Théséus de Cologne En route vers la prose
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers de recherches médiévales et humanistes / Journal of Medieval and Humanistic Studies
2018 – 1, n° 35. varia - Author: Bacquin (Mari)
- Pages: 283 to 329
- Journal: Journal of Medieval and Humanistic Studies
Théséus de Cologne
En route vers la prose
La chanson de geste de Théséus de Cologne, composée entre 1361 et 1378 par un auteur anonyme, s’inscrit parmi les spécimens tardifs d’un genre en voie de disparition et constitue un témoignage intéressant de l’évolution de celui-ci, tant au niveau du contenu que de la forme. La chanson, qui est bâtie autour d’une histoire d’amour contrarié audacieusement résolue, reste peu connue encore aujourd’hui, même pour des spécialistes de littérature médiévale. Son noyau et véritable point de départ est le motif du subterfuge de l’aigle d’or, qui sera ici édité pour la première fois. Ce motif et d’autres qui en découlent ont donné naissance à des réécritures et réinterprétations diverses aussi bien en vers qu’en prose, elles aussi peu connues. Si traditionnellement, il y a eu une tendance, aussi bien dans l’édition que dans la recherche, à considérer les versions versifiées et les mises en prose de la matière épique comme deux expressions ou deux « états » distincts, on peut aujourd’hui légitimement se pencher sur les cas que l’on pourrait qualifier de transitions entre l’une et l’autre. Ces productions, volontiers rejetées car jugées de piètre qualité, n’ont pas accédé à l’édition et ont par conséquent souvent échappé à la curiosité des chercheurs. C’est ce à quoi cet article s’efforce de remédier.
Parmi les trois longs manuscrits en vers du xve siècle qui ont sauvegardé l’histoire de Théséus de Cologne, il y en a un, inédit et au centre de cette étude, qui nous permet de lire l’épisode de l’aigle d’or dans son intégralité et, ce faisant, de cerner un des mécanismes à l’œuvre quand le vers commence à céder la place à la prose. Face à la matière textuelle archaïque de son modèle, on peut voir que le copiste du manuscrit en question a ressenti le besoin d’en modifier l’expression afin de l’adapter aux lecteurs de son propre temps. Les changements sont discrets – il a simplement modernisé le lexique de-ci de-là et ajouté quelques pronoms sujets – mais les effets sont de conséquence. De vers hypométrique en 284vers hypermétrique, les efforts du scribe ont peu à peu fait craquer la forme conservatrice du genre, qui devient un costume un peu étriqué. La volonté de rendre le texte original compréhensible et d’assurer l’efficacité de la narration engendre une « prosification » avant l’heure, plutôt par nécessité que par choix conscient.
Mais commençons tout d’abord par un aperçu global de la matière de Théséus de Cologne.
Théséus de Cologne
Théséus de Cologne fait partie d’un cycle qui exploite la matière historique mérovingienne, avec Dagobert comme roi légendaire. La chanson prend place parmi des œuvres comme Charles le Chauve (ou Dieudonné de Hongrie), Florent et Octavien, Florence de Rome et Ciperis de Vignevaux, toutes « coiffées1 » par la chanson plus ancienne de Floovant qui met en scène Clovis. Ainsi, cette chanson de geste fait partie de celles que l’on nomme communément tardives, sous-entendant par là une déviation du modèle premier. Cette déviation se reconnaît entre autres par une longueur souvent jugée excessive et par l’usage d’un grand nombre de motifs littéraires stéréotypés, souvent juxtaposés les uns aux autres2. Théséus de Cologne remplit bien ces critères. Parmi les trois témoins versifiés qui l’ont conservé à la postérité aucun n’est complet, mais le plus long (celui de Paris) fait plus de 24 000 vers. Pour ce qui est de la stéréotypie de l’histoire, elle se manifeste de manière significative par l’utilisation récurrente du motif de la reine faussement accusée, qui revient six fois au sein de l’œuvre sous des formes variées 285et spectaculaires3. À cela s’ajoutent d’autres motifs communs à la littérature de l’époque comme la séparation des membres d’une même famille lors d’un périple naval, les enfants abandonnés dans la nature, le mariage forcé qui n’est pas consommé, le bourgeois qui devient roi, le combat entre père et fils et l’intervention d’un saint pour faire cesser un combat4. Toutes ces séquences narratives constituent une matière connue et commune. Mais si l’histoire de Théséus de Cologne a pu survivre à la disparition du genre de la chanson de geste, c’est qu’elle véhiculait aussi quelque chose de plus original, qui a marqué à son tour la littérature et l’art pictural de son temps. Cet élément original, c’est le motif emblématique du subterfuge de l’aigle d’or, qui nous occupera dans le cadre de ce travail.
Grâce à ce motif, l’auteur de Théséus réussit l’exploit de marquer l’histoire littéraire de son époque et de rester présent pendant quatre siècles dans les différentes réécritures de son œuvre. Sa longévité s’arrêta toutefois à l’époque où la philologie commença à prendre la relève. Notre discipline, qui fit renaître l’héritage littéraire médiéval sous des auspices romantiques, jugea sévèrement la chanson du héros audacieux. Déviant du modèle de pureté alors établi par La Chanson de Roland et quelques autres chansons de cette étoffe, elle était considérée comme un spécimen indigne d’attention et fut écartée du travail éditorial. Ainsi, l’aventure de Théséus et Flore ne trouva pas une place parmi les « classiques » médiévaux – peut-être à juste titre.
Il fallut attendre l’étude de Robert Bossuat en 1959 et ensuite la thèse d’Elizabeth Rosenthal en 1975 pour que la chanson de Théséus soit sortie des oubliettes et partiellement éditée5. Le travail fut ensuite repris par nous en 2008 avec une édition d’une autre partie de la geste6, 286mais il est loin d’être fini. La matière de Théséus de Cologne est vaste et couvre aussi un certain nombre de mises en prose7.
La ruse de l’aigle doré
L’épisode de l’aigle d’or met en scène le subterfuge qui permet au héros de l’histoire, le jeune prince de Cologne, d’entrer dans la chambre de la fille de l’empereur de Rome à son insu et de la séduire. L’auteur, pour anonyme qu’il soit aujourd’hui, était visiblement conscient de sortir des sentiers battus, puisqu’il fait commenter l’originalité de son scénario par le protagoniste lui-même, qui face à la dame endormie situe son astuce par rapport à des situations déjà connues dans la littérature de l’époque :
A, Dieu, dit Thezeüs, comment porray ouvrer ?
On ne vyt oncques mais nul homme a telle chose viser
Que de venir ainsi bonne amour demander.
J’ay moult tres bien ouy d’Aristote parler
Qui laissa dessus lui une dame monter
Qu’en guise d’ung cheval le faisoit elle aller.
Et de Virgile aussi ay je bien ouy recorder,
Que la pucelle fist en la corbeille entrer,
Et de Tristan aussi qui bien se volt pener
Pour la royne Yseus qui tant ot a endurer,
De Paris et d’Elayne les amours recorder,
D’Alixandre le Grant et du roy Tolomer,
Et de tous amoureux dont on pourroit parler
Comment Amours les fit en amours demener.
Mais oncques je n’ouy dire ne recorder
Q’ung amant se fist en ung aigle porter. (ms. Ph, v. 2031-2045)
L’astuce a provoqué son effet, aussi bien à l’intérieur de la diégèse qu’à l’extérieur. Le motif a contribué à faire de Théséus une sorte de légende en son temps – un personnage dont le nom et le destin sont 287connus, même si les détails précis de l’histoire le sont moins. Plusieurs sources mentionnent qu’il y avait dans l’hôtel Saint-Pol à Paris une « salle Theseus » avec une peinture figurant le héros. Il était représenté également sur diverses tapisseries en laine, tantôt comme l’amant audacieux de l’aigle d’or, tantôt comme un saint parmi d’autres8. Le destin du protagoniste figure aussi en arrière-plan dans d’autres œuvres. Chez Christine de Pizan par exemple, la mention de Théséus et de l’aigle d’or transmet une idée floue de rapt. Elle connaissait l’histoire par le nom du héros, par sa bosse dans le dos et par l’épisode de l’aigle, mais remplace la princesse Flore par une autre héroïne de chanson de geste, la belle Hélène9. Dans La Chasse et le départ d’amours (Antoine Vérard, 1509), Octovien de Saint-Gelais et Blaise d’Auriol se réfèrent à l’histoire pour la notion de tourment amoureux. Ils évoquent le nom de Théséus dans une série d’amants souffrants. Pour l’auteur de Ciperis de Vignevaux, les aventures du prince servent de réseau intertextuel. Une autre preuve de la popularité de cette histoire, s’il en faut, est qu’elle survécut également en tant que narration autonome à travers des réécritures de la matière qui s’étalèrent ensuite jusqu’au xviiie siècle. On y reviendra.
Le rôle central du motif de l’aigle d’or
dans l’action de la geste
Hormis le fait d’être un motif original, le subterfuge de l’aigle d’or constitue sur le plan narratif un noyau central de l’action de la chanson et entraîne une multitude de conséquences qui sont exploitées dans l’histoire par la suite. C’est par la ruse de l’aigle que le héros arrive à séduire la princesse Flore et qu’il l’épouse. La réussite de ce projet apaise d’une part le tourment amoureux qui s’était emparé de lui (et qui nécessitait une action), mais attise d’autre part la haine de l’empereur de Rome, qui est un père bien trop possessif pour être sain. Théséus se fait par son acte un puissant ennemi. La trahison à l’égard de 288l’empereur oblige ainsi le couple à s’enfuir immédiatement en bateau. Surpris par des gens qui attendent au large l’occasion de ravir Flore à son père possessif, les amoureux se font tout de suite capturer et sont séparés. L’empereur, furieux de l’outrage, déclare de son côté la guerre aux parents de Théséus, qui ignorent tout de l’exploit de leur fils.
Narrativement, la séparation des mariés permet ensuite à la fois d’envoyer Théséus au combat et de mettre en scène une relation matrimoniale qui dure envers et contre tout. En effet, même si le protagoniste principal et la forme du récit relèvent de la tradition épique, une grande partie de la narration est consacrée à l’amour – éveillé par l’acte audacieux de Théséus. L’alliance initialement provoquée par la ruse se trouve justifiée a posteriori par le fait qu’elle soustrait Flore à son père potentiellement incestueux et par l’amour mutuel qui se développe entre les deux jeunes gens. La relation se trouve aussi d’emblée bénie par la conception rapide d’un enfant lors de la nuit de noces. Cet enfant et les enfants qu’il engendre à son tour donneront lieu à une suite de l’histoire, racontée dans la deuxième partie de l’œuvre.
L’épisode de l’aigle offre parallèlement l’occasion de montrer une forte personnalité féminine. Flore est l’un de ces personnages féminins médiévaux qui ont pu constituer des modèles de vertus et de mérites, tantôt pour leur force active et guerrière, tantôt pour leur résistance passive et leur patience. Flore fait sans doute plutôt partie de la deuxième catégorie, mais montre néanmoins une certaine fermeté à l’égard de Théséus, quand il entre dans sa chambre et qu’il veut la convaincre de l’aimer sans lui demander son avis au préalable. Comme on va le voir, elle refuse avec verve de se laisser manipuler, mais surprise par le dard de l’amour, elle finit tout de même par céder. Au nom de cet amour, elle se plie ensuite aux tourments qui lui sont réservés, sans amertume et sans reproches, quand bien même ce serait son propre mari qui l’y exposerait.
Réécritures ou adaptations de la matière
À partir du xve siècle, cette matière commença à apparaître en prose sous différentes formes, plus ou moins complètes. Parmi celles qui 289subsistent encore aujourd’hui, nous pouvons déceler trois traitements divergents de l’histoire. Les deux premiers se situent, tout en étant très différents, dans la turbulence de la vie politique autour du roi Louis xi, où certains personnages de la noblesse tombés en mauvaise grâce ont trouvé l’histoire de Théséus propice à glorifier leur passé.
Le premier traitement est représenté par une version toute particulière qui s’intègre dans des Chroniques de Savoie écrites entre 1465 et 1466 par un certain Jean Servion, écuyer de la maison de Savoie et rattaché à Philippe de Bresse en particulier. Cette version est fortement abrégée et ne prend appui que sur deux motifs seulement de la longue histoire. L’un relate une transformation miraculeuse de Théséus dans son enfance et l’autre est celui du subterfuge de l’aigle d’or. L’auteur a donc sélectionné les motifs les plus originaux du récit initial, mais il n’a pas su en exploiter le potentiel littéraire. La récupération de l’histoire de Théséus par Servion ne forme pas une œuvre autonome à proprement parler, puisqu’elle s’intègre dans une célébration historisante et laudative de la famille ducale savoisienne dont la valeur littéraire est clairement subordonnée à une valeur de témoignage personnel et à une visée politique10.
Une tendance semblable, mais néanmoins différente dans sa réalisation, est représentée par quatre manuscrits des xve et xvie siècles, qui témoignent eux aussi d’une récupération partielle de l’histoire du héros épique, mais cette fois-ci par la famille Chabannes-Dammartin dans une tout autre région de la France11. Ces remaniements sont de longueur variable, mais mettent tous au centre un personnage secondaire de la chanson de geste, un dénommé Assaillant, inscrit comme ancêtre légendaire de la famille Dammartin. Assaillant lutte, en compagnon loyal et avisé, contre les usurpateurs de la fiction et incarne par là des traits de caractère que la noble famille avait peut-être besoin de souligner après les démêlés qu’Antoine de Chabannes, devenu comte de Dammartin par mariage, avait pu avoir avec le roi Louis xi12. L’épisode de l’aigle d’or est dans ces remaniements d’un intérêt secondaire, si tant est qu’il soit développé du tout, mais la seule mention du ravissement ou de 290l’aigle semble avoir suffi pour créer un effet métonymique de bravoure et d’amour durable.
À côté de ces remaniements partiels, il y a également à la même époque au moins trois éditions de l’histoire qui voient le jour. La première est faite par Jean Trepperel en 1504. Celle-ci ne peut se lire aujourd’hui que sous la forme de quelques fragments transcrits. La deuxième est de la main d’Antoine Bonnemere, datée de 1534, et la troisième de celle de Jean Bonfons de 1550 environ. L’édition de Bonnemere constitue aujourd’hui, quoique abrégée, le meilleur témoignage de l’histoire de Théséus de Cologne dans son intégralité. À cette liste d’éditions s’ajoute aussi une version bien plus tardive, probablement faite à partir d’un exemplaire de 1534 mais grandement retravaillée, qui fut intégrée dans la série épique des Mélanges tirés d’une grande bibliothèque par Contant d’Orville. Le remanieur du xviiie siècle considère les aventures chevaleresques de Théséus avec une certaine distance. Le contenu de la chanson de geste initiale est commenté au fil du récit et parfois même ridiculisé. D’après ce bref aperçu qui documente la transmission et la survivance de la matière de Théséus de Cologne sous des formes diverses, on peut encore une fois constater que l’histoire continua de vivre pendant une période de quatre siècles.
La première tradition manuscrite
Après cette longue introduction, revenons maintenant à la chanson de geste initiale. Comme il a déjà été mentionné, la chanson de geste Théséus de Cologne est conservée par trois manuscrits du xve siècle, dont aucun n’est complet13. Si on connaît aujourd’hui l’histoire dans son intégralité, c’est grâce à certains des témoins en prose. Le tout début ne figure pas dans les versions en vers, qui deviennent lisibles à des endroits différents de la trame narrative. Le manuscrit californien (Ph) est celui qui est le plus complet dans la première partie de l’œuvre. Il démarre tôt, avant la naissance même du protagoniste éponyme. Le manuscrit 291londonien (L) est déchiré au début et ne commence à être lisible qu’au fol. 5. Théséus est alors déjà né avec sa bosse légendaire et sa mère vient d’être accusée d’adultère. Enfin le manuscrit parisien (P) est tronqué au début et ne démarre qu’après l’épisode de l’aigle, lors de la fuite des amoureux nouvellement mariés. Ce dernier manuscrit est un peu plus condensé que les deux autres dans la première partie de l’histoire, mais relate en revanche toute la deuxième partie que les deux autres manuscrits ne contiennent que sous forme fortement abrégée.
Ce sont les deux manuscrits qui contiennent l’épisode de l’aigle, L et Ph, qui vont donc servir de base au présent travail. Ils présentent de nombreux passages complètement identiques et ont, dans l’ensemble, souvent les mêmes ajouts et omissions par rapport au manuscrit parisien. Ils sont donc clairement apparentés, mais ne dérivent pas pour autant l’un de l’autre14. Ils ont aussi des différences significatives. L présente des lacunes ainsi que de nombreux vers hypométriques et il est généralement peu soigné au niveau de l’écriture, au point que Bossuat a pu qualifier le copiste de « négligent15 ». Ph est, bien qu’un peu plus tardif, plus complet que L dans la première partie et constitue pour cela un bon choix de manuscrit de base. Si le non-respect de la métrique est un reproche qu’on peut adresser également au copiste de Ph, c’est aussi en cela que réside une partie de son intérêt, comme nous le montrerons.
L’édition qui va suivre est ainsi fondée sur le manuscrit californien, portant le sigle Ph du nom de son ancien propriétaire sir Thomas Phillipps16. Il contient dans son intégralité 169 feuillets d’une quarantaine de vers par page, écrits à l’encre marron, et n’a pas de miniatures. Le volume s’intitule « Le Roman du noble roy Thezeus » et ce titre figure et au début et à la fin du texte. Pour des raisons de contraintes éditoriales ne figure qu’une sélection succincte des variantes du manuscrit L dans l’apparat critique, à savoir celles qui soutiennent l’analyse des déviations significatives pour notre propos. Ajoutons également que certaines des lacunes du témoin londonien apparaissent dans la partie qui nous concerne ici.
292En route vers la prose
Pour l’établissement du texte nous avons adopté les conventions habituelles pour la transcription et l’édition critique des textes médiévaux17. L’édition ici présentée est critique dans le sens où elle restitue la présentation en laisses même là où le scribe l’avait négligée et en ce qu’elle corrige le sens d’un vers erroné là où une simple correction ou l’adoption de la leçon correspondante du manuscrit L suffisent à le faire. Ainsi, les quelques cas où le scribe a omis un s dans la forme verbale est sont corrigés pour la lisibilité du texte, de même que des erreurs syntaxiques ou morphologiques flagrantes. Le scribe mélange parfois des graphies de séquences qui sont semblables, voire identiques, à l’oreille, au détriment du sens logique et syntaxique. Les endroits où cela apparaît sont corrigés et signalés dans l’apparat critique.
Par ailleurs, nous avons cherché à respecter les caractéristiques langagières et les graphies du scribe le plus possible. Par exemple, le copiste utilise parfois la forme de l’infinitif à la place d’une forme conjuguée et ce choix, récurrent dans le texte, sera laissé tel quel. Il en va de même pour un certain nombre de passés simples à la première personne qui ressemblent à des participes passés. Cela se voit dans d’autres textes et ne pose pas de problème majeur pour la compréhension. Une décision éditoriale possiblement plus discutable, mais cependant nécessaire pour le propos de l’article, est celle de ne pas corriger la métrique et la rime même là où il serait facile de le faire. Comme nous l’avons annoncé, le scribe de Ph témoigne en avant-coureur d’un processus partiel de « prosification » qui se repère tant au niveau de la langue et que de la prosodie. Pour un certain nombre de termes, notre copiste semble effectivement avoir fait des restitutions conscientes et systématiques. Cela révèle que son intuition ou ses habitudes linguistiques ont par moments pris le dessus sur la régularité et la contrainte formelles auxquelles il se serait normalement soumis en recopiant une chanson de geste, des contraintes 293qu’abandonneront ensuite complètement d’autres scribes ou remanieurs qui peu de temps après le travail du copiste de Ph commencent à mettre l’histoire de Théséus en prose.
Des cas banals et récurrents pour l’époque sont l’utilisation de vostre au lieu de vo, celui à la place de cil et empereur au lieu de roy, mais on voit aussi toujours et visaige se substituer à tousdis et viaire, mectre prendre la place de traire, loialement remplacer loyaument, de même que aussi bien est préféré à ensement, mais à ainçois et ains, dedens à ens et promectre à avoir en couvent, etc. Les formes et le vocabulaire sont ainsi visiblement rajeunis, et c’est également le cas pour la grammaire où la présence de pronoms personnels sujets rallonge parfois les vers. Le copiste du manuscrit Ph emploie en somme une langue un peu plus moderne que celle des deux autres manuscrits et présente déjà quelques caractéristiques de la prose qui prendra le relais après les versions en vers18. Ces choix ou substitutions contribuent bien souvent à rendre les vers fautifs sur le plan métrique en entraînant des syllabes en trop, mais parfois aussi en moins. Et si d’un côté la régularité des vers est assez souvent rompue, on constate que les préférences du scribe ont également eu une incidence sur la rime, qui est négligée ou du moins approximative dans certains vers. Le copiste, qui fait rimer –ien avec –ant, –a avec –oit, –aine avec –ine ou –ie et –ie avec –ee à des endroits où une autre forme tomberait sous le sens, semble parfois avoir choisi les termes qui lui convenaient sans égards pour la versification, mais – chose importante – sans qu’à aucun endroit cela n’affecte la cohérence textuelle.
Cependant, on peut aussi constater que là où un lecteur moderne peut avoir tendance à compter les syllabes de tel ou tel mot « à la lettre », le copiste s’appuie probablement plus sur la phonétique. C’est sans doute la raison pour laquelle certains vers ont l’air d’être hypermétriques, alors que ce n’était pas forcément le cas à la lecture. À titre d’exemple on voit que le mot empereur peut compter pour deux, trois ou quatre syllabes 294selon les vers où il apparaît. Cette variation vaut aussi pour chamberiere. Certaines formes verbales au futur, comme bouteray ou dignera, semblent de la même manière pouvoir se prononcer en deux syllabes plutôt que trois. Les petits mots grammaticaux monosyllabiques comme de ou que peuvent s’élider ou non devant une voyelle selon les besoins du copiste. Comme on le sait, la graphie ne reflète pas toujours la métrique.
À côté de ces observations qui concernent la langue, on voit aussi que la présentation visuelle du manuscrit semble confirmer que le contenu prend petit à petit le pas sur la forme. La rubrication des laisses, en rouge et bleu, est parfois omise, ou même occasionnellement placée au milieu d’une laisse, ce qui fait que la répartition en laisses n’est que sporadiquement visible. Le texte apparaît simplement écrit en continu et le lecteur doit se reporter aux changements de rime pour repérer la division en sections. En cela, l’extrait qui sera édité ci-dessous représente non seulement un morceau de littérature exploité en son temps à des fins diverses, tant littéraires que politiques, mais forme aussi un témoignage intéressant sur l’évolution en cours entre poésie et prose, entre un état de langue ancien et un autre, nouveau, qui s’impose et qui défait ici sous nos yeux des habitudes longtemps sauvegardées par des contraintes formelles.
Le Roman du noble roy Thezeus :
l’épisode du subterfuge de l’aigle d’or19
xxxv
Or estoit Thezeüs a Romme le vaillant Ph, 17v ; L, 18r
1240 En l’ostel d’ung bourgois qui lui fist chiere grant.
En une riche chambre ala y reposant
Jusques au landemain qu’aloyt pryme sonnant.
Dont ala au moustier avecques lui ses gens.
La endroit ouÿt messe de bon cuer et de franc.
1245 Aprés la messe dicte, va du moustier partant,
295Ainsi qu’en my la rue, il aloit trespassant
Apperceust ung orfevre en son hostel ouvrant.
Et dessus la fenestre a y veu apparant
Une moult belle ymage de fin or reluisant,
1250 Sy tres bien figuree et de si bel semblant L, 18v
Que c’estoit chose a veoir moult advenant20.
Quant Thezeüs la vyt, s’i s’ala advisant.
L’orfevre qui l’ouvroit l’ala y saluant,
L’orfevre doucement lui ala respondant.
1255 « Maistre, dit Thezeüs, or ne m’alez celant
Pour qui est ceste ymage, dont je voy ci present,
Ne qui la vous fist faire, de cy tres bel semblant.
Onques ne vy si belle en jour de mon vivant. »
– Sire, ce dit l’orfevre, je vous jure et creant
1260 Encore e[s]t plus que belle, cent foiz et plus que tant,
Celle pour qui l’ay faicte, ne vous aller doubtant21. »
Et quant Thezeüs l’ot, adonc s’ala seignant,
Puis appela l’orfevre, et lui dit en riant :
« Sainte Vierge Marie, dit Thezeüs l’enfent,
1265 Pour qui l’avez vous faicte ? Ne le m’alez celant.
– Sire, ce dit l’orfevre, foy que doy saint Vincent,
Le gentilz empereur, qui Romme va tenant,
L’a fait faire pour lui, par ma foy vraiement,
Sur la forme a sa fille, et d’ung ytel semblant, Ph, 18r
1270 Car elle est la plus belle de ce siecle vivant,
Et la plus gracïeuse et la plus advenant
En fait et en parler et en tres biau maintien22.
N’a plus belle d’ellë jusques en Orïant.
Et le bon roy son pere l’aymë et prise tant
1275 Qu’i ne la veult donner a roy në a souldent,
Në a prince neszun, combien qu’il ayt vaillant.
Celui de Constantinoble, ung royaulme poissant,
L’ont pour l’empereür demandee maintenant23,
296Et le roy de Hongrie en va aussi priant
1280 Et le roy de Sezille, le prince de Azilan24.
Il sont .v. nobles roys qui en Dieu vont creant,
Et .xxx. roys payens et bien .xv. admirans
Qui en ont fait prïer l’empereür sachant.
Ne s’i veult acorder, mais leur va reffusant. »
1285 Quant Thezeüs l’ouyt quë i la prise tant,
Amours par sa vertu le va enluminant
Et d’un dart amoureux parmy le cuer lansant, L, 19r
Sy que tout fut espris et en amours ardant.
« Hé, Dieu, dit y, et que voye je sentant25 ?
1290 Je verray ce qu’Amours me vont ramantevant26
A aymer ung gent corps, dont on me va parlant,
C’oncques mon corps ne vy ne ne va congnoissant.
Forte chose est d’amours qu’en tel point met l’amant. »
xxxvi
Quant Thezeüs ouyt conter ceste raison,
1295 Tantost a prins congié, n’y a fait arrestoison27.
A son hostel repaire a grant abusïon,
Sur ung lyt se gecta, sa main a son manton.
« Ha sire, qu’avez vous ? lui dirent ces barons.
Vous nous souliez chanter, en consolacïon,
1300 Or estes vous abusez et plain de souppeçon28.
Je croy qu’i vous anuye en ceste regïon.
– Non fait, dit Thezeüs, par Dieu, seigneurs barons29,
Ne vouldroye point estre en autre regïon30,
297Mais je pense d’ung fait a la conclusïon
1305 S’amours et hardement si m’en donnent le don,
C’est a ceste pucelle, et a sa belle fason31,
Dont l’orfevre m’a huy faicte mansïon32, Ph, 18v
La fille l’empereur de Romme au Pré Noyron.
Jamais ne partiray de celle regïon
1310 Tant que je array veü la pucelle de nom
Et parlé a sa bouche, vueille l’empereur ou non33 ! »
Dient les escuiers : « Veez cy euvre a foison !
On n’y laisse parler chevallier ne baron. »
xxxvii
Dient les escuiers : « Biau sire Thezeüs,
1315 Nous vous prions pour Dieu : n’y penser plus34,
Car c’est certainement ung horiblë arguz
Et de quoy vous pourrés bien estre moult desceuz.
Tant la vont demandant roys, contes et duz
Que jamais par nul tour vous n’y serés receuz.
1320 – Seigneurs, dit Thezeüs le preux35,
J’en venrray bien a chief, s’i plaist au roy Jhesus,
Mais qu’Amours y voulsist monstrer de ses vertuz,
Car on dit ung proverbe, qui est a vray tenus : L, 19v
‘Homs qui pense a honneur, s’en vient au dessus36
1325 L’omme qui pense a mal est a la fin pendus.’
Laisser m’en convenir, car ce mal m’est venuz37
D’Amours, par qui je suis souvent pourveüz38,
298Oncques mais en ma vye ne fuz si corrompus,
Car je ne puis durer droit ne vestu ne nuz.
1330 Aller vueil au palais devant tous les plus drus,
Et s’enterray dedans pour en estre batuz.
Or prie au doulx Sauveur ou je me suis rendus
Qu’Amours me vueille aidier, je ne demande plus. »
xxxviii
Ainsi dit Thezeüs le preux et le senez.
1335 Il c’est lors joliement et vestuz et parez39,
Avec ces escuiers s’en est acheminez.
Venu est au palais, mais il estoit farmez,
Aller devoit digner l’empereur Esmerez.
Et Thezeüs a dit : « Amy, la porte ouvrez !
1340 Laisser m’entrer dedans, nul debat n’y mectez40 ! »
Et le portier respont : « Mye n’y enterrez41.
L’empereür s’i est pour digner aprestez,
Ceans n’enterra homme qui de mere soit nez,
Non si n’est messager, car il m’est commandez.
1345 – Amis, dit Thezeüs, soiez mieulx advisez :
Je vous donrray cent mars, se prendre les voullez. » Ph, 19r
Et le portier a dit : « Je seroye tuez.
Aller vous ent, amy, et vostre argent emportez42.
Foy que je doy a Dieu, mieulx vault que le beuvez.
1350 – Hé Dieu, dit Thezeüs, qui en croix fut penez,
Or suis je bien perdu et bien deshonnorez. »
Puis a dit au portier : « Amy, vous me grevez.
G’y ay plus grant maistrise, frere, que ne penser43. »
Et le portier a dit : « Voz parolles perdez. »
1355 Quant Thezeüs l’ouyt, adont c’est avisez
D’ung fait qu’i ne dit point, mais s’en est retournez.
Dit a ses escuiers : « Bonne chose verrés,
299A loy de messager vouldray estre atournez. »
Et quant il ont ouy, si en ont rys assez. L, 20r
Suivent sept laisses où Théséus se déguise en messager et se fait admettre au château de l’empereur alors que ce dernier est à table avec sa fille et ses gens. Théséus, tombé en admiration devant la princesse, tarde à livrer sa lettre. L’empereur aperçoit le messager qui attend, se renseigne sur son origine et lui offre un cadeau. Tout absorbé par la beauté de Flore, Théséus se sent intimidé. Si au départ il était venu avec l’intention de lui parler et de lui révéler son identité et ses sentiments, il réalise que ce n’est pas le lieu de le faire et décide de jouer le rôle du messager jusqu’au bout, car « homs qui ne s’aventure ne vault ung fil de soye ». Il prétend alors venir de la part de Floridas, son père, pour demander la main de la princesse pour le prince Théséus, dont il vante éloquemment les mérites. L’empereur n’est pas impressionné et lui rétorque que bien quarante autres prétendants, bien plus valables que ce prince, ont déjà fait cette requête, mais que personne ne l’aura. Théséus le met en garde : « […] or l’ayés bien gardee / Se vous ne lui donnés, par la vertu louee, / En la fin vous pourra bien estre emblee. » Avant de partir, il salue Flore en lui disant qu’il aimerait bien la voir à Cologne auprès de Théséus, le hardi. L’assemblée en rit, mais l’empereur, qui n’apprécie pas, le fait jeter dehors. Après cette deuxième visite ratée, il va voir l’orfèvre qui a fait la statue de la princesse et lui confie qu’il a une demande secrète à lui faire.
xlv
Ainsi dit Thezeüs qui tant ot le cuer vray. Ph, 22v ; L, 23r
1645 Dont a dit l’orfevre : « Maistre, je vous diray
Trestout le mien secret, plus ne le sceleray.
Voir je suis filz de roy, et tel me prouveray,
De Coulongne la grant dont la terre tenrray
Ce mon pere survis qu’a Coulongne laissé44.
1650 Or vous dy je qu’Amours m’a mis en grant esmay
300Pour la noble pucelle qui tant a le corps gay,
Pour ce que vous avez fait l’ymage pour soy.
Or ne sçais tour viser parquoy y parleray,
Ce vous ne m’aider, tant je vous en diray45.
1655 Mais s’aider me voulez, trop bien y parleray.
Et ce g’[y] puis parler, espoir que tant feray46
Que l’amours de son corps par biau parler aray. »
Adont lui dit l’orfèvre : « Ce faire je le sçay,
Je vous en promect bien que je m’en peneray47
1660 En trestous les estas que faire je pourray.
– Maistre, dit Thezeüs, bon gré vous en saray. »
Puis a dit coyement : « Et je vous apprendray
A faire ung tel mestier que bien je vous diray,
Dont ce bien ne m’en vyent, bien mourir en pourray48. » L, 23v ; Ph, 23r
xlvi
1665 « Amis, dit Thezeüs, qui d’amours estoit mas,
Y te couvient ouvrer ainsi que tu orras.
Ung aigle d’or fin en l’eure me feras49,
Et fault qu’i soit ouvré et fait par bon compas
Que je puisse entrer dedans que on ne m’y voye pas50
1670 Et que j’en puisse yssir et mes pyez et mes bras.
Dedens l’aigle d’or fin la farmeure feras,
Et quant y sera fait, entrer tu m’y verras.
Et quant seray dedens briefment commanderas
Que je soye porté de varlés fors de bras
1675 Tout devant l’empereur, dont hault est son estat.
En l’honneur de sa fille tu m’y presenteras
Et tout entierement a sa fille donrras.
301Sy n’en pars mye tost quant presenté l’auras,
Jusqu’a tant qu’en la chambre l’aigle veü aras.
1680 Quant sera en la chambre tu t’en departiras51,
Ainsi dedans cel aigle ila tu me lairas.
Laisse moy convenir de tous les aultres cas.
Je croy qu’avant maint nuyt maintendray tel estas
Que tres bonnes nouvelles de moy parler orras.
1685 – Sire, ce dit l’orfevre, foy que doy saint Thomas,
Oncques mais je n’ouy parler de telz fatras.
Ce je cuidoye ja gesir entre ces bras,
Je ne feroye mye ce que cy dit m’en as,
De m’y faire porter et estre en ytel las,
1690 Et deussé je tenir la terre d’Ypocras52
Et trestout le tresor que le roy Jonatas53,
Je ne le vouldroye faire pour tout l’or de Damas54.
– Amis, dit Thezeüs, je n’en donne deux as.
Je le feray ainsi quant l’aigle fait aras :
1695 Je me bouteray dedans que ja n’y me verras55.
– Sire, ce dit l’orfevre, qui n’estoit mye mas,
Faictes l’or aporter, j’appointeray mes mars.
L’aigle commenceray quant devis[é] le m’as56. »
Adoncques Thezeüs l’acola a deux bras,
3021700 Ne fut mye si joyeulx pour tout l’or de Damas57. L, 24r
Il ala appeller ses escuiers tous bas :
« Faictes tost aporter yssy de l’or a tas,
Par quoy on puist ouvrer et faire mon soulas. »
Et il lui sont allez ysnellement le pas58.
1705 « Dieu vous en vueille aider, car par saint Nicolas Ph, 23v
Vous l’avez aussi layt que qui gecte deux as59. »
xlvii
Lez gentilz escuiers Thezeüs au corps gent60
Ont au cuer grant esmay ou Thezeüs ce prent,
Ne dont lui peult venir ung tel advisement.
1710 Nonpourtant obeïssent a son commandement.
A leur hoste s’en vont moult vigoureusement
Et ont or apporté moult plantureusement
En la maison l’orfevre ou Thezeüs l’atend.
Et l’orfevre si fit son appareillement,
1715 Ne sçais que l’en vous fit lonc devisement.
Tant fit et tant ouvra si forciblement61
Que l’aigle fut parffait, dont je foiz parlement.
Quant Thezeüs le vyt de la joye s’estand,
Adoncques Thezeüs n’y fist delayement.
1720 Son aigle a essaié bien et faictissement,
Il entra et yssit, et menu et souvent.
« Maistre, dit Thezeüs, c’est ouvré sagement.
Or me faictes porter lassus legierement.
– Sire, ce dit l’orfevre, foy que doy mon serment,
3031725 Vous me requerez cy de mon encombrement.
Bien sçais que je suis mort, si lui en avoit cent,
Et vous n’eschapperés par autre vengement.
– Certes, dit Thezeüs, je sçais certainement,
Ce je suis apperceu, je mourray vrayement.
1730 Mais vous eschapperés, je vous diray comment :
Vous serez en ung lieu trestout la priveement62
Et arés avec vous mes hommes et mes gens,
Afin que ce la besongne va trop mauvaisement63,
Sy tost que vous le sarés, tantost fuyez vous ent64 L, 24v
1735 Droitement a Coulongne, qui sur le Rain s’estend65.
Et mes hommes yssy si vous en feront serment66
Que bien vous serviront, car mon corps s’i assend.
Mon royaume vous donne et le couronnement,
Bien l’avez deservy, fait avez mon talent.
1740 Ce me fait fere Amours dont j’ay le sentement.
Car pour ceste pucelle qui de beaulté resplant
Vueil endurer la mort, la paine et le tourment
Ou avoir sa mercir tres amoureusement,
Car j’ayme mieulx morir, je le dis voierement67, Ph, 24r
1745 Que faillir a l’amour de la belle au corps gent.
Car quant de sa beaulté me vient remembrement,
Dont je sens le tyron d’Amour qui si m’esprent
Que je n’ay en mon cuer sens ne entendement.
Sy vous dis g’y ay mys mon cuer entierement
1750 Que par cel aigle d’or qui est fait noblement
Feray ma voulenté, le cuer le me va devisant68.
304Et puis quë y me plaist, g’y essarray vraiement69,
Car on dit ung proverbe et le dit on souvent,
Que la chose qui plaist ce vent bien chierement. »
xlviii
1755 « Maistre, dit Thezeüs, qui d’amours fut espris,
Faictes ma voulenté, si serés mon amy,
Et se je meurs par ce, vous donne mon pays. »
Lors a prins ung baton qu’i n’y est alentis
Et dit : « Par ce baston, que j’ay en vostre main mis70,
1760 Vous donne quanques j’ay, ce par ce suis fenis. »
Les hommes Thezeüs, qui ouyrent ces dis,
Ont prins a souppirer, quant ces mos ont ouys.
Et ont dit : « Tres chier sire, pour Dieu ayez advis !
Pitié est et meschief et tous en vauldrons pys,
1765 Ce pour une pucelle vous estes huy peris.
Las, que dira le roy Floridas le hardis L, 25r
Et la royne vostre mere, dont vous estes naquis71 ?
Hé, pour Dieu, monseigneur, franc prince seigneuris,
Souffrez vous de ce fait que ne soyez souppris,
1770 Car qui ne croit conseil a la fin est honniz. »
– C’est voir, dit Thezeüs, le nobile marquis,
Mais je croy bon conseil, n’en soyez esbahis,
Car le conseil d’Amours qui est suppelatifz.
Et qui croict bonne amours, il n’en peut valloir pys,
1775 Car Amours me dit bien et conseille tousdis :
‘Ja a bien ne vendra amant si n’est hardis’.
Et pour ce je vueil estre amant en tous estas jolis72,
S’en sera le chasteau de ma dame assaillis. »
305xlix
« Seigneurs, dit Thezeüs, ne vous esbaïssez ja73,
1780 Vous verrés advenir que grant honneur m’en vendra74. »
Y demanda du vin et on lui apporta.
Dont print la souppe en vin et bien se desjeuna
Pour ce qu’i ne savoit l’eure quant y dignera75.
Quant y fut desjeuné, son aigle defferma. Ph, 24v
1785 Quant y lui deust entrer, doucement se seigna,
L’orfevre et ces gens doucement acola,
En son aigle est entré et puis y le ferma.
« Avant, maistre, dit il, porter moy par dela ! »
La furent deux varlets en qui y se fya,
1790 L’aigle d’or en emportent, le maistre devant va,
Et les gens Thezeüs moult tendrement plora.
Le maistre va devant, qu[i] l’aigle d’or forga76,
Decy jusqu’au palais mye ne s’arresta.
Ce fut ou temps d’esté et l’empereur souppa,
1795 Et l’orfevre gentilz le portier appella :
« Amis, metz moy dedens ! » Celui le regarda.
« Qu’esse, dit le portier, que vous aporter la ?
A y ame mussé dedens cel aigle la ? »
Quant Thezeüs l’ouyt, tout le sanc lui mua,
1800 Car voulentiers eust dit : « On me reportera. » L, 25v
l
Quant Thezeüs ouy le maleureux portier,
Voulentiers il eust dit : « Repporter moy arrier77 ! »
Mais l’orfevre cy dit : « Ouvrer sans plus targer78,
Car veez cy ung present, qui moult fait a priser79
3061805 Que vueil a l’empereur donner et octroyer,
Et a sa fille Flore, que Dieu vueille garder. »
Et le portier respond : « Vous savez biau mestier.
Bien devez entrer dedans a vostre desirer80.
Puis que vous apporter, ja n’en feray danger81,
1810 Mais n’y enterrés ja, se Dieu me puist aider,
Ce ne fust pour le don que vous cy apporter82,
Car le bon empereur me commanda l’autrier
Que ne laissasse entrer personne a son digner
Afin que aucun ne viengne sa fillë espyer,
1815 Car par jour et par nuyt la fait si pres garder
Qu’on n’y laisse parler sergent ne bachellier.
Mais je croy qu’en la fin en fera l’esprevier,
Quant on l’a bien gardé pour lë aprivoyser
On ne s’en donne garde qu’i s’en vole ou ramyer. »
1820 Quant Thezeüs l’ouyt, joye va demener,
A soy mesmes dit : « Par le corps Saint Leger83,
Ainsi en advenra, se je puis esploiter. »
Par le gré du portier est l’orfevre entré. Ph, 25r
Les varletz atout l’aigle qu’il ont la aporté
1825 Vers le palais s’en vont, ou il ot maint degré,
Et monterent en hault devant tout le berné.
Quant l’orfevre entra, le sang lui va changer,
Et a dit coyement : « Qu’ay je eu en pensé ?
Bien m’a ce Thezeüs souppris et enchanté.
1830 A paine que ne le voix maintenant acuser
Et que devant l’empereur ne soit son corps monstré. »
Puis dit a l’autre mot : « Dit ay si faulceté,
Puis que j’ay couvenant de faire loiaulté,
Certes je lui tendray trestoute verité. »
1835 L’aigle d’or fist porter par haulte auctorité.
Servans et escuiers l’ont assez regardé,
L’un a l’autre disoient : « Veez la tres bien ouvré ! L, 26r
307Veez la ung riche don qui a biaucoup cousté ! »
Et l’orfevre si a l’empereur regardé.
1840 Et ung pou sur la table fut son aigle posé,
Assis la gentement et devant lui tourné.
Et puis a l’empereur doulcement salué
Et lui dit doulcement et par humilité :
« Mon tresdoubté seigneur, Dieu vous croisse bonté
1845 Et vous tiengne en honneur et en auctorité,
Ma dame vostre fille et trestout le barné.
Car veez cy ung joyau noblement compassé
Que j’ay ou nom de vous et fait et achevé
Et ou nom de vostre fille, ou tant a beaulté84,
1850 A qui j’en foiz present, mais que soit vostre gré. »
« – Maistre, dit l’empereur, veez cy tres bien ouvré. »
Dont a dit haultement c’on ne l’a escouté :
« Donner au maistre a boyere, car c’est ma voulenté.
S’il a mestier de nous, on lui face amistié. »
1855 Et Flore la pucelle au gent corps honnoré
A le gentilz orfevre doucement appelé,
Ung anel de son doyt a doucement osté,
De quoy la pierre estoit de grande richeté.
– Maistre, dit la pucelle, par saincte Trinité,
1860 Vous arés cest anel par telle voulenté
Que pour le bel joyau que m’avez aporté
Ne m’arés nullement vrayement demandé
Qu’en l’eure de mon corps ne vous soit accordé,
Car le joyau est bel et de grant richeté. » Ph, 25v
1865 « Dame, ce dit l’orfevre, par Dieu de magesté,
Il a en ceste ouvrage tel chose encorporé
Que vous ne le donrriés pour l’or d’une cyté.
Ce vous ly querez bien, tantost l’arés trouvé85. »
Bien l’ouyt Thezeüs au courage aduré,
1870 Dont cuida que l’orfevre le voult lors accuser.
Et a lui mesmes dit : « Je suis cy atrappé,
Sainte Vierge Marie, ayez de moy pitié ! » L, 26v
308li
Quant Thezeüs ouyt du maistre la raison,
Adont se doubta mout qu’il n’y eust traïson,
1875 Dont a dit coyement que ne l’entendit homs :
« Hé Dieu, maistre, dit y, ne valez ung bouton,
Mais par celui Seigneur qui a Longis fit pardon86,
Ce je suis apperceu a ma confusïon,
Se je vous puis tenir, je vous donray bon don. »
1880 Mais le gentilz orfevre n’y pensoit se bien non,
Dont dit a la pucelle coyement a bas son :
« Ma dame, s’il vous plaist et y vous semble bon,
Que dedans vostre chambre l’aigle porter faison. »
Alors ce dit la dame : « C’est bien m’entencïon. »
1885 Lors ont l’aigle levé vistement les compaignons87,
Et une chamberiere les suivoit au talon,
La chambre leur monstra sans nulle arrestoison.
Et ceulx y sont entrez dont je foys mencïon.
L’aigle la ont mys par tel condicïon
1890 Qu’au plus prés fut du lyt de la dame de nom
Qui bien estoit couvert de tres noble façon
D’ung drap qui estoit riche, plus noble ne vyt hon.
Ou siecle n’ot oyesel, esprevier ne faucon88,
Në en la mer aussi, se croy, n’y a poisson
1895 Qui n’estoit eslevé par euvre de raison.
La chambre estoit ouvree de riche vermillon
Et d’istoires royaulx y avoit a foison.
Toute la vielle loy des le temps Phazaon89,
Et la nouvelle aussi jusqu’a la passïon,
1900 Et estoit ordonnee et en figuraison.
Le maistre qui l’ouvra y mist longue saison.
En ung autre costé avoit on paint Noyron,
Comment fit lapider saint Pierre le baron.
Quant l’orfevre cy vyt de l’euvre la fason Ph, 26r
3091905 Moult y estudia, mais en conclusïon
Y vint la demoiselle qui Flore ot a nom.
Quant l’orfevre la vyt, se mist a genouillon
Et lui dit : « Douce dame, je vous laisse mon don. » L, 27r
Sy lui a quamander : « Ma dame, en vostre maison90
1910 Amander le vendray quant vous semblera bon91. »
Puis a dit coyement, que ouyr ne le pot on :
« Ja y ne plaise a Dieu qui forma Lazaron92
Que jamais on me voye cy mectre le talon. »
lii
L’orfevre print congié a Flore l’abile,
1915 Et celle qui estoit joyeuse de ceste estraine93
Le commanda a Dieu et lors y s’achemine
Que ja eust voulu estre en terre sarrazine.
Plus n’atendit la ne varlet ne meschine94
Qu’en sa maison n’alast pour fin or une mine.
1920 A l’ostel Thezeüs qui fut de franche orine
E[s]t venus l’orfevre qui blanche ot la cringne95,
Et les gens Thezeüs trouva en la chambre mabrine96.
Y n’y avoit celui qui n’eust la teste encline,
Quant y vient l’orfevre, adont d’entente fine
1925 Y lui demanderent par bonne amour certaine97
Le fait de la besongne et toute la couvaine.
Et y leur a compté sans fere lonc termine
Qu’i laissa Thezeüs en la chambre mabrine
En l’aigle qui est mys dessoubz une courtine.
1930 Dirent les escuiers : « La douce Vierge digne,
310Sy nous vueille garder de mal et de bruyne
Et radmaine Thezeüs, qui blanche a la poitrine,
Sy vraiement qu’Amours le tient en sa saissine
Et qu’il est em peril que la mort ne l’afine.
1935 Or en prions trestous a la vertur divine
Que veoir le puissons a joye en brief termine. »
Et Thezeüs estoit en la chambre enterine
Qui ne sent en son cuer soif ne nulle famine,
Car Amours si lui plaist, qui l’a en sa saisine,
1940 Et paour le tenoit en sa fiere racine
Qui eust voulu que son aigle eust volé comme ung signe98.
liii
Moult estoit Thezeüs dedans l’aigle pensis.
Et l’aigle si estoit en my la chambre assis
Et la noble pucelle estoit en ces delis Ph, 26v ; L, 27v
1945 Avec ces damoiselles dont elles furent six.
Sur ung banc fut assise la pucelle au cler vys.
L’aigle va regardant et y mist son advis
Et dit a ces pucelles : « Moult est ore soubtiz
Le maistre par qui fut cel aigle si fornis.
1950 – Voiere, dirent les dames, beau mestier a apris.
Y cousta grant avoir, ne sçais ou il a pris,
Car s’i n’est bien fondé, a povreté est mys.
– Par ma foy, ce dit Flore, ce Dieu plaist et je vys,
Celui qui donné le m’a, n’en vauldra mye pys99.
1955 Moult m’a fait biau present, de Dieu soit y amys. »
Bien les voyt Thezeüs qui tant estoit hardis.
Adoncques la pucelle blanche comme fleur de lis
Sy demanda le vin, on n’y a terme mys,
Et une damoiselle qui ot a nom Bietrix
1960 Lui aporta le vin et la belle l’a pris.
La pucellë a beu, du tout a son devis100,
311Et si tost qu’elle ot beu, le hanap a jus mys,
Puis dit : « Alons coucher, tost sera jour faillis. »
Quant les dames l’entendent, si en ont assez rys.
1965 Et dont en a dit une : « Par le corps Jhesucris,
Quant vous arez ung roy qui sera voz maris,
Adont sera vostre corps de coucher moult hatifz.
– Certes, ce respont Flore, j’ay bien les mos ouys,
Mais je ne sçais nul homme, tant soit y seigneuris,
1970 A qui j’aye le cuer në en fais në en dis,
A l’ung n’a plus qu’a l’autre, je le vous certeffiz101,
Ne par Dieu, je ne sçais, ne point ne l’ay apris,
Quelle chose c’est d’amours, ne d’amy[es] ne d’amys102.
Et je croy vraiement que c’est bien mes prouffiz,
1975 Car je voy par amours les plus saiges honnis.
Dieu me vueille tenir en cest estat ainsi103 ! »
Dit une chamberiere : « Vous en valez bien pys,
Car dame n’est point gaye, pour vray je le vous dis,
Ne servye a son droit, de ce est mon cuer fiz,
1980 Qui n’a sentu d’amours le gracïeux prouffiz.
D’amours vient grant honneur, grant joye et grant delis, L, 28r
D’amours vient biau parler et courtois et jolis,
Noblesse, humilité et gracïeux octris,
Seigneurie et haulteur, si fait les cuers hardis,
1985 Loyaux, entreprenans et recorder biaux dis, Ph, 27r
S’en est maint corps de dame prisé et agentilz,
Honnoré et amé, des vyces afranchis.
Certes c’est bel estat que d’amies et d’amys104 !
Qui de trestout l’avoir seroit tousjours servis,
1990 S’y n’aymoit par amours, se seroit ung chetifz,
Car il n’est nulz amans ne povres ne mandis,
312Car amours e[s]t tresor de plaisance garnis105
Qui mect en grant honneur en tous temps ces subgis. »
liv
Ainsi la chamberiere volt la dame agenser106
1995 Comment amours se veulent deduire et demener.
Et quant Flore l’ot ainsi d’amours parler,
Doucement respondit et sans nuly blamer :
« Damoiselle, dist elle, qui bien savez aymer,
Or prier donc Amours, qu[e] tant savez louer107,
2000 Qu’i me vueille briefment un amant admener
Dont je ne vaille pys en fait ne en parler,
Car ad ce que je puis en moy considerer,
Ja pour l’empereur mon pere, tant qu’i pourra durer108,
Ne verray le mien corps ja nul jour asseurer. »
2005 Lors dit la damoiselle : « Bien m’y vueil acorder. »
Tout ainsi devisant se sont allees coucher.
Florë aussi s’en va en son lyt reposer,
Deux chamberieres fyt en chambre demourer
Et les aultres s’en sont toutes alees coucher109.
2010 Une lampe y avoit, qu’on ot fait aleumer,
Doncques ce commença Thezeüs a doubter.
Bien vyt la damoiselle dedens le lit entrer,
Ces douces mameletes a la veues soubzlever110.
Lors lui esprint le cuer, si commence a trambler
2015 Par amours qui lui fist sa mercir delivrer.
« A Dieu, dit Thezeüs, qui pourroit acoler L, 28v
Ce gent corps gracïeulx que je voy la ester,
Il n’a au monde avoir qui le peüst passer.
Or me vueil Dieu aider, il est temps de l’aler,
2020 Car j’o ces chamberieres dormir et reposer,
313Et la belle aussi bien voy en sommë entrer. »
Lors ala Thezeüs son aigle deffarmer.
Les deux bras doucement en print hors a bouter
Et tout le corps de lui et puis s’ala lever.
2025 Y regarda partout et puis print a passer.
Du lyt a la damoiselle qui tant fist a louer Ph, 27v
Ala le damoisel la courtine lever
Et puis devant le lyt s’ala tout droit monstrer.
La pucelle dormoit qui tant ot le vys cler.
2030 « A, Dieu, dit Thezeüs, comment porray ouvrer ?
On ne vyt oncques mais nul homme a telle chose viser111
Que de venir ainsi bonne amour demander.
J’ay moult tres bien ouy d’Aristote parler
Qui laissa dessus lui une dame monter
2035 Qu’en guise d’ung cheval le faisoit elle aller.
Et de Virgile aussi ay je bien ouy recorder112,
Que la pucelle fist en la corbeille entrer,
Et de Tristan aussi qui bien se volt pener
Pour la roÿne Yseus qui tant ot a endurer113,
2040 De Paris et d’Elayne les amours recorder,
D’Alixandre le Grant et du roy Tolomer,
Et de tous amoureux dont on pourroit parler
Comment Amours les fit en amours demener.
Mais oncques je n’ouy dire ne recorder
2045 Q’ung amant se fist en ung aigle porter114.
Or prie a bonne Amour que je doy aourer
Qu’i me vueille aujourd’ui aider et conforter,
Par quoy puisse [a] ma dame sa mercir empetrer115. »
lv
Ainsi se devisoit le vaillant Thezeüs
2050 Qui estoit de son aigle en my la chambre yssus.
314Devant le lit la dame e[s]t Thezeüs venuz116
Et la trouva dormant, ne l’an mescroie nulz,
Mist sa main a son visaige adonc s’est embatus117 L, 29r
Jusqu’au chief la pucelle et lui fist biaux salus
2055 Et lui dit : « Damoiselle, parler, de par Jhesus118,
N’ayez pas paour de moy, ne suis pas Burgibus119,
Mais suis de par Dieu le glorïeux Jhesus120. »
Quant elle l’entendit, son cuer fut esperdus.
Et lui dit haultement : « Qui este vous ? Traiez vous ent sus121 ! »
2060 Dont a ouvert les yeulx et les bras estendus.
Quant aperceust Thezeüs qui la est apparus122,
Adont prist a crier : « Sire Dieu de lassus,
Vueillez moy cy aider, ou mon corps e[s]t perdus123 ! »
Ce dient les chamberieres : « Dame, ce n’est nulz124,
2065 Souviengne vous de Dieu et de ses grans vertus. » Ph, 28r
– Damoiselles, dit elle, pour Dieu, lever tost sus125 !
Vrayement c’est ung homme tout chaussé et vestuz
Qui est devant mon lyt si endroit cy venus. »
Et quant elles ouyrent, le sanc leur est esmeuz,
2070 Adont orent fraieur tant que n’en porent plus126.
315Hault prinrent a crier si en força le huz.
Quant Thezeüs vyt ce, joyeulx ne fut pas devenuz127,
Adont voulsist bien estre en my les prez arbus,
Voiere dela la mer, ou royaulme des Turs.
2075 « Hé vray Dieu, ce dit y, ou me suis je embatus128 ?
Or voy bien et apperçoy qu’a ma fin suis venuz129.
Hé, Floridas mon pere, or ne me verrés vous plus130,
Ne ma dame de mere, or me garde Jhesus ! »
Vers l’aigle retourna, c’est dedans embatus.
2080 La endroit est mucé, si ne le sara nulz.
Et les pucelles crient, disans : « Ave salus,
Le veni Creator Sancte Spiritus131 !
Et, que nous advient il ? Est ceans Burgibus132 ? »
Ne s’osoient lever, mais vont criant : « Or sus ! »,
2085 Car on dit ung parler, de ce n’en doubte nulz,
‘Puis que femme s’esmeut, son cry est entendus.’ »
lvi
En la chambre qui fut painte la de vermeillon133
Crioient les damoiselles le meurdrë a hault ton134.
Et l’empereur estoit en sa chambre a bandon,
2090 Qui entreouyt la noyse et le hault ton135.
Adonc est levé sus, n’y a fait arretoison136,
Son chambellain lui mist tantost ung hoqueton
316Et puis print en sa main de clarté a foison. L, 29v
En la chambre s’en vint menant grande huisson,
2095 Et on lui ouvrist tost quant on ouist son nom.
L’empereür y vint, en sa main ung baton.
« Qu’esse la, belle fille ? Vous fait on ce bien non ?
Qu’avez vous anuyt eu ? N’en faictes celison ! »
– Sire, dit la pucelle, ore vy la fason
2100 D’un homme proprement, qui me mist a raison,
A moy voulloit parler, mais je ne sçais son nom.
– Ou est y ? dit l’empereur. Avant, seigneurs baron137 !
Il ne peut eschapper s’il est cy envison. »
Lors alerent querant, n’y laisserent quignon138.
2105 Thezeüs veoyt bien tout leur condicïon. Ph, 28v
Vous povez bien savoir et croire par raison
Qu’estre voulsist adonc en autre regïon.
Jhesucrist reclama qui souffrist passïon :
« Hé Dieu ! dit y, que j’ay cy grande confusion !
2110 La bonne heure m’a mys en telle abusïon139. »
lvii
Dolent fut Thezeüs quant l’emperiere voyt,
Qui le quiert sa et la et si le menassoit.
Sa couronne et son chief moult fort il en juroit
Se y trouvoit nuly, en l’eure l’occiroit.
2115 Thezeüs reclama Jhesus qui trestout voyt :
« Hé Dieu, dit Thezeüs, qu[e] fis je ung fol exploit140
Quant oncques ordonné cel aigle cy endroit141.
Trop mieulx le priseroie, s’envoler ce pouoit. »
Et l’empereur souvent a sa fille venoit,
2120 Et puis si lui a dit que delay n’y mectroit :
« Fille, par celui Dieu qui trestout scet et voyt,
317J’ay partout regardé, n’y ait laissé paroy,
Mais je n’y ay trouvé nulle chose qui soit.
Je croy que ce fu songe qui devant vous venoit,
2125 Ou que ces chamberieres qui sont yssy endroit
Parloient en dorment, ainsi mon cuer le croit.
Sy ne desmouront plus devers vous, par ma foy. L, 30r
Or tost aler ailleurs coucher car y me plaist142,
Car bien croy que par vous elle se espoventeroit143. »
2130 Lors les fist departir et sa fille saignoit,
A Dieu la commanda, sa chambre retiroit.
Et elle demoura seule et Thezeüs la endroit144.
Et ung petit aprés qu’elle s’aplommoit145.
Quant vint ung pou aprés que chascun se dormoit,
2135 Thezeüs le gentilz hors de son aigle yssoit.
A la lempe est venu, la clarté abaissoit.
I la print en sa main vers le lyt la porta146,
La courtine entreouvrit et dit : « Que Dieu fut la147. »
lviii
Thezeüs qui estoit de grant entendement
2140 Enprint en celle nuyt ung moult grant hardement,
Ce lui fit faire amours par ung doulx sentement.
Thezeüs print ung cierge qui grant clarté rent
Et lui dit : « Ma damë, or ne vous aller doubtant148,
Car je suis de par Dieu, le Pere omnipotent, Ph, 29r
2145 Qui pour l’amour de vous suis venu ensement.
318Dedens cel aigle d’or qui reluit et resplant
Me suis fait aporter en guise de present.
Belle, filz suis de roy, sachez certainement,
Floridas de Coulongne qui sur le Rain s’estend
2150 M’engendra de sa chair par droit engendrement.
De vostre grant beaulté qui reluit et resplant
Ouy parler l’aujour et compter vrayement149,
Dont amours m’ont saissi si amoureusement
Que pour vous voix et faire parlement150
2155 Ay mys en adventure mon corps entierement.
Et je vueil bien mourir, ce vostre cuer s’i assent151,
Puis que j’ay acompli tout mon entendement.
Je ne conte a mourir ung denier seulement
Puis que je vous ay dit trestout mon pensement.
2160 Et se meurs pour vous, j’aray sauvement152.
Je mourray par amours en aymant lyement. »
Lors c’est agenoullié tres amoureusement. L, 30v
Et quant la demoiselle celle parolle entend,
Avant qu’elle respondit atendit longuement153.
2165 Et quant elle ot pensé, si a dit simplement :
« Biau sire, par Jhesus et par mon sauvement,
Vous m’avez fait paour anuyt villainement.
Sy n’estes point courtoys qui venez encement
En une telle chambre sans mon commandement.
2170 – Belle, dit Thezeüs, je l’acorde ensement,
Et je sçais bien que j’ay fait tres outrageusement154,
Mais vous ne m’en devez blasmer aucunement,
Maiz demander a Amours, car je dis vrayement155,
319Amours m’en a donné le droit esmouvement.
2175 C’est la faulte d’Amours trestout principaument.
– Par foy, dit la pucelle, je ne sçais nullement
Ou vous en avez prins le cuer et le tallent
Quant vous n’avez eü de moy l’esmouvement156,
Ne je ne vous congnois, ne qui sont voz parens.
2180 Cuider vous que je doye celer ce couvenant157 ?
Nennil, sire, par foy, je ne m’en tairay neant158.
Mon pere hucheray, si lui diray comment
L’orfevre si m’a fait d’un tel joyau present.
Je croy qu’il en ara douloureux payement. Ph, 29v
2185 Et vous d’autre costé en arés grant tourment,
Car mon pere l’empereur en fera jugement159.
– Belle, dit Thezeüs, vous parler sagement160,
Et je vueil bien mourir en vostre nom bonnement161,
Mais je vous prie pour Dieu ung don tant seulement.
2190 Actendez qu’i soit jour, si me verront les gens
Qui me verront mourir pour aymer loialement162. »
lix
« Belle, dit Thezeüs, qui doulx ot le viaire,
Je suis yssy venu, amours le m’a fait faire.
En ce ay jë eü moult de peine et de haire,
2195 Car pour vous y ay prins longuement mon repaire.
Or en suis hors yssu, je n’en ay plus que faire.
Se j’estoye dedens, vous si me feriés hors traire163,
Puiscedit que de vous ay veü l’exemplaire,
320Et les maulx que je cens m’avez ouy retraire.
2200 Il est temps de mourir, s’on ne me veult bien faire, L, 31r
Car par celui Seigneur qui le mondë esclere,
Vous ferés grant pechié s’a mort me faictes mectre164,
Car je croy que Tristan qui fu filz au roy Daire
Sy n’ayma oncques temps Yseus, la seur Clodaire,
2205 Ne Helaine Paris, ne Priamus Seraire,
Que j’ay le vostre corps, douce seur debonnaire.
Or vous pry par amours, ma dame secretaire,
Que de mon grant labour me rendez le salaire,
Car ce seroit pour moy chose bien necessaire. »
2210 Adonc la demoiselle ce print ung pou a taire,
Regarda Thezeüs, qui tant ot doulx visaige165,
Qui estoit moult beaux homs et portoit belle chiere.
Amours par sa vertur lui print ces dars a traire166,
Et pitié lui aprint du reffuz le contraire.
lx
2215 Quant Flore ouyt Thezeüs qui lui conte la vye,
Et comment pour s’amour qui forment le mestrie
C’estoit fait aporter en l’aigle qui flambie,
Bien voyt qu’il est atraict de noble seigneurie
Et qu’il avoit en lui honneur et courtoisie.
2220 Apperçoyt sa beaulté et sa face polie,
Lors lui dit doulcement par maniere adrecee167 :
« Sire franc damoisel, or ne me celez mye
Qui vous compta de moy l’estat et la vye168,
Ne qui vous donna cens ne proprë estudie Ph, 30r
2225 De cel aigle ordonner qui luyt et refflambie ? »
321– Belle, dit Thezeüs, droit est que je le dye.
Vrayement quant je vins en la cyté jolye
Et que je fu entré en mon hostellerie,
Ung orfevre trouvé, que Dieu beneye169,
2230 Qui une ymage avoit tres bien ediffiee.
Et je lui demandé pour qui l’avoit forgee170,
Et y me dit tantost, l’empereur de Romenie171
L’avoit fait ordonner et estoit entaillee172
Sur le corps et beaulté de sa fille jolye.
2235 Et quant de vostre beauté os la nouvelle ouye173
Et je cuiday entrer en la sale votye L, 31v
Pour veoix vostre beaulté qui doit estre prisee174,
Le portier m’ot tantost l’entree refusee175.
En guise de messager revains une autre alee176,
2240 A vostre pere parlé devant sa baronnie177,
Mais en lui ne trouvé amour ne compaignie178.
Adoncques m’avisay en icelle nuytee179
De cel aigle ordonner, dont l’ouvrage est jolye,
Sy me fis aporter en vostre chambre polye180.
2245 Or suis cy arresté a vostre commandise181.
Je suis en voz prisons, qu’i vous plaist que je dye,
Vous estes Saint Lienart qui prisonniers deslye. »
322lxi
« Dame, dit Thezeüs a la chiere manbree,
Dit vous ay verité et compté ma pensee.
2250 J’ay pour l’amour de vous grant painë enduree,
Paour et grant anuy, c’est verité prouvee.
Or vous pry pour celui qui fit ciel et rozee,
Ayez pitié de moy, ou ma vye e[s]t finee182. »
Quant la belle l’ouyt, si dit sans demouree :
2255 « Vostre parole m’a ung petit afolee.
Bien voy que vous avez la chair de vous penee
Et pour l’amour de moy receu povre journee.
Je vous delivreray au point de l’ajournee,
Et puis vous en yrés en la vostre contree,
2260 Car ne vueil que pour moy ayez la vye finee.
Mais je vous pry pour Dieu et la Vierge honnoree
Que jamais vous n’ayez telle chose commencee,
Car c’est bien pour mourir de coustel ou d’espee
Ou de villaine mort sans faire demouree. Ph, 30v
2265 Mais quant vous l’avez fait par euvre enamouree,
Pour tant vous en sera selle euvre pardonnee.
Mais ce vous retourner, plus sera renouvellee183.
– Belle, dit Thezeüs, de bon heure feustes nee !
Ung jour de respit vault l’avoir d’une contree. »
lxii
2270 « Belle, dit Thezeüs, je sçais certainement
Car je me suis yssi embatu folement184.
Ce me fist faire amours, dont j’ay le sentement.
A qui je cry mercir du cuer parffaictement,
Car bien faire le doys, et a vous aussi bien185. L, 32r
2275 Mais par celui Dieu a qui le monde apend186,
323J’ayme mieulx a mourir a honteulx jugement
Que je n’aye d’amours l’amoureux paiement. »
Et quant Flore l’ot, a regarder le prent187,
Et puis si lui a dit moult vigoureusement :
2280 « Comment, dit la pucelle, par [le saint] sacrement188,
Me fauldra y aymer et si n’en ay tallent ?
– Nennil, dit Thezeüs, belle, certainement
J’atendray bien tant et si tres longuement189
Que vous arez d’amours ung aspirement190,
2285 Mais que vous me vueillez avoir en couvenant
Que ja vous ne prendrés a amant nullement
Homme neszun vivant dessoubz le firmament
Fors que le corps de moy, belle, tant seulement.
– Pourquoy, dit la pucelle, vous aray je en couvent ?
2290 Je ne sçais qui vous estes, ne de quelz gens191.
– Belle, si le sarez, s’i vous vient a talent.
Je vous jure sur Dieu et sur le sacrement
Que je suis filz de roy tenant grant tenement
Et de roÿne aussi, par droit mariement.
2295 Et tout ce prouveray bien et souffisament,
Et s’ainsi ne le faiz, si n’en faictes riens192,
Sy n’est tres bien prouvé a vostre jugement,
Sy soye repoucé de vous villainement.
– Damoisel, dit la belle, vous parler sagement.
2300 Oncques homs ne parla a moy si faictement,
Ne me requist d’amours ne de mariement. Ph, 31r
– Belle, dit Thezeüs, je le sçais vrayement.
Je le vous ouy dire arsoir a l’avesprement193
A vostre damoiselle qui en fist parlement.
2305 Et pour ce suis joyeulx ad ce commancement.
324Sy prie a Jhesucrist, sire du firmament,
Que ceste bonne estraine me doint bon paiement. »
lxiii
Quant la pucelle ouyt Thezeüs qui parla,
Qui ainsi doucement mercir lui demanda,
2310 Pour la beaulté de lui moult fort le regarda,
Et le regard plaisant certes s’i senta194. L, 32v
La parlerent d’amours tant que le jour leva.
Quant la pucelle vyt que le jour approcha,
A Thezeüs a dit : « Biau sire, venez ça,
2315 Si dormez ung petit, mon corps ce lievera,
Vous avez eu grant paine dedans cel aigle la.
– Belle, dit Thezeüs, soit comme vous plaira. »
Moult gracïeusement sur le lyt ce coucha,
Et elle le couvrit d’un biau mantel qu’elle a.
2320 Y fut si tres pesans a icelle heure la
Que y c’est endormy, et la belle veilla.
Jusques pres de prymë le dormir ne laissa,
Adonc hors de sa chambre la belle s’en ala.
Vers le palais s’en vint, que delay mys n’y a,
2325 Et une chamberiere avec elle mena,
L’empereur son pere devant lui encontra.
« Fille, dit l’empereur, dictes comment vous va,
Veistes vous anuyt nulle riens par dela
Puis que je m’en party ? Ne le me sellez ja.
2330 – Pere, dit la pucelle, ou tant de beaulté a,
Je croy que se fut songe qu’ainsi m’espoventa,
Puiscedit ay songé, mais riens ne me greva. »
lxiv
Ainsi dit la pucelle ou de beaulté ot tant.
De son pere se part, tout coy le va laissant,
2335 Puis entre en une chambre qui estoit deduisant.
A une chamberiere a dit : « Venez avant,
Me pourray je fyer en vous ne tant ne quant ? »
325Et ouil ma dame, dit elle, par Dieu omnipotent,195 Ph, fol. 31v
Car je vous prometz la foy que tant que soye vivant
2340 De ce que me dirés n’yray ung mot sonnant
Pour riens qu’il aviengë a petis ne a grans. »
Lors lui bailla la main et lui va affermant.
Lors lui dit tost la dame : « Je vous yray comptent
D’un fait qui est avenu merveilleux et grant.
2345 Certes, chiere amye, je vous ay en couvenant
Que j’ay dedans ma chambre ung damoisel vaillant,
Ne croy qui soit ci bel que lui en ce monde vivant196.
Filz est au roy de Coulongne qui sur le Rain s’estend197,
Qui pour moy a tant fait que le tiens a amant198
2350 Et en cel aigle d’or qu’on m’ala presentant199
C’est y fait aporter en ma chambre luisant.
C’est ce qui ainsi m’ala arsoir espouventant200.
Il est dessus mon lyt, la l’ay laissé dormant.
Qncques jour de ma vye ne vy si bel enfent.
2355 Je le vouldray amer desormais en avant.
Comment le pourroit on haïr ne tant ne quant,
Quant pour l’amour de moy c’est adventuré tant ?
Aller si m’aporter a manger maintenant,
Et a boyere aussi de tres bon vin friant,
2360 Et je vous monsteray mon doux amy plaisant. »
Et celle respondit : « Je feray vostre comment201. »
Lors ala esploiter tost et incontinent.
La viande ala querre et l’aporta briefment.
La n’estoient qu’eux deux en la chambre devant
2365 Et si fermerent l’uis que nul n’alast entrant.
Et Flore la pucelle va Thezeüs boutant,
Et puis si lui a dit douement en riant :
326« Or sus, franc damoisel ! Venus sont les sergens
Qui a l’empereur tost vous yront conduisant. »
2370 Quant Thezeüs l’ouyt, si saillit en estant.
La pucelle acola en baisant doucement
Et lui dit : « Damoiselle, faictes vostre comment.
Je suis vostre prisonnier certes des maintenant. »
Quant la belle l’ouyt, ung rys lui va gectant
2375 Et puis si lui a dit d’ung parler atraiant :
« Sire, dit la pucelle, venez ! Lavez maintenant,
Sy nous desjeunerons ensemble en present. »
– Belle, dit Thezeüs, tout a vostre comment.
Je suis si plain de vostre doulx semblant
2380 Que de nulle viande ne me va remembrant,
Mais pour l’amour de vous, vous yray regardant. Ph, fol. 32r
Adonc va la pucelle une nappe estendant.
La ce sont desjeunez ensemble les amans.
Thezeüs ne mangast pour Couloingne la grant
2385 Et elle lui a dit ung mot en soubzriant :
« Thezeüs, biau doux sire, foy que doy Dieu le grant,
Je n’ay point de merveille ce vous aller doubtant
Et ce n’avez talent de menger maintenant,
Car chascun prisonnier si doit estre dolent. »
lxv
2390 Quant Thezeüs entent la pucelle de pris,
Si lui dit doucement : « En tel prison suis mys
La ou le corps de moy vouldroit estre tousjours202.
J’ay trestout mon voulloir et mon gré acomplis,
Puis que je voy vostre gracieulx cler vys. »
2395 Dont dit la chamberiere : « Vous feustes bien hardis
Qui estiez en cel aigle dedans la ainsi mys.
N’aviez vous point paour que vous ne feussiez pris ? »
– Dame, dit Thezeüs, par le corps Jhesucrist,
Je ne doubtoye la mort vaillant deux parisis,
2400 Car quant me souvenoit de la dame de pris,
327J’avoye un tel espoir au cuer de moy assis
Que ne voulsisse point estre roy de Paris.
Amours me soustenoit, espoir m’ectoit advis
Que plaisance me donnoit liesses et delis
2405 Et les yeulx de ma dame biaux et traictis,
Et sa doulce beaulté que Nature y a mys
Me donnoit hardement contre mes enemis.
Et ce seroit pitié, ce me disoit advis,
Ce pour cy bien amer estoie desconffis.
2410 Et d’autre part, amant qui d’Amours et souppris,
La griefté et le mal de quoy il est servis,
Ce sont, a dire voir, roses et fleurs de lis. »
lxvi
Moult fut joyeuse en son cuer Flore de Rommenie203, Ph, 32r
Quant elle ot Thezeüs compter sa maladie.
2415 Et Thezeüs lui dit : « Douce dame jolye,
Vous avez maintenant en voz mains ma mort ou ma vye204,
Ayez pitié de moy, belle, je vous emprie.
– Thezeüs, dit la belle, voullez que je vous dye ?
Je vous diray ung mot dont je suis trop hardye :
2420 Je voy que pour m’amour avez eu grant paine205
Et grant traveil aussi et moult grant estudie,
Sy que pitié m’en prent et amour me chastie Ph, 32v
Que de la desserte en soit vers vous payee206.
Je vous donne m’amour sans nulle villenie. »
2425 Lors a prins ung anel dont la pierre flambye,
A Thezeüs le donna, ne le reffusa mye.
Bien et courtoisement la pucelle mercye,
Doucement l’acola et aprés l’a baisee207.
Elle le consentit, car amour lui octrye.
2430 Or a bien Thezeüs sa besoingne esploitee208,
328Car par son hardement a conquis belle amye.
Mais chier l’achetera avant l’annee acomplie209,
Tant de maulx en souffrist, n’est nul qui le vous dye.
Oncques tant n’en souffrist nulz homs, je vous affye.
2435 Helaine pour Paris n’en eust oncques la moitee210,
Ne Tristam pour Yseut, la royne jolye,
Ne Judas Macabeus pour la belle Ydorie,
Ne trestous les amans qui oncques orent vye,
Ainsi que vous orrés en l’istoire jolye.
lxvii
2440 Seigneurs, or faictes paix que Dieu si vous beneye211,
S’orrés merveilles grans, ce ma voix et ouye.
Mains roys et mains seigneurs et haulte seigneurie
Ont ceste histoire cy tous fort prisee212
Que pourtraire la firent en painture jolye,
2445 Mesmes le roy de France la garnie213,
Droictement a Paris en sa sale polye
Quë on dit a Saint Pol ou le lieu refflambye.
Mais tant e[s]t l’istoirë de vielle ansienerie214
Et de mainte adventure poissante et resongnee
2450 Qu’on y prent sa plaisance pour le temps qu’on oublie.
Et celui qui en ryma celle raison jolye215
Tout droit a Saint Denis en la librairie216,
La em praint la matiere en la noble abbaÿe
Sy en ryma les faiz et y mist s’estudie.
2455 Tant que les bonnes gens l’ont voulentiers ouÿe
Doivent les entendeurs bien admender leur vye.
329Finalement suivent cinq laisses pendant lesquelles Théséus écrit une lettre pour prévenir ses gens de son succès et sa situation. Flore la confie à un messager. L’écuyer auquel le message est livré craint un piège, mais finit par constater que son nom figure sur la lettre et l’accepte. En la lisant, tous les compagnons se réjouissent pour Théséus et l’orfèvre commente la prochaine étape : le bec de l’aigle doit être brisé pour que l’aigle soit rapporté afin d’être réparé. C’est une manière de rapatrier Théséus. Chez Flore, les deux amoureux se font marier secrètement par un chapelain et pendant la nuit de noces un enfant est conçu, Gadifer. Après l’amour, Théséus s’endort et fait un rêve prémonitoire sur le destin de leur fils à venir.
Mari Bacquin
Université de Lund
1 L’expression est utilisée par N. Laborderie dans l’introduction de son édition de Florent et Octavien. Chanson de geste du xive siècle, Paris, Champion, 1991, p. I.
2 Pour une caractérisation littéraire et un répertoire des spécimens tardifs de la chanson de geste, voir Fr. Suard, « L’Épopée », La Littérature française aux xive et xve siècles, Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, VIII/1, Heidelberg, Winter, 1988, p. 161-177 ; Cl. Roussel, « Le mélange des genres dans les chansons de geste tardives », Les chansons de geste. Actes du xvie Congrès International de la Société Rencesvals, éd. C. Alvar et J. Paredes, Granada, Editorial Universidad de Granada, 2005, p. 65-80 ; du même auteur, « L’automne de la chanson de geste », Cahiers de recherches médiévales, 12, 2005, p. 15-28.
3 Pour l’origine de ce motif, voir M. Schlauch, Chaucer’s Constance and Accused Queens, New York, New York University Press, 1927. L’une des variantes qui figurent dans Théséus de Cologne montre une reine accusée d’avoir mis au monde des chiots à la place d’enfants ; celle-ci est retravaillée sous forme de miracle dans Le Miracle du roy Thierry, trente-deuxième des Miracles de Nostre Dame par personnages, éd. G. Paris et U. Robert, Paris, SATF, vol. 5, 1880.
4 Pour une présentation globale des motifs de la geste, voir M. Bacquin, Theseus de Cologne, édition partielle d’une chanson de geste du xive siècle, Lund, Lunds Universitet, 2008, p. 103-129.
5 Voir R. Bossuat, « Theséus de Cologne », Le Moyen Âge, 65, 1959, p. 97-133, 293-320, 539-577 ; E.E. Rosenthal, Theseus de Cologne. A General Study and a Partial Edition, Ph.D., Birkbeck College, University of London, 1975.
6 Voir Bacquin, Theseus de Cologne. L’édition d’une de ces version en prose est en cours et une autre vient d’être achevée : voir M. Bacquin, Le Théséus de Cologne de Jean Servion – un cri au secours, Lund, Lunds Universitet, 2017.
7 Les différentes versions en prose de l’histoire de Theseus de Cologne sont répertoriées par nous dans le Nouveau répertoire des mises en prose (xive-xvie siècle), éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari, A. Schoysman et Fr. Suard, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 849-864.
8 Pour plus de détails, voir Bacquin, Theseus de Cologne, p. 21-22.
9 Voir Christine de Pizan, Le Débat des deux amants, dans Œuvres poétiques, éd. M. Roy, Paris, SATF, 1891, t. 2, p. 49-109. Elle mentionne également une tapisserie sur le sujet.
10 Pour cette version, voir Bacquin, Le Théséus de Cologne de Jean Servion.
11 Il s’agit de trois manuscrits conservés à Paris (BnF, fr. 15096, fr. 1473 et fr. 4962) et d’un quatrième désormais conservé à Angers, BM, ms. Rés. 2320.
12 Il avait, entre autres, contribué à révéler la Praguerie, la conspiration de Louis contre son père Charles vii, pendant que ce dernier était encore au pouvoir.
13 Il s’agit des mss Nouv. Acq. Fr. 10060 de la BnF (P), UCB 110 de la Bancroft Library (Ph) et British Museum, Add. 16955 (L). Les sigles des manuscrits ont été attribués d’après leurs provenances par E.E. Rosenthal, Theseus de Cologne.
14 Pour un état des lieux plus complet de la tradition manuscrite, voir Bacquin, Theseus de Cologne, p. 25-28.
15 R. Bossuat, « Theséus de Cologne », p. 99. Le ms. Ph n’était pas connu au moment où Bossuat rédigea son article.
16 Anciennement Phillipps 3636.
17 Voir Conseils généraux pour l’édition des textes médiévaux, éd. O. Guyotjeannin et al., Paris, École nationale des Chartes, 2001-2002, 3 fascicules ; G. Roussineau « Réflexions sur les éditions de texte en moyen français », Le Moyen Français : le traitement du texte (édition, apparat critique, glossaire, traitement électronique), Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1997, p. 5-24.
18 Comme l’ont constaté J. Rasmussen, B. Cerquiglini et A. Bengtsson à tour de rôle, les réécritures en prose sont caractérisées, entre autres, par une modernisation du vocabulaire et par un emploi plus prononcé de pronoms personnels : voir J. Rasmussen, La Prose narrative du xve siècle, Copenhague, Munksgaard, 1958 ; B. Cerquiglini, La Parole médiévale : discours, syntaxe, texte, Paris, Minuit, 1981 ; A. Bengtsson, « Les approches linguistiques de la mise en prose de l’hagiographie. Le cas de sainte Marie l’Égyptienne et de sainte Geneviève de Paris », Mettre en prose aux xive-xvie siècles, éd. M. Colombo Timelli, B. Ferrari et A. Schoysman, Turnhout, Brepols, 2010, p. 65-75.
19 Le passage édité couvre les fol. 17v-32v dans le manuscrit californien, ce qui correspond aux fol. 18r-32v dans le témoin londonien. Les vers et les laisses sont numérotés d’après leur place dans le manuscrit de base, considéré dans son intégralité.
20 1251 L : Que c’estoit a vëoir chose moult deduysant ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
21 1261 L : f. ne vous alez doubtant ; Ph : Le copiste utilise souvent la forme de l’infinitif à la place d’une forme conjuguée. Nous avons choisi de respecter ce trait graphique.
22 1272 L : p. et en beauté regnant. Ph : Le copiste ne respecte pas la rime.
23 1278 Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
24 1280 L : Et le roy de Scecille, le prince de Milant ; Ph : On peut noter qu’en dépit de la graphie, le e de de s’élide devant Azilan. Cela se voit ailleurs aussi (voir par exemple v. 1669 et 1814).
25 1289 L : Aïl, dit il, et que voy je sentant. Dans les deux manuscrits, le 1er hémistiche est hypométrique, mais la graphie voye rend le second hypermétrique dans Ph.
26 1290 : On attendrait un accord du verbe au singulier. Toutefois, on trouve aussi Dont amours m’ont saissi au vers 2153. L’accord du verbe au pluriel est attesté dans d’autres textes (voir le DMF 2015, s. v. amour1, B1b).
27 1295 L : n’y fist a. ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique, à moins que n’y a ne compte que pour une syllabe.
28 1300 L : Or estes vous abus et plain souspeçon ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
29 1302 L : Non fait, dit Theseüs, par Dieu saiges baron ; Ph : None fait. Corr. d’après L.
30 1303 L : e. autre regïon. Ph : e. autre regïons. Corr. d’après L.
31 1306 L et Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
32 1307 L : Dont l’orfevre si m’a huy faicte mencïon ; Ph : 1er hémistiche hypométrique.
33 1311 L : b. veuille le roy ou non ; Ph : La substitution d’empereur à roy semble rendre le 2e hémistiche hypermétrique, mais il est possible que le copiste prononce le mot en deux syllabes. Le mot empereur paraît pouvoir compter pour 2 syllabes (empreur), 3 syllabes ou 4 syllabes (empereür 2096, emperiere 2111). Voir également les occurrences aux vers 1695, 1783, 2102, 2186 et 2232.
34 1315 L : D. que vous n’y pensiez plus ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
35 1320 L : Seigneurs, ce dit l’enfant c’on nomme Thezeüs ; Ph : Le 1er hémistiche est hypométrique et le copiste ne respecte pas la rime.
36 1324 L : h., il en v. ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
37 1326 L : Laissez m.
38 1327 L : s. forment pourveüs. Les deux manuscrits présentent un 2e hémistiche hypométrique.
39 1335 L : Il s’est joliement vestu et parez. Le 2e hémistiche est hypométrique. ; Ph : Le copiste ajoute lors et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
40 1340 L : Laissez moy entrer leans n.
41 1341 L : m. n’y entrerez.
42 1348 L : Alez vous ent, amis, et vostre argent gardés ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
43 1353 L : J’ay plus grant maistrise, frere, que ne pensez.
44 1649 Ph et L emploient tous les deux laissé pour laissay. Ce phénomène graphique se trouve aussi ailleurs dans le texte, voir par exemple les vers 1698, 2117, 2231, 2240 et 2241.
45 1654 L : v. ne m’aidés t. Le 1er hémistiche est hypométrique dans les deux manuscrits.
46 1656 L : Et se g’y p. ; Ph : Et ce gis p. Corr. d’après L.
47 1659 L : v. ay en couvent q.
48 1664 L a ici un vers supplémentaire : Et aussi vous arez tel fin que j’auray. Le 2e hémistiche est hypométrique (la forme épicène tel pour telle).
49 1667 L et Ph : 1er hémistiche hypométrique.
50 1669 L : Que je puisse ens entrer c’on ne me voye pas ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique. Dans le second, il y a élision du e de que en dépit de la graphie (voir vers 1280).
51 1680 L : Quant sera en la chambre tu t’en partiras ; Ph : Quant seras e. Corr. d’après L.
52 1690 L : Et deusse tenir la terre Ypocras ; Ph : Et deusse ay je t. Entre la lecture corrective deussay je ou deussé je, la deuxième est préférée et l’auxiliaire est supprimé (cf. vers 1649).
53 1691 L : Et trestoute l’onneur que le roy Jonas ; Ph : Et trestout le tresor que le roy J. Le statut du que dans les deux manuscrits n’est pas clair, manquant visiblement d’un verbe.
54 1692 L : Le vers est omis. Ph : Si le e final de vouldroye compte, le 1er hémistiche est hypermétrique.
55 1695 L : Le vers est omis. Ph : Si bouteray se prononce avec trois syllabes, le 1er hémistiche est hypermétrique, mais il reste possible que le scribe prononce boutray (voir le cas du mot empereur au vers 1311).
56 1698 L : L’aigle commenceray quant devisé le m’as ; Ph : q. devisay le m’as. Corr. d’après L. Le copiste de Ph emploie indifféremment certaines formes qui se confondent phonétiquement. Cela a déjà été signalé pour les infinitifs et les participes passés qui peuvent être employés à la place de formes conjuguées (voir par exemple v. 1261, 1315 et 1649, 1690). Ici c’est le contraire, la forme conjuguée est mise à la place du participe. Un brouillage différent, mais semblable dans le sens qu’il peut également relever de la phonétique, se constate aux vers 1656 (gis = g’y) et 1792 (qu’il l’aigle = qui l’aigle).
57 1700 L : Ne fut pas si joyeux pour l’avoir de Damas ; Ph : L’emploi de mie au lieu de pas rend le 1er hémistiche hypermétrique.
58 1704 L : Et ilz ont respondu : Tost, n’en doubtez pas ; Ph : Le copiste a raturé ont et il a mis lui à la place. Il a fait ici sa propre variante qui n’implique pas clairement de réponse de la part des écuyers, mais qui apparaît plutôt comme une réplique en sourdine. On voit dans une des versions ultérieures en prose de Théséus de Cologne que le narrateur prend la parole en son nom propre et s’adresse directement au protagoniste dont il est en train de relater l’histoire. Cela fonctionne alors comme une annonce au public, ou au lecteur, qui vise à souligner la difficulté de la situation et à en renforcer le suspens ; l’effet est semblable ici.
59 1706 L : Vous l’avez aussi lait que tel geste enbesas.
60 1707 Ph : Lez gentilz escuier T. Corr. d’après L.
61 1716 L : s. esforciement ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
62 1731 Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique si priveement compte pour quatre syllabes, mais il se peut que le copiste n’en compte que trois (voir également vers 1804, veez = vez). Le copiste de L n’a pas de la et respecte ainsi la métrique.
63 1733 Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
64 1734 L : Tantost que le sarez, fuyez vous ent ; Ph : Le 1er hémistiche devient hypermétrique par l’ajout du pronom sujet.
65 1735 L ajoute un vers : Et vueil que vous ayez trestout mon tenement.
66 1736 L : Et mes hommes ycy v. ; Ph : Le 2e hémistiche devient hypermétrique par l’ajout de si.
67 1744 L : j. le dy vrayement ; Ph : voierement se lit probablement voirement (cf. également voiere = voire aux vers 1950 et 2074).
68 1751 L : il me plaist ensement ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
69 1752 L : j’enssayray briefment ; Ph : Le scribe peut varier les graphies, ici vraiement compte comme vraiment. Ailleurs, l’adverbe compte trois syllabes (cf. 1974, 2967, 2152, 2173, 2227).
70 1759 L et Ph : Les deux manuscrits présentent un 2e hémistiche hypermétrique. Les copistes emploient probablement vostre à la place de vo, qui est une forme par ailleurs souvent employée dans L. Cela se voit à de nombreux endroits dans Ph (voir par exemple les vers 2156, 2188, 2235, 2237, 2240, 2244).
71 1767 L : r. no dame d. ; Ph : Le scribe emploie vostre à la place de no et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
72 1777 L : Et je vueil estre a. ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
73 1779 L : v. esmayez j. ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
74 1780 L : g. bien m’en verra ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
75 1783 L : Pour ce qu’il ne savoit l’eure qu’il disnera ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique, à moins de prononcer dignra (voir également les vers 1311 et 1695).
76 1792 L : d. qui l’aigle faicte a ; Ph : d. qu’il l’aigle d’or forga. Corr. d’après L (voir également la note du vers 1698).
77 1802 L : Reportés m.
78 1803 L : Ouvrés s.
79 1804 L : Car vecy u. ; Ph : veez = vez.
80 1808 L : e, ens a v. ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique, ens est remplacé par dedans.
81 1809 L : v. aportez j.
82 1811 L : v. convoiez.
83 1821 L et Ph présentent tous les deux un 1er hémistiche hypométrique. On peut imaginer un modèle avec meïsmes.
84 1849 Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
85 1868 Ph : t. alarés trouvé. Corr. d’après L.
86 1877 Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
87 1885 Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
88 1893 Ph : Il est probable qu’oyesel ne compte que deux syllabes. L donne oysel.
89 1898 L : t. Pharaon.
90 1909 Ph : Le copiste utilise l’infinitif pour le participe et remplace vo, présent dans L, par vostre, ce qui rend le 2e hémistiche hypermétrique.
91 1910 L : a. le verray a vo devison ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
92 1912 Ph : n. plaire a. Corr. d’après L.
93 1915 L : c. estrine ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime dans les deux premiers vers de la laisse.
94 1918 L et Ph présentent un 1er hémistiche hypométrique.
95 1921 La forme verbale est corr. d’après L.
96 1922 L et Ph ont le 2e hémistiche hypermétrique.
97 1925 Ph : Le copiste change la rime de -ine en -aine pour deux vers où les leçons de L sont fine et couvine.
98 1941 L : Qui vouldroit que son aigle volast c. ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
99 1954 L : Cil qui d. ; Ph : L’emploi de celui à la place de cil rend le 1er hémistiche hypermétrique.
100 1961 L et Ph concordent parfaitement. On ne peut pas savoir s’il faut lire pucellë ou beü. Le vers 1962 invite à lire beu, mais le copiste opte souvent pour des variations.
101 1971 L : A l’ung n’en plus qu’en l’autre n’en est mon cuer subgis.
102 1973 L : Quelle chose c’est d’amours d’amies ne d’amis. Ph : Quelle chose c’est d’amours, ne d’amy ne d’amys. Le 1er hémistiche est hypermétrique dans les deux manuscrits (l’original devait comporter l’épicène tel) et la correction du second hémistiche de Ph, nécessaire pour le sens, le rend hypermétrique.
103 1976 L : e. tousdis.
104 1988 L : que omis ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique (voir le v. 1973).
105 1992 Ph : a. et tresor. Corr. d’après L.
106 1994 L : d. escoler ; Ph : Cf. Le DMF : agencer quelqu’un : « régler son compte à quelqu’un ».
107 1999 L : Or priez d. Les deux manuscrits présentent qui en fonction de complément direct. Une correction est apportée pour le sens.
108 2003 L : Ja pour le roy mon pere, qui tant pourra durer ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
109 2009 L : Et les autres ont fait la chambre bien fermer ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
110 2013 L : Ces doulces mamelectes a veü soulever ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
111 2031 L : h. ce viser ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
112 2036 L : Et de Virgille aussi ouy bien recorder ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
113 2039 L : o. a porter. ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
114 2045 L et Ph : 1er hémistiche hypométrique.
115 2048 Ph : a omis. Corr. d’après L.
116 2051 L : Devant le lit la belle est le vassal venus ; Ph : Devant le lit la dame et T. La forme verbale est corrigée d’après L.
117 2053 L : s. vis a. ; Ph : s. visaige a. Le copiste remplace vis par visaige et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
118 2055 L : d. parlés d.
119 2056 L : N’ayez paour de moy, je ne suis pas Burgibus ; Ph : L’ajout de pas rend le 1er hémistiche hypermétrique (si la prononciation de paour du copiste est bisyllabique). Pour le second hémistiche, c’est en revanche Ph qui opte pour une métrique correcte.
120 2057 L : Ainçois suis d. ; Ph : Le copiste remplace ainçois par mais et rend le vers hypométrique.
121 2059 L : Et dit : « Qui esse la ? Trayés vous en enssus ! » ; Ph : Le copiste fait un ajout et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
122 2061 L : Quant perçoyt Thezeüs q. ; Ph : Le choix du verbe apercevoir au lieu de percevoir rend le 1er hémistiche hypermétrique (voir également v. 2076).
123 2063 L : Or me vueillez aidier, ou mon corps est perdus. ; Ph : c. et perdus. La forme verbale est corrigée d’après L.
124 2064 L : Dient les chamberieres d. Les deux manuscrits ont un problème métrique avec ce vers. Le 2e hémistiche est hypométrique et le compte syllabique de chamberieres probablement variable comme pour empereur (voir v. 1311).
125 2066 L : e. pour Dieu, levez sus.
126 2070 L : Adont orrent fraieur qu’elles n’en porrent plus ; Ph : f. tant qui n’en p. Corr. d’après L. Le copiste de Ph écrit qui pour que (voir également les vers 1999 et 2116).
127 2072 L : c. n’est pas lié devenus. ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique.
128 2075 L : Helas ! fait il, ou me suis embatus ; Ph : Le copiste ajoute le pronom personnel sujet, mais le décompte syllabique reste le même.
129 2076 L : b. et perçoy q. ; Ph : Le copiste remplace perçoy par apperçoy et rend le vers hypermétrique (voir v. 2061).
130 2077 L : Ay Floridas p. ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique, probablement par l’ajout du pronom sujet.
131 2082 L : S. Speritus ; Les deux manuscrits présentent un 2e hémistiche hypométrique.
132 2083 L et Ph : et est une graphie pour l’interjection hé. On en trouve des exemples dans d’autres chansons tardives.
133 2087 L : p. de v. ; Ph : L’ajout de la rend le vers hypermétrique.
134 2088 L : Crient les damoiselles murdre a grant t. ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique. Il est probable que le copiste ne prend pas en compte le -ent de crioient.
135 2090 L : l. cler t. ; L et Ph : 2e hémistiche hypométrique.
136 2091 L et Ph : 2e hémistiche hypermétrique, à moins de compter n’y a comme monosyllabique (cf. v. 1295).
137 2102 L : d. le roy. Or avant s. ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique ? Pour le mot empereur, voir le commentaire du vers 1311.
138 2104 L : Lors vont partout querrant, n’y laisserent coron.
139 2110 L : ajout d’un vers : Se n’est point le conseil du saige Salmon.
140 2116 L : T., que fy je povre esploit ; Ph : T., qui fis j. Corr. d’après L.
141 2117 L et Ph : ordonné est encore une occurrence de passé simple à la première personne, voir v. 1649, 1690 et 1698.
142 2128 L : Or tost alez ailleurs, je le vueil orendroit.
143 2129 L : Car je croy que par vous elle se espoventoit. ; Ph : Le scribe choisit un conditionnel et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
144 2132 L : Et elle ne demoura q’un petit s’apesoit ; Ph : C’est un vers qui paraît doublement hypermétrique. Cependant, pour le 1er hémistiche le copiste lit sans doute el pour elle et dans le second, on peut s’imaginer une variation entre Thezeüs trisyllabique et Thezeus, bi-syllabique.
145 2133 L : vers omis. Ph atteste ici le verbe s’aplomber dans le sens de « s’assoupir » (voir DMF 2015).
146 2137 L : l. la portoit.
147 2138 L : q. Dieu y soit. ; Ph : Le copiste semble introduire une nouvelle rime dans les deux derniers vers de la laisse, qui nous renseigne sur sa prononciation de -oit, manifestement [wa].
148 2143 L : d. : « Damoiselle, ne vous doubtez neant ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique à cause de or.
149 2152 L : Ouy parler l’autrier et conter vrayement. La leçon de Ph, l’aujour dans le sens de « l’autre jour » n’est pas attestée par le DMF 2015, s. v. ajour.
150 2154 L : v. veoir et f. ; Ph : Le copiste utilise la forme voix pour l’infinitif veoir (voir également veoix v. 2237) et rend le 1er hémistiche hypométrique.
151 2156 L : se vo c. ; Ph : Le scribe remplace vo par vostre et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
152 2160 Ph : Le vers est hypométrique dans chacun des hémistiches, tout comme dans L.
153 2164 L : Ains qu’elle r. Le scribe de Ph remplace ains par avant et rend le vers hypermétrique.
154 2171 L : tres omis ; Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique à cause de tres.
155 2173 L : Maiz demandez le a Amours car dis v. ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique, à moins que la prononciation de la préposition ne se fonde dans la première syllabe d’Amours.
156 2178 L : m. le mouvement. Le terme esmouvement est attesté dans le DMF 2015 avec le sens « incitation ».
157 2180 L : Cuidés vous q.
158 2181 L : Nennil, sire, par foy, ne le celeray neant. Les deux manuscrits sont hypermétriques, Ph à cause de l’ajout du pronom personnel sujet.
159 2186 L : p. le roy e. ; Ph : Le copiste remplace roy par empereur et rend le 1er hémistiche hypermétrique (à moins de prononcer empreur, voir le commentaire du v. 1311).
160 2187 L : v. parlez s.
161 2188 L : m. en vo n. ; Ph : Le copiste remplace vo par vostre et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
162 2191 L : a. loyaument. ; Ph : Le scribe adopte la forme moderne de l’adverbe et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
163 2197 L : d. vous m’en feriez hors traire. Ph devient hypermétrique par l’ajout d’un si.
164 2202 L : m. faictes traire ; Ph : m. faictes mectre. Le copiste remplace la locution faire traire par faire mectre et ne respecte plus la rime.
165 2211 L : q. tant ot doulx viaire ; Ph : d. visaige. Le copiste modernise le lexique et la rime se perd.
166 2213 L : p. ses vertus.
167 2221 L : m. adrecie. Le scribe de Ph introduit une première terminaison en -ee dans la laisse qui rime par ailleurs en -ie. Cela se voit aussi aux vers 2231, 2233, 2237, 2238, 2239 et 2242. Tout comme pour les cas où vo devient vostre, le copiste veut peut-être ici masquer ou corriger le caractère picard de son modèle.
168 2223 L et Ph : 2e hémistiche hypométrique.
169 2229 L et Ph : 2e hémistiche est hypométrique.
170 2231 L : forgie.
171 2232 L : t. le roy d. ; Ph : Le copiste remplace roy par empereur et rend le 2e hémistiche hypermétrique (à moins de prononcer empreur, voir les v. 2102 et 2186 et le commentaire du v. 1311).
172 2233 L : entalie.
173 2235 L : d. vo b. ; Ph : vo devient vostre et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
174 2237 L : Pour veoir vo beauté qui doit estre prisie ; Ph : vo devient vostre, ce qui ajoute une syllabe dans le 1er hémistiche.
175 2238 L : e. calengie.
176 2239 L : A loy de messager revins une autre fye ; Ph : Le scribe remplace A loy de par En guise de et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
177 2240 L : A vo pere parlay voyant la b. ; Ph : Le copiste remplace vo par vostre et rend le 1er hémistiche hypermétrique.
178 2241 L : n. trouvay.
179 2242 L : i. nuytie.
180 2244 Ph : vo devient vostre et rend le 2e hémistiche hypermétrique.
181 2245 L : commandie ; Ph : Le copiste fait une rime approximative. Le terme commandise est attesté par le DMF 2015 dans le sens de « commandement, ordre, autorité ».
182 2253 Ph : ma vye et f. La forme verbale est corrigée d’après L.
183 2267 L : Mais ce revenez, sera renouvellee ; Ph : L’ajout de plus rend le 2e hémistiche hypermétrique.
184 2271 L : Que j. ; Ph : car peut parfois se substituer à que et introduire une complétive (Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, Bière, 1988, § 223b).
185 2274 L : v. ensement. ; Ph : Le scribe introduit une irrégularité à la rime.
186 2275 L : c. seigneur a. ; Ph : Le scribe emploie Dieu au lieu de Seigneur et rend le 1er hémistiche hypométrique.
187 2278 L et Ph : 1er hémistiche hypométrique.
188 2280 Ph : p. Dieu le sacrement. La leçon de L est adoptée.
189 2283 L et Ph : 1er hémistiche hypométrique. Il se peut qu’il y ait eu à l’origine une forme atenderay.
190 2284 L et Ph : 2e hémistiche hypométrique.
191 2290 L et Ph : 2e hémistiche hypométrique.
192 2296 L : f. neant ; Ph : Le copiste introduit une irrégularité à la rime (voir v. 2274).
193 2303 L : d. hier a. ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
194 2311 L et Ph : 2e hémistiche hypométrique.
195 2338 L : Et celle lui a dit : « Je vous jure et creant ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique.
196 2347 Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique.
197 2348 Ph : Filz et a. Corr. d’après L.
198 2349 Ph : Que p. Corr. d’après L.
199 2350 L commence ici une lacune qui dure plusieurs laisses.
200 2352 Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique.
201 2361 Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique. Il s’agit probablement d’une substitution de vostre à vo.
202 2392 Ph : Le copiste substitue ici tousjours à un probable tousdis au prix de la rime.
203 2413 L : lacunaire ; Ph : 1er hémistiche hypermétrique.
204 2416 L : lacunaire ; Ph : 2e hémistiche hypermétrique.
205 2420 L : lacunaire ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime.
206 2423 L : lacunaire ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime (voir v. 2221).
207 2428 L : lacunaire ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime.
208 2430 L : lacunaire ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime.
209 2432 L : lacunaire. Ph : Le 2e hémistiche est hypermétrique. Il s’agit sans doute d’un ains primitif qui a été remplacé par avant.
210 2435 L : lacunaire ; Ph : Le copiste ne respecte pas la rime et le 2e hémistiche est hypermétrique. Peut-être a-t-il mis oncques pour onc ?
211 2440 Le copiste de Ph change de laisse, mais continue sur la même rime.
212 2443 L : lacunaire ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
213 2445 L : lacunaire ; Ph : Le 1er hémistiche est hypométrique, même en postulant une forme primitive meïsmes.
214 2448 L : lacunaire ; Ph : Le copiste écrit et à la place de est.
215 2451 L : lacunaire ; Ph : Le 1er hémistiche est hypermétrique. Il est probable que le copiste a mis celui à la place d’un cil initial.
216 2452 L : lacunaire ; Ph : 2e hémistiche hypométrique.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-08322-1
- EAN: 9782406083221
- ISSN: 2273-0893
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08322-1.p.0283
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-29-2018
- Periodicity: Biannual
- Language: French