The “Christmas Revels” of the London Inns of Court under Elizabeth I (1558–1603) Between parody and satire
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2019 – 1, n° 37. varia - Author: Spina (Olivier)
- Pages: 387 to 415
- Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
Les « Grands Noëls » des Inns of court londoniens sous Élisabeth Ire (1558-1603), entre parodie et satire
Depuis le xixe siècle et jusqu’aux cultural studies actuelles, les historiens des spectacles se sont beaucoup intéressés aux festivités données dans les Inns of Court londoniens du xvie siècle (Gray’s Inn, Lincoln’s Inn, Middle Temple et Inner Temple). Cet intérêt s’explique, en partie, par le fait que Gorboduc, considérée comme la « première tragédie anglaise », aurait été jouée en 1561 lors d’un Grand Noël d’Inner Temple, tandis que Gray’s Inn aurait accueilli en 1594, La Comédie des erreurs de Shakespeare. Mais cela tient surtout aux producteurs de ces spectacles ; le fait que l’on ait affaire avec des étudiants en droit a conduit à prendre très au sérieux le contenu et la forme des spectacles auxquels ils participaient.
L’historiographie traditionnelle considère que, chaque année, lors des périodes de festivités traditionnelles (de Noël à la Fête des rois, puis à la Chandeleur et lors de Mardi gras), les étudiants des Inns organisaient des spectacles « parodiques ». Ces spectacles seraient une sorte d’instrumentalisation ludique des gestes et des paroles appris durant leur formation juridique, sur le modèle du théâtre de la Basoche parisienne1.
La « parodie » ne doit pas être confondue avec le « ridicule » ; elle vise à produire au sein d’une communication par nature stéréotypée, et donc attendue, un sens « autre » que celui attendu. Toutefois, elle ne se limite pas à un jeu sur l’énonciation (ton ironique, pastiche…), elle détourne l’ensemble du contexte d’énonciation et de réception. Ainsi, la parodie implique l’engagement, voire la complicité, du récepteur (lecteur, spectateur), qui doit connaître l’élément parodié pour décoder la parodie et en tirer un plaisir. Ceci explique que la parodie naisse et se déploie généralement dans une société ou un groupe restreints et aux 388valeurs et pratiques relativement consensuelles2. Dès lors, la parodie invite à la réflexivité : elle met en lumière les conventions, les mécaniques et les logiques qui font fonctionner le groupe quotidiennement et parfois silencieusement. C’est en ce sens que la parodie n’est pas une satire ; l’élément parodique signale toujours sa distance entre son objet et lui-même, mais il ne remet pas en cause l’importance et le statut de la chose parodiée. À l’inverse, la satire vise à railler, voire à détruire une norme ou, plus simplement, à en dévoiler le caractère relatif.
Dans cette optique, on a considéré que les spectacles des Inns of Court étaient des créations parodiques produites par les plus jeunes membres dans un but avant tout pédagogique. Leur préparation serait une forme d’initiation à la maitrise des discours politique et juridique et leur « performance » permettrait d’instaurer une communication entre un public privilégié (le souverain et la cour) et de futurs membres de l’élite politique (la gentry des Inns of Court). Certains historiens ont même fait de ces spectacles une forme de « conseil », plus ou moins audacieux, des élites au souverain3.
L’histoire de ces spectacles a été écrite essentiellement à partir d’une poignée de sources littéraires produites par des membres des Inns. Celles-ci se présentent comme des comptes rendus des festivités mais n’ont été imprimées qu’a posteriori, parfois des décennies après les événements décrits. Les historiens se sont rarement interrogés sur les motifs d’écriture et de publication de ces textes et encore moins sur leur adéquation aux événements qu’ils affirment narrer. Ces textes seraient des miroirs exacts du déroulement des festivités en vue de leur mémorialisation et un « témoin objectif » des tenants et aboutissants idéologiques et symboliques de ces spectacles4. Or il nous paraît important non seulement de questionner ces textes, mais également de les faire dialoguer avec d’autres archives : d’une part, celles produites par les Inns (registres d’entrées, archives des corps de gouvernement), d’autre part, celles des diverses institutions londoniennes qui interagissent avec les Inns, dont la Municipalité.
389Nous interrogerons donc l’existence, réelle ou fantasmée, d’une tradition spécifique de spectacles parodiques dans les Inns of Court, avant de les réinscrire dans leur contexte national et urbain londonien, afin de proposer une nouvelle lecture de la dimension « parodique » que pouvaient revêtir ces spectacles pour les contemporains.
Qu’est-ce qu’un Inn of Court ?
Les quatre Inns of Court sont tous situés entre Westminster et Londres : Lincoln’s Inn (fondé au xive siècle) et Gray’s Inn (fondé en 1513) sont sis dans le Middlesex, hors de la juridiction civique5 ; Inner Temple et Middle Temple se situent, quant à eux, dans le ward civique de Farringdon Without6, mais affirment être affranchis de la juridiction de Londres car installés sur des libertés de l’ancienne commanderie du Temple7. Dès le milieu du xvie siècle, ces deux Inns entretiennent de ce fait des relations particulièrement tendues avec la Municipalité de Londres.
L’Inn : une societas
Au xvie siècle, les Inns of Court sont à la fois un lieu de résidence des jeunes gens désirant étudier le droit en fréquentant les différentes cours de justice de Westminster et un lieu d’enseignement du droit. N’étant pas des corps incorporés par des chartes, ils ne jouissent pas de pouvoirs juridictionnels particuliers8 ; ce sont des societates, c’est-à-dire des sociétés de résidents (socii). Toutefois, les Inns bénéficient d’une véritable autonomie : placés sous la protection de la monarchie, ils ne répondent normalement que du Lord Chancelier.
Chacune de ces societates est hiérarchisée selon le degré de qualification juridique des membres. Au sommet, on trouve les masters of the bench 390(aussi appelés benchers ou readers), qui dirigent les Inns au xvie siècle, puis les barristers, divisés respectivement en outer (ou utter) et inner barristers, et enfin les étudiants, qu’on appelle à partir du xvie siècle, « gentlemen ». Tous les benchers sont cooptés au sein des utter barristers9.
Les membres d’un Inn doivent fréquenter les commons (manger et se rendre aux services religieux ensemble) mais aussi, dans la limite des disponibilités, habiter dans l’une des chambres de l’Inn (le plus souvent partagées pour les simples gentlemen). Cette résidence collective vise au contrôle des jeunes par les anciens mais aussi à la création d’une sociabilité et d’une culture communes10.
Qui sont les « gentlemen des Inns » ?
Les membres des Inns sont originaires de tous les comtés d’Angleterre. Une tradition médiévale (plus ou moins établie) réservait aux seuls fils de gentlemen l’entrée dans un Inn. Toutefois, au grand dam de certains juristes11, de plus en plus de fils de riches paysans ou de marchands intègrent les Inns au xvie siècle (un quart des entrées à la fin du règne).
Les Inns sont des sociétés « jeunes » : à la fin du siècle, on y accède en moyenne à 21 ans12 et 70 % des membres ont entre 17 et 30 ans. Pour y entrer, il faut avoir déjà une bonne formation à la rhétorique et à la logique ; les impétrants sont donc passés par une grammar school, une université ou l’un des huit Chancery Inns, sorte d’écoles préparatoires situées à proximité des quatre Inns13.
La juridicisation croissante de la société anglaise fournit beaucoup de travail (et de revenus) aux hommes de loi. Ceci entraîne une explosion du nombre d’entrées dans les Inns au cours du siècle14. Entre 1500 et 1510, on compte environ 200 entrées, contre 800 entrées entre 1590 et 391160015. À la fin du xvie siècle, les quatre Inns comptent, en cumulé, 1 040 membres, dont 760 « gentlemen16 ». Cette croissance produit un certain déséquilibre dans ces societates car le nombre de benchers et de barristers n’a que peu augmenté, alors que celui des gentlemen a explosé.
Les Inns, écoles de droit ou écoles d’une culture élitaire ?
Du xve au xviie siècle, se construit une image dorée des Inns of Court, celle d’écoles de droit de haut niveau, au point d’être qualifiés de « troisième université d’Angleterre17 ». Complémentaires des universités d’Oxford et de Cambridge, les Inns permettraient à des jeunes gens de se former en droit, avant de servir la monarchie dans ses cours de justices ou dans les offices des comtés18.
L’enseignement dure en théorie sept ans, mais il est, en réalité, dispensé durant deux brèves périodes de l’année : les Grand Vacations (trois semaines entre les terms durant le Carême et durant l’été) auxquelles devaient, en théorie, assister tous les membres. Des readers sont désignés parmi les benchers pour faire des conférences sur des lois particulières19, puis des disputationes se déroulent dans le hall20 et les gentlemen sont invités à participer à des moot ou mock disputationes sous l’œil des barristers. Ces moots et autres activités parodiques seraient des exercices permettant aux étudiants de se former à l’analyse des cas, mais aussi à l’argumentation juridique et aux plaidoiries21. En l’absence d’examens pour gravir les différents échelons de la société, l’expérience et la démonstration des talents oratoire et juridique lors des moots jouent un rôle primordial pour accéder à un rang plus élevé22.
392L’Inn n’est pas qu’un lieu de formation à la culture juridique. Hors de tout cursus officiel, on s’y forme également à une culture urbaine, élitaire et humaniste. La danse, la musique, l’escrime ou le théâtre sont des pratiques culturelles distinctives que tout jeune gentleman doit maîtriser. Les membres rémunèrent des maîtres londoniens pour leur donner des leçons. Déjà dans les années 1470, le légiste John Fortescue assimilait les Inns à des gymnasia antiques dans lesquels
[Les membres] apprennent le chant et tous les types de musique, de danse et autres perfectionnements et plaisirs (qui sont appelés divertissements) qui sont dignes de leur qualité et qui sont habituellement pratiqués à la cour23.
En 1531, le juriste Thomas Elyot affirme que l’étudiant sorti d’un Inn est un humaniste parfait, avec « l’esprit d’un logicien, les phrases graves d’un philosophe, l’élégance d’un poète, la mémoire d’un juriste civil et la voix et les gestes de ceux qui doivent prononcer des comédies24 ». Bref, l’étudiant des Inns apparaît comme le courtisan idéal en devenir, alliant la maîtrise des arts, du corps et de l’éloquence.
Les Inns et leurs spectacles :
l’exemple du Grand Noël de 1561-1562 à Inner Temple
D’après l’historiographie traditionnelle, depuis le Moyen Âge, les Inns of Court organisent chaque année, lors de la période allant de Noël à la Nuit des rois (et parfois même jusqu’à la Chandeleur), de grandes festivités, les « Grands Noëls ». Ces magnifiques divertissements seraient dirigés et organisés par un Lord of Misrule, un roi carnavalesque élu parmi les gentlemen de l’Inn25. Ces spectacles seraient une forme de parodie des divertissements curiaux, mobilisant danses, mascarades, théâtre, voire tournois. Des courtisans y étaient conviés et les membres des Inns se rendaient parfois à la cour pour y donner des représentations.
393Cependant, cette représentation des « Grands Noëls » a été extrapolée à partir d’un seul Grand Noël, celui d’Inner Temple donné en 1561-1562 et présenté comme archétypal. Dès le xixe siècle, il a retenu l’attention des chercheurs par l’ampleur des festivités organisées mais aussi par le rôle central joué par Robert Dudley, le favori d’Élisabeth Ire. Les autorités d’Inner Temple l’ont nommé Lord Governor (et non Lord of Misrule ou Lord of Candlemas) de ces festivités de Noël, alors même qu’il n’est pas membre de l’Inn26. Dudley incarne le Prince Pallaphilos, qui, dans la littérature antique tardive, est le connétable d’Athéna et le défenseur de son temple27. Cette participation a souvent été interprétée comme la marque d’un goût personnel de Dudley pour les spectacles, mais aussi comme la preuve que celui-ci aurait eu parfaitement conscience de leur pouvoir politique28.
Dans les faits, l’essentiel de ce que nous connaissons de ce Grand Noël tient à l’Accedence of Armorie, un texte écrit par Gerard Legh, membre d’Inner Temple. Ce livre, dédié aux « gentlemen des Inns of court », a été publié en 1562, puis réédité cinq fois avant 161229. Il prend la forme d’un dialogue entre deux personnages fictifs, Gérard le Héraut (Gerard the Herehaught) et Legh le Chevalier non noble (Legh the Caligat Knight), dialogue qui sert de prétexte à des descriptions de blasons historiques ou issus de l’histoire sainte. Or, au milieu de ces miscellanées armoriales, figure le blason parodique de Pallaphilos. Sa description est l’occasion pour Legh de « narrer » certaines des festivités données à Inner Temple en 1561-1562.
Entre mise en pratique de l’enseignement
et affirmation de l’autonomie juridique des Inns
Les Grands Noëls revêtiraient une portée politique fondamentale pour les gentlemen. À en croire Legh et les historiens à sa suite, ce 394temps festif extra-ordinaire constituerait un exercice pédagogique à grande échelle pour les étudiants des Inns. D’un côté, y assister leur permet de recevoir un enseignement moral et politique ; de l’autre, les organiser et y participer leur fournirait l’occasion de déployer, dans le cadre de pièces de théâtre, de péroraisons ou de discours « parodiques » ou « carnavalesques », les connaissances assimilées et les compétences acquises dans le cadre de l’Inn (maîtrise de leur corps et de leur voix…) et qu’ils auront à mobiliser durant leur future carrière au service du monarque et du common wealth30.
Par exemple, les Grands Noëls seraient l’occasion pour les gentlemen de remplir, dans un cadre festif, certaines fonctions auxquelles ils seront appelés à l’avenir31. Ainsi autour du « prince » Pallaphilos, est organisée une cour parodique, mimant les offices et commissions d’une véritable cour, des plus importants aux plus infimes32 : offices de la Maison (« Lord Stewart, lord trésorier, de la maison » mais aussi « grand échanson » ou l’office parodique de « clerc de la cuisine privée »), de la Couronne (« gardien du sceau de Pallas »…), de justice (« sergeants at law »), de la Chambre privée (« gentlemen pensionners »), cléricaux (« doyen de la chapelle ») ou militaires (« gardes du prince »)…
Cette mise en exergue de la cour dans la narration de Legh participe d’une valorisation plus générale de la dimension chevaleresque des festivités. Il s’agit, certes, de mettre en scène Dudley/Pallaphilos qui occupe l’office de maître de la cavalerie à la cour d’Élisabeth Ire, mais aussi de défendre d’image des Inns comme lieu de formation réservé aux seuls gentlemen. Pallaphilos déclare ainsi devant l’assemblée que Pallas entend fonder l’ordre de Pégase et le placer à sa tête. Il doit recruter les 24 premiers membres parmi sa cour, c’est-à-dire parmi l’Inn. Ces hommes ne devront pas servir Pallas « comme des esclaves ou comme des sujets âpres au gain, mais comme des hommes libres de naissance, à l’esprit noble, immaculé de la corruption de cette vie terrestre ». Cet « ordre » repose sur « une union indissoluble, forgée par le consentement de chacun des membres de cette fraternité, union qui sera le plus sûr 395bouclier de cet État contre tous les coups de la Fortune33 ». L’Inn devient ainsi une école de la chevalerie revivifiée alliant vaillance et connaissance au service du souverain.
L’insistance de Legh sur le caractère chevaleresque et sur la cour de Pallaphilos, se double de multiples références à Pallaphilos comme « souverain » qui règne sur « une province qui n’est pas importante en quantité, mais qui est ancienne en véritable noblesse34 ». Il s’agit sans doute d’assoir l’image de princière de Dudley, mais également de mettre en scène et de légitimer l’autonomie juridictionnelle de l’Inn, au moment où elle est contestée par la Cité de Londres. En effet, pour Legh, autonomie juridictionnelle et excellence éducative de l’Inn sont intrinsèquement liées. Sa plume retrouve les accents de celles de Fortescue ou d’Elyot :
Les plus grands Princes, les gouverneurs de ce grand pays, ont octroyé des privilèges à ce lieu qui accueille des gentlemen venant de tout le royaume pour apprendre à gouverner et à obéir à la loi, qui acceptent de se sacrifier pour leur prince et pour le bien commun, et qui viennent aussi se soumettre à tous les exercices du corps et de l’esprit (les discours, la contenance, les gestes et le goût vestimentaire) qui sont l’ornement d’un gentleman ; dans ce lieu, des gentlemen issus de tous les comtés créent et cultivent dans leurs jeunes années l’amitié ; après avoir été nourris ensemble, tenus dans le même ordre et avoir discuté quotidiennement ensemble, ils sont liés par une telle unité d’esprit et de manière que leur lien ne pourra jamais être rompu, ce qui est tout à fait profitable au bien commun35.
Ce lien entre culture raffinée et service politique est au cœur du texte de Legh qui naît d’ailleurs d’une rêverie héraldique sur le blason de Pallaphilos portant un Pégase. Par un jeu érudit, Legh fait d’Inner Temple une nouvelle Hippocrène, la « fontaine du Mont Hélicon » qui, selon la mythologie, jaillit sous le sabot de Pégase, et où « les Muses se divertissent et se baignent ». Legh convoque ainsi l’héritage latin, et particulièrement celui de Properce (Élégies, III 3), qui affirmait que boire l’eau d’Hippocrène favorisait l’inspiration poétique, mais aussi que cette eau permettait à la végétation des terres environnantes de 396croitre et se multiplier36. Le privilège d’autonomie dont jouit le petit royaume de Pallaphilos (et donc Inner Temple) aurait été octroyé par de sages souverains avec l’intention de créer une pépinière de savants (la societas de gentlemen) au service du royaume. Inner Temple apparaît donc comme le centre d’une culture raffinée, dont le Grand Noël serait la démonstration, mais aussi comme l’une des sources du bien commun.
Un « miroir du prince » ?
Un spectacle au service de Robert Dudley
Mais les historiens ont aussi souligné que le Grand Noël d’Inner Temple avait avant tout une dimension politique : sa forme parodique masquerait, à peine, l’expression de conseils politiques formulés par les Inns au monarque et à sa cour ; Jean-Philippe Genet les a même qualifiés de « miroirs des princes en action37 ». Ils viseraient à convaincre le souverain et ses courtisans de la pertinence de telle ou telle position, en jouant alternativement de l’argumentation, du pathos ou du rire. Dans la « République monarchique » que serait l’Angleterre élisabéthaine, les membres des Inns se considéraient et étaient considérés comme les conseils naturels du prince38. Cette dimension de « conseil », nécessairement restreint aux élites, expliquerait que, à l’exclusion d’une cavalcade de Pallaphilos dans Londres le 27 décembre, tous les spectacles ont été donnés à l’intérieur de l’Inn ou à la cour, dans un espace aulique dilaté.
Depuis les travaux de Marie Axton, on considère que, par ce Grand Noël, les membres d’Inner Temple entendaient convaincre Élisabeth Ire de gouverner en s’appuyant sur ses conseillers naturels (les aristocrates et les hommes de lois)39. Or, ces derniers encouragent la reine à se marier pour assurer la stabilité du royaume, et présentent Robert Dudley comme le mari idoine. Ce faisant, les membres d’Inner Temple rendent service à leur patron Dudley, intervenu, à l’automne 1561, à leur profit 397dans un procès contre Middle Temple40. Axton s’appuie essentiellement sur la pièce Gorboduc, écrite par des membres de l’Inn. Cette pièce est jouée par d’autres membres devant la reine à la cour le 18 janvier 1562, dans le cadre de ce Grand Noël. Elle met en scène un royaume déchiré par la guerre civile et les invasions étrangères après qu’un roi a décidé d’abdiquer et de partager son royaume entre ses deux enfants au mépris de la loi de succession41. La chronique manuscrite de John Hales, un gentleman de la cour d’Élisabeth Ire, qui dit avoir assisté, en même temps que la reine, à la représentation de Gorboduc, affirme que l’un des chœurs de la pièce présente à la reine une alternative : épouser Dudley et non un prince étranger, ou s’attendre à ce que le Parlement se saisisse du problème et choisisse le meilleur prétendant pour éviter un déchirement du royaume42.
Axton souligne également que certains passages de l’Accedens of Armory de Legh confèrent au personnage incarné par Robert Dudley une stature royale43. En témoigne la titulature de Pallaphilos, « amoureux de la sagesse, maître de la fortune, victorieux du hasard changeant par sa patience gouvernée par la loi. Jusqu’à ce que cette politique fondée sur le courage prévale et mette à bas la tyrannie, et que la sagesse submerge le hasard et gouverne toute chose44 ». De même, lors d’une mascarade allégorique, Pallaphilos/Dudley incarne un gentleman nommé Désir45. Après s’être soumis à Gouvernement et à Conseil et avoir terrassé un serpent à neuf têtes (Dissimulation, Procrastination, Honte, Fausse réputation, Trouble, Inconstance, Jalousie, Calomnie et Duplicité), 398Désir peut s’unir à dame Beauté (image à peine voilée d’Élisabeth Ire, « surpassant tous les ornements de la Nature, de noble parenté, riche en possession et régnant sur un large royaume »). Devenu roi, Désir mène une longue vie de bon gouvernement sous la protection de Pallas. Enfin, lorsque Legh analyse les armoiries créées pour Pallaphilos, il insiste, une fois encore, sur ses qualités éminemment royales :
Ce prince est fort et fier comme Mars, armé de son épée et de son écu, il oppresse la tyrannie et les nations de Gorgone, les ennemis de la vertu et des gouvernements paisibles ; en leur infligeant une punition sanglante, il extirpe de leurs entrailles les racines de leurs passions déréglées ; mais en éteignant ses propres désirs, qui poussent les membres à diverger, il rend la joie au juste et la paix à tout le corps afin que tous contribuent justement à servir la tête46 ?
Forte de ces exemples, M. Axton a affirmé que le Grand Noël de 1561-1562, derrière la mise en pratique des enseignements dispensés dans les Inns et la parodie d’un roi festif, était une opération de propagande visant à présenter Robert Dudley comme le mari idéal d’Élisabeth Ire, un roi gardien du bien commun de l’Angleterre. Ce discours politique n’aurait pas été porté par le seul Dudley, mais par l’ensemble des élites anglaises, dont les gentlemen d’Inner Temple ne seraient que la métonymie. Ce Grand Noël serait ainsi particulier par son ampleur, et non par sa nature ; toutes les festivités des Inns auraient la même fonction politique : conseiller le souverain et mettre en scène la « république monarchique » chère à Patrick Collinson. La dimension parodique de ces spectacles serait donc secondaire et se logerait dans des détails bien plus que dans la conception d’ensemble des festivités.
De l’autre côté du « miroir du prince »
Étudiants peu assidus et spectacles inhabituels
Suivant les sources du xvie siècle, les historiens ont adhéré à cette vision « idéale » des Grands Noëls des Inns, parce qu’elle étayait une 399autre image idéale, celle des Inns comme sociétés de jeunes gens tournés vers la seule acquisition du savoir juridique et d’une culture élitaire au service du pouvoir royal. Or, l’enseignement dispensé dans les Inns est des plus limités dans le temps (les quatre semaines des Grand Vacations) et peu contraignant. Contrairement aux universités, les Inns ne collationnent pas de grades et il n’y a ni corps permanent d’enseignants, ni tutorat des anciens sur les jeunes membres. De plus, peu de membres semblent véritablement impliqués dans ces études47 : il est possible d’être dispensé de toute formation contre le paiement d’une amende modique. À la fin du xvie siècle, seuls 10 % des jeunes gens qui entrent dans un Inn deviennent hommes de loi. L’essentiel des gentlemen ne fait qu’y résider pour s’initier à une culture politique dominante et pour cultiver leur réseau de pouvoir tout en se dotant d’un vernis de droit48.
Surtout, contrairement à ce que l’on a longtemps affirmé, les festivités des Grands Noëls sont très rares. La consultation des archives du xvie siècle des différents Inns montre que ceux-ci n’organisent pas des « Grands Noëls » chaque année49. On a longtemps confondu ces « Grands Noëls » avec de simples représentations théâtrales données pendant les fêtes de fin d’année ou à la Chandeleur, et dont les textes étaient parfois écrits et joués par des membres des Inns50. Il faut attendre 1587 pour que soit désigné le premier Prince of Purpoole de Gray Inn51, alors que le second Prince of Purpoole d’Inner Temple n’est, quant à lui, choisi qu’en 1594-159552. 400Enfin, aucun « Grand Noël » n’est mentionné dans les registres de Middle Temple entre 1560 et 159753.
La plupart du temps, lors de la période de la Nativité, les autorités des quatre Inns se contentent de pourvoir aux dépenses de table, chauffage et maigres divertissements des quelques gentlemen qui ne rentrent pas dans leur famille, ce sont les « simples noëls54 ». À cette occasion, les gentlemen chantent et jouent rarement eux-mêmes, ils font appel à des ménestrels ou à des troupes de comédiens qui ne donnent pas des pièces spécifiquement composées pour les Inns55.
Le Grand Noël de 1561-1562 : un apax au service de la monarchie
Non seulement, les Inns n’organisent que rarement des « Grands Noëls », mais ils semblent n’avoir qu’une faible autonomie en la matière. Dès le début du xvie siècle, ces festivités exceptionnelles sont un instrument entre les mains du pouvoir monarchique et ne se déroulent que dans des contextes politiques très particuliers. Le Grand Noël de 1561-1562 ne fait pas exception.
Loin d’être une festivité organisée par Inner Temple pour leur patron Dudley, le Grand Noël de 1561 s’insère dans un ensemble plus vaste de festivités qui se déroulent dans Londres et qui sont organisées par la monarchie et les autorités civiques. Le tailleur Henry Machyn signale que, le 12 janvier, un Lord of misrule (qui n’a rien à voir avec les Inns of court) processionne fastueusement dans Londres, accompagné d’un cortège de canons et de hallebardiers. Le Lord maire, les aldermen et toute l’élite des métiers se rassemblent en grand habit à Saint-Paul pour l’accueillir, comme lors d’une entrée royale56. Une telle mise en scène du corps politique londonien n’est possible que sur ordre de la monarchie. Machyn précise également que la reine se rend le 15 janvier dans la résidence du comte de Pembroke, Banyard Castle, pour assister à un banquet et une 401mascarade. Le 18, elle accueille à la cour, à Whitehall, les « gentlemen de Temple » pour une « grande mascarade » et la représentation de Gorboduc57. Enfin, le 1er février 1562, le cycle de fête se termine avec une mascarade urbaine de plusieurs centaines de masques qui se rendent en grande pompe à la cour58.
L’étude de la correspondance diplomatique des ambassadeurs français et espagnols en Angleterre en 1561-1562 montre que les deux souverains continentaux étaient les principaux destinataires de la séquence festive. Il s’agit d’affirmer que la reine est prête à se marier (de préférence avec Robert Dudley) et que son peuple le demande de façon unanime59. Ces festivités visent à rassurer toutes les parties prenantes : les Espagnols que la reine est prête à épouser Dudley et que celui-ci est appuyé par une partie des élites anglaises, et donc que Philippe II a tout intérêt à soutenir ce mariage ; les Français, en montrant que la reine est ouverte au mariage, avec Robert (qui a proposé ses services à la France) ou avec Éric de Suède, le favori protestant de la France.
Le Grand Noël d’Inner Temple n’est donc pas un programme établi par Dudley pour faire pression sur la reine, il est organisé sous le patronage monarchique dans une visée diplomatique. Il n’est que l’un des rouages d’un plus vaste système de communication politique coordonné par la monarchie, comportant également des prêches, des pamphlets ou des pièces de théâtre. Ce système vise à mettre en scène l’unité du peuple anglais, et particulièrement de ses élites (dont les membres des Inns sont l’incarnation), derrière son souverain. Le Grand Noël véhicule donc un discours politique contrôlé par la monarchie, à destination des Londoniens mais aussi des monarques étrangers.
402Parodie et violence :
l’exemple de Middle Temple dans les années 1590
La crainte des Lords of misrule
Non seulement les festivités de fin d’année sont rares dans les Inns, mais elles sont considérées avec suspicion par les autorités de ces sociétés. Si les benchers autorisent les « simples Noëls », ils interdisent fréquemment aux gentlemen d’élire des Lords of misrule ou Lords of Candlemas (dont le règne s’achève à la Chandeleur), ces rois parodiques apparus à la fin du xve siècle60. En effet, le Lord of misrule et sa suite organisent des jeux d’argent et des beuveries dans le hall, poussent des cris et enfoncent les portes des chambres des membres qui refusent de participer à une collecte d’argent61.
À Middle Temple, le Parlement de l’Inn ordonne, le 7 février 1560, « que les gentlemen de cet Inn ne pourront établir de Lord of misrule sauf lors des Grands Noëls et ce, avec l’accord des maîtres du Banc62 ». Après la Chandeleur 1569, les benchers affirment qu’« il n’y aura à l’avenir aucun Lord of Misrule sans le consentement exprès des maîtres du banc, sous peine [d’une amende] de 40s63 ». Il faut attendre 1597 pour que les maîtres du Banc acceptent, à titre exceptionnel, que se déroule un « Noël solennel », sorte de festivités intermédiaires entre « Grand Noël » et « simple noël64 ». Les membres de l’Inn sont autorisés à élire un « Prince d’amour », mais tous les spectacles doivent être cantonnés à l’intérieur de Middle Temple et le titre de Lord of misrule banni65. Les Lords of misrule sont donc d’une nature complètement différente des rares « princes » agréés par les autorités des Inns.
403Toutefois, aux yeux de certains gentlemen, les festivités de Noël ne se conçoivent pas sans Lords of Misrule. Certaines années, bravant les interdictions, des gentlemen de Middle Temple élisent clandestinement un Lord of candlemas, ce qui conduit à des échauffourées dans l’enceinte de l’Inn. Les benchers sévissent en expulsant temporairement ou définitivement des membres qui ont participé à ces festivités prohibées.
Cette chasse aux Lords of Misrule ne peut se comprendre que réinscrite dans le contexte d’une métropole londonienne travaillée par une expansion urbaine et démographique incontrôlée. Une série d’événements qui ont lieu à Middle Temple en 1590-1592 permettent de mieux saisir ces enjeux. Le 6 février 1590, le Parlement de Middle Temple signale que, malgré les interdictions précédentes66, certains gentlemen ont désigné un Lord of Candlemas et ont causé des « désordres » dans l’Inn. Les responsables (dont les noms ne sont pas précisés) ont été exclus mais, après avoir adressé au Parlement une supplique et avoir payé £ 10 d’amende, ils ont été réintégrés à la société67. Loin d’avoir apaisé la situation, les dispositions de 1590 l’ont envenimée et la chandeleur 1591 est encore plus agitée :
Lors de la nuit de la Chandeleur de la 32e année du règne d’Élisabeth [1590], plusieurs gentlemen ont organisé un Lord of Misrule et ont été punis pour cela : et, cette année, pendant le souper de la chandeleur, les Maîtres du banc ont rappelé cette ordonnance et ont fait une admonition générale [devant les membres]. Malgré cela, messieurs Lower, Fleetwood, Martyn, Ameridyth, Thornhill, Swetenam, Davys et Jacob, avec d’autres, qui n’ont pas encore été identifiés, ont violé cette ordonnance : de nuit, ils ont crié, forcé les portes et levé de l’argent au nom du Lord of Misrule, puis ils ont refusé, avec morgue, de donner les noms de leurs complices ; quant à M. Lower, il a injurié M. Johnson l’un des maîtres du banc. Il est, dès lors, ordonné que M. Lower sera expulsé et que les autres devront payer une amende de £ 20 avant la fin de ce term et qu’ils seront exclus des commons (bien qu’ils continueront à payer pour) jusqu’à ce qu’ils aient acquitté ladite amende. S’ils ne la payent pas avant la fin du term, ils seront expulsés. Quand ceux qui ne sont pas encore identifiés seront connus, ils seront exclus des commons, mais continueront à payer pour, tant qu’ils n’auront pas réglé l’amende fixée par les maîtres du banc. Et quiconque, à l’avenir, enfreindra cette ordonnance sera expulsé ipso facto68.
404Huit membres au moins sont punis (sans compter les complices non encore identifiés). Cependant, dès le Parlement suivant, le 14 mai 1591, cinq d’entre eux ont réintégré la société après s’être acquittés de leur amende69. La chandeleur suivante, en 1592, marque toutefois un nouvel emballement :
Au mépris des ordres qui défendaient qu’il y ait un Lord of misrule lors de la nuit de la chandeleur, divers gentlemen de cette maison, lors de la dernière chandeleur, se sont joints à M. Amerideth et à M. Lower, qui avaient été expulsés lors de la 33e année du règne d’Élisabeth, pour avoir enfreint ces ordres, pour fracturer les portes des chambres et molester plusieurs gentlemen de cette maison, comme il apparaît dans les interrogatoires de gens de la ville qui étaient avec eux, d’autant que plusieurs gentlemen de cette maison ont reconnu [les délinquants] malgré les déguisements qu’ils portaient ; c’est pourquoi, messieurs Oseley senior, Bushell, Thomas Kemyshe et T. Palmer junior sont expulsés. Messieurs Fleetwood et R. Martyn sont également expulsés pour leur mauvais comportement et pour avoir molesté les maîtres et les maîtres du banc. Messieurs Wynterflood, Jacob et Davies seront exclus des commons pour une durée fixée à la volonté des maîtres et des maîtres du banc70.
Les benchers font preuve d’une plus grande sévérité vis-à-vis des meneurs. Ainsi, le Parlement du 5 mai 1592 statue que :
L’examen de la pétition produite par Messieurs Fleetwood et Martyn pour leur réadmission sera fait lors du prochain parlement ; en attendant, ils devront s’attacher à gagner les maîtres du banc à leur faveur.
M. Davies pourra réintégrer les commons à sa prochaine demande, quant à M. Jacob, avant qu’il ne puisse obtenir une quelconque faveur, il doit révéler le nom de ceux qu’il sait avoir participé au groupe qui a créé le désordre lors de la dernière nuit de la chandeleur.
Un bill sera déposé devant la Chambre étoilée contre les habitants de la ville qui ont participé au rassemblement illégal71 dans le Temple lors de la nuit de la chandeleur passée.
Richard Martin ou Martyn n’est finalement réintégré que le 9 juin 1592, alors que William Fleetwood doit attendre le 22 février 1593, pour être réadmis à la demande expresse de son père, William Fleetwood senior, 405ancien membre de l’Inn et surtout ancien recorder de Londres, promu Serjaunt at law de la reine en 159272.
Les meneurs du misrule (William Fleetwood, Robert Jacob, John Davies, William Lower et Richard Martin) sont des gentlemen qui semblent opposés à la volonté toujours plus grande des benchers de régenter une activité festive relevant, traditionnellement, des seuls jeunes membres. Ils semblent conférer à cette tradition de misrule une dimension culturelle et communautaire forte. Ces comportements festifs et violents ressemblent beaucoup à ceux des sociétés de jeunesse étudiées par Natalie Z. Davis73. Les meneurs appartiennent tous à la bonne gentry anglaise, principalement issue des comtés de l’ouest et des marges galloises, à l’exception de Fleetwood, londonien. Ils sont tous entrés à Middle Temple entre 1584 et 1590, et semblent relativement jeunes : ils sont nés vers 1570 et sont encore au début de leur cursus dans l’Inn, à l’exception, là encore de Fleetwood, qui entrait dans sa huitième année et pouvait donc prétendre à accéder au barreau. La plupart semblent être passés par le même Inn of Chancery, New Inn, où ils se sont peut-être rencontrés. Tous appartiennent à un même cercle littéraire et certains, comme John Davies, ont déjà publié des poèmes74. Enfin, les carrières juridiques qu’ils mènent par la suite tendent à prouver, d’une part, que ces désordres ne leur ont pas porté préjudice et, d’autre part, que s’ils se livrent à des festivités prohibées, ils font partie des membres qui suivent assidument le cursus en droit proposé par l’Inn. Ainsi Richard Martin accède au rang d’utter barrister en 1596, puis est élu MP en 1601, puis recorder de Londres en 1618, peu avant sa mort. Ses compétences en éloquence, danse et chant devaient être reconnues, y compris par les benchers, puisque qu’il est choisi pour tenir le rôle de « Prince d’Amour » dans les festivités de Noël 1597-1598, organisées, cette fois officiellement par les autorités de l’Inn. Martyn devait donc parfaitement incarner « le gentleman des Inns75 ». Dès lors, pourquoi une réaction aussi vive des benchers face à des festivités certes violentes, mais surtout potaches, organisées par la fine fleur de l’Inn ?
406L’explication principale de l’ire des benchers tient sans doute à la mécompréhension que semblent avoir eu les jeunes gentlemen des problèmes politiques et juridictionnels que leur comportement festif débridé posait à leur institution dans un contexte urbain très tendu en 1590-1592. Tout d’abord, après l’épisode de « l’Invincible Armada » de 1588, le pouvoir royal et les autorités civiques intensifient leur traque des catholiques à Londres. Comme les autorités des Inns refusent de dénoncer leurs membres crypto-papistes, elles se rendent suspectes aux yeux de la monarchie76. De plus, Londres, depuis la fin des années 1580, connaît une explosion démographique et une forte inflation, du fait de mauvaises récoltes à répétition. Les émeutes frumentaires sont fréquentes et des milliers de migrants pauvres affluent à Londres77. Dès la fin des années 1580, les officiers municipaux traquent les bandes de vagabonds armés, particulièrement aux marges de la Cité et dans ses banlieues. La localisation des Inns aux marges de la Cité, leur population d’étudiants en droit (alors que les gens de loi sont souvent dénoncés comme des « chancres du bien commun ») et les suspicions de catholicisme, expliquent qu’ils soient la cible d’émeutiers. Par exemple, dans la nuit du 20 au 21 septembre 1590, plusieurs individus, dont des apprentis londoniens armés, entrent dans Lincoln’s Inn, brisent les portes de plusieurs chambres et les saccagent78. Le Conseil privé charge le 28 octobre 1590 les Justices of the Peace du Middlesex et les magistrats de la Cité de Londres de veiller au maintien de l’ordre et de traduire en justice les individus qui ont pris part à l’invasion de l’Inn79. Les officiers municipaux obtiennent ainsi le droit d’intervenir dans les « libertés » des Inns, si chèrement défendues par les benchers depuis des décennies.
Aux yeux des autorités de Middle Temple, les débordements carnavalesques de 1590-1592 mettent donc en danger la juridiction autonome que l’Inn revendique sans réel fondement légal. En désignant un Lord of Candlemas, Fleetwood et ses amis, dont certains déjà punis pour les mêmes faits, bafouent ouvertement les ordres des benchers, faisant 407ainsi la démonstration publique de la faiblesse de leur autorité et de leur incapacité à concourir au maintien de l’ordre métropolitain. Des divertissements qui dans l’enceinte de l’Inn n’avaient qu’une dimension de violence parodique, prennent une portée séditieuse, lorsqu’on les envisage à l’échelle du Londres de 1592.
Dans un tel contexte, chacun des éléments de l’agitation festive traditionnelle et parodique des chandeleurs 1591 et 1592 à Middle Temple devient le support d’une nouvelle lecture bien peu favorable aux initiateurs du misrule. L’effraction des portes devient un saccage produit dans une unlawfull assembly ; la circulation entre l’intérieur et l’extérieur de l’Inn, une violation de la tradition festive de l’Inn, car les simples noëls doivent se cantonner aux membres de la societas. Or les membres désobéissants y associent des « citadins » de la pire espèce, qui se sont introduits dans l’Inn en violation de ses libertés. Quant à la hiérarchie parodique qu’est la cour du Lord of misrule, si elle est traditionnellement conçue comme une mise à l’envers temporaire de la hiérarchie de l’Inn, dans ce contexte troublé, elle est perçue comme la preuve de la constitution d’une société clandestine à l’intérieur de la societas, qui mine l’autorité des benchers. Le déguisement des gentlemen n’est plus une pratique ludique liée à une mascarade mais une manière de préserver l’anonymat des délinquants. Enfin, les railleries et les coups portés aux benchers intervenus pour disperser les jeunes gens, sont interprétés comme un acte de révolte.
Le désordre de la chandeleur 1592 conduit la reine à autoriser, une nouvelle fois, la Municipalité de Londres à intervenir directement dans les libertés âprement revendiquées par Inner et Middle Temple, pour rétablir l’ordre public. Pour sauver leur juridiction, les benchers de Middle Temple entendent prouver à la monarchie que l’Inn est une institution contribuant à la stabilité de la métropole et non un lieu de non-droit facteur de subversion de l’ordre urbain. D’une part, ils entendent identifier les citadins complices des étudiants pour les déférer devant la Chambre étoilée (ces derniers ne relevant pas de leur juridiction). D’autre part, ils veulent identifier les gentlemen responsables et les punir fermement (même s’ils appartiennent à de grandes familles de la gentry) afin de manifester leur capacité à tenir les membres de la societas et à éradiquer des comportements contraires à l’image de bons serviteurs de la monarchie que les institutions des Inns entendaient promouvoir. Cette 408répression semble avoir été efficace puisque, après 1592, on ne trouve plus trace de Lord of Misrule dans les registres de l’Inn.
Il est donc primordial de bien différencier les « Grands Noëls » des Lords of misrule élus par les jeunes membres des Inns of Court du xvie siècle. Les « divertissements » menés autour des Lords of Candlemas entre Noël et la Chandeleur sont traditionnels, mais n’ont rien d’officiel et ne donnent lieu qu’à des activités spectaculaires réduites. Ils ne semblent pas non plus être une construction culturelle servant à former les membres des Inns à leur future profession ni une festivité carnavalesque, au sens bakhtinien du terme, qui met le monde à l’envers pour refonder l’ordre quotidien80. À l’inverse, les Grands Noëls ne sont pas une tradition annuelle, mais sont une parodie strictement contrôlée et organisée par les autorités des Inns pour porter la voix politique de la societas81.
Le Noël de 1597-1598 à Middle Temple :
une parodie à double tranchant
C’est à cette aune qu’il faut relire le « Noël solennel » organisé par Middle Temple en 1597-1598. Ces divertissements présidés par un « Prince d’amour » ont été principalement étudiés à partir d’un texte attribué au MP Benjamin Rudyerd (1572-1658) et publié de façon posthume en 1660, les Noctes Templariae. A briefe chronicle of the dark reigne of the Bright 409Prince of Burning Love82. Il s’agit d’une brève narration du Grand Noël de 1597-1598 auquel Rudyerd, membre de Middle Temple, semble avoir assisté et peut-être participé à l’organisation. Si on compare les Noctes Templariae au Accedens of armory de Legh, réédité en 1597, on se rend compte que le texte de Rudyerd est construit comme une parodie de celui de Legh. Les festivités de 1597-1598 elles-mêmes semblent avoir été construites en miroir des spectacles du Grand Noël de 1561, reprenant et détournant les éléments centraux de ces divertissements.
Le texte de Rudyerd pose néanmoins de nombreux problèmes : sa date d’écriture est inconnue (certains estiment qu’il daterait de 1599 mais sans réelle preuve83) et on ignore dans quelle mesure ce texte décrit réellement les festivités données. Plusieurs éléments semblent clairement inventés. Par exemple, Rudyerd affirme que les gentlemen de Middle Temple se choisissent un prince parce que l’année précédente Lincoln Inn avait fait de même et avait invité Middle Temple à leur envoyer une ambassade84. Or, ce « Grand Noël » de Lincoln Inn n’a laissé aucune trace et nous avons vu que les jeunes membres ne pouvaient être à l’initiative de son organisation.
Une lecture politique (et parodique) des festivités de 1597-1598
De façon assez étonnante, la « brève chronique » de Rudyerd ne se focalise pas sur le Prince d’Amour, incarné par Richard Martin, pourtant un ami de l’auteur, mais sur le personnage de Stradilax, un Templar piètre orateur et poète fat que personne n’écoute, sorte de reflet inversé du prince élu85. De plus, la veine parodique laisse très souvent place à une veine clairement satirique. Les chercheurs ont expliqué cela en soulignant que les spectacles de Noël 1597-1598 et les Noctes Templariae 410visaient à ridiculiser le gentleman incarnant Stradilax et que l’on a identifié au poète Templar John Davies, l’un des participants, comme Martin, des misrules de 1590-159286. Rudyerd souligne ainsi que sir Martin a été spontanément choisi par ses condisciples pour incarner le Prince, mais qu’il ne se résout à endosser cette charge que par « amour de la compagnie87 ». Stradilax, qui ambitionnait à cette place, conteste l’élection de Martin et se présente la première nuit de festivités
en grande pompe, avec un bâton de commandement inapproprié, et s’appelant faussement un Lord ; mais personne ne voulait l’appeler ainsi ou crier « Dieu protège votre Seigneurie », sauf le poète Natazonius qui lui offrit un écu sur lequel était dessiné le monstre Sphinx ; son motto était « Parvus sum non Oedipus », et il le salua du nom de Milochius Stradilax sur l’air du « Tanneur et le roi88 ».
On a vu que le texte de Legh émanait d’une rêverie sur les armes de Pallophilos. De même, les Noctes Templariae découlent d’une glose ridiculisant les armes choisies par Stradilax/Davies. Son motto est un jeu de mot sur le nom de Davies à partir d’une adaptation comique d’un vers tiré d’une pièce de Térence, « Davus sum, non Oedipus » (Andria, 2,24). Dans la comédie antique, ce vers est prononcé par Davus, un esclave grotesque, pour signifier qu’il est un personnage simple d’esprit et non l’habile Œdipe. Le nom du personnage Stradilax est déjà une référence à Œdipe le boiteux, mais aussi à Davies, connu et raillé à l’époque pour avoir une jambe plus courte que l’autre, puisque Stradilax est formé à partir du mot straddle qui renvoie à une démarche claudicante89. Le remplacement du mot « Davus » par « Parvus » (« petit, insignifiant ») renforce encore le ridicule. Enfin, Stradilax est ironiquement célébré par Natazonius sur l’air du « Tanneur et le roi ». De nouveau, il s’agit d’une allusion à Davies, dont le père fut un tanneur suffisamment riche pour s’agréger à la gentry, comme en attestent les charges judiciaires qu’il a occupées90. 411L’origine sociale mécanique de Davies devient un objet de moquerie dans une societas qui affirme être constituée exclusivement de gentlemen.
Cependant, expliquer l’ensemble du Noël solennel de 1597-1598 par la volonté de se divertir aux dépens d’un des membres paraît limité. En effet, comment, dès lors, comprendre que Davies ait accepté de jouer dans ces festivités qui le ridiculiseraient ? De plus, il semble avoir été l’une des chevilles ouvrières de leur organisation, puisqu’il a sans doute été désigné master of revels91. Enfin, Davies est ami de Martin depuis une dizaine d’années92 et a fait partie des jeunes membres punis par les benchers pour avoir fréquemment participé aux Lords of misrule interdits.
La participation de Davies à des festivités qui semblent le ridiculiser s’explique sans doute par le fait que ce Noël et les Noctes Templariae porteraient un discours politique élaboré par la société de l’Inn. En effet, ce « Noël solennel » peut être interprété comme une parodie des misrules des années 1590. Dans leurs formes, les festivités semblent respecter les exigences formulées par les benchers après 1592. Les spectacles se déroulent à l’intérieur de l’Inn, ils évitent toute attaque contre les autorités de l’Inn ou toute évocation politique directe. Mieux, les spectacles semblent adhérer aux impératifs hiérarchiques de l’Inn. À la fin des Noctes, le Prince reconnaît sa soumission aux benchers et signale que l’ensemble des événements festifs a été soumis à leur approbation93. Le Prince d’amour paraît donc s’être mué en souverain de carnaval très classique, un misrule temporaire et bien encadré par les institutions. Comme son nom l’indique, il promeut l’amour comme catégorie politique, c’est-à-dire comme exaltation de l’harmonie hiérarchique qui doit exister dans toute société94. À l’inverse, Stradilax apparaît comme le mauvais Lord of misrule, ambitieux, fat, ivrogne et dangereux ; il est tourné en ridicule comme pour affirmer son rejet par les jeunes membres qui se rangent derrière sir Martin, 412incarnant désormais le bon gentleman au service de la societas de l’Inn. La parodie, portée par les jeunes turbulents de 1592 (Martin, Davies), désormais ramenés à résipiscence, aurait donc des vertus bakhtiniennes de restauration et consolidation de l’ordre hiérarchique.
Une lecture politique (et satirique)
des festivités de 1597-1598
Une autre lecture de ces festivités de 1597-1598 et du texte qui les accompagnent est envisageable. Ce « Noël solennel », orchestré par des gentlemen (Martin, Davies, Rudyerd…), qui, dès les années 1590, sont connus comme des auteurs satiriques, pourrait être lu comme une parodie satirique d’une parodie politique, celle du Grand-Noël de 1561. Le Noël de 1597-1598 met en scène des gentlemen refusant de porter le discours lénifiant et officiel de l’Inn, et revivifiant l’esprit du Lord of misrule banni des festivités de Middle Temple. Stradilax joue ainsi un rôle central : il est le double satirique des « princes » agréés par les autorités des Inns et idéalisés dans les Grands Noëls, dont Pallaphilos est l’incarnation95. Cette parodie à double fond permet aux gentlemen de contourner et ridiculiser le contrôle instauré par les benchers après 1592. À cette aune, le texte de Rudyerd apparaît comme un « gant inversé » de celui de Legh. Les Noctes Templariae s’attaquent par exemple au caractère « chevaleresque » des Grands Noëls. Le fat Stradilax affirme s’appeler « Eugene Erophilus », référence au nom qu’aimait prendre le dernier favori de la reine, le comte d’Essex, dans les pageants et les tournois de la cour96. Le lien opéré vise à ridiculiser l’ambition de Stradilax, mais aussi à moquer l’instrumentalisation politique des spectacles par les grands courtisans, à l’instar de Dudley en 1561.
Les Noctes Templariae tournent particulièrement en ridicule l’idée que les Noëls seraient l’occasion de démontrer les talents oratoires et les vertus acquis par les étudiants dans les Inns. En effet, alors que Rudyerd ne donne jamais à entendre les discours du Prince d’amour ou de sa cour, Stradilax, à l’inverse, se montre particulièrement bavard et démontre des capacités rhétoriques, un esprit et une éthique des plus limités. Après la mascarade du deuxième jour,
413Milorsius Stradilax présenta le discours d’un soldat et trois confessions, l’une d’un soldat, l’autre d’un voyageur et le dernier d’un gentleman campagnard ; deux d’entre elles étaient si mauvaises que l’esprit le plus minable n’aurait pas osé les proposer, d’autant qu’il les avait présentées sous la forme d’une facture de tailleur ou d’un mémorandum avec des imprimis [sic] et des items ; mais il répudia les productions que son esprit avaient présentées cette nuit-là car elles n’avaient pas reçues d’applaudissements97.
Ceci lui vaut un changement de nom ; il est désormais Milesius Stradilax, Stradilax le Milésien, c’est-à-dire le menteur98… Un peu plus loin, lors d’un banquet offert au Prince par « un gentleman », Stradilax tombe ivre mort, après avoir prononcé deux fois le même « discours festif » devant une assemblée de Templars, restés, quant à eux, sobres et muets99. Cette mise en cause de la rhétorique au service du pouvoir culmine à la fin de la narration, lorsque Rudyerd raconte la visite que les gentlemen de Lincoln’s Inn rendent au Prince. À cette occasion, « Milorsius Stradilax, tel un factieux, pratiqua contre le Prince et, avec fougue, fomenta une inimitié entre le Prince et les gentlemen de Lincoln’s Inn100 ». Loin d’amener la concorde publique, la parole politique assenée dans le cadre des festivités est fauteuse de troubles, tant à l’intérieur de la societas de l’Inn qu’entre les Inns.
Si les benchers ne réagissent pas officiellement à ce Noël solennel satirique, ce n’est pas le cas de Davies. Selon les archives du Parlement de Middle Temple, une semaine après la fin des festivités, il fait irruption dans le hall de l’Inn pendant le repas commun et casse un gourdin sur la tête de Martin, ce qui lui vaut d’être exclu définitivement de l’Inn101. Ce comportement s’explique peut-être par le fait que Davies n’était pas au courant de tout ce qui avait été préparé pour le Prince d’Amour. A-t-il été pris au dépourvu par le « libelle » (peut-être les Noctes Templariae ?) placardé dans toute la ville de Londres102 ? Si Davies 414était sans doute d’accord pour incarner un personnage ridicule au sein de la société Templar afin de braver l’autorité des benchers, il ne consent pas à la publicisation de la satire. En se propageant en ville, la satire des autorités de l’Inn se change, en effet, en satire de sa seule personne. Cette attaque en règle contre Davies s’explique peut-être par le fait que Rudyerd jalousait le petit succès littéraire de Davies103. Mais on peut aussi faire l’hypothèse que Davies est la cible de ses anciens camarades, parce qu’il est désormais passé de l’autre côté du miroir, du côté des autorités de l’Inn : en 1595, il est promu barrister et, en 1597, il est élu au 9e Parlement du règne d’Élisabeth Ire.
Les Grands Noël des Inns of court ont longtemps été considérés comme des festivités régulières, dirigées et organisées par un Lord of Misrule, un roi carnavalesque élu parmi les gentlemen des Inns. Ces mises en scène parodiques du pouvoir auraient eu non seulement un but pédagogique (élaborer des discours politique et juridique dans un cadre parodique), mais également une fonction politique (mettre en scène la « république monarchique » et conseiller le prince).
Cette interprétation tenait à la confusion que les chercheurs ont faite entre Grand Noël et Lords of misrule alors même que leurs logiques et leurs aspects spectaculaires étaient fort différents. Au xvie siècle, les Grands Noëls étaient rares et ne participaient pas du cursus éducatif des Inns. Exogènes à ces societates, ils étaient conçus pour la monarchie, qui instrumentalisait la parole de ses élites, comme le montre l’exemple du Grand Noël d’Inner Temple de 1561-1562. À l’inverse, les Lords of misrule appartiennent au monde du carnaval et de la jeunesse avec ses explosions de violence verbale et physique. Pour les étudiants, cette tradition parodique recèle une dimension culturelle et communautaire forte alors que, pour les autorités des Inns (benchers), elle constitue, dans un contexte politique et social très difficile, une remise en cause intolérable de leur pouvoir.
Le Noël solennel organisé par Middle Temple en 1597-1598 est, quant à lui, d’une profonde originalité puisqu’il se situe à la jonction des traditions du Grand Noël et du Lord of misrule. Il se présente comme un spectacle au service des autorités de l’Inn, une parodie classique des « rois et de leur cour », mais, insidieusement, il se révèle une violente 415satire d’une partie de la jeunesse de l’Inn contre les benchers et l’un des leurs, John Davies. Non sans paradoxe, parodie et satire au sein de la même séquence festive ne s’annulent pas l’une l’autre mais fonctionnent comme l’avers et le revers d’une même pièce, on peut regarder l’une en ignorant complètement l’autre.
Olivier Spina
Université Lumière Lyon 2
LARHRA
1 M. Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Basoche et le théâtre comique (Paris, 1420-1550), Paris, Champion, 2007.
2 L. Hutcheon, A Theory of Parody. The Teaching of Twentieth Century Art Forms, New York, Methuen, 1985.
3 M. Axton, The Queen’s Two Bodies. Drama and the Elizabethan Succession, Londres, Royal Historical Society, 1977.
4 E. Leonidas, « Theatrical experiment and the Production of Knowledge in the Gray’s Inn Revels », Early Modern Academic Drama, éd. J. Walker et P. Streufert, Farnham, Ashgate, 2008, p. 115-128.
5 W. J. Loftie, The Inns of Court and Chancery, Londres, Seeley, 1895, p. 25 et H. Baker, The Third University of England. The Inns of Court and the Common-law Tradition, Londres, Selden Society, 1990, p. 4.
6 Loftie, The Inns of Court, p. 28.
7 Id., p. 23.
8 Id., p. 95.
9 Baker, « The Third University », p. 16 et suivante. L’organisation et l’essence même de ces societates sont donc très différentes de la Basoche parisienne, bien que certains historiens anglo-saxons tentent de dresser un parallèle entre les deux, Bouhaïk-Gironès, Les clercs de la Basoche, p. 51 et suiv.
10 Par exemple, les gentlemen qui voudraient s’absenter de l’Inn pendant les périodes de vacances ou entre les terms doivent y être autorisés par des officiers de l’Inn.
11 A. Fraunce, The lawiers logike, Londres, 1588.
12 S. F. Johnson, Early Elizabethan Tragedies of the Inns of Court, éd. Stephen Orgel, New York, Harvard Dissertations, 1987.
13 Ph. Finkelpearl, John Marston of the Middle Temple : an Elizabethan Dramatist in His social setting, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1969, p. 4-5.
14 Ibid., p. 9.
15 F. J. Fisher, « The Development of London as a Centre of Conspicuous Consumption in the Sixteenth and Seventeenth Centuries », Transactions of the Royal Historical Society, vol. 30, 1948, p. 37-50.
16 Finkelpearl, John Marston of the Middle Temple, p. 5.
17 L’expression est du « Middle Templar » George Buc, dans l’ouvrage qu’il consacre aux Inns en appendice de l’édition des Annales de John Stowe de 1612.
18 78 % des MP du Parlement élu en 1593 ont fréquenté les Inns ; de même, en 1584, la moitié des Justices of the Peace d’Angleterre en est issue. T. Skyrme, History of the Justices of the Peace, Chichester, Barry Rose, 1991, p. 178.
19 C’est ainsi qu’on atteint le grade d’utter barristers. Baker, The third University of England, p. 4.
20 Finkelpearl, John Marston of the Middle Temple, p. 8-9. J.-Ph. Genet, La genèse de l’État moderne, culture et société politique en Angleterre, Paris, PUF, 2003, p. 246.
21 Baker, The third University of England, p. 4.
22 A. Nelson et J. Elliot junior, « Historical Background », dans Id. (éd.), Records of Early English Drama. Inns of Court, vol. 1, Cambridge, D.S. Brewer, 2010, p. xiv.
23 Cité dans Johnson, Early Elizabethan Tragedies, p. 21.
24 Th. Elyot, The Booke named the Governor, Londres, 1531.
25 Axton, The Queen’s two bodies, p. 39 et suiv.
26 Les Dudley entretiennent un lien de patronage avec Middle Temple depuis plusieurs années. John Dudley, futur duc de Northumberland, et père de Robert, a été reçu comme membre en 1511. F. A. Inderwick (éd.), A Calendar of the Inner Temple Records, Londres, Stevens and Sons, 1896, vol. 1, p. 22.
27 P. Raffield, Images and cultures of law in Early Modern England. Justice and Political Power, 1558-1660, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
28 Leicester aurait utilisé tous les arts pour servir son ambition politique. E. Rosenberg, Leicester : Patron of Letters, New York, Columbia University Press, 1955.
29 G. Legh, The Accedens of Armorie, Londres, 1562.
30 M. Axton, The Queen’s two bodies, p. 42.
31 En cela, on est très proche de l’idéal véhiculé par le théâtre scolaire humaniste. Voir, par exemple, M. Ferrand, « Le théâtre des collèges. La formation des étudiants et la transmission des savoirs aux xve et xvie siècles », Camenulae, vol. 3, 2009, en ligne.
32 Leonidas, « Theatrical Experiment… », p. 117.
33 G. Legh, The Accedens of Armorie, Londres, 1568, p. 126. Sur les ordres de chevalerie à l’époque moderne, voir B. Deruelle, De papier, de fer et de sang. Chevaliers et chevalerie à l’épreuve de la modernité, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.
34 G. Legh, The Accedens of Armorie, p. 124v.
35 Ibid., p. 119v.
36 Ibid., respectivement, p. 118v et p. 118.
37 Genet, Genèse, p. 253. Sur les « miroirs du prince » comme genre littéraire et politique voir F. Lachaud et L. Scordia (éd.), Le Prince au miroir de la littérature politique de l’Antiquité aux Lumières, Rouen, Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2007.
38 P. Collinson, « The Monarchical Republic of Queen Elizabeth I », Bulletin of the John Rylands library, vol. 69/2, 1987, p. 394-424. La « république monarchique » y est définie comme une monarchie tempérée par le conseil des élites et des juristes.
39 Axton, The Queen’s two bodies, p. 44.
40 Il s’agissait de régler un différend concernant l’Inn of Chancery de Lyon Inn. B. Cormack, « Locating The Comedy of Errors : revels juridiction at the Inns of Court », The intellectual and cultural world of the Early Modern Inns of Court, éd. J. E. Archer, E. Goldring et S. Knight, Manchester, Manchester University Press, 2011, p. 264-285, p. 276.
41 Th. Norton et Th. Sackville, Gorboduc or the tragedie of Ferrex and Porrex, édité dans J. Cunliffe, Early English Classical Tragedies, Oxford, Clarendon Press, 1912, p. 1-64. Le tailleur londonien Henry Machyn évoque une mascarade et une pièce données devant la reine dans le grand hall du palais de Westminster. Henry Machyn, The Diary of Henry Machyn, édition en ligne sur le site de l’Université du Michigan, fol. 145v.
42 I. Archer, S. Adams et G. Bernard (éd.), « A journal of matters of state happened from time to time as well within and without the realme from and before the death of King Edw. The 6th untill the yere 1562 », Religion, Politics and Society in the Sixteenth Century England, éd. I. Archer, S. Adams et alii, Cambridge, CUP, 2003, p. 35-136, p. 90.
43 Axton, The Queen’s two bodies, p. 43.
44 Legh, Accedens of Armorie, fol. 129.
45 Ibid., fol. 120-122.
46 Ibid., fol. 127v.
47 Dès le xve siècle, John Fortescue souligne qu’il y avait deux types de membres dans les Inns, ceux qui veulent apprendre le droit pour en faire leur métier et tous les autres. W. Prest, « Legal Education of the Gentry at the Inns of Court, 1560-1640 », Past and Present, vol. 38, 1967, p. 20-39, p. 22.
48 N. Mears, Queenship and Political Discourse in the Elizabethan Realms, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 192.
49 J. Ph. Genet ne trouve ponctuellement trace de ces « festivités » qu’à partir du xve siècle, et essentiellement dans les Inns of Chancery… Genet, Genèse, p. 249. Quant à Baker, il explique cette absence par des lacunes de conservation dans les archives. Baker, The Third University of England, p. 6.
50 À part Gorboduc, on peut compter comme pièce écrite et jouée par les gentlemen des Inns, Jocasta (Gascoigne pour Gray’s Inn en 1566-1567), Supposes toujours de Gascoigne pour Gray’s Inn en 1566-1567, les Misfortunes of Arthur de Thomas Hughes (Gray’s Inn, 1588) et l’anonyme Gismond of Salerne (Inner Temple 1565-1566 ou 1566-1567).
51 Une recension de ces spectacles est écrite au xviie siècle à partir des documents conservés à Gray’s Inn. W. W. Greg (éd.), Gesta Grayorum, Oxford, The Malone Society Reprints, 1914.
52 R. Hornback, The English Clown Tradition from the Middle Ages to Shakespeare, Cambridge, D.S. Brewer, 2009, p. 77.
53 Dans les archives, le Noël de 1596-1597 est qualifié de « noël solennel » et non de « Grand Noël », Ch. H. Hopwood (éd.), Middle Temple Records, Londres, Butterworth, 1904, vol. 1, p. 370.
54 En effet, peu d’étudiants passent les fêtes dans l’Inn, puisque l’on est dans une période entre deux terms.
55 Ce n’est guère différent de ce que l’on observe pour les représentations devant les corps de métiers par exemple. O. Spina, Une ville en scènes. Pouvoirs et spectacles à Londres sous les Tudors (1525-1603), Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 321-324.
56 Machyn, Diary, fol. 145. Sur les entrées, voir Spina, Une ville en scènes, p. 67 et suiv.
57 Ibid., fol. 145v.
58 Ibid., fol. 146.
59 Il s’agit sans doute aussi de présenter Dudley comme un prétendant crédible. À noël 1561, concomitamment aux festivités d’Inner Temple, Ambrose, son frère aîné, se voit rendre le titre de comte de Warwick, aboli après la trahison de son père. Il s’agit sans doute d’effacer la tache qui souille encore les Dudley aux yeux de nombreux Anglais.
60 Il faut différencier les Lords of misrule des masters of revels (maître des divertissements), qui, dans les Inns, sont des officiers nommés par les autorités pour gérer les fonds alloués pour les noëls. Nelson et Elliott (éd.), Inns of Court, vol. 1, p. xviii.
61 Ces Lords of misrule des Inns ressemblent beaucoup aux rois de carnaval apparus au xve siècle dans d’autres institutions royales ou municipales. R. Hutton, The Rise and Fall of Merry England. The Ritual Year, 1400-1700. Oxford, Oxford University press, 1994, p. 61.
62 Parlement du 7 février 1560, Hopwood, Middle Temple Records, p. 126.
63 Parlement du 11 février 1569, ibid., p. 168.
64 Ibid., vol. 1, respectivement p. 370 et p. 379.
65 Michael Shapiro, « “Le Prince d’Amour” and the Resumption of Playing at Paul’s », Notes and Queries, vol. 216, 1971, p. 14-16.
66 La dernière interdiction (qui fait sans doute écho à l’élection d’un Lord of Misrule) date de novembre 1584. Les benchers menacent d’expulser tous les membres qui se livrent à des cris et à des saccages dans l’Inn. Hopwood, Middle Temple Records, vol. 1, p. 316. On trouve des mesures identiques dans d’autres Inns.
67 Parlement du 6 février 1590, ibid., p. 311.
68 Parlement du 5 février 1591, ibid., p. 318.
69 Ibid., p. 320.
70 Parlement du 11 février 1592, ibid., p. 326-327.
71 Cette qualification juridique assez vague est de plus en plus mobilisée dans le Londres Tudor pour saisir et criminaliser des rassemblements très divers mais toujours non souhaités par le pouvoir, Spina, Une ville en scènes, p. 298-299.
72 Hopwood, Middle Temple Records, p. 329 et 333.
73 N. Z. Davis, « The Reason of misrule », Society and Culture in Early Modern France. Eight Essays, Stanford, Stanford University Press, 1975, p. 97-123.
74 Finkelpearl, John Marston.
75 Ibid., p. 52.
76 Ibid., p. 10-11.
77 S. Rappaport, Worlds Within Worlds. Structures of Life in 16th Century London, Cambridge, CUP, 1989, p. 120.
78 The Record of the Honorable Society of Lincoln’s Inn. The Black Books, Londres, 1897, Vol. 2, p. 16.
79 Lettre du Conseil privé réuni en Chambre étoilée aux Justices of the Peace du Middlesex. APC, 30 octobre 1590.
80 M. O’Callaghan reprenant un concept de V. Turner, fait de ces divertissements un « rite de liminalité », un jeu sérieux au sein duquel les structures hiérarchiques des institutions seraient parodiées et reconfigurées sous une forme ludique. M. O’Callaghan, « Jests, stolne from the Temples Revels. The Inns of Courts revels and Early Modern Drama », Drama and pedagogy in Medieval and Early Modern England, éd. E. Dutton et J. McBain, Tübingen, Narr, 2015, p. 227-252, p. 231. M. Bouhaïk-Gironès a montré toutes les limites de l’interprétation bakhtinienne carnavalesque d’un grand nombre de comportements « culturels » du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. M. Bouhaïk-Gironès, « Oublier Bakhtine pour comprendre le théâtre médiéval ? », Le Savant dans les lettres : récriture et érudition dans la réception du Moyen Âge, éd. U. Bähler et A. Corbellari, Rennes, PUR, 2014, p. 235-246.
81 Certains historiens affirment que ces Grands Noëls avaient vocation à être annuels, mais des raisons purement circonstancielles et extérieures au Inn auraient empêché leur déroulement (peste, absence d’une partie des membres, difficulté à lever l’argent nécessaire…), D. S. Bland (éd.), Three Revels from the Inns of Court, Londres Avebury, 1984, p. 12.
82 L’original est conservé à la BL, Ms Harley 1576. Sur Rudyerd, D. Smith, « Rudyerd, Sir Benjamin », Oxford Dictionary of National Biography, en ligne. Un autre texte plus long et anonyme, également attribué à Rudyerd, est publié en 1660, Le Prince d’Amour or the Prince of Love with a collection of Several Ingenious Poems and Songs by the Wits of the Age, Londres, 1660.
83 E. K. Chambers, The Medieval Stage, Oxford, Oxford University Press, 1903, vol. 1, p. 416.
84 B. Rudyerd, Noctes Templariae. A briefe chronicle of the dark reigne of the Bright Prince of Burning Love, édité dans J. A. Manning, Memoirs of Sir Benjamin Rudyerd, Londres, 1841, vol. 1, p. 9.
85 R. Zaller, « Martin, Richard », Oxford Dictionary of National Biography, consultable en ligne.
86 P. J. Finkelpearl, « Sir John Davies and the Prince d’Amour », Notes and Queries, vol. 10/8, 1963, p. 300-302 ou P. Raffield, The Art of Law in Shakespeare, Oxford, Bloomsbury, 2017, p. 34-42.
87 Rudyerd, Noctes Templariae, p. 11.
88 Ibid., p. 12.
89 Rudyerd était également un auteur d’épigrammes satiriques. J. Sanderson, « Epigrames p[er] B[enjamin] R[udyerd] and some more “stolen feathers” of Henry Parot », The Review of English Studies, vol. 17/67, 1966, p. 241-255.
90 S. Kelsey, « Davies, Sir John », Oxford Dictionary of National Biography, consultable en ligne.
91 Dans une lettre adressée par le comte de Shrewsbury aux autorités de Middle Temple, il affirme avoir versé £ 30 à « sir Davyes » pour le financement du Prince d’Amour, E. Lodge (éd.), Illustrations of British History, Biography and Manners, Londres, Nicol, 1791, vol. 3, p. 91.
92 Martin s’est lui-même conformé aux exigences de l’Inn puisqu’en 1589, il est utter barrister, en 1600, il devient Reader et, en 1601, il est élu au Parlement, comme Davies. En 1603, il sera même chargé de prononcer le discours d’accueil de Jacques Ier devant les murs de Londres au nom des shérifs du Middlesex et de Londres.
93 « Martin, fatigué du poids du gouvernement, en fit volontairement une résignation entre les mains des optimates », Rudyerd, Noctes Templariae, p. 17.
94 Sur l’amour politique dans les spectacles, voir Spina, Une ville en scènes, p. 73 et suiv.
95 Stradilax le prince claudiquant fait penser au Richard III de Shakespeare.
96 Finkelpearl, Thomas Marston, p. 53.
97 Rudyerd, Noctes Templariae, p. 12-13.
98 Ibid., p. 13.
99 Ibid., p. 15.
100 Ibid., p. 16.
101 Hopwood, Middle Temple Records, p. 379. Il est réadmis en 1601 après de nombreuses pétitions, voir L. Stowell, « Observations on with the Copy of the Proceedings had in the Parliament of the Middle Temple, respecting a Petition of Sir John Davies », Archaeologia, vol. 21, 1827, p. 107-114.
102 Rudyerd, Noctes Templariae, p. 11 : le libelle semble avoir été accroché dans des lieux infâmants tels que le pilori ou la prison de Newgate…
103 Raffield, The art of law, p. 41.
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- ISBN: 978-2-406-09701-3
- EAN: 9782406097013
- ISSN: 2273-0893
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09701-3.p.0387
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 12-17-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: theatre history, law, London, satire