Panopticon Maldoror
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Lautréamont
2023, n° 5. varia - Author: Saliou (Kevin)
- Pages: 317 to 320
- Journal: Lautréamont Studies
Panopticon Maldoror
Duccio Scheggi, Panopticon Maldoror, Bergame, Edizioni Collage de ‘Pataphysique, 2019, 63 p.
Un panopticon est un type de construction pénitentiaire imaginé par Jeremy Bentham au xviiie siècle, qui repose sur un système de surveillance permettant à un seul garde de surveiller l’ensemble des prisonniers sans que ceux-ci ne sachent s’ils sont ou non surveillés. Le terme vient du grec et signifie « celui qui peut tout voir ». Panopticon Maldoror est aussi le titre d’un « drame comique » ou d’une « comédie dramatique », écrit par Duccio Scheggi et publié en 2019 par Tania Sofia Lorandi, membre du collège de ‘pataphysique d’Italie, qui l’a communiqué à Bertrand Combaldieu.
L’œuvre, nous dit Antonio Castronuovo dans la préface, est un dispositif littéraire né d’une lecture de l’œuvre d’Isidore Ducasse et d’une réflexion inspirée par la philosophie de Michel Foucault, en particulier par ses réflexions sur le système carcéral dans Surveiller et punir : le comte rejaillit soudain dans un nouveau contexte, pour produire, selon le vœu de l’auteur, « une sorte de Chant VII de Maldoror », celui que n’aurait pas écrit Lautréamont mais qui en reprend la cruauté morale. Le texte est présenté comme une satire qui met l’accent sur le drame œdipien qui se joue dans Maldoror : la rébellion et le meurtre du père, incarné par le Créateur, « afin de retourner dans le ventre maternel ». Panopticon Maldoror vient ainsi s’inscrire comme le dernier volet d’une trilogie œdipienne. La préface d’Antonio Castronuovo contient quelques approximations : il écrit, par exemple, que la tombe d’Isidore Ducasse a été détruite par un obus prussien pendant la guerre de 1870.
La pièce est constituée d’un acte unique qui met en scène Maldoror, représenté comme un demi-dieu aveugle, à moitié-nu, les lèvres coupées pour former un sourire diabolique sur son visage, sale et enraciné dans 318le sol, une végétation grimpante ayant peu à peu colonisé la partie basse de son corps jusqu’à faire de lui « un immonde végétal ». Les deux autres personnages sont des spéléologues en tenue, avec lampes frontales, comparés à des amphibiens militaires et portant des brassards gris avec un œil dessiné dessus. La spéléologue s’appelle Laura Damian. La scène représente la caverne de Maldoror, qui se trouve au centre. La scénographie fait aussi appel à des supports vidéos qui font apparaître en fond de scène des symboles ‘pataphysiques ou ésotériques.
Lors d’une exploration souterraine, deux spéléologues pénètrent dans une caverne au fond de laquelle repose, immobile et silencieux, Maldoror. Quand il prend enfin la parole, Maldoror fait entendre à voix haute ses méditations : « Je me suis toujours demandé quelle était la chose la plus facile à mesurer : la profondeur de l’océan, ou la profondeur du cœur humain. » Le personnage, monstrueux et impressionnant, s’exprimera sur un ton le plus souvent solennel, par un recours à des citations directement tirées des Chants. On assiste d’abord au dialogue entre Maldoror, tiré de sa torpeur, et l’un des spéléologues, mandaté, au nom de la loi, pour explorer les fondements de ces lieux et voir si on peut y bâtir un panopticon. L’homme, d’un pragmatisme total, prend d’abord Maldoror pour un malade mental et va tenter de le déloger de son antre, avant de réaliser que sa nature pourrait bien être plus qu’humaine. Commence alors une discussion métaphysique au cours de laquelle Maldoror fera parler sa mère en prenant possession du corps de Laura Damian, l’autre spéléologue, et exposera ses griefs contre le Créateur et contre l’homme. Peu à peu, Laura Damian va voir en Maldoror le parfait gardien pour le complexe carcéral qu’ils s’apprêtent à construire.
La parole est centrale dans la pièce. La langue scientifique du spéléologue se heurte à celle, lyrique, de Maldoror. Par le procédé de la possession, l’auteur donne à entendre de larges citations du texte de Lautréamont. Dans sa postface, Duccio Scheggi explique avoir cherché à faire, non pas une adaptation, mais bien une transposition de l’œuvre dans un contexte interprétatif totalement différent. Il cite, parmi ses inspirations, les illustrations de Dali d’après sa méthode paranoïaque-critique, et l’expression de Louis Aragon, qui avait voulu voir en Maldoror un « cinéma cérébral ». Sur scène, les trois personnages font s’affronter la raison et l’émotion, la justice et la folie, les Lumières et le Romantisme, et puisque Scheggi se représente Lautréamont en dandy adolescent, il 319fait de Maldoror un adolescent rebelle qui défie la mort et s’oppose au pouvoir des institutions humaines par l’anarchisme existentiel. Dans la seconde partie de cette postface, l’auteur explicite les liens de sa trilogie et éclaire quelques concepts à la lumière de la pensée et de l’œuvre d’Alfred Jarry. Ces considérations sont intéressantes sur le plan ‘pataphysique, mais n’apportent rien à notre connaissance d’Isidore Ducasse : les parallèles esquissés entre Faustroll, Ubu et Maldoror pourront néanmoins plaire aux ‘pataphysiciens transalpins, à condition de suivre Ducchio Scheggi dans ses réflexions où se mêlent herméneutique et alchimie.
Le livre s’achève sur un album iconographique, qui présente des xylographies de Samantha Vichi et des photographies du spectacle monté par la compagnie Cadaveri Squisiti en 2015, qui permettent de voir le travail remarquable accompli sur le plan visuel, et en particulier le travail de lumière, de masques et de vidéo. Cet aspect, plus difficile à comprendre à la seule lecture du livre, se devine cependant dans les didascalies et les intermèdes entre chaque scène, qui visent à constituer de véritables tableaux autour de la figure de Maldoror.
Kevin Saliou
320OUVRAGES CITÉS
Scheggi, Duccio, 2019, Panopticon Maldoror, Bergame Edizioni Collage de ‘Pataphysique.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-15995-7
- EAN: 9782406159957
- ISSN: 2607-754X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15995-7.p.0317
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-22-2023
- Periodicity: Annual
- Language: French
- Keyword: Lautréamont, Duccio Scheggi, Maldoror, theatre, review, pataphysics