Annexe n° 4 Lettre du comte De Maistre aux rédacteurs de L’Écho des Alpes maritimes, publiée dans le numéro du 23 janvier 1848
- Prix départemental de la recherche historique des Alpes-Maritimes 2015
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Ce que publier signifie. Une révolution par l’encre et le papier, Nice (1847-1850)
- Pages : 681 à 682
- Collection : Les Méditerranées, n° 13
Annexe no 4
Lettre du comte De Maistre aux rédacteurs
de L’Écho des Alpes maritimes,
publiée dans le numéro du 23 janvier 1848
À MM. les Collaborateurs de L’Écho des Alpes maritimes,
Quand un voyageur part, s’il prend un chemin diamétralement opposé au but qu’il veut atteindre, c’est charité de l’en prévenir. Voilà pourquoi je m’adresse à vous, Messieurs, pour vous avertir que vous faites fausse route : votre but loyal et légitime est sans doute la religion et la liberté ; or, vous marchez directement à l’impiété et au despotisme, en un mot au radicalisme.
Vous débutez par insérer une lettre de M. Gioberti contre les Jésuites ; je ne veux faire ni l’apologie des uns, ni la critique de l’autre : une lettre ne peut être un livre ; je vous observerai seulement que M. Gioberti condamne ce que le pape approuve, et approuve ce que le pape condamne. Ainsi, il n’est plus catholique, ni lui, ni ceux qui auraient les mêmes opinions que lui, car l’essence du catholicisme est l’approbation de ce que le pape approuve et la condamnation de ce qu’il condamne. Un homme qui ose appeler secte un ordre religieux légalement reçu dans l’Église catholique et à qui le souverain pontife a donné, il y a peu de jours, les plus justes éloges, sera tout ce qu’il voudra, mais il ne peut en conscience se donner le titre de catholique, en attendant qu’il s’enfonce dans le bourbier où ont péri Lamennais et bien d’autres. Examinons l’insertion de cette lettre sous le point de vue de liberté.
Je suis comme vous citoyen et catholique, je ne sais si je partage avec vous mes autres qualités de propriétaire, de père de famille et de militaire ; en tout cas cependant, il est de toute justice de me laisser jouir, tout comme vous, de ma pleine liberté dans l’exercice de mes droits civils et religieux. Or, comme citoyen, j’ai le droit de choisir le médecin dont je veux avoir les conseils pour la santé de mon corps, et comme catholique, j’ai le droit de choisir le prêtre dont je veux suivre la direction pour la 682santé de mon âme ; comme propriétaire, j’ai le droit de choisir l’intendant qui doit surveiller la culture de mes terres, et comme père de famille, j’ai le droit de choisir les instituteurs auxquels je veux confier l’éducation de mes enfants. Eh bien ! Comme catholique, je veux choisir un jésuite pour directeur, et comme père, des jésuites pour instituteurs de mes fils : je n’aurai pas besoin d’en donner aucune raison, cela me plaît, il suffit, je suis dans l’exercice légitime de mes droits, mais je veux bien vous donner un des motifs de ma conduite. C’est qu’après avoir bien lu tout ce qu’on a écrit contre les jésuites, je me suis trouvé parfaitement d’accord avec le Baron Stark ministre protestant et prédicateur de la cour de Hesse-Darmstadt ; il avait coutume de dire « de tout ce qu’on a dit au sujet des jésuites, il n’y a de bien prouvé que le bien qu’ils ont fait ». Gentils prêcheurs de concorde, vous me parlez de liberté en me présentant des fers ; arrière, je ne veux pas de vos entraves, si la liberté n’est pour tous, elle n’est pour personne.
Mais en voici bien d’une autre : des fidèles sont rassemblés dans une église pour adorer le saint sacrement et faire, autant qu’il est en eux, amende honorable des injures qu’il y reçoit : vous les accusez de ne pas prier suivant vos intentions, et vous voulez les faire taire ! Comment, vous qui réclamez la liberté de la pensée, vous refusez aux chrétiens la liberté de la prière ? Quoi ! Nous ne pourrons plus verser aux pieds des autels nos craintes, nos espérances, nos désirs et nos regrets, sans vous avoir demandé si tous ces sentiments sont bien conformes aux vôtres ? Eh ! L’Église n’est-elle pas ouverte ? Venez, agenouillés sur le pavé sacré, priez aussi ; priez pour que les arrêtés de la Diète Helvétique soient étendus à toute la catholicité et pour que Ochsenbein soit chargé de présider partout à leur exécution ; priez pour votre saint-père Gioberti, pour l’exaltation de votre sainte-mère la secte giobertienne, et pour l’extirpation de la Compagnie de Jésus ; priez, et Dieu, dans sa justice infinie, pèsera quelles sont les prières les plus justes et les plus conformes à sa volonté sainte ; mais vouloir vous placer entre Dieu et celui qui prie, prescrire jusqu’aux soupirs des cœurs qui se taisent, croyez-moi, pauvres despotillons, c’est sauvage, c’est ignoble, c’est pire encore, c’est ridicule. J’irai à cette église pour me venger de vos prétentions stupides, j’y prierai Dieu de vous faire chrétiens, pour que vous puissiez comprendre la liberté.
Je n’ai pas vidé mon sac ; ainsi pour peu que ma correspondance vous intéresse, c’est sans adieu.
Comte De Maistre.
- Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN : 978-2-406-11196-2
- EAN : 9782406111962
- ISSN : 2264-4571
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11196-2.p.0681
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 03/06/2021
- Langue : Français