Avant-propos
- Publication type: Journal article
- Journal: Cahiers Alexandre Dumas
2003, n° 30. Mon cher Delacroix - Author: Schopp (Claude)
- Pages: 15 to 20
- Reprint of the edition of: 2003
- Journal: Alexandre Dumas Studies
Avant-propos
par Claude Schopp
Alexandre Dumas a voué à Delacroix Tadmiration la plus en- tière, la plus constante. Dès ses premiers succès dramati- ques (1829), il a possédé, comme Albert de Morcerf, une collec- tion des tableaux du maître anti-académique dont seuls les aléas de son existence dispendieuse Tout contraint à se séparer. 11 a proclamé son génie, partout et toujours, dans ses Mémoires, dans ses journaux, dans ses conférences, après la mort du pein- tre^. L'extrait suivant de UArt et les artistes contemporains au Sa- Ion de 1859 résume la ferveur qui a été la sienne : « À tout seigneur tout honneur. Eugène Delacroix, c'est-à-dire la grande personnalité qui, depuis 1830, domine impérieuse- ment non seulement son école mais toutes les écoles modernes [...] Le génie de Delacroix ne se discute pas, il se sent ; quicon- que vient demander l'exacte proportion des têtes, le dessin ma- thématique des bras et des jambes, l'observation rigide des lois de la perspective, celui-là doit détester Delacroix./ Mais quicon- que se plaît à l'harmonie des tons, à la vérité du mouvement, à l'originalité de la pose, à la création, enfin, d'un sujet vivant d'animation, étincelant de couleur, profond de sentiment, celui- là sera fanatique de Delacroix. » ^ En revanche, Delacroix, est « classique : en littérature, il van- tera Fénelon ; en poésie. Racine. »^ ; aussi ne déguise-t-il pas son mépris pour les romantiques littéraires qui « veulent de l'art sans convention préalable [...], ce qui choque énormément, c'est, dans leurs ouvrages ce mélange d'un vrai à outrance que les arts repoussent avec les sentiments, les caractères ou les si- tuations les plus fausses et les plus outrées. Pourquoi ne trou- vent-ils pas qu'une gravure ou qu'un dessin ne représente rien.
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parce qu'il manque la couleur ? S'ils avaient été sculpteurs, ils auraient peint les statues et les auraient fait marcher sur des ressorts et se seraient crus beaucoup plus près de la vérité. » ^ À ce différend artistique, quoique A. Dumas le nie parfois, se superpose, entre républicain et conservateur, un conflit idéolo- gique : « Pauvre cher Delacroix, nous avons passé notre vie à être de la même opinion en arts, mais ennemis jurés en politi- que ! » Toutefois, ces désaccords esthétiques et politiques n'ont ja- mais remis en cause l'amitié unissant les deux artistes depuis leurs plus belles années, celles des batailles romantiques : « Nous nous voyons tous les deux ou trois ans, Delacroix et moi, ce qui ne nous empêche pas de nous aimer fort, et d'être très heureux quand nous nous voyons. » écrit Alexandre Du- mas®. Le journal de Delacroix n'affirme pas autre chose, même si les réticences abondent. « Je l'aime beaucoup » assure le peintre avant de développer tout ce qui les oppose : « Je ne suis pas formé des mêmes éléments et nous ne recherchons pas le même but. Son public n'est pas le mien ; il y en a un de nous qui est né- cessairement un grand fou. » « Heureux homme ! heureuse in- souciance ! s'écrie-t-il deux ans plus tard, il mérite de mourir comme les héros, sur le champ de bataille, sans connaître les angoisses de la fin, la pauvreté sans remède et l'abandon. » ® En 1860, au moment de s'embarquer pour la campagne de Si- cile, Alexandre Dumas rend visite à Eugène Delacroix : ce sera sa dernière visite. « Il peignait, je crois, un plafond à l'Hôtel de Ville ; il sortait de chez lui avec le jour et n'y rentrait qu'à la nuit. J'allai le voir : il était onze heures du soir ; il était en robe de chambre, le cou enveloppé d'une cravate de laine, dessinant près d'un grand feu qui chauffait sa chambre de manière à as- phyxier tout autre que lui. Je lui demandai à voir son atelier aux lumières ; il s'enveloppa de douillettes, de manteaux, de capuchons, comme pour passer la Bérézina ; nous longeâmes un corridor encombré de dalhias, d'agapanthes, de chrysanthèmes fanés, puis nous entrâmes dans l'atelier. L'absence du maître qui, depuis six mois, travaillait à l'autre bout de Paris, s'y faisait sentir, et cependant il y avait quatre toi- les étincelantes, deux représentant des fleurs, deux représen-
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tant des fruits ; voilà pourquoi il y avait tant de fleurs dans le corridor. Puis, après les fleurs, nouvelles pour moi, et me révélant en- core une face de ce talent multiple, je vis une foule d'anciens amis pendus aux murailles, des Chevaux anglais qui se mordent dans une prairie, un Grec qui traverse un champ de bataille au ga- lap, puis le fameux Marina Faliero, confident fidèle des tristes- ses du peintre ; enfin, dans un petit cabinet, à côté du grand es- calier, une scène de Gœtz de Berlichingen. Nous nous quittâmes à deux heures du matin. Je ne le revis plus. » ® C'est cette longue amitié entre deux pfiares du romantisme que cette livraison a projet d'approfondir, en publiant pour la première fois en volume Exposition universelle de 1855. Peinture. École française. Eugène Delacroix, série d'articles, malheureuse- ment inachevée, du journal Le Mousquetaire, dans laquelle, par- tant du texte des Mémoires, et ne dédaignant ni la digression, ni les longues autocitations, A. Dumas rend compte du triomphe tardif de Delacroix, à l'exposition universelle de 1855. La publi- cation de cet inédit, annoté par nos soins, est accompagnée de documents utiles pour mieux comprendre la relation amicale et artistique entre Eugène Delacroix et Alexandre Dumas : corres- pondance subsistante, extraits du Journal de Delacroix, essai de reconstitution de la collection de tableaux de Delacroix ayant appartenu à Dumas.
Notes : 1. Le Comte de Monte-Cristo, chapitre XLI : « Il y avait des cavaliers arabes de Delacroix, aux longs burnous blancs, aux ceintures brillantes, aux armes da- masquinées, dont les chevaux se mordaient avec rage, tandis que les hommes se déchiraient avec des masses de fer. » [La référence, malgré l'absence de mas- ses de fer, semble la Rencontre entre cavaliers arabes, dont la seconde version, conservée aujourd'hui à Walters Art Gallery de Baltimore, avait été exposée à Paris en avril 1844]. 2. Voir : a. Mes Mémoires, chapitres CCXX-CCXXl ; préoriginale : Le Mousquetaire, n° 8, 27 novembre 1853 : « Le Salon de 1831. Horace Vernet. Delacroix » ; n° 10, 29 novembre : « Delacroix, son enfance, sa jeunesse, ses instincts. Ses premiers essais. Dante. Le Massacre de Chio. La Grèce sous les murs de Missolonghi. Ma- rino Faliero. Le Giour. Le Tasse. Les Tigres. La Liberté. La Mort de Tévêque de Liège » ; n° 12, décembre : « Horace Vernet. Visite à Delacroix »]. Le chapitre
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CCXXI est reproduit dans « Eugène Delacroix », Le Monde illustré. Journal hebdo- madaire, 7^ année., n° 332, 22 août 1863, p. 124. Le peintre est mentionné égale- ment au chapitre XCVll, "... Géricault. La Méduse dans l'atelier de l'ar- tiste...", préoriginale : La Presse, 16 juin 1852, et au chapitre CXI, "... Méry im- provisateur Les voeux de la nouvelle année", préoriginale : La Presse, 14 juillet 1852. b. « Le plafond du salon de l'hôtel de Ville par Eugène Delacroix », préorigi- nale : Le Mousquetaire, 9 mars 1854 ; en volume : « Le Triomphe de la Paix », in Bric-à-brac, Michel Lévy, 1861 : 2, et Propos d'Art de cuisine. Caïman Lévy, 1877. c. « Exposition universelle de 1855. Peinture. Ecole française. Eugène Delà- croix », Le Mousquetaire, 27, 30, 31 mai ; 2, 3 juin 1855 : 1 — 2 ; 15, 16/17 [Le ou plutôt les Giours], 18 [« L'Evêque de Liège »], 19, 22 [«Le Roi Jean à la bataille de Poitiers. Boissy d'Anglas »], 26 [« La mort de Charles le Téméraire »], 27 [« Les Convulsionnaires de Tanger. La Noce juive. Les Femmes d'Alger»], 28 [« Les Convulsionnaires de Tanger », 31 [« La Noce juive »] août ; l^^ 2 [« La noce juive (suite) »], 3 [« Les Femmes d'Alger »] septembre 1854. d. L'Art et les artistes contemporains au Salon de 1859, Paris, Librairie nou- velle, A. Bourdilliat et ce, 1859, p. 9-13. Préoriginale : « Salon de 1859 », L'Indé- pendance belge, 23 avril-19 mai 1859. e. Causerie sur Eugène Delacroix et ses œuvres faite par Alexandre Dumas dans la salle d'exposition des œuvres d'Eugène Delacroix. Paris, Naumbourg, chez G. Paetz, libraire-éditeur. Préoriginale : La Presse, 29 décembre 1864-12 jan- vier 1865. Réédition : Delacroix, Mercure de France, 1996 (Le Petit Mercure). Les textes a, c, e ne sont pas indépendants : à partir du texte a, Dumas com- pose, en fonction des circonstances, les textes c et e. 3. L'Indépendance belge, 23 avril 1859. 4. A. Dumas, Delacroix, Mercure de France, 1996, p. 82. 5. E. Delacroix, Journal, 26 avril 1847. 6. A. Dumas, Delacroix, Mercure de France, 1996, p. 80. 7. E. Delacroix, Journal, vendredi 25 novembre 1853 8. E. Delacroix, Journal, 22 mai 1855. 9. A. Dumas, Delacroix, Mercure de France, 1996, p. 102-103. Le plafond cen- tral du salon de la Paix à l'Hôtel de Ville de Paris {La Paix vient consoler les hom- mes et ramène l'abondance ou La Terre éplorée levant les yeux au ciel pour obte- nir la fin de ses malheurs) est révélé au public en mars 1854 : il semble que Du- mas rattache, fictivement, au moment de son départ pour son voyage autour de la Méditerranée une visite faite à Delacroix vers 1853-1854. Les œuvres aper- çues dans l'atelier confirment cette datation : on y reconnaît : Scène de la guerre entre les Turcs et les Grecs, actuellement à la Pinacothèque d'Athènes, peint pour Thomas, et livré en 1855-1856 ; Weislingen capturé par les hommes de Goetz, actuellement à The City Art Museum de Saint-Louis, peint en 1853 et li- vré en décembre 1853, et peut-être : Vase de fleurs avec dahlias et gueules-de- loup, peint en 1848, figurant dans la vente posthume de Delacroix, localisation inconnue, et/ou Deux vases de fleurs, actuellement au Musée de Brème, qui tous deux contiennent des dahlias ; les fruits : pourraient être ceux du Panier de fruits dans un jardin de fleurs peint en 1848-1849 et conservé au Philadelphia Museum of Art.
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Etablissement du texte Le texte de notre édition reproduit fidèlement la version du Mousquetaire, cependant lorsque cette dernière n'était pas satisfaisante, en particulier pour l'orthographe des to- ponymes et des patronymes, nous avons proposé une le- çon amendée. Par ailleurs, nous avons introduit des inter- titres afin de permettre une approche plus aisée du texte. Le texte du Mousquetaire a été saisi par Chantai Chemla, celui du Journal de Delacroix et de la correspondance infra par Pierre Gintzburger. Annotations ; Claude Schopp. Iconographie : Pierre Gintzburger. Nous remercions pour sa grande disponibilité Catherine Adam du Centre de documentation du Musée Delacroix.
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LE MOUSQUETAIRE JOURNAL DE M. ALEXANDRE DUMAS.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-09497-5
- EAN: 9782406094975
- ISSN: 2275-2986
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-09497-5.p.0019
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 02-07-2020
- Periodicity: Annual
- Language: French