment sur celle de Temple, qui font autorité.
En 1987, Rino Cortiana a rejoint les amis de Cendrars en organisant un premier colloque à Venise. Dès lors il n’a cessé de se rendre du monde entier au cœur du monde que sera toujours Venise pour lui. La liste des nombreux colloques internationaux auxquels il a pris part s’égrène comme une litanie de la Prose du Transsibérien : Venise, Cerisy-la-Salle, 17Grenoble, São Paulo, Méréville, Monpazier, Varsovie, Saorge, Péronne, Lausanne, Paris, Limoges, Le Tremblay-sur-Mauldre, Sofia, Valenciennes, Pau, Nanterre, Palerme, Montpellier… À l’image du poète, le chercheur n’étalait pas la boulimie d’information théorique et l’exigence que révèlent ses recherches et sa bibliothèque. Dans les colloques, il mettait même une sorte de point d’honneur, parfois déroutant, à paraître improviser sur le motif, ce que démentaient les textes qu’il remettait par la suite.
Quand on lit les poèmes de Cendrars en italien, c’est sous sa plume, Dal mondo intero (1980), Al cuore del mondo (1992). Et la bonne vingtaine d’articles (en revues ou lors de colloques) qu’il lui a consacrés en français font de lui un des grands spécialistes de la poésie du bourlingueur. On trouvera ci-dessous, pour la première fois, un état bibliographique complet de ses travaux, indispensable à toute nouvelle entreprise critique. N’y manque pas le livre fantôme qu’on attend d’un fervent de l’auteur de La Légende de Novgorode. On cherchera en vain aux éditions Minard l’essai sur la poésie de Cendrars qui fut dûment annoncé et devait préluder au très réel Attorno alla poesia di Cendrars. Simbolismo, modernità e avanguardie (2012).
Rino Cortiana et Frédéric Jacques Temple auront été les auteurs d’une entreprise qui n’a pas dû connaître beaucoup de précédents : les deux poètes se sont traduits l’un l’autre. Par un geste complice, ils se sont offert leurs ouvrages en 2015, à l’occasion du colloque de Cerisy-la-Salle consacré à l’aîné, Lynx lynx chez Jacques Brémond, Poesie à Cafoscarina. Ajoutons enfin que Cortiana, traducteur rare, a contribué à faire connaître Parole de Jacques Prévert en Italie.
Dans son univers, Lynx lynx et le fauve qu’il célèbre tiennent une place de prédilection. Plus encore qu’un totem, le lynx toujours aux aguets, mystérieux, insaisissable, apparaît comme un double du poète ou peut-être comme une compagne idéale puisque la langue italienne donne à la lince une identité féminine :
un songe de griffes
vers le matin
à moitié réveillé
à moitié gelé sous le givre
Claude Leroy
18Bibliographie des travaux français
de Rino Cortiana sur Cendrars
« Contrastes de la Modernité », Blaise Cendrars (colloque de Cerisy-la-Salle), M. Chefdor, C. Leroy et F. J. Temple éd., Sud, 1988, p. 265-278.
« L’incendie d’Éphèse », Le Texte cendrarsien (colloque de Grenoble), J. Bernard éd., Grenoble, CCL, 1988, p. 233-246.
« “Venise” ou le livre à la dérive », Bourlinguer à Méréville (colloque de Méréville), C. Leroy éd., Paris, Minard / Lettres modernes, série « Blaise Cendrars », no 3, 1991, p. 15-26.
« La guerre et La Guerre au Luxembourg », Blaise Cendrars et la guerre (colloque de Péronne), C. Leroy éd., Paris, Armand Colin, 1995, p. 109-117.
« La Tour et le centre », Cendrars, le bourlingueur des deux rives (colloque du Centre culturel suisse de Paris), C. Leroy et J.-C. Flückiger éd., Paris, Armand Colin, 1995, p. 55-63.
« Le journal dans le poème », Cendrars au pays de Jean Galmot (colloque de Monpazier), M. Touret éd., Rennes, PUR « Interférences », 1998, p. 57-68.
« Cendrars, Marinetti et le Brésil », Brésil, l’Utopialand de Blaise Cendrars (colloque de São Paulo), M. T. de Freitas et C. Leroy éd., Paris, L’Harmattan, 1998, p. 163-180.
« Le verbal et le non verbal, Cendrars et Picabia », La Fable du lieu, (colloque du Tremblay-sur-Mauldre), M. Chefdor et J.-F. Thibault éd., Paris, Champion, 1999, p. 181-197.
« Autour des Sonnets dénaturés de Blaise Cendrars », Blaise Cendrars au vent d’est (colloque de Varsovie), H. Chudak et J. Zurowska éd., Varsovie, PUV, 2000, p. 169-192.
« Cendrars et le futurisme », Cendrars et les arts (colloque de Valenciennes), M. T. de Freitas et E. Nogacki éd., Valenciennes, PUV, 2002, p. 49-64.
« Cendrars et les temps de l’avant-garde : le jazz et ses ré-percussions », Blaise Cendrars au carrefour des avant-gardes (colloque de Sofia), C. Leroy et A. Vassileva éd., ritm, no 26, 2002, p. 77-98.
« Mais la poésie est… extrême synthèse », poème, Continent Cendrars, no 11, Genève, Slatkine, 2004, p. 45.
« Des hommes sont venus : pour une géopoétique du Brésil chez Cendrars », Blaise Cendrars. Bourlinguer en écriture : Cendrars et le Brésil (colloque de Pau), N. Laporte et E. Viana-Martin éd., Méthode !, no 12, Vallongues, 2007, p. 57-64.
19« L’objet de la modernité », Cendrars à l’établi 1917–1931 (colloque de Nanterre), C. Leroy éd., Paris, Éditions Non Lieu, 2009, p. 118-127.
« Séquences : “un péché de jeunesse” », L’imaginaire poétique de Blaise Cendrars (colloque de Varsovie), H. Chudak éd., Varsovie, PUV, 2009, p. 11-38.
« Excusez-moi la mauvaise écriture : autour de la correspondance entre Blaise Cendrars et Giuseppe Raimondi », Blaise Cendrars et ses contemporains entre texte(s) et contexte(s) (colloque de Palerme), M. T. Russo éd., Palerme, Flaccovio Editore, 2011, p. 93-107.
« L’encre d’Orion », poème, Aujourd’hui Cendrars (colloque de Lausanne), M. Boucharenc et Ch. Le Quellec Cottier éd., Cahiers Blaise Cendrars, no 12, Paris, Champion, 2012, p. 101.
« “Sur la robe elle a un corps”. Poème-manifeste de Blaise Cendrars ? », À la rencontre… Affinités et coups de foudre, M. Boucharenc et M.-P. Berranger éd., Presses universitaires de Paris Ouest, 2012, p. 427-438.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15783-0
- EAN: 9782406157830
- ISSN: 2557-7360
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15783-0.p.0015
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-18-2023
- Periodicity: Annual
- Language: French