Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : « Car me jugez le dreit ». Droit et justice dans l’épopée médiévale
- Pages : 17 à 19
- Collection : Esprit des Lois, Esprit des Lettres, n° 16
Avant-propos
Le présent ouvrage est le fruit d’une recherche menée depuis une douzaine d’années, dans le cadre du programme Juslittera que j’avais initié en 2009, recherche portant sur les relations entre le droit et la littérature, du Moyen Âge à la Révolution1. Je me suis penché plus particulièrement sur la chanson de geste, dans la mesure où ce genre est porteur de beaucoup de questions d’ordre politique, juridique et judiciaire. En outre, l’épopée médiévale a trop souvent été victime d’une appréciation relativement péjorative prenant sa source dans le prétendu monolithisme du genre. Fort heureusement, de nombreuses études de spécialistes ont pu montrer que, malgré son style formulaire, son organisation en laisses régulièrement répétitives, la chanson de geste était plus nuancée qu’il pouvait paraître.
Ce que je propose dans cette étude est donc une synthèse de mes travaux sur l’épopée médiévale et les questions de droit, ce dernier terme étant utilisé par commodité, voire abus de langage. Comme on pourra en effet le constater, le ‘droit épique’ est une fabrication littéraire quelque peu complexe, d’une certaine manière à l’image du droit – des droits – du Moyen Âge, image proche ou lointaine, claire ou opaque, en bref, fictionnalisée. On ne perdra donc jamais de vue qu’on ne peut penser le droit médiéval selon nos conceptions modernes d’un droit positif, d’un système normé, surtout pour le Moyen Âge central, période première de production de nos chansons.
En dépit de nombreuses variations de narration, la chanson de geste est un genre de la permanence en matière d’idéologie. C’est pourquoi, pour les questions relatives au droit et à la procédure, les chansons tardives n’offrent que très peu de changement par rapport à celles qui les précèdent. Comme on le constatera, dans la construction littéraire d’un ‘droit épique’, apparaissent, plus ou moins directes et lointaines, 18de nombreuses influences dont il est quasiment impossible de démêler les origines, réminiscences d’une période antérieure – mérovingienne, carolingienne – ou reflet d’une situation contemporaine. Par ailleurs, on peut considérer, eu égard aux propres permanences et fluctuations des institutions, qu’un regard sur les pratiques judiciaires de la fin du Moyen Âge apporte aussi des éclairages sur des épisodes de nos épopées. Que le lecteur ne soit donc pas surpris de me voir naviguer entre le haut Moyen Âge et le xve siècle, hors de la période de production de telle ou telle chanson, à la recherche d’informations qui demeurent à mon sens pertinentes dans un contexte non historiciste, mais dans celui d’une étude de représentation.
Par ailleurs, mon hypothèse principale de départ est que les épopées médiévales offrent des représentations, à géométrie variable d’un point de vue littéraire, des conceptions de l’aristocratie en matière de justice ; une aristocratie quelque peu bousculée dans le processus de construction de l’État monarchique moderne, mais qui n’en garde pas moins des idéaux, voire des fantasmes relevant d’un idéal féodal. Ces derniers se manifestent particulièrement à la fin du Moyen Âge, par exemple lors des démêlés entre ducs de Bourgogne et rois de France, entre Bretagne et Couronne. De fait, existent des lignes de continuité entre conceptions des seigneurs et princes de l’époque où apparaissent les chansons de geste et celles de la noblesse du Moyen Âge tardif, toujours à l’œuvre dans les épopées tardives.
Les questions qui seront traitées dans cet ouvrage sont très souvent entremêlées. Ceci implique que certains exemples apparaissent plusieurs fois au fil des chapitres et que des questions identiques peuvent être soulevées, mais dans des contextes et éclairages différents. En outre, dans la mesure où une lecture fragmentaire du livre peut être faite, certaines conclusions et remarques pourront paraître quelque peu répétitives pour le lecteur qui aura eu la patience et le courage de lire tous les chapitres.
Cette étude est fondamentalement interdisciplinaire, avec les risques que cela comporte : les spécialistes de l’histoire du droit, de l’histoire de la criminalité, de l’histoire sociale, etc. ou de la littérature médiévale ne manqueront pas de trouver certaines remarques et notes inutiles. Mais je ne suis pas certain que les littéraires soient très au fait des problèmes de droit, ni que les historiens connaissent parfaitement le corpus épique 19qui s’étendra dans cet ouvrage du xiie-xiiie siècle jusque vers les chansons tardives / ‘romans d’aventure’ de la fin du Moyen Âge2.
Pour finir, j’espère que ce travail apportera une petite pierre à l’indispensable édifice de l’interdisciplinarité.
1 Le programme Juslittera portait sur la période Moyen Âge-Ancien Régime.
2 Comme l’illustre bien un texte comme Mabrien, qui s’appuie sur la Chevalerie Ogier et sur Renaut de Montauban, et multiplie les aventures merveilleuses : voir Fr. Suard, « Meurvin et Mabrian, deux épigones de la Chevalerie Ogier de Danemarche et de Renaut de Montauban » ; id., « L’originalité des épopées tardives » ; mon article « Mabrien ou le cheminement d’un chevalier du xve siècle… ». Également, pour l’appellation « chanson d’aventures », W. Kibler, « La chanson d’aventures » ; Cl. Roussel, « L’automne de la chanson de geste ».
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-15037-4
- EAN : 9782406150374
- ISSN : 2264-4148
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15037-4.p.0017
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 23/08/2023
- Langue : Français