Éditorial Les Cahiers Lautréamont renaissent !
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers Lautréamont
2019 – Nouvelle série, n° 1. varia - Auteur : Saliou (Kevin)
- Pages : 11 à 22
- Revue : Cahiers Lautréamont
Éditorial
Les Cahiers Lautréamont renaissent !
Sur la couverture de la livraison LXXXXIV-LXXXXV des Cahiers Lautréamont, tirée à 100 exemplaires, on pouvait lire l’indication suivante : « Année 2010 et dernière ». Après vingt-quatre années et quarante-deux volumes, fascicules souples ou actes de colloques imprimés aux éditions Du Lérot, la revue tirait sa révérence. Depuis quelques années, elle avait montré les signes d’un essoufflement qu’il faut bien reconnaître. Si les recherches incessantes de ses membres les plus actifs prouvaient qu’il y avait encore beaucoup à trouver au sujet d’Isidore Ducasse, le nombre des contributeurs diminuait et face à l’absence de renouvellement du corpus ducassien, on pouvait avoir l’impression que tout avait été dit et que l’Association des amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse (AAPPFID) avait fait son temps. Le dernier colloque, organisé en 2006, avait pourtant été un succès, mais il était déjà loin. Dans le tumulte des polémiques autour de la republication des Œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, les Cahiers donnèrent leur chant du cygne.
Cet arrêt marquait comme la fin d’une époque. Pourtant, tous ceux qui, comme moi arrivés trop tard, se formèrent à l’étude des Chants de Maldoror dans les années 2000, savent ce qu’ils doivent à l’AAPPFID et à la joyeuse érudition qui fut le ton des Cahiers. Ce numéro ne pourrait s’ouvrir autrement que par un hommage respectueux à la mémoire de Jean-Jacques Lefrère, qui fut le co-fondateur de l’association et de la revue, et également le plus perfectionniste et le plus pointilleux des biographes d’Isidore Ducasse. Chercheur infatigable, il donna à la recherche ducassienne, grâce à l’équipe qui l’entourait et faisait vivre les Cahiers, une nouvelle orientation, résolument biographique. Entre 1987 et 2010, Isidore Ducasse cessa d’être un mystère, un poète dont on ne savait rien, et sa vie prit forme sous nos yeux, comme son visage avait pris forme soudainement dans les années 1970.
12Les Cahiers Lautréamont étaient nés en 1987, par l’association de trois passionnés : François Caradec, biographe historique1, dont l’attachement à la pataphysique ne fut certainement pas étranger au ton irrévérencieux de la revue ; Jean-Jacques Lefrère, qui avait débuté en découvrant à Tarbes la photographie présumée d’Isidore2 ; et Sylvain-Christian David, auteur d’un essai sur Philoxène Boyer3. Tous trois avaient en commun une indépendance totale vis-à-vis des institutions universitaires. Ils reçurent un parrainage prestigieux, celui de l’ancien surréaliste Philippe Soupault, qui avait été, toute sa vie, passionné par Isidore Ducasse. À celui-ci s’ajoutèrent, pour constituer le comité de patronage, Michel Décaudin, Hubert Juin, Jean-José Marchand, Maurice Nadeau et Claude Pichois. Certains de ces parrains, malheureusement, ne purent voir paraître le premier numéro.
Parmi les objectifs premiers de la revue, il importait de constituer une banque de documents en rééditant des textes introuvables, pour les mettre à la portée des chercheurs. Cette mission, qui est mise en évidence dès le premier numéro, donna naissance à la rubrique « Critique des critiques », qui s’ouvrit par un article de Pascal Pia, très révélateur quant à la filiation souhaitée4. Nous pouvons rappeler également ici le texte liminaire qui figure à la page 1 du premier numéro. Trente-deux ans plus tard, nous persistons et signons sans la moindre réserve.
Cent dix-sept ans après la disparition du poète Isidore Ducasse, les Cahiers Lautréamont voient le jour. Le bruit fait autour de l’auteur des Chants de Maldoror et des Poésies, depuis son décès, à 24 ans, en 1870, n’est allé qu’en s’amplifiant. Or, par un effet accéléré de mythification, peu ordinaire en littérature, la prolifération des livres, des études, des articles et des théories s’est souvent opérée au détriment même de la connaissance de cette œuvre et de son auteur.
L’idée, par trop répandue, que rien de nouveau ne pouvait plus être trouvé sur le sujet, autorisait en fait toutes les interprétations, toutes les hypothèses, toutes les rêveries, toutes les élucubrations, parfois jusqu’aux plus saugrenues.
13Les Cahiers Lautréamont publieront, dans un premier temps, des documents inédits, des témoignages peu connus, des enquêtes nouvelles ou des rééditions utiles. Nous ne laisserons pas Isidore Ducasse tranquille5.
On est frappé, à la lecture des premiers Cahiers, du petit nombre des contributeurs. La revue connut d’abord une diffusion confidentielle, et ses membres fondateurs étaient parfois contraints d’user de pseudonymes comiques afin d’en étoffer le sommaire. Mais ces premiers numéros révèlent aussi une triple orientation très claire : recherches biographiques qui ne négligent aucun détail, étude du texte et de ses sources, et enfin réception de l’œuvre. L’ensemble est illustré, et le sera jusqu’au début des années 2000, par Bertrand David, qui composa pour les Cahiers Lautréamont plus de portraits imaginaires d’Isidore Ducasse qu’il n’y en eut jamais, et contribua à donner à la revue son identité visuelle. Les dossiers, très approfondis, se multiplièrent et permirent de mieux connaître les personnes qui avaient joué un rôle dans la vie, vécue ou posthume, du poète : Gustave Hinstin en 1987, Paul Lespès, Léon Genonceaux, Georges Dazet et Albert Lacroix en 1988, Évariste Carrance en 1988… Les nombreux documents exhumés permirent de mieux connaître le réseau social d’Isidore Ducasse, qui demeure encore aujourd’hui incomplet et plein de mystères6. Toutes ces découvertes, fruit d’un travail collectif et collaboratif, allaient abondamment nourrir les deux sommes biographiques de Jean-Jacques Lefrère, apports majeurs à la connaissance de la vie d’Isidore Ducasse qui permirent de briser une fois pour toute l’image d’un poète inconnu – n’en déplaise à ceux qui préfèrent encore dire qu’on ne sait toujours rien.
Au fil du temps, les contributeurs se sont diversifiés. En 1988, Jean José Marchand, Michel Bloch, Steve Murphy offrent des contributions ponctuelles, tandis que Jean-Louis Debauve, Jean-Paul Goujon et Jean-Pierre Lassalle rejoignent l’équipe de manière permanente. En 1989, on peut lire au sommaire les noms de Liliane Durand-Dessert, Gérard Minescaut et Henri Béhar. D’autres noms suivront – qu’on me pardonne de ne citer que les contributeurs les plus réguliers. La revue continue de 14bénéficier des parrainages de critiques importants dans l’histoire de la ducassologie, comme Jean-Pierre Soulier ou Jean Peytard.
En 1992, l’AAPPFID participa à un colloque organisé à Montevideo grâce aux soins de Lisa Block de Behar. Il s’agissait du premier colloque international consacré au poète, et il était impensable que les Cahiers Lautréamont ne décident pas d’« aller y voir eux-mêmes ». Le récit de ce premier contact, émerveillé, avec la ville natale du poète, figure dans l’une des deux livraisons de l’année 1992, accompagné de nombreux documents trouvés sur place7. La délégation de l’AAPPFID était alors composée de Patrick Besnier, François Caradec, Sylvain-Christian David, Jean-Louis Debauve, Jean-Paul Goujon, Jean-Pierre Lassalle, Jean-Jacques Lefrère et Gérard Minescaut, auxquels s’ajouta bientôt une nouvelle recrue, Michel Pierssens. Ce colloque permit un retour au pays natal : pour les chercheurs français, il marqua la rencontre avec les universitaires et chercheurs sud-américains qui allaient devenir des amis et des collaborateurs, occasionnels ou réguliers, des Cahiers Lautréamont. Citons ici Jacques Duprey, Pierre Gibert, Ruperto Long, Fernando Loustaunau, Carlos Pellegrino, Hebert Benitez Pezzolano, mais aussi Leyla Perrone-Moisés. L’AAPPFID s’internationalisait progressivement, et on découvrait que les amis d’Isidore Ducasse se trouvaient de part et d’autre de l’océan Atlantique. Mieux, on mesurait soudainement combien Isidore Ducasse était tout autant de culture hispanique, ou plus précisément uruguayenne, que française. Le colloque organisé en juin 2018 à l’Université de la République de Montevideo par Alma Bolón, aura permis de renouer contact et marquera, nous l’espérons, la reprise d’une collaboration très importante entre les deux pays du poète. L’AAPPFID entend bien susciter des travaux et recherches qui abonderont dans ce sens, car elle est convaincue qu’une partie de ce qui nous reste à découvrir sur la vie d’Isidore Ducasse réside, non pas à Paris ou à Tarbes, mais à Montevideo, à Buenos Aires ou à Cordoba. Pour ces raisons, la collaboration avec nos amis chercheurs uruguayens et argentins nous semble absolument indispensable.
À partir de 1994, les colloques vont se tenir de façon régulière, une fois tous les deux ans. C’est d’abord celui de Tarbes et de Pau, autre retour aux origines nécessaire. Cette année-là, Daniel Lefort, Clara Moressa et Éric Walbecq rejoignent la liste des contributeurs. Dans la bibliothèque du lycée 15de Tarbes, Jean-Pierre Lassalle fait une découverte capitale : l’inscription manuscrite, dans un exemplaire des Esquisses de philosophie morale de Dugald Stewart, du nom d’Isidore Ducasse, auquel est accolé le qualificatif de « philosophe incompréhensibiliste8 ». Nouvelle clé de lecture que ce néologisme, qui ouvre un nouveau champ de recherche sur le parcours d’écolier français d’Isidore – celui, uruguayen, reste encore bien mystérieux.
Le colloque de 1996 est, en toute logique, parisien – il suit et conclut ainsi l’itinéraire géographique du poète. Les actes, parus chez Du Lérot, contiennent quelques contributions capitales, comme celle de Liliane Durand-Dessert, consacrée au quartier d’Isidore, ou celle de Michel Pierssens, sur les réseaux sud-américains à Paris9. Cette année-là, les Cahiers reçoivent des contributions de Guy Laflèche, qui consacrera bientôt un site internet à l’étude des hispanismes dans l’œuvre10, et de Jacques Noizet, qui s’apprête à inaugurer son colossal Dictionnaire du Cacique11. Le colloque de 1998, qui se tient à Montréal, est consacré aux Lecteurs de Lautréamont ; tandis que l’année 2000 donne lieu à une manifestation à Marseille centrée sur les Poésies – un champ de recherche qui reste encore d’une importance majeure. Depuis 1992, les Cahiers se sont aussi enrichis de contributions nombreuses venues du Japon : Hiroshi Fujii en 1992, Yoshio Maekawa en 1994, Tadayoshi Takizawa, Hidehiro Tachibana et Naruhiko Teramoto en 1996… Aussi n’était-il guère étonnant de voir paraître en 2000 une livraison spéciale consacrée à Lautréamont au Japon12, puis qu’un colloque ait été organisé à Tokyo en 2002, sur le Second Empire et la modernité de Ducasse.
Pendant ce temps, la revue avait continué de paraître à raison de deux livraisons par an. Elle avait continué à apporter des découvertes majeures. 16En 1999, Jean-Jacques Lefrère avait trouvé deux ex-donos d’Isidore Ducasse adressés à Eugène Loudun, conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal, dans deux des rarissimes exemplaires encore localisés des Poésies I et II. Cette découverte ouvrait de nouvelles pistes et témoignait des efforts entrepris par Isidore Ducasse pour faire connaître ses écrits. Cependant, à partir de 2001, les Cahiers Lautréamont commencèrent à décliner. Les contributions se faisaient moins nombreuses et certaines livraisons passaient fréquemment sous le seuil des 100 pages, avec parfois six contributions seulement. Un grand pourcentage du volume était occupé par le monumental travail de dictionnaire de Jacques Noizet. Avait-on fait le tour de ce qu’il y avait à dire sur Ducasse ? N’y avait-il plus rien à trouver ?
Le succès des colloques de 2004 et de 2006, qui donnèrent lieu à d’épais volumes d’actes, semblait pourtant montrer qu’Isidore continuait d’inspirer la critique. Par ailleurs, les travaux des membres de l’AAPPFID se poursuivaient. En 2003, Sylvain-Christian David fit paraître un ouvrage consacré à Alfred Jarry et intitulé Le Secret des origines13. Il y démontre remarquablement qu’Isidore Ducasse et son œuvre sont à l’origine de tout un pan de la création poétique du père d’Ubu roi. En 2004, Éric Nicolas, nouveau contributeur originaire de Tarbes, publia des documents importants consacrés au dossier militaire d’Isidore Ducasse. Enfin, de nombreux contributeurs venus de Belgique – Paul Aron, Jean-Pierre Bertrand, Pascal Durand – vinrent à leur tour apporter de nouvelles données et permirent l’organisation d’un colloque à Liège et à Bruxelles.
En 2005, la revue devint annuelle. 2006 fut l’année du dernier colloque, celui de Barcelone. En 2008, Jean-Jacques Lefrère fit paraître un deuxième ouvrage rassemblant une importante iconographie ducassienne. La sortie de ce beau livre fut l’occasion de la tenue d’une exposition au lycée Théophile Gautier de Tarbes, qui fut ensuite reconduite à la Bibliothèque de l’Arsenal. Enfin, en 2009, la publication des œuvres complètes du poète dans l’édition Pléiade de Jean-Luc Steinmetz déclencha de vives polémiques entre les spécialistes. 2010 fut, comme nous l’avons dit en préambule, le dernier numéro.
Nous avons présenté cette dernière décennie comme celle du déclin. Mais était-ce vraiment le cas ? Avait-on vraiment fait le tour de la question ? Sur Isidore Ducasse, tout a-t-il été dit et vient-on vraiment 17trop tard ? Les Cahiers Lautréamont avaient besoin de se régénérer, de se chercher une forme nouvelle, de se mettre en pause pour trouver un deuxième souffle.
Entre 2010 et 2019, il y aura eu un long hiatus et pourtant, des découvertes majeures ont montré l’urgence de refonder les Cahiers Lautréamont et de relancer la recherche ducassienne. En 2011, la revue ayant disparu, Sylvain-Christian David n’en poursuivit pas moins ses études, offrant ses analyses pertinentes aux Cahiers d’Occitanie de Jean-Pierre Lassalle. En 2012, il y fera paraître un article capital levant le voile, de façon très vraisemblable, sur le mystère de la mort d’Isidore Ducasse14. Il rouvrira également le champ des recherches sur Dolores de Veintemilla15. C’est aussi l’année où paraissent une Vie imaginaire de Lautréamont, récit fantasmé par Camille Brunel autour de la vie du poète, et très nourri de la biographie de Jean-Jacques Lefrère, ainsi qu’une jolie bande-dessinée, La Chambre de Lautréamont, par Corcal et Édith. Le mystère Isidore continue visiblement à nourrir les imaginaires.
Pour suppléer à l’absence des Cahiers papier, Michel Pierssens lança, en 2012, le blog des Cahiers Lautréamont numériques16. La numérisation des registres de passeport aux Archives de Bordeaux lui permit de retrouver la trace de François Ducasse et de ses frères17, ainsi que de Céleste Jacquette Davezac, la mère d’Isidore18. Ces documents inédits donnaient notamment une description physique des parents du poète. Un troisième article ouvrit enfin de nouvelles hypothèses de recherche sur Joseph Bleumstein, l’un des mystérieux dédicataires des Poésies qui avait résisté à toutes les investigations19. Toujours en 2012, Jean-Pierre Goldenstein découvrit, là encore grâce aux nouvelles politiques de numérisation, un compte rendu inédit du Chant premier de 1868 par l’abbé Félix Rabbe20. Cet article nous rappelle qu’aujourd’hui plus que 18jamais, les nouveaux outils de recherche nous mettent sur la voie de documents aussi précieux qu’inédits, et qu’il n’est pas encore temps pour la recherche ducassienne de s’arrêter en si bon chemin.
En 2013, c’est Jean-Jacques Lefrère qui identifia Louis Durcour, autre dédicataire des Poésies, comme un certain Louis d’Hurcourt, patriote et escrimeur renommé21. Il identifia aussi l’origine d’un nouveau plagiat de Ducasse, le drame de Saint-Malo22. Ce furent là ses derniers travaux. Le fondateur des Cahiers Lautréamont, ancien président de l’Association des amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse, s’éteignit en avril 2015. Ses dernières découvertes avaient ouvert des perspectives nouvelles. En 2016, Gérard Touzeau identifia définitivement Louis d’Hurcourt et résolut ainsi l’une des plus grandes énigmes du Chant VI : c’était bien lui, et non Dazet, le Mervyn de la fin des Chants23.
Ces dernières années, d’autres découvertes ont été faites. Olivier Fodor, faisant part d’une curiosité typographique de son édition de 187424, souleva une piste que poursuivra désormais Bertrand Combaldieu, qui s’attache à faire un recensement de tous les exemplaires connus des Chants de Maldoror25. Pendant ce temps, Daniele Bertacchi, s’interrogeant sur la carrière militaire d’Isidore, retrouva sa trace dans la garde nationale mobile26. Enfin, en 2018, c’est Gérard Tasset qui retrouva subitement la trace de Genonceaux, que l’on croyait disparu au début du xxe siècle. Devenu comptable, l’ancien éditeur vivait paisiblement jusqu’en 1942 au 39, rue de Jussieu27.
19Les polémiques autour de l’édition Pléiade sont loin désormais. Toutes ces nouvelles découvertes sont autant d’appels à la reprise des études ducassiennes. En 2018, l’Association des Amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse a été refondée. Elle s’est donné pour tâche, à l’approche du cent-cinquantenaire des Chants de Maldoror et de la mort d’Isidore Ducasse, de se remettre au travail. Elle se compose de contributeurs de longue date, qui firent partie de l’aventure de la première série des Cahiers Lautréamont, et aussi de nouveaux venus. Elle présente aujourd’hui le premier numéro des nouveaux Cahiers Lautréamont, qui se donnent pour tâche de faire un point constant sur la recherche ducassienne, d’informer sur les recherches en cours, sur les éditions, les traductions, les colloques et toutes les actualités liées de près ou de loin à la vie et à l’œuvre d’Isidore Ducasse. La revue fournira également une bibliographie permanente, de nombreux articles critiques et des documents inédits, alliant les analyses de l’œuvre et les travaux d’histoire littéraire. Toutes les approches et les contributions seront les bienvenues, et notre publication présente une vocation internationale, faisant notamment la part belle aux chercheurs uruguayens à qui ces colonnes sont chaleureusement ouvertes. Qu’il soit permis de remercier ici Sylvain-Christian David, le cofondateur des Cahiers Lautréamont, pour ses conseils précieux. Que soient remerciés également tous les contributeurs et les amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse. Qu’enfin soient remerciés Claude Blum, et les éditions Classiques Garnier, pour avoir estimé que les recherches sur la vie et l’œuvre d’Isidore Ducasse présentaient une importance suffisante pour mériter la réouverture des Cahiers Lautréamont dans leur collection.
Afin de rappeler l’importance de l’Uruguay dans la recherche ducassienne, nous avons symboliquement choisi d’ouvrir ce numéro par un dossier consacré à Montevideo. Les chercheurs français n’ont pas l’occasion de s’y rendre aussi souvent qu’il le faudrait, et la dernière expédition collective menée par l’AAPPFID remontait à 1992. Plus de vingt-cinq ans après, un nouveau colloque, organisé par l’Université de la République, nous a donné l’occasion de découvrir ou de retrouver Montevideo-la-coquette, dont le charme intemporel ne s’est guère dissipé. Le 5 juin 2018, Michel Pierssens, Éric Walbecq et moi-même avons donc quitté le sol européen à destination de l’Amérique du Sud. Le lecteur découvrira, dans les pages qui suivent, le récit de ce séjour et des 20découvertes que nous y fîmes. Il pourra également lire le compte rendu par Michel Pierssens des actes du colloque organisé par Alma Bolón, dont les conférences montrent la diversité et la vivacité des recherches en cours sur la question ducassienne. C’est également Michel Pierssens qui livrera au lecteur le récit de notre rencontre avec Alberto Saenz de Zumarán, l’un des descendants directs de Don Pedro le magnifique, figure importante de la vie montévidéenne au xixe siècle et dédicataire des Poésies. Le dossier consacré à Montevideo se poursuit avec une communication d’Hebert Benitez Pezzolano, professeur à l’Université de la République de Montevideo, qui interroge la connaissance qu’Isidore Ducasse a pu avoir des auteurs romantiques du Rio de la Plata. Enfin, nous clôturons ce dossier par le compte rendu d’un livre aussi important que méconnu, la biographie d’Isidore Ducasse par le chercheur uruguayen Jacques-André Duprey, collaborateur et ami de longue date des Cahiers Lautréamont.
2019 étant l’année du cent-cinquantenaire de la publication des Chants de Maldoror, il importe d’opérer, dès à présent, un retour au texte. C’est ce à quoi s’emploient les sept communications suivantes. Christoph Groß aborde l’esthétique de l’informe et de la défiguration dans l’œuvre de Lautréamont ; Mathilde Ollivier pose un nouveau regard sur l’échange épistolaire entre Mervyn et Maldoror dans le sixième Chant. La critique des sources possibles de l’œuvre, inépuisables, n’est pas non plus oubliée : Siméon Lerouge consacre un article à l’usage qu’a pu faire Ducasse d’un ouvrage d’entomologie d’Émile Blanchard, illustrations à l’appui ; il relève également un parallèle étonnant entre un passage du Chant IV et un article de Théodore Pavie consacré à la chasse aux nègres marron. Collaborateur de longue date aux Cahiers Lautréamont, Jean-Pierre Lassalle reprend une hypothèse jadis formulée par Alain Jouffroy, et relit le trajet de Mervyn au Chant VI à la lumière d’un événement de 1793 impliquant le transport, de la place Vendôme au Panthéon, du corps du marquis Michel Le Peletier de Saint-Fargeau. Romain Enriquez s’interroge quant à lui sur les connaissances qu’Isidore Ducasse pouvait avoir de la psychologie, discipline et science balbutiante, dont il considérait qu’elle avait encore « beaucoup de progrès à faire ». S’appuyant sur l’ouvrage d’Hippolyte Taine, De l’intelligence, paru à la même époque, il reconsidère le projet ducassien qui, s’improvisant professeur d’hypnose dans le Chant VI, entend crétiniser son lecteur. 21Enfin, aux antipodes de l’approche scientifique d’un Taine, Giovanni Berjola propose un parallèle avec l’ouvrage du philosophe spiritualiste et ésotérique Louis-Claude de Saint-Martin, Le Crocodile ou la guerre du bien et du mal arrivée sous le règne de Louis XV, qui aura pu insuffler tout son venin aux pages pleines de poison des Chants de Maldoror.
Adoptant une approche plus biographique qu’herméneutique, nous ouvrons également un important dossier, peut-être amené à être poursuivi et complété, sur l’homosexualité d’Isidore Ducasse. Face à l’importance de la thématique homosexuelle dans Les Chants de Maldoror, il importait de se demander ce que signifiait, sous le Second Empire, être homosexuel. Nous proposons une enquête et une reconstitution des milieux « gays » du Paris de l’époque, qui permettront de relire, sous un jour nouveau, les déambulations parisiennes du Chant VI. Notre recherche est complétée par une contribution de Jean-Luc Steinmetz, qui s’attèle justement à une relecture du Chant VI, dont il montre que l’origine n’est autre que la strophe onzième du Chant premier. À travers ses multiples reprises, une même scène se voit réécrite, révélant sans doute une obsession lancinante de son auteur.
Enfin, ce numéro s’achève par une série de comptes rendus, de rééditions et de publications d’inédits. Nous donnons ainsi une lettre de Maurice Saillet à Jean-Jacques Lefrère au sujet de Kurt Muller, qui date des débuts de chercheur de l’ancien directeur des Cahiers Lautréamont. Le lecteur pourra également découvrir un document remarquable, une lettre de Claudie Fourneau au sujet d’une représentation des Ballets russes qui fut sabotée par les surréalistes. Lautréamont y tient une place surprenante, et l’anecdote est peu connue. Éric Walbecq nous livre un compte rendu de l’émouvante correspondance entre François Caradec et Pascal Pia, dans laquelle Isidore Ducasse tient une place importante. Nous proposons, enfin, quelques lettres de Pascal Pia à Jean-Jacques Lefrère, un poème peu connu de Leopoldo Lugones, ainsi qu’un inédit de Charles Van Lerberghe, ses notes de lecture des Chants de Maldoror en 1889. Jean-Pierre Lassalle rend compte, pour les lecteurs ducassiens, de la présence fantomatique du poète dans l’œuvre surréaliste de Giovanna. Enfin, un ouvrage d’Alain Jugnon sera brièvement analysé.
Par fidélité aux anciens Cahiers et par tradition, nous avons souhaité clore le numéro par deux rubriques interactives, qui, nous l’espérons, sauront soulever l’intérêt des lecteurs. Les « Ongles secs » reviennent, 22compilant les nombreuses questions sans réponse qui sont autant de chantiers de recherche dont le lecteur pourra se saisir. Enfin, « Gloses et glanes » propose, en vrac, toutes les occurrences et allusions à Ducasse, Lautréamont ou Maldoror, que nous avons pu relever. Rappelons que ces rubriques sont collaboratives, et invitons nos lecteurs à nous faire parvenir, en vue des prochains numéros, leurs propres trouvailles.
Le prochain numéro des Cahiers Lautréamont paraîtra au moment où se tiendra notre colloque international à l’occasion du cent-cinquantenaire de la mort d’Isidore Ducasse. Nous invitons les lecteurs désireux d’y participer, ou voulant simplement en savoir plus, à se reporter en fin de volume, où sont détaillés tous les moyens de nous contacter et de nous suivre sur les réseaux sociaux, pour se tenir informé des actualités ducassiennes. Il ne nous reste plus qu’à souhaiter à nos lecteurs, au nom de l’Association des Amis passés, présents et futurs d’Isidore Ducasse, autant de plaisir à lire ce volume que nous en avons eu à le concevoir. Longue vie à Isidore Ducasse, et à la recherche ducassologique !
Kevin Saliou
Directeur des Cahiers Lautréamont
Président de l’Association
des Amis passés, présents
et futurs d’Isidore Ducasse
1 François Caradec, Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Paris, Éditions de la Table Ronde, 1970, 264 p. ; édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1975, 384 p.
2 Jean-Jacques Lefrère, Le Visage de Lautréamont, Paris, Pierre Horay, 1977, 200 p.
3 Sylvain-Christian David, Philoxène Boyer : un sale ami de Baudelaire, Paris, Ramsay, 1987, 413 p.
4 Pascal Pia, « Lautréamont et ses amis » [réédition], Cahiers Lautréamont, livraisons I et II, 1er semestre 1987, p. 47-54.
5 « Présentation du bulletin », Cahiers Lautréamont, livraisons I et II, 1er semestre 1987, p. 1.
6 Qu’il me soit permis de dire ici, à titre individuel, à quel point les Cahiers Lautréamont, en plus d’être le lieu de ma formation intellectuelle, ont aussi été une source précieuse pour mon travail de recherche et pour ma thèse.
7 Cahiers Lautréamont, livraisons XXI et XXII, 1er semestre 1992.
8 Jean-Pierre Lassalle, « La Bibliothèque du lycée de Pau », Lautréamont & Laforgue dans leur siècle, Actes du deuxième colloque international sur Lautréamont et Laforgue, Tarbes et Pau, 21-24 septembre 1994, Cahiers Lautréamont, livraisons XXXI et XXXII, 2e semestre 1994, Tusson, Du Lérot, p. 31-57.
9 Liliane Durand-Dessert, « Iconographie du Paris d’Isidore Ducasse », p. 189-227 ; Michel Pierssens, « Paris Latin », p. 257-270, dans Isidore Ducasse à Paris, Actes du troisième colloque international sur Lautréamont, Paris, 2-4 octobre 1996, Cahiers Lautréamont, livraisons XXXIX et XXXX, 2e semestre 1996, Tusson, Du Lérot.
10 Guy Laflèche, La Moustache de Lautréamont. URL : http://singulier.info/ma/ind-1.html
11 Ce dictionnaire est aujourd’hui consultable en ligne : Jacques Noizet, Dictionnaire du Cacique. URL : https://dictionnaireducacique.wordpress.com/
12 Cahiers Lautréamont, livraisons LII et LIII, 1er semestre 2000, numéro spécial « Lautréamont au Japon ou Les Chants de Maldoror et la culture d’après-guerre », Tusson, Du Lérot, 2000, 155 p.
13 Sylvain-Christian David, Alfred Jarry, le Secret des origines, Paris, PUF, 2003, 196 p.
14 Id., « La Mort d’Isidore Ducasse », Cahiers d’Occitanie no 51, décembre 2012, p. 103-121.
15 Id., « Oiseaux, douleur, dieux sanguinaires », Cahiers d’Occitanie no 50, juin 2012, p. 91-120.
16 https://cahierslautreamont.wordpress.com/
17 Michel Pierssens, « Lucien et François vont en bateau », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2012/12/13/54/
18 Id., « Demoiselle Davezac (Céleste Jacquette) », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2012/12/16/demoiselle-davezac-jacquette-celeste/
19 Id., « Joseph Bleumsteim reste introuvable », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2012/12/17/joseph-bleumsteim-reste-introuvable/
20 Jean-Pierre Goldenstein, « D’un piège à rats perpétuel », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https ://cahierslautreamont.wordpress.com/2012/12/11/dun-piege-a-rats-perpetuel/
21 Jean-Jacques Lefrère, « Louis Durcour enfin identifié ? », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2013/12/05/louis-durcour-enfin-identifie/
22 Id., « Un drame à Saint-Malo : dix-sept lignes d’Émile Blavet dans Les Chants de Maldoror », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2014/08/17/un-drame-a-saint-malo-dix-sept-lignes-demile-blavet-dans-les-chants-de-maldoror/
23 Gérard Touzeau, « Louis d’Hurcourt, dédicataire des Poésies », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2016/04/05/louis-dhurcourt-dedicataire-des-poesies-disidore-ducasse-1/
24 Olivier Fodor, « Un exemplaire atypique des Chants de Maldoror », Cahiers Lautréamont numériques. URL :https ://cahierslautreamont.wordpress.com/2015/11/11/une-decouverte/
25 Le fruit de ce travail, encore en cours, sera prochainement révélé à nos lecteurs.
26 Daniele Bertacchi, « Isidore Ducasse, garde national mobile », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2016/03/16/isidore-ducasse-garde-national-mobile-2/
27 Gérard Tasset, « De nouveaux éléments sur Genonceaux », Cahiers Lautréamont numériques. URL : https://cahierslautreamont.wordpress.com/2018/02/06/de-nouveaux-elements-sur-genonceaux/
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-09812-6
- EAN : 9782406098126
- ISSN : 2607-754X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09812-6.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/11/2019
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Lautréamont, Isidore Ducasse, Maldoror, Jean-Jacques Lefrère, éditorial, AAPPFID