Review
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Tristan Corbière
2022, n° 5. Relations - Author: Houzé (Benoît)
- Pages: 383 to 384
- Journal: Tristan Corbière Studies
Compte rendu
Thierry Roger, La Muse au couteau. Lecture des Amours jaunes de Tristan Corbière, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, coll. « Cours », 2019.
Il est rare qu’un chercheur déjà chevronné consacre un ouvrage entier à Corbière. Thierry Roger, spécialiste de Mallarmé et de la poésie moderne, a publié en 2019 un tel livre, destiné à l’époque aux candidats à l’agrégation mais qui est appelé à rester une publication de référence. Il s’agit de fait de l’une des meilleures, si ce n’est de la meilleure introduction à la lecture des Amours jaunes : Roger s’est parfaitement saisi du cadre du « cours » d’agrégation, synthétisant de nombreuses approches sur l’œuvre tout en proposant un cadre de lecture original et stimulant, enrichi de multiples références à d’autres poètes et à la théorie critique.
La poésie de Corbière est saisie dans son complexe « romantisme déromantisé », dans son riche rapport à la bohême, mais aussi, ponctuellement, par des échos contrastés que l’auteur fait valoir dans les œuvres de Rimbaud, Laforgue et Mallarmé. Elle est également approchée comme participant de mouvements plus profonds de la modernité poétique, que Roger prenne à témoin Hugo Friedrich ou Michaïl Bakhtine et sa conceptualisation de l’ironie lyrique. Cette riche situation de l’œuvre, qui permet de la lire « avec » des écritures très diverses, l’intègre avec tact dans la littérature moderne, sans émousser ni caricaturer la radicalité de ses questionnements.
Roger parvient également à rendre compte d’enjeux que l’on pourrait dire existentiels dans le recueil. Il rejoint là Henri Thomas et Serge Meitinger, mais par un cheminement qui lui est propre. Si la partie de l’ouvrage qui rend compte de l’amour-Corbière est peut-être la moins enthousiasmante et enthousiasmée de l’ouvrage (la vision fréquente de la femme comme être « purement pulsionnel et instinctif » est « la partie la plus jaunie, aujourd’hui, des Amours jaunes »), Roger parvient à relever 384dans des pièces très différentes l’accession à ce qu’il nomme avec bonheur une « ascèse », un au-delà de l’amour et de la lutte intersubjective.
Il y a donc une recherche humaine dans Les Amours jaunes, mais Roger propose de ne pas l’approcher comme une « quête de soi », qui rabattrait sur l’aventure poétique une problématique identitaire : « le problème littéraire et existentiel de Corbière reste centré à nos yeux moins sur la question de l’identité, sur laquelle la critique corbiérienne a beaucoup insisté, peut-être trop, que sur celles de la vérité et de la liberté. » En s’appuyant notamment sur les références corbiériennes à la pensée et au mode de vie cyniques, Roger met à jour chez Tristan des résonances poétiques et philosophiques à ce double questionnement.
Benoît Houzé