Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Louis Dumur
2023, n° 10. Pour qui la guerre ? - Auteurs : Dubosson (Françoise), Jacob (François)
- Pages : 9 à 10
- Revue : Cahiers Louis Dumur
AVANT-PROPOS
Nous avons choisi, pour ce dixième des Cahiers Louis Dumur, de réunir un certain nombre de chercheurs autour d’une question – hélas – de nouveau d’actualité. Louis Dumur pourfend en effet, notamment dans son œuvre romanesque, les « profiteurs de guerre », ceux qui ont intérêt, lors du premier conflit mondial, à déclencher, à voir se déclencher ou à voir se prolonger les combats, quels qu’en soient l’horreur et le coût humain. La description du banquier Tallatin s’étend ainsi, dans La Croix Rouge et la Croix Blanche, sur deux pages d’une particulière férocité et provoque, à Genève, un véritable scandale. Comment, écrit-on, Dumur peut-il se considérer légitime – parce que neutre – lorsqu’il appelle à repousser par les armes l’invasion germanique ? Comment peut-il s’opposer à ceux qui, derrière Romain Rolland, se situent « au-dessus de la mêlée » et préconisent la paix à tout prix ? À quoi bon user son talent – que nul ne conteste – à ressasser les éléments les plus saillants d’un conflit que chacun souhaiterait pouvoir dépasser ? Et surtout, où mène ce réquisitoire contre Tallatin et tous ses semblables ?
En prenant pour base de travail la Première Guerre mondiale et l’œuvre de Louis Dumur – mais non exclusivement – a donc été examinée cette question des « bienfaits » – pour quelques-uns – de la guerre et de la manière dont il s’agit d’en rendre compte. Faut-il, comme Dumur, dénoncer les profiteurs de guerre par le biais d’une expression artistique violemment engagée ? Doit-on, en bon historien, tenter de prendre la distance nécessaire à une juste évaluation des intérêts en jeu ? Jusqu’où, d’ailleurs, faut-il étendre cette enquête ? Peut-on, derrière telle ou telle figure emblématique, incriminer des nations entières ?
On conçoit aisément le triple intérêt d’une telle investigation. Elle se situe d’abord dans le prolongement de la « revie » de l’œuvre de Louis Dumur, sur lequel la thèse de Jacques Schroll est précisément en cours de rédaction. Elle interroge ensuite, sur un sujet assez peu traité, l’articulation toujours sensible entre histoire et littérature, et appelle à 10de nouveaux développements sur des œuvres connexes (on peut notamment penser à Guerre de Céline, récemment paru). Elle invite enfin à une réflexion de portée plus générale sur la description de la guerre et de ses enjeux et sur la mise en perspective du premier conflit mondial. De quoi enrichir, on le conçoit, la relecture de notre propre actualité.
C’est pourquoi nous proposons dans ce numéro les contributions présentées lors des journées d’étude qui se sont tenues les jeudi 27 et vendredi 28 octobre 2022 à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, dans le cadre des activités du groupe MARGE. Une extension de la problématique « dumurienne » à d’autres auteurs proches de Dumur (Remy de Gourmont ou Philippe Godet) ou plus éloignés dans le temps (Drieu la Rochelle, Henri Vincenot) nous permettra peut-être d’avoir une vue d’ensemble susceptible, à défaut d’apporter des réponses tangibles, de clarifier au moins les questions qui se posent réellement. Et qui, répétons-le, se posent – cruellement – aujourd’hui encore.
Françoise Dubosson
François Jacob