Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2023 – 1, n° 239. Claudel, journalistes et journalisme - Auteurs : Pérez (Claude), Mayaux (Catherine), Nantet (Marie-Victoire)
- Pages : 11 à 13
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
avant-PROPOS
Beaucoup de journalistes deviennent écrivains.
La réciproque est vraie aussi : beaucoup d’écrivains se font journalistes, avec plus ou moins de bonheur. Pour certains d’entre eux, il arrive que leurs écrits journalistiques finissent par prendre une importance égale ou supérieure à celle de productions réputées littéraires : aujourd’hui, les romans de François Mauriac sont moins lus, mais la réputation de son Bloc-notes n’a pas faibli, au contraire.
Il n’en va pas ainsi de Claudel. Ses écrits journalistiques ont certes été publiés, mais de manière éparpillée, certains dans le volume des Œuvres en prose de la Pléiade, d’autres dans les Œuvres complètes ou dans les Suppléments. Il n’existe pas de volume qui regrouperait la totalité d’entre eux, pas non plus d’anthologie significative. De là vient sans doute qu’il est bien rare qu’on pense à lui comme à un journaliste. Ce terme ne lui est jamais associé, tant il paraît peu compatible avec l’image de lui qui circule et presque offensant pour sa dignité.
Journaliste, pourtant, il l’a bien été, par épisodes. Ou plutôt, comme on dit en français : « il a fait » parfois le journaliste. Mais il faut sans doute commencer par dire qu’il a eu avec le monde des journaux et des journalistes des rapports très suivis, très riches, très divers. Il a été un lecteur assidu de la presse, par goût, par intérêt, par profession. Il a plusieurs fois réfléchi à ce phénomène social, culturel, politique, éditorial, typographique… qu’est le journal. Il l’a fait en disciple de Mallarmé, mais aussi (dans les Conversations dans le Loir-et-Cher par exemple) en voyageur et en observateur curieux des formes contemporaines du « vivre ensemble1 ».
Bien entendu, les journalistes de leur côté se sont beaucoup intéressés à lui. Le dramaturge et ses drames ont été le sujet d’une foule d’articles et le premier a été la victime consentante d’une quantité d’interviews. L’ambassadeur, le militant catholique, l’administrateur de Gnome et Rhône… ont fait l’objet d’une attention pas toujours bienveillante et parfois (dans l’Action française, notamment) carrément injurieuse. 12Diplomate de tout premier plan, soucieux de « communication » comme on ne disait pas encore de son temps, il a forcément entretenu des relations étroites et multiples avec le monde de la presse.
Et puis, il a lui-même tenu, dans diverses circonstances, en son nom propre ou sous pseudonyme, la plume du journaliste. Anonymement d’abord lorsque, consul en Chine, il a publié dans la feuille des intérêts français et des Missions étrangères de Paris, dirigée par le P. Robert, L’Écho de la Chine ; ou encore en janvier 1897 dans Le Temps à propos du chemin de fer Pékin-Hankou, alors en projet ; et plus tard, en 1913, à la demande de l’abbé Fontaine, quand il a polémiqué contre son propre ministre, Poincaré, dans le Journal de Clichy.
Mais c’est plus tard, une fois la retraite venue, qu’il se lance véritablement dans le journalisme – en signant cette fois de son nom. Il commence dans Les Nouvelles littéraires au lendemain de l’élection académique manquée de mars 1935. Durant un peu plus d’un an il publie là sur différents sujets. À partir de février 1936, il entame une série de « Souvenirs diplomatiques » dont l’actualité est si peu absente que ces articles, écrits d’une plume souvent polémique dans un hebdomadaire supposé apolitique ne sont pas longs à faire des remous. En juin 1936, l’un d’entre eux, sur la question des dettes, est refusé.
Claudel va alors porter ses Souvenirs à Paris-Soir, qui tire à un million et demi d’exemplaires. Les « Souvenirs diplomatiques »y sont bien mieux payés (les considérations financières n’ont sûrement pas été étrangères aux entreprises journalistiques de l’ambassadeur retraité) et paraissent sous des titres sensationnels : « le journaliste doit se faire lire, il doit tout présenter sous un jour intéressant, et pour être intéressant il ne doit pas craindre d’être coloré, dramatique, mordant, sensationnel2 ». C’est exactement ce qu’il fait.
Durant un an, sa signature revient régulièrement. Et puis, à partir d’août 1937 il passe au Figaro. Les « Souvenirs diplomatiques » rebaptisés « Souvenirs de la Carrière » vont paraître là jusqu’en mars 1938. Chaque article est payé 1000 F. Dans le Figaro et le Figaro littéraire plus encore que dans Paris-Soir, Claudel va signer des textes extrêmement divers : poèmes, conférences, essais sur la littérature, la peinture, la religion, sans oublier quelques articles militants. Il va continuer d’y publier sous l’Occupation jusqu’à la suspension du journal en 1942, alors que la page littéraire est devenue, d’après Paul Morand, « le fortin de la résistance intellectuelle3 ».
13Il y retrouvera ensuite sa place à la Libération, et jusqu’à sa mort.
Si le nombre des articles journalistiques de Claudel n’atteint pas celui d’un Maupassant ou d’un Barbey d’Aurevilly qui eurent une véritable activité de journalistes, cette partie de l’œuvre, sans doute sous-estimée, a déjà donné lieu à des études fructueuses. Ce bulletin en reprécise certains aspects et met en lumière quelques points oubliés. Claude Pierre Pérez – qui est à l’initiative du sujet – revient sur la collaboration avortée au Flambeau, l’hebdomadaire des Croix-de-Feu. Michel Lioure, qui a publié la correspondance de Claudel avec le directeur du Figaro, pointe la qualité de son analyse économique dans les articles qu’il donna au journal. En écho, Gil Charbonnier reconstruit la vision élogieuse, développée par Paul Morand sur les positions économiques de Claudel. Shinobu Chujo et Pascal Lécroart élargissent notre connaissance à la presse internationale. L’un précise les contenus des articles de presse japonais parus pendant le séjour du Poète-Ambassadeur au Japon, l’autre transcrit avec l’aide de Maryse Bazaud divers entretiens (non recueillis à ce jour) parus dans des journaux ou revues français et étrangers entre 1925 et 1952. Les Mémoires improvisés issus des entretiens qu’avait habilement menés Jean Amrouche, bénéficient de l’éclairage apporté par Pierre-Marie Héron sur la relation pleine d’empathie entre le dramaturge et son interlocuteur, ce grâce à des documents inédits, écrits et radiophoniques. Les scrapbooks de Paul Claudel examinés par Catherine Mayaux exhibent le goût du poète pour les papiers journaux et le copier-coller, qu’il s’amuse à pratiquer au cours des dix dernières années de sa vie. La rubrique « Relectures », introduite par Jeanyves Guérin, retranscrit les comptes rendus de deux volumes exégétiques de Paul Claudel où le peuple d’Israël occupe une place majeure, notamment pour le premier. Publiés respectivement en janvier 1942 et janvier 1943 dans les revues Fontaine et Confluences4, ils relèvent, de la part de leurs auteurs Georges Cattaui (de confession juive et converti au catholicisme) et Auguste Anglès, d’un acte détourné de résistance aux lois antijuives.
Claude Pérez,
Catherine Mayaux
et Marie-Victoire Nantet
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14859-3
- EAN : 9782406148593
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14859-3.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/05/2023
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français