Le roi de France, hospes ou hostis ? Points de vue sur la France et les Français dans la Venatio du poète humaniste Ferrarais Ercole Strozzi (Ferrare, c. 1473-1508)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2019 – 2, n° 38. varia - Auteur : Charlet-Mesdjian (Béatrice)
- Pages : 87 à 109
- Revue : Cahiers de recherches médiévales et humanistes - Journal of Medieval and Humanistic Studies
LE ROI DE FRANCE, HOSPES OU HOSTIS ?
Points de vue sur la France et les Français
dans la Venatio du poète humaniste Ferrarais Ercole Strozzi
(Ferrare, c. 1473-1508)
Lors de la bataille de Ravenne (11 avril 1512)1, au moment où le Duc Alfonso Ier d’Este2, allié de Louis XII, s’apprêtait à faire donner du canon, et, tandis que l’on s’inquiétait qu’en tirant il ne risquât d’atteindre aussi bien les Français que le camp adverse de la Sainte Ligue, il aurait répliqué en ordonnant :
Tirez sans crainte de vous tromper, ce sont tous nos ennemis.
Ce « bon » mot en dit long sur son état d’esprit à l’égard de la France et des puissances supranationales, comme, d’ailleurs des grandes cités-États italiennes envers lesquelles, indistinctement, et à juste titre, avec le pragmatisme sans illusion qui caractérise les plus faibles face à leurs prédateurs éventuels, le duc d’Este ne se départissait jamais de sa défiance systématique.
L’on a déjà beaucoup étudié, pour la période des guerres d’Italie, la perception des Italiens par les Français, et ce, en raison de l’attraction que la péninsule exerça sur leurs monarques, de Charles VIII à François Ier, et de l’influence incontestable du modèle italien sur la Renaissance française3 ; inversement, l’on s’est également penché sur les relations diplomatiques 88qu’entretinrent Venise ou Florence avec la France à cause du rayonnement de ces cités-États, mais aussi de la valeur des témoignages historiques ou politiques qu’elles nous ont légués, en l’espèce des relazioni d’ambassadeurs de la Sérénissime ou du traité machiavélien4. En revanche, nous semble-t-il, la question n’est pas encore totalement épuisée s’agissant des petites cours padanes, dont les origines, les intérêts et la culture les distinguent nettement de la République des Doges comme de la Commune des Médicis5.
Or, dans cette perspective, l’œuvre majeure d’Ercole Strozzi est son epyllion cynégétique, dont il reste deux versions composées à plusieurs années d’intervalle : en 1494, puis entre 1502 et 15046 – et donc, dans 89des contextes politico-diplomatiques bien différents –, parce qu’il fait de Charles VIII, à la veille de sa descente en Italie, l’ordonnateur d’une chasse à courre organisée à la fois pour tromper l’inaction de ses troupes et honorer ses visiteurs « italiens », ce texte constitue précisément sur ce sujet un corpus privilégié.
Après avoir tenté de définir le contexte / les circonstances qui conditionne(nt) le point de vue d’Ercole Strozzi sur la France et les Français, nous analyserons sa position ambiguë en nous appuyant sur les concepts liés aux sémantismes du couple lexical hospes et hostis.
SITUATION D’ERCOLE STROZZI
DANS L’AMBIANCE FERRARAISE
La première branche « ferraraise » de la gens Strozziana7, dont est issu Ercole8, ne s’est pas uniquement illustrée à travers son œuvre poétique 90latine humaniste, elle a également fourni, depuis son immigration, de grands commis de l’État des Este ayant participé à la conduite des affaires publiques domi militiaeque en tant que condottieri, ambassadeurs ou administrateurs9. Son grand-père Giovanni (« Nanni ») Strozzi quitte volontairement Florence pour s’enrôler dans l’armée de Niccolò III d’Este vers la fin des années 1300 ; grâce à sa valeur guerrière, il se voit accorder la citoyenneté en 1399, puis, par la faveur du prince, épouse une parente de celui-ci, une Costabili de Modène (Costanza, † 1426), et reçoit en propre domaines et fiefs, ce qui l’agrège à la noblesse terrienne. Ambassadeur plénipotentiaire, chargé d’une mission de paix auprès de Florence en 142310, il fut nommé gouverneur de Parme, Modène et Reggio. Le 1er juin 1427, il meurt en héros des suites de ses blessures reçues sur le champ de bataille de Gottolengo11, alors qu’il exerçait depuis 1426 le commandement en chef des armées du contingent des Este dans la guerre de la ligue florentino-vénitienne contre Milan. Ses deux patries, Florence et Ferrare, lui organisent des funérailles officielles et c’est d’ailleurs à cette occasion que Leonardo Bruni entreprend d’écrire un discours dont il reprendra plus tard la rédaction pour en faire le second panégyrique de Florence12. À la génération suivante, les oncles d’Ercole Strozzi et son père, Tito, occupèrent des postes de premier plan dans l’armée ou l’administration de la principauté. Mais la trajectoire de son père fut en quelque sorte inversée. Poète, et seulement poète sous 91Leonello et Borso d’Este, il dut ensuite concilier negotia militaires et/ou otium poétique à l’heure où la situation politique italienne s’altérait. Et, tandis que, sous Ercole et Alfonso Ier, il devient un acteur majeur de la sphère publique à Ferrare et en Italie, il est contraint par deux fois de défendre ses intérêts et sa réputation à la pointe de son stylet, par le moyen de l’invective, puis de la satire.
Dès le berceau, Ercole Strozzi a ainsi été le témoin des grâces et disgrâces de sa famille13, ainsi que du lourd tribut payé par son père durant la guerre du Sel contre Venise (1482-1484), en l’espèce, la destruction de ses propriétés d’Ostellato et de Guardata, puis, lors de sa lieutenance à Lugo, localité alors en proie à de graves troubles civils.
Ercole lui-même d’ailleurs, avant sa vingt-cinquième année, fut associé à la charge de Giudice de’ XII Savij (la plus haute de l’administration ferraraise) à laquelle son père accéda en septembre 149714. L’accession à cette fonction administrative suprême, qui aurait dû marquer, pour Tito, le couronnement d’une carrière entièrement dévouée à la consolidation et au rayonnement du duché, d’abord comme poète officiel, sous Borso d’Este, puis comme homme d’État, à partir du règne d’Ercole d’Este15, devint très vite, vu la dégradation de la situation sociale, économique et politique, un terrible fardeau. On ne tarda pas à reprocher au vieux poète de se décharger de sa tâche, sans toutefois s’en retirer officiellement, sur son blanc-bec de fils16… C’est dans ce climat de vindicte populaire et 92d’ingratitude des princes, ces derniers s’estimant trop heureux d’avoir trouvé en la personne des Strozzi de parfaits fusibles, que Tito et Ercole passèrent les dernières années de leurs vies : Tito s’éteignit en 1505 et Ercole, après avoir poursuivi son office jusqu’en 1506, tout en composant son œuvre poétique, fut assassiné en 1508, peu après son union avec Barbara Torelli, laquelle s’était séparée de son premier époux, Ercole Bentivoglio, en 1501 : ténébreuse affaire, que l’on ne chercha pas vraiment à élucider, malgré l’émotion qu’elle suscita17 !
La Venatio, dont la première version manuscrite remonte sans doute à 1494, soit peu avant la descente de Charles VIII en Italie, a été remaniée jusque dans les deux années qui suivirent l’arrivée à Ferrare de Lucrèce Borgia, la fille d’Alexandre VI entrée dans la famille d’Este par son mariage avec Alfonso. C’est d’ailleurs à elle que la seconde mouture du texte imprimée dans l’Aldine, la princeps posthume des Strozzi père et fils parue en 1514 [n. st.], est dédicacée.
Cependant, bien des événements historiques se produisirent qui eussent pu conduire à ce qu’Ercole ne cherchât pas à en retravailler le texte pour en publier une seconde version : la plupart des épopées néolatines à sujets contemporains ont été ainsi laissées inachevées, dont la Borsiade de Tito Strozzi, précisément pour des raisons de bouleversements politiques tels que leurs auteurs finirent par renoncer à les actualiser. Or, ce ne fut pas le cas d’Ercole Strozzi, puisque, malgré le retournement d’alliance opéré par Ludovic Le More dans l’intervalle, puis sa défaite définitive à Novare en 1500, malgré la bataille de Fornoue qui acheva la phase initiale des guerres d’Italie, et la mort même de Charles VIII en 1498, il remania sa Partie de chasse jusqu’en 1502 ou 1504. Notre hypothèse est que, s’il ne jugea pas inutile de la limer pour en offrir une seconde mouture, c’est que, entre autres, le regard porté sur le roi de France et les Français était suffisamment ambivalent, et ce dès sa première version, pour ne pas rendre caduc le message transmis.
En effet, comme nous l’avons montré dans notre édition du texte en confrontant les deux versions parvenues, Ercole Strozzi a réussi, tout en conservant peu ou prou les mêmes schémas narratifs et chronologiques d’une version à l’autre, non seulement à améliorer la qualité esthétique 93de son poème, mais surtout à le « re- » ou « dé-centrer » et à le « dés-actualiser » afin que l’epyllion ne soit pas perçu par son lecteur comme complètement obsolète.
Cette opération s’est traduite par l’adjonction d’un certain nombre de personnages historiques, acteurs de la scène politique ou intellectuelle ferraraise : Hippolyte d’Este (v. 45-57 a et v. 243-268 a), Lucrèce Borgia (v. 11-13 a)18, César Borgia (v. 111-129 a et v. 336-390 a), d’une part, le cercle des poètes humanistes gravitant autour d’Ercole Strozzi, ainsi que de son père, qui fait d’ailleurs lui aussi partie de cette nouvelle distribution, de l’autre. En effet, si, dans la Thera, Marulle était déjà de la partie de chasse, ce n’est que dans la Venatio que sa qualité de poète est précisée (v. 240 a)19 ; et, surtout, s’adjoignent aux guerriers-chasseurs, pour entourer Tito Strozzi, désormais présent (v. 295-315 a), Ludovico Tessyra (v. 99-104 a), Pietro Bembo (v. 269-275 a), Antonio Tebaldeo (v. 276-282 a), Giovanni Pontano (v. 283-295 a), Timoteo Bendedei (v. 316-328 a), Jean Pic de La Mirandole et son neveu, François (v. 329-335 a) et, enfin, l’Arioste (v. 505-508 a). Or, une telle réunion, alors que, dans la version initiale, les participants principaux de la chasse se limitaient au Roi de France et aux deux jeunes diplomates milanais, accuse, par son caractère hautement improbable, la part fictionnelle du texte, tout en diminuant l’importance de Charles VIII et des ambassadeurs du duc de Milan. Le roi de France perd douze vers au bénéfice de César Borgia et de Tito Strozzi. Le sauvetage héroïque de Lya et de Géraste, attribué dans la Thera à Galeazzo Sanseverino, revient dans la Venatio à 94César Borgia, tandis que la comparaison épique qui s’appliquait dans la version manuscrite à Niccolò da Correggio est transférée dans celle de l’Aldine au rhéteur poète, Timoteo Bendedei20.
Il y a néanmoins un grand absent de cette Venatio : Alfonso d’Este, le duc actuel de Ferrare, alors que le nom de Borso, mort pourtant depuis de nombreuses années, est tout de même évoqué21, et que, surtout, Hippolyte d’Este, décrit à la tête de la jeunesse italienne (v. 45-57 a), et César Borgia, y rivalisent d’héroïsme avec le roi de France ou les Milanais, leur disputant désormais la vedette. Il faudrait enfin distinguer aussi, si l’on considère, non plus la Venatio seule, mais l’ensemble de l’œuvre poétique d’Ercole Strozzi, un troisième italien mis à l’honneur, François de Gonzague, dont Ercole Strozzi a favorisé l’amitié amoureuse avec Lucrèce Borgia et qui, en tant que vainqueur de Fornoue (1495) et de Novare (février 1496), incarne, plus encore peut-être que César Borgia, lié à l’Espagne par ses origines, à la papauté par son père, et à la France par son mariage, la uirtù spécifique de l’Italie du Nord, surtout après que Ludovic Le More a été exclu du jeu politique22. En effet, outre une allusion à la victoire de Fornoue (1495) dans l’épicède du chien Borgeto (Borgeti canis per Herculem Strozam Titi filium epicedium, v. 196-199), François de Gonzague est célébré en même temps que l’autre « grand homme » de Mantoue, Virgile, dans l’éloge hexamétrique du site adressé par son titre aux nymphes qui l’habitent : Herculis Strozae Titi filii de loco, ubi Maro primum lusit, ad Andiadas nymphas.
95Ainsi, dans la seconde version, la figure du roi de France n’est plus la seule à attirer les regards et à susciter l’admiration ; d’autres nobles chasseurs, en sus des ambassadeurs milanais, entrent en émulation avec lui. Néanmoins, de notre point de vue, si la disparition de Charles VIII n’a pas eu pour conséquence la fin du projet d’écriture de la Venatio, c’est que, semble-t-il, dès sa première version, le roi de France et les Français étaient présentés comme des figures ambiguës et que, en dépit des apparences, ils n’étaient pas destinés à incarner les véritables héros de cette histoire. De fait, les ambassadeurs milanais étaient gratifiés d’une image tout aussi positive et surtout l’encadrement de cette première version (son prooemium et sa conclusion) annonçait la composition d’une épopée à la gloire de Ludovic Le More23… alors que Carolus doit se contenter d’un epyllion : une Venatio, et non une Carliade24. Ainsi, conformément au genre choisi, nous allons voir que le roi de France et les Français sont, tel Janus bifrons, doués d’une double face : hospitalière ou hostile, tragi-comique, plutôt qu’épique.
96CHARLES VIII, FIGURE DE L’HOSPES
Certes, à première vue, Charles VIII est doté de toutes les qualités que l’on reconnait à l’hôte : simplicité, affabilité et libéralité25. Il accueille dans son château (à Lyon26 ?) les ambassadeurs milanais ; puis il est accueilli à son tour à la fin de la chasse après l’épisode de la tempête par une vieille femme pauvre, qualifiée d’hôtesse.
Et il est vrai que, du point de vue historique, la descente du roi de France en Italie a pris le plus souvent l’allure d’une visite de courtoisie ou d’un voyage de tourisme et d’agrément, plutôt que d’une invasion militaire. De fait, les Italiens, y compris ceux qui lui étaient les moins favorables, préférèrent, pour éviter le bain de sang, faire profil bas et jouer la carte diplomatique : en clair, le laisser progresser vers Naples, plutôt que d’aller à un affrontement, dont ils savaient qu’à ce moment-là, sans préparation et désunis, ils ne sortiraient certainement pas vainqueurs et, précisément, l’un des plus fins, et des plus duplices en la matière, fut le propre père de Lucrèce, le pape Alexandre VI. Ainsi, tout au long du 97parcours de Charles VIII, les cités-États, bien loin de fermer leurs portes à son arrivée et de lui résister, organisèrent pour le Roi et ses troupes des entrées triomphales et toutes sortes de festivités27.
Néanmoins, au début de l’epyllion, les rôles sont inversés, ce sont les missi dominici milanais qui rendent visite au roi en son château et c’est en leur honneur que ce dernier décide d’organiser une partie de chasse. Là encore, si nous savons bien qu’une telle chasse n’a pas eu de réalité historique, nous savons aussi qu’elle aurait pu en avoir une, puisque la chasse à courre et l’aucupium (la chasse au vol) font partie des otia (loisirs) les plus prisés à la fois par la cour de France, le duché de Milan et les principautés padanes28. La chasse passe, en effet, pour une éducation et un entraînement à la guerre, mais également pour une occasion favorable aux échanges diplomatiques, où chaque camp en présence peut faire une formidable démonstration de sa puissance économique et militaire. Ainsi, à grands frais, en février 1493, Ercole d’Este avait 98organisé à l’occasion de la visite de Ludovic Le More et de Béatrice d’Este, neuf journées de festivités extraordinaires durant lesquelles se succédèrent, dans une ambiance de magnificence proche de celle décrite dans la Venatio, joutes, pallio, fêtes dans les jardins, représentation des Ménechmes. Or, à ces réjouissances, l’on sait que Galeazzo San Severino et Niccolò da Correggio participaient. Et, surtout, en octobre 1494, Ludovico Sforza avait invité Charles VIII, dont il connaissait la passion pour la vénerie, à de somptueuses (et somptuaires !) chasses à Gropello et à Dorno, près de sa résidence d’été de Vigevano.
En effet, financièrement, de telles parties de chasse sont extrêmement onéreuses ; Poggio le dit assez dans sa deuxième facétie29 : l’entretien de meutes de chiens et d’écurie de chevaux entraîne des dépenses « folles », sans commune mesure avec ce que le produit de la chasse est susceptible de rapporter à ses pratiquants ; ce qui en fait d’ailleurs une activité réservée aux castes sociales les plus élevées.
Néanmoins, Ercole Strozzi30, dans toute la première partie de sa Venatio, bien loin de critiquer le luxe exhibé, exprime au contraire son admiration devant la splendeur des équipages par la voix des spectateurs internes et des descriptions des hommes (v. 60 a31 ; v. 82-86 a32 ; 99v. 115-120 a33), comme des montures (v. 92-96 a34). Il va même jusqu’à sublimer cette débauche de luxe en insistant sur la dimension artistique de ces objets précieux, la munificence du roi de France, ainsi que la coutume, associée au devoir d’hospitalité, du don et du contre-don : ce type d’échange, réciproque et non mercantile, est alors dépouillé de tout caractère ignoble35.
Là encore, il est établi par les historiens que l’expédition de Charles VIII a été fort dispendieuse, notamment pour les États italiens qui se virent contraints de contribuer aux dépenses36 ; d’autant plus que l’escorte ne se réduisait pas à ses troupes, mais comportait aussi toute l’intendance indispensable à l’entretien des armées en campagne : vivandiers et vivandières, médecin, palefreniers, etc.37
Quant à la démonstration de la virtù militaire, elle est assurée par les aristies qui mettent aux prises l’homme et ses auxiliaires domestiques, 100animaux familiers, chiens et chevaux, avec les bêtes sauvages. Dans la première version, l’aristie royale est particulièrement mise en valeur. Dans la seconde, en revanche, un rééquilibrage s’opère. Quel que soit, en effet, le critère considéré, sauf celui du rang d’apparition, ou de la fréquence des citations – Charles VIII demeure dans le texte imprimé le premier à paraître et le plus souvent cité –, il ne se distingue plus nettement du lot des sept personnalités majeures de cette chasse, soit, par ordre d’entrée en scène et donc, après lui : Galeazzo Sanseverino, Niccolò da Correggio, Hippolyte d’Este, César Borgia, Tito Strozzi. Si l’on prend la longueur des mentions, avec ses 44 vers, il est surpassé par Galeazzo Sanseverino (96 vers) et César Borgia (67 vers) ; dans les comparaisons épiques, il est concurrencé par César Borgia, qui, comme lui, est comparé à un dieu ; pour les prises de paroles, il n’est pas le seul à s’exprimer au discours direct : Niccolò, César et l’Arioste le font aussi ; enfin, concernant les exploits cynégétiques, la palme revient à César Borgia qui sauve deux jeunes gens en combattant victorieusement, à pied et au poignard, un ours gigantesque. Hippolyte d’Este vient ensuite, car celui-ci sauve la vie d’Amyntas en poursuivant à cheval un sanglier féroce qu’il réussit à abattre au javelot et à l’épée. Lui-même suivi de près par Galeazzo Sanseverino qui, après avoir occis un sanglier, se mesure avec succès à deux animaux étranges et prodigieux : le bœuf-cerf et l’élan. Bref, le tableau de chasse du roi de France, une ourse pleine, ne le hisse pas non plus au-dessus des hôtes de sa chasse. Et, en maintenant la balance égale entre les figures principales, le roi de France, le représentant de Ludovic Le More et César Borgia, Ercole Strozzi adopte sans doute une forme de neutralité à l’égard des forces politiques en présence typique de la diplomatie ferraraise. Quant à l’absence d’Alfonso d’Este parmi les chasseurs, elle pourrait, entre autres, s’expliquer par le type de guerrier nouveau qu’il incarne. En effet, passionné et expert d’artillerie, il pratique une guerre moderne qui s’éloigne de l’idéal du combat singulier homérique ou chevaleresque.
Dans ce texte, le roi et les Français sont regardés comme des hôtes possibles, car ils sont représentés comme des alter ego de leurs compagnons de chasse « italiens ». Tous appartiennent au même monde : ils sont de rang social équivalent, le roi, certes, est de condition plus élevée, mais il est décrit davantage comme un primus inter pares que comme procédant véritablement d’une autre nature ; et, d’autre part, Strozzi ne manque 101jamais une occasion de souligner la parenté ethnique qui lie les italiens du Nord aux franco-galli. Si les gaulois chevelus (genteisque comatas, v. 46) et leur roi suscitent la curiosité des ambassadeurs milanais, Ercole Strozzi ne manque pas pour autant de souligner les liens de parenté entre le peuple de Milan et les Français en employant le gentilé Insuber à propos du territoire lombard ou de ses habitants (Insubribus aruis, v. 38 ; Insubrumque Duci, v. 70) ; et c’est sans doute non seulement pour mettre en valeur son allure athlétique et son élégance naturelle, mais aussi pour complaire à son allié français, que le bel Hippolyte d’Este a revêtu un simple sayon gaulois (Sed sagulo in uiridi cunctis incognitus ibat, v. 51 a).
À cette proximité à la fois sociale et ethnique vient encore s’ajouter une communauté linguistique et culturelle. Les personnages parlent tous la même langue : la langue commune, le latin. Non seulement l’on ne relève pas de changement de langues à l’intérieur du texte, mais encore aucune particularité linguistique (d’ordre lexical, morphologique, syntaxique, etc.) ne permet de distinguer les parlers « italiens » des « français ». En vérité, l’ambiance ferraraise, par sa situation géographique, se situe au carrefour des traditions littéraires et poétiques françaises et italiennes : France d’oïl, France d’oc, tradition franco-vénitienne ou antique. En effet, si Leonello, l’élève de Guarino de Vérone et, dans une moindre mesure, Ercole, second Hercule, incarnent l’idéal du prince humaniste favorisant le retour des Muses gréco-latines dans leur État, en revanche, Borso d’Este passe pour leur avoir préféré les romans de chevalerie à la française, même s’il choisit comme poète officiel, le père d’Ercole Strozzi, Tito, poète humaniste de langue latine. Ces liens culturels ont été aussi parfois renforcés par les mariages des princes contractés avec les Espagnols (union d’Éléonore d’Aragon à Ercole d’Este), et, plus tard, avec la France (union de Renée de France à Ercole II). Enfin, il ne faut pas non plus négliger, dans cette communauté culturelle, le rôle des humanistes, comme le souligne, dans la seconde version, l’introduction de poètes parmi les chasseurs : leur sodalité contribue à dépasser les clivages « nationaux », pour souligner les liens entre cisalpins et transalpins.
Néanmoins d’hospes à hostis, il n’y a qu’un pas. Déjà Cicéron (De officiis I, 12) faisait remarquer une évolution linguistique au terme de laquelle le mot latin hostis qui désignait originellement l’« étranger » a fini par signifier, par euphémisme, l’« ennemi » : « La tristesse de la réalité a été atténuée par la douceur du terme, en ceci que fut appelé hostis celui 102qui à proprement parler était perduellis [= ennemi]. On nommait hostis en effet chez nos aïeux celui que maintenant nous nommons peregrinus, étranger38. »
Et, bien plus tard, Émile Benveniste a souligné la parenté étymologique entre l’hostis (= orig. étranger ; ensuite ennemi) et l’hospes (= hôte), conduisant en quelque sorte à une contamination de l’étranger et de l’hôte par l’ennemi39.
Le terme d’hospes est employé à deux reprises et chaque fois dans le discours du roi : tout d’abord, lorsque Charles VIII s’adresse à l’Albanais qui vient de lui faire don du chien Aschétos, en le priant de se joindre à ses chasses en hôte (v. 162 : Tu simul accedas nostris uenatibus hospes) ; puis, quand il répond à une vieille femme qui vient de lui offrir l’hospitalité de son humble chaumière et lui demande de ne pas la mépriser (v. 892) : « Sis felix, sis hospes, ait, non nostra cooptem / Fercula : regales pariunt fastidia mensae ». Quant au substantif hostis, il est fréquemment utilisé et désigne le plus souvent les animaux sauvages contre lesquels luttent les chasseurs et leurs chiens (v. 354, 366, 383, etc.).
Nous allons montrer que cette confusion potentielle, inscrite dans le lexique même des langues indo-européennes, et du latin en particulier, reçoit sa traduction poétique dans le portrait du roi de France et des Français que brosse Ercole Strozzi dans cette Venatio. Les Italiens du Nord, par la voix du poète ferrarais, ne serait-il pas en train d’offrir à Charles et à ses troupes l’« hostipitalité40 » ?
103LE SPECTRE DE LA GUERRE
ET LA POTENTIELLE HOSTILITÉ FRANÇAISE
Charles VIII, figure de l’hostilité
En effet, le spectre de la guerre plane dès les premiers vers du texte. Le prooemium de l’Aldine, exposant le sujet que le poète entreprend alors de traiter, définit très classiquement les batailles rangées des chasseurs comme des simulacres de guerre (v. 7 a) ; puis la menace s’actualise historiquement et prend le nom de Carolus : le même vers 15, désignant celui-ci pour la première fois par son prénom en même temps qu’il essentialise Charles comme le fauteur de guerre : Carolus et Latias bellum meditatur ad urbeis. Or, Ercole Strozzi, loin de chercher à légitimer cet affrontement, cette guerre offensive, comme il eût été aisé de le faire en rappelant les droits du roi de France sur Naples et/ou son projet de croisade, présente le souverain français comme ourdissant (meditatur) un choc de civilisations entre les peuples du nord et la latinité. A contrario, ce qui prédomine dans la première description des ambassadeurs est leur goût pour la paix. Ils s’inscrivent ainsi dans la continuité idéologique de la pax Romana qui n’avoue jamais d’autre objectif à la guerre que le maintien ou l’imposition de la paix, au besoin par la force armée (si uis pacem, para bellum). S’ils mettent leurs armes au service du Roi de France (v. 37 Atque illi ad regem sese suaque arma ferebant), le but de leur visite est la conclusion d’un traité d’alliance entre Ludovic Le More, qu’ils représentent, et le roi (v. 39-40)41, et leur valeur militaire et civique est placée tout entière au service de la placida pax, polyptote sur lequel se conclut leur présentation dans les deux versions du texte (v. 40-44 F et a)42. Ercole Strozzi prédit aussi à l’occasion de l’aristie de César Borgia ses campagnes futures qu’il promet de 104chanter (v. 349-351 a) : Tempus erit quo te Gallos sub iura togatos / Bisque acreis urgentem Vmbros Latioque frementem / Bella canam atque aliis accingam sedulus armis. Mais, en ces vers, la violence belliqueuse qui s’exprime à travers le sémantisme des verbes urgere et fremere est tempérée par l’invocation du droit (sub iura) et la mention différée de bellum, précédant immédiatement le verbe canere, ce qui tend à légitimer les guerres du Borgia et à les rendre dignes d’un chant épique. Enfin, le v. 738, sous un voile métaphorique43, semble encore faire allusion aux conflits au cours desquels Charles VIII s’affronta, non plus aux « Latins », mais à Maximilien d’Autriche (1486), conflits dans lesquels la confédération helvétique fut également impliquée, soit la guerre de Souabe (1499).
D’autre part, outre ces allusions historiques, nous croyons que, dans la seconde partie du texte qui bascule dans le fantasmagorique et l’héroï-comique, Ercole Strozzi adresse indirectement, grâce au recours à la fable mythologique et à l’imitation des sources antiques d’une part, et à la parodie des genres épique et romanesque issus respectivement des traditions antique et médiévale d’autre part, une critique de la forme de guerre que les guerres d’Italie inaugurent.
Signification de la geste héroï-comique d’Alcimus
et de la chute rocambolesque du cocher Tentira
En effet, après les descriptions des aristies de chasseurs nobles et humanistes ayant tous un référent dans la réalité historique, Ercole Strozzi passe abruptement à la narration déroutante de la geste héroï-comique d’un personnage qui est le seul, parmi les chasseurs, qui soit tout entier sorti de son imagination, tandis que, parallèlement tous les repères spatio-temporels s’abolissent pour laisser place à un univers purement mythologique et légendaire. Or Alcimus, nom dérivé du substantif grec qui signifie la « force », n’est pas d’une nationalité indifférente, mais il s’agit d’un Français, comme prend soin de la préciser Ercole au v. 852 (Gallicus heros), et il a aussi en commun avec ses compatriotes et leur roi de poursuivre la même offensive de guerre contre le Latium (v. 916 a) en excitant encore un peuple venu du nord, cette fois-ci, les Belges44.
105Autre trait qui le distingue de tous les autres chasseurs, il pratique, sans le savoir, une chasse ignoble et sacrilège, car la proie qu’il poursuit s’avère être, malgré les apparences (ses proportions gigantesques et ses efforts pour opposer une certaine résistance), un ennemi indigne d’être traqué et proprement intouchable. En effet, il s’agit du sanglier châtré apprivoisé par Diane. Face au courroux des nymphes et déesses, et à la tempête déchaînée par Jupiter, Alcimus est frappé d’até, l’aveuglement dont les Dieux punissent les hommes enflés d’hybris dans la tragédie grecque. En effet, tout dans ses réactions trahit cet état : il ne craint plus les dieux45 (alors que la crainte qu’ils nous inspirent est le commencement de la sagesse !) et finit par être atteint de folie, ne voyant pas qu’en s’entêtant à poursuivre coûte que coûte son entreprise impie, il met en péril sa propre vie, comme celle des siens, sans même parvenir à la mener à bien (le sanglier, délivré par Diane, finissant par lui échapper), ni à rencontrer une mort héroïque. En effet, dans la version de l’Aldine, après avoir essuyé les orages de Jupiter et avoir été estourbi par la chute d’un chêne foudroyé, il recouvre ses esprits et revient à la vie, mais se trouve contraint de s’en retourner chez lui ridicule et bredouille.
L’interprétation de la geste d’Alcimus qui détonne absolument au regard des aristies antérieures, par son traitement héroï-comique et par sa diégèse, me paraît évidente. Par le biais de cet exploit qui se conclut, dans l’Aldine, en « eau de boudin », Ercole Strozzi a cherché à transposer en termes mythologiques et dans un registre héroï-comique la descente, finalement peu glorieuse, de Charles VIII en Italie, puisqu’elle se solde par la « drôle » de bataille de Fornoue.
Cette lecture est en outre corroborée par la seconde invention poétique qui vient clore la partie de chasse : la narration, tout aussi fantaisiste, de la mésaventure du cocher Tentira dont le chariot, rempli du butin, s’emballe et finit par verser, tandis que lui-même se retrouve projeté dans les airs et suspendu à la branche d’un arbre. Or, si l’on peut voir 106dans ce récit burlesque, ajouté dans l’Aldine (v. 950-955 a)46, la version parodique de la tragédie du fils d’Apollon qui échoue à conduire le char du Soleil47, l’on peut aussi y lire, à la lumière des événements historiques, une allusion masquée à l’abandon forcé d’une très grande partie de son butin de guerre par Charles VIII et ses troupes à l’issue de la bataille de Fornoue, quand il décide de précipiter son retour en France48.
La leçon de l’hôtesse
Un dernier personnage de pure fiction mérite enfin notre attention pour la valeur symbolique qu’il incarne aussi, selon moi. Cette fois-ci, il s’agit d’une figure qui s’oppose par tous ses traits aux héros de la chasse, puisqu’elle est femme, chargée d’ans (v. 874-875 a Interea non tristis anus nec uicta senecta / Sed uiridis lauroque caput uelata seuerum) et de condition particulièrement modeste49. Or, à mon sens, elle joue un rôle primordial dans cette histoire : c’est elle qui abrite les chasseurs et les Italiens après l’orage et leur offre l’humble hospitalité de sa pauvre chaumière. L’on ne peut s’empêcher de penser que, lorsque Ercole Strozzi insiste sur sa verdeur, en en faisant en quelque sorte le pendant féminin du passeur virgilien des morts, il cherche à nous signaler son caractère surnaturel qui l’apparenterait à une figure allégorique ou à une divinité. Les mets que la vieille femme propose au roi et à ses hôtes 107chasseurs50 contrastent par leur simplicité rustique avec la débauche de luxe des équipages des nobles veneurs. Il s’agit aussi d’une nourriture typique du régime méditerranéen : du raisin, des olives, des châtaignes, des amandes, du fromage qu’Ercole prend soin de rattacher à toute une série de références mythologiques qui en font également la nourriture des dieux ou plutôt celle que ceux-ci partageaient avec les hommes du temps de l’âge d’or, quand la paix et la justice régnaient sur terre et quand hommes et dieux prenaient place à la même table. On peut même ajouter que le fromage n’est pas n’importe quel fromage, mais une meule de Piacenza dont on sait que le roi de France raffolait51, ce qui confirme qu’à ce point l’action de l’epyllion s’est transportée dans le Latium, refuge de Saturne ; ou qu’au cœur de la forêt légendaire d’Hercynie se cache une nouvelle Pallantée, si bien que la vieille femme serait le double féminin du vieux roi Évandre, plutôt que Baucis ; et, de fait, lorsqu’elle prie le roi de France, son hôte, de ne pas mépriser son frugal conuiuium, elle ne fait que rééditer la demande que le chef des Arcadiens faisait à son hôte Énée52. La vieille femme est donc l’allégorie de cette Italie éternelle et « populaire ». Sa couronne de laurier représente à la fois la gloire militaire acquise par des guerres justes et chevaleresques, mais aussi la supériorité italienne dans le domaine des arts et lettres.
L’interruption abrupte de la narration par une apostrophe au roi de France (v. 894-89553) auquel le poète adresse directement une diatribe 108contre le goût du luxe et des richesses, causes des guerres sanguinaires54, ainsi que, dans la version de l’Aldine, la comparaison finale imitée de Stace (Silu. 4, 7, 14-16) associant l’or extrait des entrailles de la terre aux mânes du gouffre obscur (963-966 a55), corroborent cette interprétation de la seconde moitié du poème.
La Venatio d’Ercole Strozzi traduit bien l’état d’esprit des Italiens du Nord, et, en particulier des Ferrarais, à l’égard du roi de France et des Français, de 1494 au premier lustre du siècle commençant. Dans la partie d’échecs qui se joue entre les différents acteurs se disputant le pouvoir sur le sol italien, les alliances se nouent et se dénouent au gré des circonstances et des intérêts mouvants et un hospes est susceptible de devenir, d’un jour à l’autre, un hostis, comme Charles VIII put en faire l’amère expérience. Le succès de la Venatio tient, en partie, à sa justesse d’analyse : les deux versions du texte contiennent une mise en garde discrète et diffuse contre les guerres offensives entreprises par appât du gain et désir de conquête et de domination. Dans l’Aldine, Charles VIII n’est plus le seul point de mire ; mais, conformément à la situation géopolitique en constante évolution, d’autres personnages historiques, princes et poètes, sont désormais de la partie, lui volant la vedette, tandis que le regard porté sur les Français et leur souverain, 109déjà ambigu en 1494, gagne en causticité avec les récritures de la seconde moitié du texte. En effet, l’invention de personnages fictifs et d’une allégorie (du Latium ou de l’Italie) pour incarner l’avertissement adressé au roi de France n’améliore pas seulement la qualité esthétique du texte, mais en renforce le message subliminal, dépouillé ainsi de son caractère trop vague et général.
Enfin, cette affirmation sur le plan des contenus retentit aussi inévitablement sur les formes. Le recul pris par E. Strozzi par rapport à la guerre explique qu’il ait privilégié parmi les genres hexamétriques ceux qui relèvent du style moyen (epyllion, épicède). Le temps des illusions épiques est fini. C’est le crépuscule des guerres héroïques ou chevaleresques dont la chasse était le simulacre. Dans cette mutation, le roi de France, qui, par ses origines (et par son prénom), était tout désigné pour être l’hôte de l’Italie, risque d’être perçu et traité par elle comme son ennemi. La Venatio, en latin, comme l’Orlando amoroso ou furioso en vernaculaire, œuvres entre lesquelles, chronologiquement, le chef-d’œuvre néo-latin d’Ercole a été composé, chante la fin d’un monde…
Béatrice Charlet-Mesdjian
Aix Marseille Université, CAER,
Aix-en-Provence, France
1 Sur cette bataille qui constitua, avant la bataille de Marignan (1515), un tournant des premières guerres d’Italie et fut une « victoire à la Pyrrhus » pour les Français, d’où la guerre de propagande qui s’ensuivit entre les deux camps, voir J. Dumont, « Les précédents : la bataille de Ravenne (1512) », Marignano 1515 : la svolta, Atti del Congresso-Milano, 13 settembre 2014, éd. M. Viganò, Trivulziana, pubblicazioni della Fondazione Trivulzio IX, Milan, 2015, p. 125-143 et p. 266-269.
2 Sur Alphonse Ier d’Este et son rôle crucial lors de cette bataille, voir R. Quazza, « Alfonso I d’Este, Duca di Ferrara », DBI, Rome, Istituto dell’Enciclopedia italiana, 1960, vol. 2, p. 332-336.
3 Voir, par exemple, J.-F. Dubost, La France italienne, xvie-xviie, Paris, Aubier, 1997 ; J. Balsamo, Les rencontres des muses. Italianisme et anti-italianisme dans les lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992 ; Passer les monts. Français en Italie, l’Italie en France, éd. J. Balsamo, Paris, Champion, 1998.
4 Voir, en particulier, l’article de R. Descendre, « Analyse géopolitique et diplomatie au xvie siècle. La qualification de l’ennemi dans les relazioni des ambassadeurs vénitiens », Astérion [En ligne], 5, 2007, mis en ligne le 08 février 2007, consulté le 05 juin 2018.
5 Ferrare a surtout suscité l’intérêt d’un point de vue artistique et culturel, même si la question est souvent envisagée, à juste titre, comme étroitement liée à sa situation politique et géopolitique. Voir par exemple W. L. Gundersheimer, Ferrara, the Style of a Renaissance Despotism, Princeton, 1973 ; M. Folin, Rinascimento Estense. Politica, cultura, istituzioni di un antico stato italiano, Rome, Laterza, 2004.
6 Nous possédons deux versions de cette œuvre : celle transmise par le manuscrit autographe répertorié Strozzae Herculis Venatio Carmen par G. Antonelli (Catalogo dei manoscritti della biblioteca comunale di Ferrara, Classe I, N. 335, Ferrara, 1884, 26 feuillets non numérotés, dont le dernier blanc) et étudié par M. Pesenti Villa, « La Venatio di Ercole Strozzi nell’autografo ferrarese », Memorie del Regio Istituto Lombardo di scienze ed arti, Classe di lettere, 23, 1915, p. 87-124, et celle imprimée par Alde Manuce en 1514 dans l’editio princeps posthume des Strozzi père et fils (Strozii poetae pater et filius. Venetiis : in Aedibus Aldi et A. Asulani soceri, 1513 [1514 n.st.]. Deux parties en un vol. in 8o). B. Charlet-Mesdjian et D. Voisin ont démontré dans leur édition, qui servira désormais de référence (La chasse d’Ercole Strozzi à l’intention de Lucrèce Borgia, édition critique et traduction, Aix-en-Provence, PUP, Textuelles, 2015, voir, en particulier, à ce sujet, les pages 21 à 29 et 58-59 de l’introduction) que le manuscrit autographe, noté F dans notre édition, était très probablement le manuscrit de travail du poète, puisque, si l’on y distingue quatre écritures différentes, elles semblent toutes être de la main même de l’auteur qui, à différentes époques, et avec des plumes et encres différentes, a écrit le poème, corrigé, travaillé, raclé, récrit et ajouté. Or, en confrontant les états de F et l’Aldine (a dans notre édition), il leur est apparu que, lorsque les versions de F et a étaient communes, a reproduisait la dernière leçon de F, d’où leur parti pris d’éditer le texte de l’Aldine (a) correspondant au dernier état revu par l’auteur, hormis sept coquilles évidentes pour lesquelles nous suivons F, et de donner en apparat les leçons divergentes de F. En outre, comme elles reproduisent en annexe la traduction française en vers de la Venatio due à Joseph Lavallée, La partie de chasse par Hercule Strozzi ; poëme dédié à la divine Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare ; traduit du latin en vers français et précédé d’une notice, Paris, L. Techener, 1876, elles donnent aussi les variantes de son édition du texte (identifiée par le sigle v). L’introduction de notre édition (p. 21-29, p. 36-37, p. 47-46) examine dans le détail les remaniements intervenus entre la première version de la Venatio, qui portait primitivement le titre grec de Thera, et son dernier état représenté par le texte de l’Aldine : nous nous y référerons pour les besoins de notre démonstration. A. Pavan avait déjà souligné l’importance des différences entre les deux versions de l’epyllion, voir ses articles : « Ercole Strozzi’s Venatio. Classical Inheritance and Contemporary Models of a Neo-Latin Hunting Poem », Humanistica Lovaniensia, Journal of Neo-Latin Studies, 59, 2010, p. 30-54, et « Scene di caccia per Lucrezia Borgia. Introduzione alla Venatio di Ercole Strozzi, Schifanoia, 36-37, Serra Fabrizio ed., Pise-Rome, 2011, p. 115-142. Comme les événements historiques qui servent de cadre au poème remontent à 1494, sa composition n’a pu être entreprise avant cette date, tandis que l’introduction dans le proemium de Lucrèce Borgia, devenue dans la version de l’Aldine muse et dédicataire, et le témoignage d’une lettre de 1505, où Jean-François Pic de la Mirandole exprime à E. Strozzi son impatience de recevoir sa Venatio permettent de situer son dernier remaniement entre 1502 et 1504.
7 L. Fabbri, « Da Firenze a Ferrara. Gli Strozzi tra casa d’Este e antichi legami di sangue », Alla corte degli estensi Filosofia, arte e cultura a Ferrara nei secoli xv e xvi : Atti del convegno internazionale di studi, Ferrara, 5-7 marzo 1992, éd. M. Bertozzi, Ferrare, Università degli Studi, p. 91-108. Sur Tito Strozzi et sa famille à Ferrare, voir en particulier l’introduction de l’édition scientifique de la Borsiade due à Walter Ludwig (Die Borsias des T. Strozzi. Ein Lateinisches Epos der Renaissance, Munich, Wilhem Fink, 1977) ; mon article, « T. V. Strozzi », éd. C. Nativel, Centuriae Latinae II, Mélanges offerts à M. M. de la Garanderie, Genève, Droz, p. 779-785, et l’introduction de l’édition scientifique du Sermonum liber (c. 1503) et de l’In Ponerolycon (1575) : B. Charlet-Mesdjian, Tito Vespasiano Strozzi, 1423-1505, Œuvres satiriques, Aix-en-Provence, PUP, 2016.
8 Sur la vie d’Ercole Strozzi, Charlet-Mesdjian, Voisin éd., La chasse d’Ercole Strozzi, p. 9-16 ; C. Monteforte, Ercole Strozzi poeta Ferrarese, Catania, 1899 ; M. Wirtz, « Ercole Strozzi poeta Ferrarese », Atti della deputazione Ferrarese di Storia Patria, 16, 1906, p. 21-158.
9 Tito Strozzi, le père d’Ercole, fait l’éloge de ses ancêtres dans l’élégie de circonstances Erot. 5, 3 Ad Hieronymum Castellum Medicum memorans cum plurima, tum Stroziae Domus clarissimos uiros et pace et bello, v. 73-164. Deux d’entre eux suscitent plus particulièrement son admiration : Palla Strozzi (Florence 1372-Padoue 1462), qui fut l’un des premiers promoteurs de l’humanisme à Florence et qui fut contraint à l’exil, quand il devint, avec Rinaldo degli Albizzi, le chef de file de l’opposition à Cosme de Médicis, et son propre père Giovanni (Nanni) Strozzi.
10 T. Strozzi, Bors. 9, 228-252.
11 Combat raconté par T. Strozzi dans son épopée (Bors. 7, 118-121) ; vers 1487, T. Strozzi fait graver sur la sépulture paternelle une épitaphe en prose : Aldine, fol. 145r, texte amendé par G. Mercati (« Di alcuni mss. Ottoboniani non conosciuti », Codici latini Pico Grimani Pio. Cité du Vatican, Studi e testi, 75, 1938, p. 196-202), p. 198-199, à partir de la version de l’Ottobon. Lat. 1661.
12 L. Bruni, Oratio in funere Nannis Strozae equitis florentini, E. Baluze, Miscellanea, G. D. Mansi, IV, apud Junctinum, Lucae, 1764, p. 2-7. Analyse du symbolisme de la figure de Giovanni (« Nanni ») Strozzi : H. Baron, La crisi del primo Rinascimento italiano. Umanesimo civile e libertà reppublicana in un età di clacissismo e di tirannide, Florence, 1970, p. 447-449 et p. 470-471 ; J. M. Mc Manamon, Funeral Oratory and the Cultural Ideas of Italian Humanismus, Chapel Hill-Londres, 1989, p. 96.
13 Les liens entre le père et son fils aîné sont très forts. Dans sa poésie élégiaque, Tito Strozzi met en scène ou s’adresse à son père à plusieurs reprises (Erot. 6, 7 ; Aeol. 1, 4 ; Aeol. 4, 4) ; inversement Ercole compose en l’honneur de son père Tito un épicède que B. Charlet-Mesdjian et D. Voisin ont étudié : « L’épicède de Tito Strozzi par son fils Ercole », Studi umanistici Piceni, 31, 2011, p. 149-165.
14 La date et les circonstances de l’accession de T. Strozzi à cette charge sont fournies par la chronique de B. Zambotti, Diario ferrarese dall’anno 1476 sino al 1504, éd. G. Pardi, Appendice Al Diario Ferrarese Di Autori Incerti, Rerum Italicarum Scriptores.
15 Néanmoins, après la mort de Borso (19 août 1471) et jusqu’en 1475, date de la chute du ministre des finances Bonvicino dalle Carte, le Ponerolycos (« le Méchant loup »), la famille Strozzi tout entière tombe en disgrâce : les oncles d’Ercole sont privés de leurs postes et privilèges ; ils sont contraints, de même que son père Tito, de restituer des biens offerts par Niccolò III et Borso. Bonvicino dalle Carte n’aurait pas pardonné à Lorenzo Strozzi son refus de se prêter à ses malversations pendant la maladie de Borso d’Este (27 mai-30 août 1470). La carrière politique de Tito Strozzi ne commença qu’en 1477. Pour plus de précisions sur les avanies subies à cette période, cf. mon édition des œuvres satiriques de T. V. Strozzi, 2016, p. 201-259.
16 Le Sermonum liber est une réponse de Tito Strozzi aux reproches qui lui sont faits, voir l’édition scientifique de ce recueil, Charlet-Mesdjian (éd.), T. V. Strozzi, Œuvres satiriques, 2016, p. 7-199.
17 Voir F. Giombini, « Ercole Strozzi, Lucrezia Borgia e un delitto misterioso », Lucrezia Borgia nell’opera di cronisti e poeti suoi contemporanei alla Corte di Ferrara, Studi nel V centenario delle nozze di Lucrezia Borgia e don Alfonso d’Este, éd. G. Vancini, Ferrare, 2002, p. 129-150.
18 Le proème de la Venatio subit d’importants remaniements entre la version manuscrite (F) et la version imprimée (a). Dans F, il est long de six vers et comporte une invocation à Erato (v. 1 ; v. 3-6) entrecoupée de l’annonce d’une épopée future (v. 2-3) ; dans a, le proème, de treize vers, se dédouble : des vers 1 à 9, le poète expose ses entreprises poétiques passée, présente et à venir ; puis viennent les invocations à Apollon (v. 9-10) et à Lucrèce Borgia. La confrontation des deux versions aux pages 24 à 26 de l’édition de B. Charlet-Mesdjian et D. Voisin (2016) confirme la postériorité de la version imprimée : E. Strozzi, poète désormais confirmé, considère toute son œuvre poétique, d’où le remplacement d’Erato, muse de la poésie lyrique, par Apollon, dieu de la poésie en général. D’autre part, l’apparition de Lucrèce Borgia parmi le chœur des muses prouve que l’on se situe après son arrivée à Ferrare. Autre différence de taille induite par la modification du contexte historique : si le poète annonce toujours son projet de composer une épopée, il n’envisage plus de chanter Ludovico Maria Sforza, mais Juba. Pour un aperçu synoptique des modifications intervenues entre la Thera et la Venatio dans leur intégralité, se reporter à Charlet-Mesdjian et Voisin, La chasse d’Ercole Strozzi, p. 22-23.
19 Marulle est mis en scène dans les deux versions : v. 203-206 F ; v. 238-242 a.
20 Pour une analyse détaillée exhaustive des différences entre la Thera et la Venatio, lire Charlet-Mesdjian et Voisin, La chasse d’Ercole Strozzi, p. 26-30.
21 Borso d’Este († 1471) est mentionné deux fois dans la Venatio : comme sujet de la Borsiade au v. 310, mais aussi, dès le v. 70 a (Borsius Insubrumque Duci donarat habendum), à propos de la corne d’ivoire sculptée offerte à Niccolò da Correggio par le Duc des Insubres qui l’avait lui-même reçue en don du premier Duc de Ferrare. Dans la version manuscrite, le v. 70 se présentait ainsi : Hoc Lygur Insubrumque Duci donarat habendum. Borsius remplace donc l’ethnonyme Lygur dans l’Aldine. Le nom d’Ercole d’Este, duc de Ferrare (1431-1505) est mentionné dans la présentation de son fils aîné Hippolyte (1479-1520), v. 47 a : Dux erat Hippolytus, pulchro satus Hercule, pulcher / Hippolytus… Fin de vers et enjambement imités de Verg. Aen. 7, 656-657 (satus Hercule pulchro / Pulcher Auentinus). Hippolyte d’Este est créé cardinal en 1493 et archiprêtre de Saint-Pierre du Vatican en 1501.
22 Outre la promesse de lui dédier une épopée, Ercole Strozzi tressait aussi les louanges de Ludovic Le More dans Elegiae 1, 2, 79-86 et dans la pièce 46 de ses Epigrammata : Ad Maurum Mediolani ducem où sont rapportées ses victoires maritimes, notamment celle de Rapallo, le 7 septembre 1494.
23 Dans la version de l’Aldine, E. Strozzi annonce encore dans son nouveau proème une épopée future, mais le nom de Sforza a été remplacé par celui de Juba (v. 8 a, Mox auidum tentare Iubam atque horrentia Martis / Agmina…). Ce dernier, qui désigne le personnage historique antique, Juba Ier de Maurétanie, allié de Pompée et vaincu par César à Thapsus en 46 av. J. C., peut certes, par association d’idées entre le Maure et Le More, renvoyer de manière voilée à Ludovic Sforza, mais cette fois sans le nommer explicitement comme c’était le cas dans le proème de la Thera v. 1-4 : Pande Erato siluas et mecum retia tende / Mox, ubi iam uirtus numeris adoleuerit, arma / Sforciadenque canam : tecumque in puluere belli / Versabor :nunc pone tubas et carminis orsi. Dans les deux derniers hexamètres de la version manuscrite, Ercole annonçait à nouveau son intention de passer à l’épopée (v. 1014-1015) : Siste age Musa gradum, sat sit uenatibus arma / Arma ciet Mauors. Iam Martia bella canamus, alors qu’il n’en est plus du tout question dans la conclusion de la version imprimée.
24 Vanter les exploits de chasse de Charles, Charlemagne ou, plus tard, Charles VIII, considéré comme son incarnation, est un des motifs de l’éloge impérial, comme en témoigne un des deux fragments subsistants du poème anonyme de 799, De Karolo rege et Leone Papa. Or, ce fragment, qui décrit une chasse solennelle à la cour d’Aix-la-Chapelle commençant à l’aube et finissant au coucher du soleil par un banquet somptueux, a servi de modèle à la fois à Ercole Strozzi et à Ugolino Verino. Mais, tandis qu’Ercole Strozzi s’en est inspiré pour composer un epyllion cynégétique, Ugolino Verino n’en retient pas seulement la scène de chasse, mais écrit à l’imitation du même poème médiéval sa Carlias, épopée dont l’une des quatre versions fut offerte en 1493 à Charles VIII. Sur la propension qu’eurent les contemporains de ce roi de France à croire qu’il était prédestiné à dominer le monde et sur les opérations de propagande menées à la veille de sa descente en Italie pour entretenir cette croyance, lire D. Le Fur, Une autre histoire de la Renaissance, Paris, Perrin, 2018, p. 247-253.
25 L’abord simple et affable du roi est constamment rappelé : v. 81 a (Carolus et placido circunspicit agmina uultu, Charles et, le visage serein, il inspecte ses troupes) ; v. 158 a (Miratur gratoque refert ita Carolus ore, Charles admire <le corps terrifiant […] d’Aschétos> et répond ainsi d’un air gracieux) ; v 891-893 a (Cuncta renidenti suscepit Carolus ore : / « Sis felix, sis hospes, ait, non nostra cooptem / Fercula : regales pariunt fastidia mensae », « Charles accueillit tout cela d’un visage riant. “Sois heureuse, sois notre hôtesse, dit-il, je ne voudrais pas de plateaux en sus : les tables royales engendrent du dégoût”. » Quant à sa munificence, elle s’illustre par l’abondance et la splendeur de ses dons (v. 183-191 a : Talia iactantem Phrygio Rex donat amictu / Quem Philoe intexto circum depinxit acantho, / Santonicas inter Philoe doctissima matres. / Addit equos patriaque insigneis arte cateias / Scutaque et auratis sinuosis cornibus arcum, / Tum grauidam telis inuli de pelle pharetram / Quam bonus Eurimedon maculis distinxit et auro ; / Fibula lucentis stellata ardore pyropi. « À celui qui vantait de tels exploits, le roi fait don d’un manteau phrygien que Philoé a brodé tout autour de feuilles d’acanthe, Philoé, la plus experte des matrones de Saintonge. Il ajoute des chevaux, des francisques insignes par l’art de sa patrie, des boucliers, un arc aux cornes recourbées et dorées, puis un carquois en peau de faon chargé de traits que le bon Eurimédon a décoré de bigarrures et d’or ; la fibule d’or qui attache étroitement la charge à ses épaules brille au loin : elle étincelle du feu du pyrope luisant. » Ces qualités attribuées à Charles VIII par Ercole Strozzi se retrouvent dans les portraits que tracent de lui d’autres écrivains, dont, en particulier, Pontano, Opera, 1, De magnanimitate, fol. 230 ; cf. aussi Y. Labande-Mailfert, Charles VIII. Le vouloir et la destinée, Paris, 1975, p. 152-169.
26 « Lieu de rassemblement de l’armée », selon Le Fur, Une autre histoire de la Renaissance, p. 72.
27 Lire Le Fur, Une autre histoire de la Renaissance, p. 75-85. La traversée de l’Italie du Nord fut particulièrement aisée : le 2 septembre 1494, le roi de France et son armée sont reçus triomphalement à Turin ; il en est ensuite de même à Montferrat, puis à Vigevano, le 11 octobre, où Charles est accueilli par Ludovic Le More et son épouse. En revanche, Pierre de Médicis, d’abord hostile à Charles, préfère, le 2 novembre, devant le sort réservé à Mordano et à sa population – la ville fut bombardée pendant trois heures d’affilée, avant d’être pillée et ses habitants massacrés –, céder aux exigences françaises (restitution de Sarzana et Sarzanello à Gênes, abandon de Livourne et de Pise au roi, et 20 000 ducats d’or pour financer l’expédition de ce dernier). Pise accueillit par conséquent le roi en libérateur. Quant à Florence, elle en profita pour chasser Pierre de Médicis, avec lequel Charles avait d’abord traité, mais qu’il s’empressa d’abandonner à son destin en promettant à ses opposants de ne pas chercher à rétablir le Médicis, si les Florentins lui versaient 120 000 livres pour financer son entreprise militaire, puis 12 000 livres par an jusqu’à ce qu’elle fût menée à bien. Enfin, le pape Borgia, otage dans Rome, dut ouvrir les portes de la Ville la nuit du 31 décembre au Roi et négocia un accord avec lui, signé le 15 janvier 1495, dont les conditions (cession de la forteresse de Terracine pendant l’expédition, fourniture de vivres à l’armée lors de son passage dans les États pontificaux tant au retour qu’à l’aller, ouverture de toutes les forteresses de ses États et nomination à leurs têtes d’hommes du roi ; contrôle, le temps de l’expédition, d’Ostie et de Civitavecchia ; ultime condition imposée au Pape : que son fils César Borgia accompagnât le roi de France pendant quatre mois) n’étaient pas avantageuses pour le pape. En échange, Charles prenait l’engagement de ne pas affamer Rome et de lui restituer les clefs de la ville après l’avoir reconnu comme légitime. Mais, dès le 30 janvier, César Borgia faussait compagnie à son « hôte » !
28 Sur la pratique de la chasse à Ferrare, cf. Th. Tuohy, Herculean Ferrara, Cambridge, 1996, p. 244-246 ; dans le duché de Milan, cf. M. Azzi Visintini, « La chasse dans le duché de Milan à l’époque des Visconti et des Sforza : les parcs de Pavie et de Milan », Chasses princières dans l’Europe de la Renaissance. Actes du colloque de Chambord, octobre 2004, éd. C. D’Anthenaise et M. Chatenet, Arles, 2007, p. 179-218.
29 Voir la phrase conclusive de cette confabulatio 2 intitulée De medico qui dementes et insanos curabat : Ostendit aucupii porro studium summam esse amentiam, nisi aliquando et ab opulentis, et exercitii gratia fiat ; « Il montra ainsi que le goût pour la chasse est le comble de la démence, sauf si celle-ci est pratiquée modérément, par des gens riches, et pour faire de l’exercice » (texte latin établi par S. Pittaluga, traduction française d’É. Wolff, édition bilingue des Facéties du Pogge, Paris, CUF, Bibliothèque italienne, 2005, p. 3-5). Je donnerai une interprétation globale de cette facétie dans les Mélanges Dominique Voisin à paraître, à Paris, aux éditions L’Harmattan.
30 Ercole Strozzi était lui-même un chasseur invétéré, comme en témoigne son père qui lui reproche de délaisser la ville et ses études pour s’adonner à sa passion (Erot. 6, 7). Mais, si l’on en croit l’épicède de Tito Strozzi par Ercole (v. 170-181), le fils tenait là encore du père qui élevait lui-même ses rapaces pour la chasse au vol, cf. B. Charlet-Mesdjian, D. Voisin, « L’épicède de Tito Strozzi par son fils Ercole », Studi umanistici Piceni, 31, 2011, p. 149-165. Dans la Venatio s’exprime sans frein le goût passionné pour les chevaux (v. 61-64 a ; v. 87-91 a ; v. 121-125 a) et les chiens de chasse (v. 134-137 a ; v. 279-280 a ; v. 503-504 a ; v. 579-585 a).
31 Magnificence de la chlamyde à frange d’or qui enveloppe Galeazzo : Puniceam chlamydem limbo circundatus aureo.
32 Ce sont d’abord les parures précieuses du roi Charles qui attirent l’œil du poète portraitiste : Irradians gemmis it summo pectore torques / Aureus atque humeris clarum partitur honorem. / Magnus honor capiti geminus procul enitet ordo / Bacarum : hinc adamas fuluo suspenditur auro, / Candidus inde micat gemmae Garamantidos ignis. « Irradiant de gemme descend, du haut de sa poitrine [celle du roi de France], un collier d’or : d’un côté, le diamant est suspendu à l’or fauve, de l’autre, le feu éblouissant de la gemme des Garamantes scintille. »
33 Dans la présentation de César Borgia, Ercole Strozzi s’attarde aussi sur la splendeur emblématique de son collier : Dextro innisum humero, leuum procumbit in armum / Tortile per seriem nodis fulgentibus aurum ; / Pectore de medio pendens insigne paternum / Cornibus auratis lucet bos gemmeus, instar / Stellae autumnalis, uitreo quae lota resurgit / Oceano, ante alias caelo admiranda sereno. « Fixé à son épaule droite, tombe sur son flanc gauche un collier d’or dont les nœuds disposés régulièrement resplendissent ; suspendu au milieu de sa poitrine, l’emblème paternel, un taureau gemmé aux cornes dorées brille, à l’instar de l’étoile automnale, qui ressurgit, lavée de l’océan cristallin, la plus admirable de toutes dans le ciel serein. »
34 Comme la parure du roi, celle de son cheval donne lieu à une description : Candida se tereti subnectit fascia circlo ; / Aurea per mediam colludunt uellera frontem / Setigeroque labant demissa monilia collo ; / Haec, quoties cursu genitalem prouocat auram, / Conuolitant blandosque ferunt per pectora lusus. « Un bandeau d’une blancheur éblouissante s’attache en un cercle élégant, des pompons d’or jouent au milieu de son front, et, pendant de son encolure soyeuse, tombent des colliers ; ceux-ci, chaque fois qu’en courant il provoque le souffle qui l’a conçu, voltigent et font, au travers de son poitrail, des jeux charmants » (Strozzi, Venatio, v. 92-96 a).
35 Le meilleur exemple de cet ennoblissement de l’objet (ou de l’animal familier) précieux par sa valeur artistique ou symbolique est fourni par les vers 183-191 a cités et traduits à la note 25, mais l’approche est la même pour chaque artefact ou compagnon, canin ou équidé, décrit.
36 Selon Le Fur, Une autre histoire de la Renaissance, p. 71 : « Les besoins de l’entreprise furent estimés à deux millions de livres, soit plus d’une année de revenu de la taille, le principal impôt direct pesant sur les sujets du roi. La moitié serait à la charge des Français, l’autre des Italiens. »
37 Cf. Le Fur, Une autre histoire de la Renaissance, p. 72 : « Enfin, il y avait tous ceux du bagage, dont les maréchaux-ferrants, pages, chirurgiens, rôtisseurs, vivandiers, lavandières et prostituées – pour le moral des troupes –, sans parler des chevaux, mules et autres bêtes de somme, du matériel pour le quotidien et celui nécessaire aux routiers afin de préparer routes et chemins, et puis la nourriture pour les hommes et les animaux pour au moins plusieurs jours. »
38 Traduction française de M. Testard, Paris, CUF, 1974.
39 É. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, tome I : Économie, parenté, société, Paris, Minuit, 1969 ; et, du même, « Deux modèles linguistiques de la cité », Échanges et communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss, t. 1, éd. J. Pouillon et P. Maranda, Paris-La Haye, Mouton, 1970, p. 589-596. Voir aussi J. Gallego, « L’hôte et l’ennemi sont-ils des étrangers comme les autres ? », Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique. À la rencontre de l’Autre, éd. M.-F. Marein et P. Voisin, Paris, L’Harmattan, 2010, et B. Boudou, « Ennemis, hôtes et étrangers. Enquête sur les identités politiques grecque et romaine », Mots. Les langages du politique [Online], 101, 2013 (https://journals.openedition.org/mots/21218, consulté 7/12/2019).
40 Jacques Derrida, qui interprète les conclusions dans ses propres travaux : Le monolinguisme de l’autre, Paris, Galilée, 1996 ; Adieu à Emmanuel Lévinas, Paris, Galilée, 1997 ; (en collaboration avec A. Dufourmontelle), De l’hospitalité, Paris, Calmann Lévy, 1997, inspiré par la proximité troublante dans le lexique des langues indo-européennes d’hospes et hostis, crée en français ce mot-valise (« hostipitalité ») que je trouve ici particulièrement approprié.
41 Strozzi, Venatio, v. 39-40 : […] magni qui nomine Mauri / Foedera percussum exierant […] « […] [les ambassadeurs milanais] qui étaient venus pour conclure au nom du grand Maure (= Ludovic Le More) un traité d’alliance […]. »
42 Strozzi, Venatio, v. 40-44 F et a : […] Galeatius atque / Nicoleos, ambo insignes amboque potentes / Militiaeque domique, Ducis gener ille decusque / Sanseuerinorum, hic comptus peneide crinem / Corrigium extollit placidaque in pace gubernat. « […] Galeazzo et Niccolò, tous deux remarquables, tous deux puissants en temps de guerre comme en temps de paix, celui-là gendre du Duc et gloire des Sanseverino ; celui-ci, la chevelure coiffée du laurier, fait honneur à sa ville de Corrège et lui procure la paix par son gouvernement. »
43 En effet, la constellation de l’Ourse, évoquée au v. 738 (Scilicet armisona bellanti saepe sub arcto), désigne le pays et les peuples du nord.
44 Strozzi, Venatio, v. 916 a : Vt Latium armiferos Belgas animaret in orbem. « Pour exciter les Belges belliqueux contre le monde latin. »
45 Strozzi, Venatio, v. 842-843 a : Alcimus irato manet imperterritus unus / Sub Ioue… « Alcimus demeure, seul, inébranlable et impavide sous Jupiter irrité ». La version de ce vers dans le manuscrit n’insistait pas sur sa folle intrépidité : le v. 842 F était le suivant : Diffugiunt cuncti irato manet Alcimus unus / Sub Ioue. « Tous s’enfuient en s’égayant ; seul demeure Alcimus sous Jupiter irrité. » Plus loin, à partir du v. 855 a, le Gaulois furens est saisi par des hallucinations morbides que lui envoie la fille de Latone, puis, vidé de sa force, s’évanouit (v. 865 a). C’est Mars qui, prenant pitié de lui, le réveille au v. 917 a. Dans la version manuscrite, Alcimus mourrait tragiquement.
46 Strozzi, Venatio, v. 950-955 a : Riserunt proceres pauidum et risere uolanteis / Currus et fractis radiis risere iacentem. / Nam quercu infelix in procurrente pependit / Atque illa cedente oneri reuolutus arena. / Impliciti alipedes durisque molaribus axes / Obnixi crepuere, it uulsus ad aethera temo. « Les Grands se sont mis à rire du cocher épouvanté, ils ont ri du char volant et, une fois les rayons brisés, ils ont ri du cocher étendu par terre. Car le malheureux est resté suspendu à un chêne rencontré dans sa course et, ce dernier cédant sous la charge, il a roulé sur le sable. Les coursiers se sont entravés et les essieux, cognant contre les dents inflexibles des engrenages, ont craqué ; le timon arraché monte vers l’éther. » Dans la version manuscrite, si le cocher Tentira était bien présent, le poète se contentait au contraire de louer son habileté.
47 La chute de Phaéton, tombé dans l’Éridan, fleuve du territoire ferrarais, a beaucoup inspiré les artistes et poètes de cette ambiance et, en particulier, Ercole Strozzi.
48 Le Fur (Une autre histoire de la Renaissance, p. 88) dresse ainsi pour les Français le bilan de Fornoue : « Si le roi, plus tard, assura n’avoir perdu que soixante soldats, les pertes furent plus importantes, au moins 1000 de ses hommes périrent en cette journée, et les principales victimes furent ceux du bagage qui n’avaient pas tous franchi la rivière, ou qui en étaient encore trop proches. »
49 Son discours s’achève sur l’évocation de cette modestie, v. 890 a : « Temne lares opibusque ueni non asper egenis », dit-elle au roi.
50 Strozzi, Venatio, v. 880-886 Fa : […] atque depromit sedula agresteis : / Lac niueum et molleis uuas et amygdala pura / Threiciae insanos testantia Phyllidis igneis / Pomaque castaneasque nuces bacasque Mineruae. / Caseus adiicitur, non qui lunata coaequet / Scuta, sed ingenti tenerum quem abrasit ab orbe / Et sale duratum hos seruauit pastor in usus […] ; « […] et [elle] en sort des mets rustiques : du lait blanc comme neige, du doux raisin, des amandes sans tache, témoins des feux insensés de la thrace Phyllis, des fruits, des châtaignes et des baies de Minerve. S’y ajoute un fromage, qui est loin d’égaler les boucliers en croissant mais que le berger a découpé, encore tendre, à partir d’un disque immense, et qu’il a fait durcir au sel et conservé pour cet usage. »
51 André de La Vigne, auteur du Voyage à Naples, décrit les fromages de Piacenza si appréciés du roi qu’il en fit envoyer à la reine, fromages « qui sont si grans, si espés et si larges / que peullent estre grans meulles de moulins » (v. 2370-2371). Cf. A. Slerca (éd.), André de La Vigne, Le Voyage de Naples, Édition critique avec introduction, notes, Milan, Vita e Pensiero, 1981.
52 D’ailleurs, comme Énée chez Évandre, le roi s’assied sur un siège d’érable : la fin du vers 894 Solio discumbis acerno imite Verg. Aen. 8, 178 (solioque inuitat acerno).
53 Strozzi, Venatio, v. 894-895 a : […] Solio discumbis acerno / Dilutoque sitim restinguis, Carole, aceto […]. « Tu prends place sur un siège d’érable, Charles, tu apaises ta soif avec de la piquette étendue d’eau. »
54 Strozzi, Venatio, v. 896-905 a : India, quid gemmas, quid, Hiberia, proruis aurum ? / Ne texas, Babylon, uesteis, ne daedala Memphis, / Serica multiplici depingas stamina filo. / Sanguineae hinc coeunt acies, hinc funera Mauors / Excitat et foedo incestat mortalia planctu. / Hinc odia, hinc fastus, hinc regibus imminet ensis. / Tuta dies, placidae tecto sub paupere noctes. / Hanc olim in terris egerunt numina uitam. / Fraga dabant montana cibum lapidosaque corna. / Aurea tum rebus fulsis concordibus aetas. « Pourquoi, Inde, produis-tu des joyaux, pourquoi, Espagne, de l’or ? Ne tisse pas de vêtements, Babylone, ne brode pas les toiles de soie d’un fil aux tons bigarrés, ingénieuse Memphis. De là vient que les armées sanguinaires s’affrontent, que Mars suscite des deuils et souille le monde mortel de funestes lamentations. De là les haines, de là les morgues, de là l’épée qui menace les rois. Tranquille est le jour, paisibles les nuits sous un pauvre toit. Les divinités ont autrefois mené cette vie sur terre. Les fraises des montagnes et les cornouilles pierreuses offraient leur nourriture. Alors brilla l’âge d’or sur un monde en harmonie. » Cette diatribe constituait dans la version manuscrite la prosopopée de la Pauvreté.
55 Offertur qualis tibi, Dalmata, cum iuga linquis / Pendula et obscuro pallens emergis hiatu, / Visceribus terrae fossis auroque reperto, / Atque exauditis uicina manibus urna. « [la lumière des torches qui éclairent le retour nocturne des chasseurs] est la même que celle qui se présente à toi, Dalmate, lorsque tu quittes les pentes des collines et que tu émerges, pâle, du gouffre obscur, après avoir creusé les entrailles de la terre, trouvé l’or et entendu les mânes de l’urne voisine ». Ce texte est à rapprocher de celui de Stace : Dalmatae montes, ubi Dite uiso / Pallidus fossor redit erutoque / concolor auro. (Stat. Silu. 4, 7, 14-16).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10454-4
- EAN : 9782406104544
- ISSN : 2273-0893
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10454-4.p.0087
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/04/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Poème cynégétique, Ferrare, Charles VIII, Humanisme, formation des élites